Arrêt n° 24/00370
23 Juillet 2024
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N° RG 22/01970 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FZL5
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Pole social du TJ de METZ
22 Juillet 2022
20/915
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
Section 3 - Sécurité Sociale
ARRÊT DU
vingt trois Juillet deux mille vingt quatre
APPELANT :
FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 9]
Représenté par Me Sabrina BONHOMME, avocat au barreau de METZ
INTIMÉS :
Société [17]
[Adresse 12]
[Adresse 12]
[Localité 6]
Représentée par Me Christophe BIDAL, avocat au barreau de LYON
substitué par Me HELLENBRAND, avocat au barreau de METZ
S.A. Société [10]
Ayant siège social
[Adresse 3]
[Localité 8]
prise en son établissement de [Localité 13] [Localité 6]
[Adresse 12]
[Adresse 12]
[Adresse 12]
[Localité 6]
Représentée par Me Christophe BIDAL, avocat au barreau de LYON
substitué par Me HELLENBRAND, avocat au barreau de METZ
Hors de cause
CPAM DE MOSELLE
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Mme [T], munie d'un pouvoir général
Monsieur [A] [R]
[Adresse 4]
[Localité 5]
représenté par l'association ADEVAT-AMP, prise en la personne de Mme [Y] [P], salariée de l'association munie d'un pouvoir spécial
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre
Mme Carole PAUTREL, Conseillère
Mme Anne FABERT, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [A] [R], né le 24 avril 1953, a travaillé pour le compte de la société [17], venant aux droits des sociétés [14], [16], [15] et [11], du 13 septembre 1971 au 30 avril 2010 sur le site de l'usine de [Localité 13] [Localité 6]. Il a occupé les postes suivants : électromécanicien, électricien, agent de maîtrise, contremaître entretien, chef de poste et technicien travaux.
Par formulaire du 14 mai 2018, M. [R] a déclaré auprès de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle (ci-après « la Caisse » ou « CPAM ») une maladie professionnelle inscrite au tableau n°30A des maladies professionnelles, en joignant à sa demande de reconnaissance un certificat médical initial établi par le Docteur [J] le 29 novembre 2017.
Par décision du 16 octobre 2018, la Caisse a pris en charge la pathologie « asbestose » déclarée par M. [R] au titre de la législation sur les risques professionnels.
Le 29 novembre 2018, la Caisse a reconnu à M. [R] un taux d'incapacité permanente partielle de 5% et lui a attribué une indemnité en capital d'un montant de 1 958,18 euros à la date du 30 novembre 2017.
En parallèle, le 7 mai 2019, M. [R] a accepté l'offre du Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA), laquelle se détaille comme suit :
préjudice d'incapacité fonctionnelle : une rente de 991,24 euros par an au 1er avril 2019,
préjudice moral : 14 200 euros,
préjudice physique : 400 euros,
préjudice d'agrément : 2 200 euros.
Après échec de la tentative de conciliation introduite devant la Caisse, M. [R] a, par courrier recommandé expédié le 13 août 2020, saisi le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz, afin de voir reconnaître la faute inexcusable des sociétés [17] et/ou [10] dans la survenance de sa maladie, et de bénéficier des conséquences indemnitaires en découlant.
La CPAM de Moselle a été mise en cause.
Le FIVA est intervenu volontairement à l'instance.
Par jugement du 22 juillet 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz a :
mis hors de cause la société [10],
déclaré le jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle,
déclaré le FIVA, subrogé dans les droits de M. [R], recevable en ses demandes,
déclaré M. [R] recevable en ses demandes,
dit que la maladie professionnelle de M. [R] inscrite au tableau n°30A est due à la faute inexcusable de son employeur, la société [17],
ordonné la majoration à son maximum de l'indemnité en capital allouée à M. [R], sans toutefois que cette majoration ne puisse excéder la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité,
dit que cette somme sera versée directement par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle au FIVA, créancier subrogé,
dit que cette majoration pour faute inexcusable suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle de M. [R] en cas d'aggravation de son état de santé,
dit qu'en cas de décès de M. [R] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant,
débouté le FIVA de ses demandes formées au titre des préjudices personnels subis par M. [R],
dit que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle est fondée à exercer son action récursoire à l'encontre de la société [17],
condamné la société [17] à verser à M. [R] la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société [17] à verser au FIVA la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
débouté la société [10] de sa demande formulée au titre de l'article 700 du CPC,
condamné la société [17], partie succombante aux entiers frais et dépens de la procédure,
ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration remise au greffe le 1er août 2022, le FIVA a interjeté appel partiel de cette décision qui lui avait été notifiée par courrier daté du 27 juillet 2022 dont l'accusé de réception ne figure pas au dossier de première instance, en ce qu'elle l'a débouté de ses demandes formées au titre des préjudices personnels subis par M. [R].
Par conclusions récapitulatives datées du 26 mars 2024, et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoiries par son conseil, le FIVA demande à la cour de :
déclarer le FIVA recevable et bien fondé en son appel,
Y faisant droit,
infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes du Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante présentées au titre des préjudices personnels de M. [R],
Et, statuant à nouveau sur ces points,
fixer l'indemnisation des préjudices personnels de M. [R] comme suit :
souffrances morales : 14 200 euros,
souffrances physiques : 400 euros,
préjudice d'agrément : 2 200 euros,
Total : 16 800 euros,
dire que la CPAM de Moselle devra verser cette somme au FIVA, créancier subrogé, en application de l'article L.452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale,
réformer le jugement en ce qu'il a ordonné le versement de la majoration de capital alloué à M. [R], au FIVA, créancier subrogé,
Et, statuant à nouveau sur ce point,
dire que la CPAM de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM devra verser la majoration de capital prévue à l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale, soit 1 958,18 euros directement à M. [R],
Y ajoutant,
confirmer le jugement pour le surplus,
condamner la société [17] à payer au FIVA une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la partie succombante aux dépens, en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.
Par dernières conclusions transmises par courrier du 26 avril 2024, et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoiries par son conseil, la société [17] demande à la cour de :
infirmer le jugement du 22 juillet 2022 en ce qu'il a :
dit que la maladie professionnelle de M. [R] inscrite au tableau n°30A est due à la faute inexcusable de son employeur, la société [17],
confirmer le jugement du 22 juillet 2022 pour le surplus,
Subséquemment et statuant à nouveau :
juger que la société [17] n'a pas commis de faute inexcusable,
juger le FIVA irrecevable en ses demandes,
Subsidiairement,
débouter le FIVA de ses demandes formulées en réparation des souffrances physiques et morales,
débouter le FIVA de sa demande pécuniaire en réparation du préjudice d'agrément,
Plus subsidiairement,
réduire à défaut le surplus des demandes du FIVA à de plus justes proportions,
En tout état de cause :
rejeter les demandes de M. [R] et du FIVA au titre de l'article 700.
Par dernières conclusions transmises par courrier du 26 avril 2024, et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoiries par son conseil, la société [10] demande à la cour de :
confirmer le jugement du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz du 22 juillet 2022, en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de la société [10],
rejeter toutes demandes qui seraient, au titre de la présente instance, formulées contre elle.
Par conclusions datées du 14 février 2024, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son représentant, l'Association de Défense des Victimes d'Accident du Travail, de l'Amiante et des Maladies Professionnelles (ADEVAT-AMP), M. [R] demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris s'agissant de la faute inexcusable de la société [17],
statuer ce que de droit quant aux demandes du FIVA,
débouter la société [17] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
condamner la société [17] à payer au demandeur la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
la condamner aux entiers frais et dépens.
La CPAM de Moselle a indiqué qu'elle n'entendait pas déposer d'écritures mais a précisé lors de l'audience de plaidoirie qu'elle sollicitait le bénéfice de l'action récursoire.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties, en application de l'article 455 du code de procédure civile, et à la décision entreprise.
SUR CE,
A titre préliminaire, il est relevé que les dispositions du jugement entrepris qui ont mis hors de cause la société [10] ne sont pas contestées.
SUR LA RECEVABILITE DES DEMANDES DU FIVA
La société [17] expose que le FIVA n'a nullement justifié qu'il était subrogé dans les droits de M. [R], à défaut de démontrer qu'il a bien versé les fonds allégués à ce dernier. Elle précise que la simple acceptation de l'offre d'indemnisation du FIVA par M. [L] est insuffisante pour rapporter la preuve du versement effectif des fonds au bénéfice de la victime et que dès lors les demandes du FIVA seront déclarées irrecevables.
Le FIVA soutient qu'il justifie du versement des fonds à M. [R], produisant notamment l'attestation de paiement établie par l'adjointe à l'agente comptable, et qu'ainsi, il est bien subrogé dans les droits de M. [R] et ses demandes indemnitaires sont, dès lors, recevables.
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Aux termes de l'article 53 de la loi n°2000-1257 du 23 décembre 2000, le FIVA est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes.
En l'espèce, le FIVA justifie de l'offre d'indemnisation proposée le 25 avril 2019 à M. [R] à hauteur de la somme totale de 16 400 euros, complétée par une rente annuelle de 991,24 euros, (pièce n°6 du FIVA), ainsi que de l'acceptation de l'offre par M. [R] en date du 7 mai 2019 (pièce n°7 du FIVA).
D'autre part, il ressort des pièces versées aux débats, en l'occurrence l'attestation de l'agent comptable établie le 29 novembre 2021,ainsi que des extraits des exercices 2019 à 2021 de la comptabilité du FIVA (pièce n°11 du FIVA), que les sommes sur lesquelles le FIVA entend exercer son action subrogatoire ont été payées à M. [R], ce dernier ayant reçu le paiement d'un montant de 16 800 euros le 12 juin 2019, et le FIVA ayant versé les rentes annuelles à hauteur de 1 991,40 euros (991,24 + 1 000,16), soit un montant total de 18 791,40 euros à la date du 29 novembre 2021. Ainsi, le FIVA est recevable en son action, ainsi que l'ont relevé les premiers juges.
Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a déclaré l'action du FIVA recevable de ce chef.
SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR
La société [17] conteste l'exposition professionnelle au risque de M. [R]. Elle soutient qu'elle n'a jamais produit ou transformé de l'amiante et qu'elle n'en a jamais utilisé comme matière première. Elle ajoute qu'elle n'est pas une industrie de l'amiante, mais reconnaît que des matériaux d'isolation et équipements de protection contenant de l'amiante ont pu être utilisés sur le site de [Localité 13], pour l'essentiel au sein de l'atelier dit « Ammoniaque I » ou « centrale gaz », à une époque où son utilisation n'était pas interdite. La société [17] soutient qu'elle ne pouvait avoir conscience du danger, en l'état des connaissances scientifiques certaines et de la réglementation en vigueur et qu'elle n'est pas une entreprise spécialiste de l'amiante. Elle souligne qu'elle n'a jamais réceptionné de procès-verbal d'infraction, ni de mise en demeure de l'inspection du travail quant à l'usage de l'amiante.
M. [R] fait valoir que la présence et l'utilisation d'amiante sur le site de [Localité 13] n'est pas sérieusement contestable. Il déclare que l'employeur avait une conscience du danger particulièrement concrète, compte tenu de la réglementation alors applicable, des connaissances scientifiques de l'époque, mais également de l'importance, de l'organisation et de la nature de l'activité de l'employeur et des moyens importants dont il disposait. Il soutient que malgré cette conscience du danger, l'employeur s'est abstenu de mettre en 'uvre les mesures nécessaires pour préserver la santé de ses salariés ce qu'il démontre par les témoignages de ses collègues de travail.
Le FIVA considère que son exposition à l'inhalation des poussières d'amiante est incontestable.
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En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise.
Les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l'employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.
Dans le cadre de son obligation générale de sécurité, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
La preuve de la faute inexcusable de l'employeur incombe à la victime. La faute inexcusable doit s'apprécier en fonction de la législation en vigueur et des connaissances scientifiques connues ou susceptibles de l'avoir été par l'employeur aux périodes d'exposition au risque du salarié.
Sur l'exposition au risque :
Aux termes de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions désignées dans ce tableau. Pour renverser cette présomption, il appartient à l'employeur de démontrer que la maladie est due à une cause totalement étrangère au travail.
Le tableau n°30A désigne l'asbestose caractérisée par une fibrose pulmonaire diagnostiquée sur des signes radiologiques spécifiques, qu'il y ait ou non des modifications des explorations fonctionnelles respiratoires, comme maladie provoquée par l'inhalation de poussières d'amiante.
Ce tableau prévoit un délai de prise en charge de 35 ans, sous réserve d'une durée d'exposition de 2 ans, ainsi qu'une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer cette affection, dont notamment les travaux exposant à l'inhalation de poussières d'amiante tels que des travaux d'équipement, d'entretien ou de maintenance effectués sur des matériels ou dans des locaux et annexes revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante de sorte que ce tableau n'impose pas que le salarié ait directement manipulé des produits amiantés, seul important le fait qu'il ait effectué des travaux l'ayant conduit à inhaler habituellement des poussières d'amiante.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la maladie dont se trouve atteint M. [R] répond aux conditions médicales du tableau n°30A. Seule est discutée l'exposition professionnelle du salarié au risque d'inhalation de poussières d'amiante.
Il est constant que M. [R] a travaillé pour le compte de la société [17] du 13 septembre 1971 au 30 avril 2010 à différents postes : électromécanicien, électricien, agent de maîtrise, contremaître entretien, chef de poste et technicien travaux.
M. [R] verse aux débats les témoignages de trois anciens collègues de travail, à savoir MM. [K] [D], [N] [C] et [B] [O] (pièces n°5 à 7 de l'ADEVAT-AMP). La société [17] entend remettre en cause les témoignages au motif qu'elles sont la reproduction d'un modèle préétabli, et qu'elles sont identiques à des témoignages produits dans le cadre d'autres instances.
Contrairement à ce qu'allègue l'employeur, les trois attestations sont distinctes et comportent des passages qui leur sont propres.
M. [D] explique qu'il a côtoyé M. [R] lorsqu'ils occupaient respectivement les postes de chef d'équipe et d'agent de maîtrise au sein de l'entreprise [14] de 1979 à 1989. Il précise que M. [R] était en contact quotidien avec l'amiante sous différentes formes : joints, plaques, tresses, rubans, cordons,', notamment lors des travaux de manipulation de matériaux amiantés, de surveillance des travaux de maintenance sur des pompes/turbines calorifugées, de surveillance de pose et de dépose de tresses, de remise en état de caissons de bruleurs calorifugés, de découpe et de confection de joints en amiante.
M. [C] relate qu'il a travaillé aux côtés de M. [R] dans l'entreprise [14] du 1er novembre 1971 au 3 juin 1973, puis du 1er juin 1974 au 31 juillet 1979. Il confirme que M. [R] se trouvait en contact avec l'amiante sous diverses formes et ajoute que ce dernier y était également exposé lors des interventions sur les ponts roulants, des opérations d'ouverture et de fermeture de coffrets électriques munis de joints amiantés, de dépannage d'électro-freins sur les treuils et ['] des trainages wagons et ponts roulants.
M. [O] précise qu'il a côtoyé M. [R] de 1979 à 1996 et qu'il a vu ce dernier intervenir sur les racks et tuyauteries vapeurs afin d'éliminer les fuites qui généraient des poussières de calorifugeage à base d'amiante. Il explique que M. [R] intervenait également sur les fours de styrène pour des travaux de maintenance, dépose des calorifugeages à base d'amiante et qu'il changeait aussi les patins de freins des ponts roulants des ateliers, lesquels étaient amiantés.
Les trois témoins confirment que M. [R] a bien été exposé, de manière habituelle, au risque d'inhalation de poussières d'amiante, notamment lors de nombreux travaux détaillés dans leurs témoignages.
Ces attestations ne sont pas utilement contestées par l'employeur, lequel ne verse aux débats aucun élément de nature à permettre de douter de la sincérité de leurs auteurs, ni de remettre en cause l'authenticité des faits relatés par ces derniers. C'est à juste titre que les premiers juges ont retenu la force probante des attestations produites par M. [R].
Les témoignages permettent de caractériser l'exposition habituelle de M. [R] au risque d'inhalation de poussières d'amiante durant sa carrière au sein de la société [17].
Ces éléments sont corroborés par le fait que la société [17] confirme que des matériaux d'isolation et équipements de protection amiantés étaient utilisés sur le site de [Localité 13], pour l'essentiel au sein de l'atelier dit « Ammoniaque I » ou « centrale gaz ». Elle a reconnu dans le rapport transmis à la Caisse lors de l'instruction de la maladie professionnelle de M. [R] (pièce n°6 de l'employeur) « M. [R] a pu être exposé épisodiquement et indirectement lors des interventions électriques de 1971 à 1979 effectuées dans les ateliers ammoniac 1. Les équipements de cet atelier (fermé en 1979) étaient calorifugés par un isolant constitué de magnésie amiantée, cet isolant était manipulé par une entreprise extérieure pour le retirer et rendre ainsi accessible les travaux de maintenance. Du 13/09/1971 au 17/09/1989, M. [R] a pu également intervenir dans différents ateliers du site où d'autres intervenants remplaçaient les tresses d'isolement et les joints, qui pour certains pouvaient contenir de l'amiante, sur les équipements et tuyauteries ».
Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que l'exposition habituelle de M. [R] au risque d'inhalation de poussières d'amiante est démontrée.
Dès lors, la présomption d'imputabilité de la maladie au travail trouve à s'appliquer, et l'employeur n'apportant pas la preuve contraire que le travail n'a joué aucun rôle dans le développement de la maladie, alors que les conditions médico-administratives du tableau n°30A sont remplies, le caractère professionnel de la maladie dont se trouve atteint M. [R] est établi à l'égard de la société [17].
Sur la conscience du danger par l'employeur :
S'agissant de la conscience du risque, c'est par des motifs sérieux et pertinents que la cour adopte que le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz a retenu que l'employeur a eu ou aurait dû avoir conscience du danger auquel son salarié était exposé du fait de l'exposition à l'inhalation de poussières d'amiante.
Sur les mesures prises par l'employeur pour préserver le salarié :
Concernant les mesures prises par la société [17] pour protéger ses salariés du risque lié à l'inhalation de poussières d'amiante, leur insuffisance apparaît caractérisée par les attestations concordantes de MM. [D], [C] et [O], lesquels confirment que M. [R] travaillait sans protection respiratoire individuelle, et sans mise en garde sur les risques encourus. M. [O] précise qu'aucune formation n'a été donnée aux salariés.
Le témoignage de M. [O] met également en évidence l'absence de protection collective puisque le témoin évoque que « les ventilateurs de ces compresseurs brassaient de l'air chargé en poussières de magnésie amiantée. J'ai vu cette poussière dans cet atelier sur les différents racks de l'atelier ».
La société [17] ne produit aucun élément de nature à remettre en cause l'authenticité et la sincérité des faits relatés par les témoins, suffisamment précis et circonstanciés, et ne fournit aucune information sur les moyens de protection qu'elle aurait mis en place ou sur une quelconque information délivrée aux salariés au sujet des dangers de l'amiante.
Par conséquent, la cour confirme le jugement entrepris qui a retenu que la maladie professionnelle dont est atteint M. [R] est due à la faute inexcusable de son employeur, la société [17].
SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES DE LA FAUTE INEXCUSABLE
Sur la majoration de l'indemnité en capital
Aux termes de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a le droit à une indemnisation complémentaire.
Aux termes de l'article L.452-2, alinéas 1, 2 et 6, du code de la sécurité sociale, « dans le cas mentionné à l'article précédent [faute inexcusable de l'employeur], la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre. Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité. ['] La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret ».
Il est constant que la Caisse a notifié à M. [R], le 29 novembre 2018, un taux d'incapacité permanente partielle de 5 % avec attribution d'une indemnité en capital d'un montant de 1 958,18 euros à la date du 30 novembre 2017.
Aucune discussion n'existe à hauteur de cour concernant les dispositions du jugement ayant ordonné la majoration au maximum de l'indemnité en capital octroyée à M. [R], ainsi que l'évolution de cette majoration en fonction du taux d'incapacité permanente en cas d'aggravation de l'état de santé de la victime, le principe de la majoration restant acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant en cas de décès de M. [R] consécutivement à sa maladie professionnelle due à l'amiante.
Suite au décès de M. [R], c'est à juste titre que les premiers juges ont indiqué que la majoration sera versée à ses ayants droit.
Le jugement est uniquement infirmé en ce qu'il a ordonné le versement de la majoration de l'indemnité par la Caisse au FIVA, cette majoration devant être versée directement à M. [R].
Sur les préjudices personnels de M. [A] [R]
Il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale qu'« indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. [...] La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur ».
sur les souffrances physiques et morales
Le FIVA, subrogé dans les droits de M. [R], sollicite l'indemnisation des préjudices personnels subis par ce dernier à hauteur de 14 200 euros pour les souffrances morales et 400 euros pour les souffrances physiques. Il expose que les effets de l'asbestose sur les fonctions respiratoires engendrent d'incontestables souffrances physiques. Il précise que le préjudice moral consiste dans l'anxiété éprouvée par la victime liée à la crainte de la dégradation de son état de santé.
La société [17] soutient que le FIVA ne justifie pas de l'existence de souffrances physiques et morales qui ne seraient pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.
La Caisse s'en remet à la cour.
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Comme indiqué, il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisées à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l'accident ou l'événement qui lui est assimilé.
En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d'incapacité permanente défini à l'article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la Cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23947). En conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées.
De même, en cas d'attribution d'une indemnité en capital lorsque le taux d'incapacité est inférieur à 10 %, ce qui est le cas de la maladie, asbestose, pour des raisons tenant à son mode de calcul, son montant étant déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret en fonction du taux d'incapacité permanente, il y a lieu d'admettre que cette indemnité ne répare pas davantage les souffrances physiques et morales endurées.
Dès lors, le FIVA qui justifie avoir indemnisé M. [R], est recevable en sa demande d'indemnisation des souffrances physiques et morales subies par ce dernier sous réserve qu'elles soient caractérisées.
S'agissant des souffrances physiques subies par M. [R], le FIVA produit des pièces médicales (rapport d'évaluation du taux d'IPP, TDM thoracique, explorations fonctionnelles respiratoires) (pièces n°8 à 10 du FIVA), lesquelles ne permettent pas d'imputer l'ensemble des souffrances physiques alléguées par le FIVA (dyspnée d'effort) à l'asbestose dont est atteint M. [R]. En effet, si le médecin-conseil a conclu à un retentissement fonctionnel débutant et a relevé l'existence de dyspnée à l'effort, sans gêne notable il a également relevé la présence d'un état antérieur éventuel interférant, à savoir un tabagisme sevré depuis 2008 (le patient fumait environ 6 cigares par jour durant une trentaine d'années).
Par conséquent, à défaut de caractériser l'existence de souffrances physiques subies par la victime en lien direct avec sa maladie professionnelle 30A, le FIVA est débouté de sa demande de réparation présentée au titre des souffrances physiques subies par M. [R].
Concernant les souffrances morales, M. [R] était âgé de 64 ans lorsqu'il a appris qu'il était atteint de la pathologie asbestose du tableau n°30A des maladies professionnelles. L'anxiété indissociable du fait de se savoir atteint d'une maladie irréversible due à l'amiante et liée aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance, sera réparée par l'allocation de la somme de 14 200 euros sollicitée par le FIVA. Le jugement entrepris est infirmé en ce sens.
sur le préjudice d'agrément
L'indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu'il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d'une activité spécifique sportive ou de loisir qu'il lui est désormais impossible de pratiquer.
Le FIVA sollicite l'indemnisation du préjudice d'agrément de M. [R] à hauteur de 2 200 euros, soulignant que l'asbestose a entraîné pour la victime des désagréments dans ses activités de loisirs, pour tout effort physique impliquant une mobilisation de sa capacité respiratoire.
Le FIVA n'alléguant pas précisément d'activité sportive ou de loisirs pratiquée par M. [R] avant sa maladie, il ne justifie pas de l'existence d'un préjudice d'agrément, et doit être débouté de sa demande formée à ce titre.
SUR L'ACTION RECURSOIRE DE LA CAISSE
Aux termes de l'article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur introduites devant les Tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, que « quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L.452-3 du même code ».
Les articles L.452-2, alinéa 6, et D.452-1 du code de la sécurité sociale, applicables aux décisions juridictionnelles relatives aux majorations de rentes et d'indemnités en capital rendues après le 1er avril 2013, prévoient en outre que le capital représentatif des dépenses engagées par la caisse au titre de la majoration est, en cas de faute inexcusable, récupéré dans les mêmes conditions et en même temps que les sommes allouées au titre de la réparation des préjudices mentionnés à l'article L.452-3.
Dès lors, la CPAM de Moselle est fondée à exercer son action récursoire à l'encontre de la société [17].
Par conséquent, la société [17] doit être condamnée à rembourser à la CPAM de Moselle, les sommes qu'elle sera tenue d'avancer au titre de la majoration de l'indemnité en capital et des préjudices personnels de M. [R].
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
L'issue du litige conduit la cour à confirmer les dispositions du jugement entrepris ayant condamné la société [17] à verser 800 euros à M. [R] et 800 euros au FIVA, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance.
L'équité commande en outre de condamner la société [17] à payer à M. [R] et au FIVA, chacun, la somme de 2 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement entrepris du 22 juillet 2022 du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz en ce qu'il a :
dit que la majoration de l'indemnité en capital sera versée par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de Moselle au FIVA, créancier subrogé,
débouté le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA) de ses demandes d'indemnisation présentées au titre du préjudice causé par les souffrances morales endurées par M. [A] [R],
Le CONFIRME pour la recevabilité des demandes du FIVA et pour le surplus,
En conséquence, statuant à nouveau sur ces points,
ORDONNE à la CPAM de Moselle de verser la majoration de l'indemnité en capital directement à M. [A] [R], sans que cette majoration ne puisse excéder le montant de 1 958,18 euros,
FIXE l'indemnité réparant le préjudice moral subi par M. [A] [R] du fait de sa maladie professionnelle du tableau n°30A des maladies professionnelles à la somme de 14 200 euros (quatorze mille deux cents euros),
DIT que ces sommes, qui porteront intérêt au taux légal à compter de la présente décision, devront être payées par la CPAM de Moselle au FIVA, créancier subrogé, s'agissant de l'indemnité au titre des souffrances morales de la victime, et à M. [A] [R] s'agissant de la majoration de l'indemnité en capital, et si besoin l'y CONDAMNE,
CONDAMNE la société [17] à rembourser à la CPAM de Moselle les sommes que l'organisme de sécurité sociale aura avancées sur le fondement des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale,
CONDAMNE la société [17] à payer à M. [A] [R] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société [17] à payer au FIVA la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société [17] aux dépens d'appel.
La Greffière, Le Président,