Arrêt n° 24/00369
23 Juillet 2024
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N° RG 22/01187 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FXPL
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Tribunal de Grande Instance de METZ
08 Avril 2022
21/00139
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
Section 3 - Sécurité Sociale
ARRÊT DU
vingt trois Juillet deux mille vingt quatre
APPELANTE :
CAISSE AUTONOME NATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE DANS LES MINES - CANSSM
ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur
et pour adresse postale
L'Assurance Maladie des Mines
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Mme [X], munie d'un pouvoir général
INTIMÉE :
L'ETAT représenté par l'Agence Nationale pour la garantie des droits des mineurs ANGDM-
Établissement public à caractère administratif
service AT/MP Freyming [Localité 4]
ayant siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Cathy NOLL, avocate au barreau de MULHOUSE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre
Mme Carole PAUTREL, Conseillère
Mme Anne FABERT, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [G] [J], né le 31 juillet 1956, a travaillé pour le compte des Houillères du Bassin de Lorraine (HBL), devenues par la suite l'établissement public Charbonnages de France (CDF), du 24 janvier 1977 au 31 janvier 2006.
Durant cette période, il a occupé les postes suivants :
' du 24/01/1977 au 20/02/1977 : apprenti-mineur (formation CMEM),
' du 21/02/1977 au 28/02/1977 : apprenti mineur,
' du 01/03/1977 au 30/11/1977 : abatteur boiseur chantier abatteur front exploitation,
' du 01/12/1977 au 30/06/1978 : boiseur chantier machine dressant,
' du 01/07/1978 au 31/12/1979 : conducteur machine d'abattage dressant,
' du 01/01/1980 au 30/04/1982 : conducteur machine abattage entretien,
' du 01/05/1982 au 30/06/1982 : abatteur boiseur chantier Abatteur front exploitation,
' du 01/07/1983 au 31/08/1982 : ouvrier annexe travaux préparation au charbon,
' du 01/09/1982 au 31/12/1982 : piqueur traçage charbon,
' du 01/01/1983 au 31/03/1983 : abatteur boiseur chantier abatteur front exploitation,
' du 01/04/1983 au 28/02/1986 : conducteur machine abattage entretien
' du 01/03/1986 au 31/12/1998 : chef de taille,
' du 01/01/1999 au 01/05/2001 : chef de taille,
' du 02/05/2001 au 31/07/2001 : chef de taille,
' du 01/08/2001 au 31/01/2006 : CCFC
En date du 1er janvier 2008, l'établissement des CDF a été dissout et mis en liquidation. Ses biens, droits et obligations ont été transférés à l'État, représenté par l'Agence Nationale pour la Garantie des Droits des Mineurs (ci-après ANGDM), qui intervient au nom et pour le compte du liquidateur des CDF.
Le 24 novembre 2018, M. [J] a déclaré à l'Assurance Maladie des Mines (ci-après la Caisse ou CANSSM) une maladie professionnelle inscrite au tableau n°30B des maladies professionnelles, en joignant à sa demande de reconnaissance un certificat médical initial établi le 13 novembre 2018 par le docteur [V].
La caisse a diligenté une instruction et interrogé l'assuré, ainsi que l'État, représenté par l'ANGDM, sur les risques d'exposition professionnelle à l'inhalation de poussières d'amiante.
Par décision du 8 avril 2019, la Caisse a admis le caractère professionnel de la pathologie de M. [J] au titre du tableau n°30B des maladies professionnelles.
Contestant cette décision, l'État, représenté par l'ANGDM, a saisi la commission de recours amiable en inopposabilité de la décision de prise en charge par lettre recommandée datée du 23 mai 2019. Le conseil d'administration de la caisse, statuant sur renvoi de la commission de recours amiable en raison d'un partage des voix, a rejeté sa requête par décision n°2019/00214 du 30 juin 2020, tout en précisant que les conséquences financières de cette maladie professionnelle seraient imputées au compte spécial, les Puits [Localité 6] et [Localité 4] étant fermés (arrêté du 16 novembre 1995, pris en application de l'article D.242-6-3 du code de la sécurité sociale).
Selon requête déposée le 15 février 2021, l'État, représenté par l'ANGDM, a saisi le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz afin de contester cette décision.
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de Moselle est intervenue pour le compte de la CANSSM, l'Assurance Maladie des Mines.
Par jugement du 8 avril 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz a :
' « jugé recevable en la forme et bien fondé le recours formé par l'Etat représenté par l'ANGDM à l'encontre de la décision de rejet du conseil d'administration de l'assurance maladie des mines en date du 30 juin 2020 ;
' jugé que la preuve n'est pas rapportée par la CPAM de la Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM de l'exposition de M. [G] [J] au risque relevant du tableau 30 B des maladies professionnelles ;
' jugé inopposable à l'Etat représenté par l'ANGDM la décision de prise en charge du caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [G] [J] en date du 8 avril 2019 ;
' condamné la CPAM de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM aux dépens engendrés par la présente procédure. »
Par courrier recommandé expédié le 3 mai 2022, la CPAM de Moselle, intervenant pour le compte de la CANSSM, a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 14 avril 2022.
Par conclusions justificatives d'appel réceptionnées le 18 mars 2024, soutenues oralement lors de l'audience de plaidoiries par son représentant, la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, demande à la cour de :
' déclarer recevable et bien fondé l'appel formé par la caisse ;
' infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 avril 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Metz.
Statuant à nouveau,
' déclarer opposable à l'ANGDM la décision de prise en charge de la maladie professionnelle au titre du Tableau n°30B de M. [G] [J] ;
' en conséquence, confirmer la décision du 30 juin 2020 du Conseil d'administration de la Caisse ;
' le condamner aux entiers frais et dépens.
Par conclusions datées du 3 avril 2024, soutenues oralement lors de l'audience de plaidoiries par son conseil, l'État, représenté par l'ANGDM, demande à la cour de :
A TITRE PRINCIPAL :
' confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Metz du 8 avril 2022, en toutes ses dispositions ;
' déclarer inopposable à l'Etat, représenté par l'ANGDM, la décision de prise en charge du 8 avril 2019 ;
A TITRE SUBSIDIAIRE :
' enjoindre à l'AMM de saisir un CRRMP pour donner son avis sur la question de savoir s'il existe un lien direct entre la pathologie de M. [G] [J] et son activité professionnelle au sein des HBL et CDF ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
' dire n'y avoir lieu à dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties, en application de l'article 455 du code de procédure civile, et à la décision entreprise.
SUR CE,
SUR L'EXPOSITION PROFESSIONNELLE AU RISQUE :
La CPAM de Moselle, intervenant pour le compte de la CANSSM, sollicite l'infirmation du jugement entrepris, estimant avoir apporté la preuve que les conditions légales pour établir l'origine professionnelle de la maladie de M. [J] se trouvent réunies à l'égard de l'ANGDM. Elle relève que cette exposition au risque est établie par les éléments du dossier, et notamment par la nature des postes occupés et par conséquent des engins et outils utilisés par M. [J] dans le cadre de son activité au fond, conforme à son relevé de carrière et au questionnaire de l'employeur, ainsi que par sa durée d'emploi au fond de la mine. La caisse énonce enfin que l'ANGDM n'apporte aucun élément de preuve de nature à faire tomber la présomption d'origine professionnelle de la maladie dont est atteint M. [J]. Elle précise avoir procédé aux investigations nécessaires au traitement de la demande d'indemnisation de M. [J] en ayant rassemblé un faisceau d'indices permettant de démontrer que le salarié a été exposé au risque durant ses 24 années d'activité au fond, notamment en raison de l'utilisation de machines, et outils contenants tous des éléments ou pièces comportant de l'amiante et dégageant des fibres d'amiante lors de leur utilisation.
L'ANGDM sollicite la confirmation du jugement entrepris. Elle soutient que la caisse a pris en charge la maladie déclarée sans que les conditions de fond du tableau n°30B ne soient remplies dès lors que la caisse ne rapporte pas la preuve d'une exposition du salarié au risque d'inhalation des poussières d'amiante durant l'exercice de ses emplois successifs auprès des Houillères du Bassin de Lorraine, devenues Charbonnages de France. L'ANGDM souligne le caractère incomplet de l'enquête administrative menée par la caisse, au mépris de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et sans tenir compte de ses réserves, la caisse se contentant de la déclaration de M. [J] et considérant automatiquement l'exposition au risque établie dès lors que le salarié présente des signes pathologiques. Elle reproche également à la caisse de ne pas avoir sollicité l'avis d'un Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP).
L'ANGDM fait valoir que le fait que le questionnaire assuré soit rempli de manière dactylographiée est de nature à jeter le doute sur l'auteur de ce dernier ainsi que sur la crédibilité des faits relatés, ceci d'autant que les questionnaires assurés d'autres salariés qui ont sollicité la reconnaissance du caractère professionnel de leurs pathologies respectives sont similaires au questionnaire de M. [J].
L'ANGDM précise qu'il ne résulte ni du questionnaire lapidaire rempli par M. [J], ni des autres éléments du dossier, notamment en l'absence de témoignage, la moindre preuve d'une exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante de l'intéressé, ni aucune preuve de la présence de poussières d'amiante dans les outils utilisés.
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Aux termes de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions désignées dans ce tableau.
En cas de recours de l'employeur, il incombe à l'organisme de sécurité sociale qui a décidé d'une prise en charge de rapporter la preuve de la réunion des conditions exigées par le tableau.
Pour renverser cette présomption, il appartient à l'employeur de démontrer que la maladie est due à une cause totalement étrangère au travail.
Il convient de rappeler que le tableau n°30B définit l'épaississement de la plèvre viscérale comme étant soit diffus soit localisé lorsqu'il est associé à des bandes parenchymateuses ou à une atélectasie par enroulement, ces anomalies constatées devant être confirmées par un examen tomodensitométrique, comme maladie provoquée par l'inhalation de poussières d'amiante.
Ce tableau prévoit un délai de prise en charge de 35 ans, sous réserve d'une durée d'exposition de 5 ans, ainsi qu'une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer cette affection, dont notamment les travaux exposant à l'inhalation de poussières d'amiante tels que des travaux d'équipement, d'entretien ou de maintenance effectués sur des matériels ou dans des locaux et annexes revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante de sorte que ce tableau n'impose pas que le salarié ait directement manipulé des produits amiantés, seul important le fait qu'il ait effectué des travaux l'ayant conduit à inhaler habituellement des poussières d'amiante.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la maladie dont se trouve atteint M. [J] répond aux conditions médicales du tableau n°30B. Seule est contestée l'exposition professionnelle du salarié au risque d'inhalation de poussières d'amiante.
Selon l'attestation établie par l'ANGDM et le questionnaire employeur rempli par cette dernière (pièces n°6 et n°5 de l'appelante), M. [J] a travaillé dans les chantiers du bassin des Houillères de Lorraine, au fond du 24 janvier 1956 au 1er mai 2001 en qualité d'apprenti mineur, abatteur boiseur, boiseur chantier machine dressant, conducteur de machine d'abattage dressant, ouvrier travaux de préparation au charbon, piqueur traçage charbon et chef de taille.
En ce qui concerne les travaux effectués par M. [J], dans les réponses apportées le 29 janvier 2018 au questionnaire que lui a adressé la caisse dans le cadre de l'instruction de sa maladie professionnelle (pièce n°4 de l'appelante), l'intéressé précise avoir effectué des travaux en chantier de creusement, des traçages et extraction de pierre et de charbon dans les mines de Houilles, l'utilisation et le nettoyage d'équipement à l'air comprimé. Il décrit les gestes qu'il a exécuté lors de ces travaux notamment la foration, le scrapage, le boisage et garnissage, ainsi que le tir mais également le havage par machine électrique et le chargement par machines électriques, hydrauliques et pneumatiques.
Il liste les outils utilisés pour son travail qui sont les scrapers, treuils divers, les palans Victory 1 T et 2 T, équipement de manutention « Pull lift », l'air comprimé pour les outils de maintenance à l'exploitation, les perforatrices, marteaux piqueurs et marteaux perforateurs et les tronçonneuses pneumatiques, les scies « FAYES ».
L'assuré fait également part de ce qu'il a été en contact avec des poussières d'amiante et de pierre, des fumées de tir et vapeurs irritantes, des huiles minérales, des résines d'injection, du ciment à prise rapide, isomouss, mariflex.
Il dit avoir été exposé à l'inhalation des poussières de charbon, de pierre et de fibres et poussières d'amiante notamment lors de l'abattage de la pierre et de l'utilisation d'outils et d'équipements contenant de l'amiante notamment lors de tirs à l'explosif et lors de l'utilisation des équipements miniers divers fonctionnant à l'air comprimé et diesel.
Le seul fait que d'une part, le questionnaire assuré soit dactylographié, et d'autre part, qu'il existe une similitude de rédaction avec d'autres questionnaires (pouvant s'expliquer, au demeurant, s'agissant de postes similaires auprès du même employeur) ne saurait pour autant remettre en cause la sincérité et l'authenticité des faits rapportés par M. [J].
Par ailleurs, les activités mentionnées par la victime ne sont pas contredites par le questionnaire rempli par l'employeur (pièce n°5 de l'appelante), ce dernier apportant des précisions sur les fonctions principales occupées par M. [J] qui sont décrites de la façon suivante, pour ce qui concerne sa période au fond :
' « du 24/01/1977 au 28/02/1977 : apprenti-mineur : jeune embauché qui a d'abord suivi des cours théoriques (en salle) et des cours pratiques dans une mine image (c'est-à-dire un chantier de fond reconstitué au jour. Il s'est ensuite perfectionné aux différentes techniques et méthodes d'exploitation dans les quartiers écoles réservés aux apprentis.
' du 01/03/1977 au 30/11/1977 : abatteur boiseur : ouvrier mineur amené à effectuer les opérations d'abattage, dépose des chapeaux et mise en place du soutènement. Il effectuait toutes les opérations de la préparation au remblayage hydraulique du chantier. Il surveillait le chantier pendant le remblayage hydraulique. Il participait au transport du bois et du matériel.
Il aidait le boutefeu au transport d'explosif.
' du 01/12/1977 au 30/06/1978 : boiseur chantier machine dressant : ouvrier mineur chargé d'effectuer les opérations de récupération des chapeaux métalliques ou hydrauliques de l'ancienne tranche et de produits à l'avant de la machine d'abattage. Il effectue les opérations de la préparation au remblayage hydraulique du chantier concernant le blindé et les flotteurs, la confection du barrage, les travaux sur le pont ainsi que la pose du tubbing. Il surveille le chantier et le barrage pendant le remblayage hydraulique. Il participe au transport du bois et du matériel.
' du 01/07/1978 au 30/04/1982 : conducteur machine d'abattage dressant : ouvrier mineur qualifié ayant suivi une formation, et qui est chargé de conduire une machine d'abattage.
' du 01/05/1982 au 30/06/1982 : abatteur boiseur chantier Abatteur front exploitation,
' du 01/07/1983 au 31/08/1982 : ouvrier annexe travaux préparation au charbon : ouvrier mineur qui est chargé des travaux annexes en arrière d'un chantier de creusement au charbon (prolongement du blindé et/ou convoyeur à bande ainsi que de l'ensemble de l'équipement du chantier (tuyauteries), installation et déplacement du dépoussiéreur et des cuves d'exhaure).
' du 01/09/1982 au 31/12/1982 : piqueur traçage charbon : ouvrier mineur participant à tous les travaux de creusement d'une galerie au charbon ou au rocher.
' du 01/01/1983 au 31/03/1983 : abatteur boiseur,
' du 01/04/1983 au 28/02/1986 : conducteur machine abattage
' du 01/03/1986 au 31/07/2001 : chef de taille : ouvrier mineur confirmé, chargé de conduire une taille, c'est-à-dire de placer le personnel, coordonner les travaux et y participer, contrôler le travail en qualité et quantité, s'assurer du respect des consignes de sécurité. »
L'ANGDM précise en outre que, dans le cadre de ses activités, l'intéressé a été amené à utiliser habituellement des outils et machines tels que « marteau piqueur, marteau perforateur, manipulation soutènement, pelle, perforatrice, matériel de levage et manutention ».
La cour relève que l'ANGDM produit aux débats et fait référence à de précédentes décisions de justice, rendues notamment par cette cour dans des litiges similaires, et dans lesquelles elle avait retenu l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la Caisse à l'encontre de l'ANGDM dans d'autres contentieux au motif que l'exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante n'était pas établie. La caisse fait également référence à des précédentes décisions de justice reconnaissant l'exposition à ce risque. Il convient de rappeler que ces décisions n'ont autorité de chose jugée que pour les faits d'espèce qu'elles tranchaient, et que le juge, tenu de motiver ses décisions, doit se déterminer d'après les circonstances particulières et les pièces produites lors de chaque instance.
En l'espèce, M. [J] a exercé au fond pendant près de 24 ans et 7 mois, dont près de 19 ans avant l'interdiction de l'amiante.
Si l'ANGDM conteste l'exposition de M. [J] aux poussières d'amiante, elle reconnaît un travail dans un milieu bruyant, chaud, humide et empoussiéré, avec des opérations de manutention lourde dans le questionnaire de l'employeur du 4 février 2019.
La Caisse produit aux débats l'avis du 12 février 2019 établi par la Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement du Grand Est (DREAL) sur demande de l'organisme de sécurité sociale (pièce n°8 de l'appelante) qui fait état que M. [J] a pu être exposé, en raison de son occupation durant 24 ans et 7 mois dans les travaux au fond, à l'inhalation de fibres d'amiante contenues dans les pièces de friction des organes de freins des installations et machines utilisées au fond, installations électriques, mais la DREAL ne peut déterminer l'importante et la fréquence d'une telle exposition en raison des éléments en sa possession.
En l'espèce, il est établi par les différents postes occupés afin d'effectuer les travaux d'abattage, de mise en place de soutènement, transport de matériel et de personnel, que M. [J] a nécessairement travaillé aux côtés des véhicules blindés employés au fond de la mine.
L'ANGDM confirme, dans le questionnaire de l'employeur qu'elle a rempli le 4 février 2019, que M. [J] a effectivement été directement en contact avec des convoyeurs blindés dans l'exercice de ses fonctions au fond en qualité de boiseur chantier machine dressant, ouvrier travaux de préparation au charbon, conducteur de machine d'abattage dressant et de chef de taille.
De même, le questionnaire employeur confirme que la victime a utilisé régulièrement des engins de levage de type treuils et palans, dont le système de freinage était amianté.
Les résultats de prélèvement de fibres par le service de sécurité générale HBL sur les postes de travail et lors de l'utilisation d'équipement de travail du fond réalisés en 1996 et 1997 font état d'une exposition à des fibres d'amiante à tout poste de travail. M. [J] a également travaillé avec des équipements à air comprimé alors que les résultats de comptage effectués en 1996 et 1997 ont montré des concentrations de fibres d'amiante lors des opérations effectuées aux fins d'évaluer les risques d'amiante sur les postes de travail (pièces A et C de la Caisse).
De plus, l'étude de risques éventuels de pollution par fibres d'amiante au voisinage des systèmes de freinage dans les chantiers du fond établie par le docteur [I] dont fait référence la caisse dans ses écritures mentionne le prélèvement de fibres d'amiante lors de mesures sur un chargeur transporteur [7] et la pollution par des fibres d'amiante au proche voisinage des systèmes de freinage d'un treuil de monorail, établissant à minima la présence de produits amiantés dans le matériel utilisé au fond de la mine (pièce B de la Caisse).
En outre, l'ANGDM admet habituellement que les électromécaniciens travaillant en taille avant 1996 ont été exposés au risque d'inhalation des poussières d'amiante, de sorte que les mineurs travaillant dans leur entourage, mais à d'autres fonctions, subissaient nécessairement cette contamination.
Ainsi, les descriptions effectuées par l'employeur quant à la nature des fonctions occupées par le salarié, ainsi que des équipements habituellement utilisés par celui-ci, et notamment la précision que ce dernier utilisait de manière habituelle des engins de levage, dans un contexte de confinement propre aux travaux effectués dans les chantiers au fond, exposent ainsi parfaitement comment les travaux réalisés ont nécessairement impliqué, jusqu'en 1996, date à laquelle l'utilisation de l'amiante a été interdite, une exposition de la victime aux poussières d'amiante, en raison de l'usage ou du travail à proximité d'engins et de véhicules dont les pièces de friction des organes de frein libéraient des fibres d'amiante en fonctionnant (treuils et palans constituant du matériel de levage).
Il est ajouté qu'à supposer même que M. [J] n'ait pas utilisé lui-même les outils ou matériels contenant de l'amiante, il est établi qu'il a travaillé quotidiennement dans des sites dans lesquels il est constant qu'étaient utilisées des installations et machines contenant des matériaux amiantés qui en fonctionnant libéraient des fibres d'amiante.
Il résulte de ce faisceau d'éléments que l'exposition habituelle de M. [J] au risque amiante est démontrée.
Les conditions médico-administratives du tableau n°30B étant remplies, c'est en vain que l'ANGDM prétend que la Caisse a été défaillante dans son instruction. En interrogeant les intéressés et recueillant l'avis de la DREAL, la Caisse a, préalablement à sa prise de décision, diligenté une enquête au sens de l'article R.441-11 du code de la sécurité sociale, de sorte qu'il n'y avait pas lieu pour la Caisse de saisir un CRRMP.
Il sera également relevé que, si une circulaire du 24 juin 2013 de la direction des assurances maladies de la caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines enjoint aux directeurs régionaux de prendre systématiquement des décisions de prise en charge favorables aux anciens mineurs lorsqu'ils demandent la reconnaissance de l'origine professionnelle de leur pathologie, ce texte ne saurait avoir de portée dans la présente procédure, qui a précisément pour objet de vérifier que les conditions relatives au caractère professionnel de la maladie de M. [J] sont remplies.
Dès lors, en l'absence de toute preuve contraire que le travail n'a joué aucun rôle dans le développement de la maladie, il convient de considérer que le caractère professionnel de la maladie dont s'est trouvé atteint M. [J] est établi à l'égard de l'employeur auquel se substitue l'ANGDM.
Le jugement entrepris est donc infirmé en ce qu'il déclaré inopposable à l'État, représenté par l'ANGDM la décision de prise en charge rendue le 8 avril 2019 par l'Assurance Maladie des Mines portant reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée le 24 novembre 2018 par M. [J] au titre du tableau n°30B des maladies professionnelles.
SUR LES DEPENS :
Partie succombante, l'ANGDM, intervenant pour le compte de l'état, sera condamnée aux dépens de première instance ainsi qu'aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
DECLARE l'appel formé par la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Moselle, intervenant pour le compte de la CANSSM, l'Assurance Maladie des Mines, recevable,
INFIRME le jugement entrepris du Pôle social du Tribunal judiciaire de Metz du 8 avril 2022,
Statuant à nouveau,
DEBOUTE l'État, représenté par l'Agence Nationale pour la Garantie des Droits des Mineurs (ANGDM), de sa demande en inopposabilité de la décision de prise en charge rendue le 8 avril 2019 par l'Assurance Maladie des Mines portant reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée le 24 novembre 2018 par M. [G] [J] au titre du tableau n°30B des maladies professionnelles,
DECLARE opposable à l'État, représenté par l'ANGDM, ladite décision de l'organisme de sécurité sociale,
DEBOUTE l'État, représenté par l'ANGDM, de ses autres demandes,
CONDAMNE l'État, représenté par l'ANGDM, aux dépens de première instance et aux dépens d'appel.
La Greffière, Le Président,