Arrêt n° 24/00329
22 Juillet 2024
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N° RG 22/02035 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FZRG
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Pole social du TJ de METZ
22 Juillet 2022
20/967
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
Section 3 - Sécurité Sociale
ARRÊT DU
vingt deux Juillet deux mille vingt quatre
APPELANT :
Monsieur [W] [S]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par l'association [5], prise en la personne de Mme [O] [E], salariée de l'association munie d'un pouvoir spécial
INTIMÉS :
L'AGENT JUDICIAIRE DE l' ETAT (AJE)
Ministères économiques et financiers Direction des affaires juridiques
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 4]
représenté par Me Laure HELLENBRAND, avocat au barreau de METZ
CAISSE AUTONOME NATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE DANS LES MINES - CANSSM
ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur
et pour adresse postale
L'Assurance Maladie des Mines
[Adresse 8]
[Localité 3]
représentée par Mme [U], munie d'un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre
Mme Carole PAUTREL, Conseillère
Mme Anne FABERT, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [W] [S], né le 30 juin 1951, a travaillé pour le compte des Houillères du Bassin de Lorraine (HBL), devenues par la suite l'établissement public Charbonnages de France (CDF) du 5 mai 1976 au 31 octobre 1977, puis du 9 mars 1978 au 2 septembre 1979, et du 17 décembre 1979 au 30 juin 2001.
Il a occupé les postes suivants, exclusivement au fond :
Au Puits II :
du 05/05/1976 au 07/06/1976 : apprenti-mineur,
A l'Unité d'exploitation [Localité 6] :
du 08/06/1976 au 31/08/1976 : apprenti-mineur,
du 01/09/1976 au 30/11/1976 : ouvrier annexe travaux préparatoires au charbon,
du 01/12/1976 au 28/02/1977 : rabasseneur,
du 01/03/1977 au 31/10/1977 : piqueur traçage charbon,
du 09/03/1978 au 30/11/1978 : ouvrier annexe travaux préparatoires au charbon,
du 01/12/1978 au 28/02/1979 : installateur taille ou traçage et voies,
du 01/03/1979 au 02/09/1979 : préparateur extrémités taille charbon,
du 17/12/1979 au 29/02/1980 : transporteur et aide-installateur taille ou traçage,
du 01/03/1980 au 31/10/1990 : installateur taille ou traçage et voies,
du 01/11/1990 au 30/06/2001 : chef équipe installateur taille.
Il a bénéficié d'un congé charbonnier fin de carrière du 1er juillet 2001 au 30 septembre 2006.
Par formulaire du 22 janvier 2016, Monsieur [W] [S] a déclaré auprès de l'Assurance Maladie des Mines (ci-après « la Caisse » ou « AMM ») être atteint d'une maladie professionnelle inscrite au tableau n°25A2 des maladies professionnelles sous forme de silicose chronique, transmettant avec ladite demande de reconnaissance un certificat médical établi le 17 décembre 2014 par le Docteur [X].
Par décision du 20 juillet 2016, la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité Sociale dans les Mines (CANSSM), l'Assurance Maladie des Mines, a admis le caractère professionnel de cette pathologie.
Le 3 octobre 2016, la Caisse a notifié à Monsieur [W] [S] la fixation d'un taux d'incapacité permanente de 5% en réparation de sa pathologie, lui laissant le choix entre l'attribution d'une indemnité en capital d'un montant de 1.948,44 euros et le versement d'une rente annuelle de 2.030,84 euros, à la date du 18 décembre 2014 (lendemain de la date de consolidation). Monsieur [W] a opté pour l'indemnité en capital.
Après échec de la tentative de conciliation introduite devant la Caisse, Monsieur [W] [S] a, par courrier recommandé expédié le 13 avril 2018, saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Moselle (devenu Pôle social du tribunal de grande instance de Metz le 1er janvier 2019, puis Pôle social du tribunal judiciaire de Metz au 1er janvier 2020) afin d'obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur dans la survenance de sa maladie professionnelle et de solliciter le bénéfice des conséquences financières en découlant.
L'affaire a fait l'objet d'une radiation.
Par courrier recommandé du 25 août 2020, Monsieur [W] [S] a sollicité la reprise de l'instance.
Il convient de préciser que l'établissement public Charbonnages de France a été définitivement liquidé le 31 décembre 2017, ses droits et obligations étant transférés à l'État, représenté par l'Agent Judiciaire de l'État (AJE).
Par ailleurs, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle (ci-après la « Caisse », ou « CPAM ») intervenant pour le compte de la CANSSM a été appelée dans la cause.
Par jugement du 22 juillet 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz a :
déclaré Monsieur [W] [S] recevable en son recours en reconnaissance de la faute inexcusable de l'AJE, venant aux droits des Charbonnages de France,
déclaré le jugement commun à la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines,
dit que la maladie professionnelle de Monsieur [W] [S], inscrite au tableau n°25 des maladies professionnelles, est due à la faute inexcusable de son employeur, l'EPIC Charbonnages de France venant aux droits des Houillères du Bassin de Lorraine,
ordonné la majoration à son maximum du capital versé à Monsieur [W] [S], soit la somme de 1.948,44 euros,
dit que cette majoration sera versée directement par la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM à Monsieur [W] [S],
dit que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle de Monsieur [W] [S] en cas d'aggravation de son état de santé,
dit qu'en cas de décès de Monsieur [W] [S] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant,
fixé l'indemnisation des préjudices personnels subis par Monsieur [W] [S] au titre de cette maladie professionnelle de la manière suivante :
3.000 euros au titre des souffrances morales,
débouté Monsieur [W] [S] de ses demandes formulées au titre du préjudice de souffrances physiques et du préjudice d'agrément,
débouté Monsieur [W] [S] de ses demandes plus amples ou contraires,
condamné la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM à verser cette somme de 3.000 euros à Monsieur [W] [S], avec intérêt à taux légal à compter du prononcé de la présente décision,
condamné l'Agent Judiciaire de l'Etat, à rembourser à la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM les sommes, en principal et intérêts, que l'organisme social sera tenu d'avancer à Monsieur [W] [S] au titre de la majoration de la rente et de ses préjudices extrapatrimoniaux, sur le fondement des articles l.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale,
dit que l'ensemble des sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement conformément à l'article 1231-7 du code civil,
condamné l'Agent Judiciaire de l'Etat à verser à Monsieur [W] [S] la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
ordonné l'exécution provisoire de la décision,
condamné l'Agent Judiciaire de l'Etat aux entiers frais et dépens.
Par courrier recommandé du 1er août 2022, Monsieur [W] [S], par l'intermédiaire de son représentant, l'Association de Défense des Victimes d'Accident du Travail, de l'Amiante et des Maladies Professionnelles ([5]), a interjeté appel partiel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR datée du 27 juillet 2022 et dont l'accusé de réception ne figure pas au dossier de première instance, en ce qu'elle a :
« fixé l'indemnisation des préjudices personnels subis par Monsieur [W] [S] au titre de cette maladie professionnelle de la manière suivante :
3.000 euros au titre de souffrances morales,
débouté Monsieur [W] [S] de ses demandes formulées au titre du préjudice de souffrances physiques et du préjudice d'agrément,
débouté Monsieur [W] [S] de ses demandes plus amples ou contraires ».
Par conclusions datées du 7 mars 2024, soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son représentant, l'[5], Monsieur [W] [S] demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la silicose de Monsieur [W] [S] était due à la faute inexcusable de son employeur représenté par l'AJE,
infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a alloué qu'une somme de 3.000 euros au titre des préjudices personnels de Monsieur [W] [S] et en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre du préjudice physique et du préjudice d'agrément,
Statuant à nouveau :
débouter l'AJE de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
condamner l'AJE à payer à Monsieur [W] [S] les sommes suivantes :
30.000 euros au titre de son préjudice moral,
30.000 euros au titre de son préjudice physique,
5.000 euros au titre de son préjudice d'agrément,
Augmentées des intérêts au taux légal à compter du jour de la décision à intervenir,
condamner l'AJE à payer à Monsieur [W] [S] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du CPC,
condamner l'AJE aux entiers frais et dépens.
Par conclusions datées du 27 mai 2024, soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son conseil, l'AJE demande à la cour de :
A TITRE D'APPEL INCIDENT ET A TITRE PRINCIPAL :
infirmer le jugement du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz en date du 22 juillet 2022 en ce qu'il a dit que la maladie professionnelle déclarée est due à la faute inexcusable de l'établissement Charbonnages de France,
PAR CONSEQUENT ET STATUANT A NOUVEAU :
débouter Monsieur [W] [S] et la CPAM de Moselle de toutes leurs demandes formées à l'encontre de l'AJE, la preuve de l'existence d'une faute inexcusable de l'exploitant n'étant pas rapportée,
A TITRE SUBSIDIAIRE : si par extraordinaire la faute inexcusable était confirmée :
confirmer le jugement contesté du 22 juillet 2022 en ce qu'il a débouté Monsieur [W] [S] de ses demandes relatives aux préjudices physiques et d'agrément,
infirmer le jugement contesté du 22 juillet 2022 en ce qu'il a octroyé la somme de 3.000 euros au titre des souffrances morales endurées par Monsieur [W] [S],
débouter l'appelant de l'intégralité de ses demandes au titre d'un préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées ainsi qu'au titre d'un préjudice d'agrément,
PLUS SUBSIDIAIREMENT ENCORE :
réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires,
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
rejeter la demande d'article 700 du CPC,
dire n'y avoir lieu à dépens.
Par courrier réceptionné au greffe le 3 juin 2024, repris oralement lors de l'audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, a informé la juridiction qu'elle ne déposera pas d'écritures en s'en remet à la cour quant à la reconnaissance de la faute inexcusable et aux montants susceptibles d'être alloués sur cette base, mais sollicitera la condamnation de l'employeur au remboursement de l'intégralité des sommes qu'elle devra avancer dans l'hypothèse où la faute inexcusable serait reconnue.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties, en application de l'article 455 du code de procédure civile, et à la décision entreprise.
SUR CE,
SUR LA RECONNAISSANCE DE LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR :
L'AJE sollicite l'infirmation du jugement entrepris qui a considéré que la faute inexcusable était établie à l'encontre des Charbonnages de France. Il expose que si les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues Charbonnages de France, avaient bien conscience du risque encouru par les salariés, ils ont mis en 'uvre tous les moyens nécessaires pour protéger ces derniers des risques connus à chacune des époques de l'exploitation, tant sur le plan collectif qu'individuel. Il ajoute que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues Charbonnages de France, ont parfaitement satisfait à leur obligation de prévention et de sécurité et qu'aucun défaut d'information ne peut leur être reproché.
Il critique la qualité des attestations des témoins ayant déposé en faveur de Monsieur [W] [S], notamment eu égard au fait qu'elles sont stéréotypées. Il ajoute qu'elles sont imprécises, lacunaires et qu'elles ne donnent aucune information sur l'insuffisance des mesures de protection individuelles et collectives, mais également en ce qu'il n'est pas possible de déterminer que les témoins ont effectivement travaillé avec Monsieur [W] [S]. L'AJE estime enfin que les nombreuses pièces générales produites par ses soins viennent contredire les affirmations du salarié et de ses témoins.
Monsieur [W] [S] représenté par l'[5], soutient que les éléments constitutifs de la faute inexcusable sont réunis en l'espèce. Il allègue notamment que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du risque lié aux poussières de silice cristalline, du fait des connaissances scientifiques de l'époque, la silicose ayant été inscrite au tableau n°25 des maladies professionnelles par une ordonnance du 2 août 1945, de la réglementation applicable, de la taille de l'organisation et des moyens considérables dont disposait l'entreprise, mais qu'il s'est abstenu de mettre en 'uvre les mesures nécessaires pour préserver la santé des salariés, avec un défaut d'information et une insuffisance des moyens de protection individuels et collectifs.
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En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise.
Les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l'employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.
Dans le cadre de son obligation générale de sécurité, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
La preuve de la faute inexcusable de l'employeur incombe à la victime. La faute inexcusable doit s'apprécier en fonction de la législation en vigueur et des connaissances scientifiques connues ou susceptibles de l'avoir été par l'employeur aux périodes d'exposition au risque du salarié.
En l'espèce, le caractère professionnel de la maladie déclarée par Monsieur [W] [S], ainsi que la réunion des conditions du tableau n°25 des maladies professionnelles ne sont pas contestées. L'AJE reconnaît en outre que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues Charbonnages de France, avaient conscience du danger constitué par l'inhalation de poussières de silice et fait état de cette conscience dans ses écritures.
Seules sont discutées l'existence et l'efficacité des mesures de protection individuelle et collective prises par l'employeur afin de préserver le salarié du danger auquel il était exposé, ainsi que la délivrance d'une information sur les risques encourus par le salarié lors de son activité professionnelle.
Ces mesures de protection sont déterminées par le décret n°51-508 du 04 mai 1951 portant règlement général sur l'exploitation des mines, reprenant les dispositions générales des décrets du 10 juillet 1913 et du 13 décembre 1948 prévoyant l'évacuation des poussières ou, en cas d'impossibilité, la mise à disposition de moyens de protection individuelle.
L'article 187 dudit décret dispose que lorsque l'abattage, le chargement, le transport ou la manipulation du charbon peuvent entraîner la mise en suspension ou l'accumulation de poussières, des mesures efficaces doivent être prises pour s'y opposer ou y remédier.
L'instruction du 30 octobre 1956 prescrit des mesures de protection collective (arrosage et humidification des poussières) et individuelle (port du masque) précises et devant être efficaces.
S'agissant des masques, on peut lire dans l'instruction de 1956 que « seuls les masques à pouvoir d'arrêt élevé pour les particules de moins de 5 microns et à résistance faible à la respiration peuvent être pris en considération. La protection individuelle ne saurait être admise en remplacement d'une protection collective possible qui aurait été négligée. Elle ne doit être appliquée qu'en complément de la prévention collective qui doit toujours être poussée aussi loin que possible ».
En l'espèce, il résulte du relevé de périodes et d'emplois établi par l'Agence Nationale de Garantie des Droits des Mineurs (ANGDM) (pièce n°2 de l'[5]), que Monsieur [W] [S] a travaillé au sein des Houillères du Bassin de Lorraine, devenues les Charbonnages de France, dans les chantiers du fond, du 5 mai 1976 au 31 octobre 1977, puis du 9 mars 1978 au 2 septembre 1979, et du 17 décembre 1979 au 30 juin 2001, aux postes suivants : apprenti-mineur, ouvrier annexe travaux préparatoires au charbon, rabasseneur, piqueur traçage charbon, installateur taille ou traçages et voies, préparateur extrémités taille charbon, transporteur et aide-installateur taille ou traçage, et chef d'équipe installateur taille.
Monsieur [W] [S] verse aux débats les témoignages établis par deux anciens collègues de travail, à savoir Messieurs [H] [R] et [M] [J] (pièces n°6 et 7 de l'[5]), lesquels sont accompagnés des relevés de carrières de leurs auteurs. L'AJE critique les attestations produites au motif qu'elles sont lacunaires en ce qu'elles ne permettent pas d'établir que les témoins ont bien travaillé avec Monsieur [W] [S]. Il souligne qu'elles sont stéréotypées et ne sont nullement circonstanciées quant aux moyens de protection mis à disposition par l'employeur, alors qu'elles sont rédigées en termes généraux.
La cour relève que les témoins allèguent avoir travaillé directement avec Monsieur [W] [S], ce qui est confirmé par les relevés de carrière joints à leurs témoignages (pièces n°6bis et 7bis de l'[5]). Ainsi, il est établi que les témoins ont bien travaillé directement avec Monsieur [W] [S] et peuvent dès lors relater les conditions de travail de ce dernier, l'AJE ne contredisant pas utilement ce lien de travail entre les témoins et le salarié.
Monsieur [H] [R] expose « concernant l'aérage, celui-ci était très mauvais, on ne respirait que du mauvais air entre nous. On nageait dans les poussières très fines et à force de passer des heures dans cet environnement, on les inhalait et donc elles ont fini par se déposer petit à petit dans nos poumons » (pièce n°6 de l'[5]). Il précise « A force d'être dans ces poussières qui se dégageaient du travail fourni, on ne se reconnaissait plus. On était recouvert de ces poussières et on les inhalait en même temps. Nos bleus de travail devenaient noir/gris par moment suite à ces poussières. Nos narines étaient bouchées car même en ayant des pseudos masques en papier, ceux-ci n'étaient pas conformes et étanches. On gardait des petits chiffons pour se moucher et on continuait à travailler dans ces conditions. A plusieurs reprises durant notre carrière on en discutait avec Monsieur [S] de ces conditions de travail, personne nous disait que l'on encourait des risques pour notre santé ['] ».
Monsieur [M] [J] déclare « il y a eu la majorité du temps des soucis avec les pulvérisateurs d'eau sur les bandes des convoyeurs ce qui faisait que les buses se bouchaient assez rapidement et donc les poussières étaient dispatchées dans l'air que l'on respirait et la majorité à ce moment était la production donc on ne pouvait pas réparer le problème. ['] Monsieur [S], comme tous ceux de l'équipe, inhalait toutes ces poussières de silice sans aucune protection respiratoire efficace. On avait des masques en papier en début de poste mais ces derniers n'étaient d'aucune utilité étant donné la température qui régnait dans les galeries, de l'humidité présente et des poussières dégagées par le travail. Ils étaient noirs de charbon et donc on les enlevait car on suffoquait plus qu'autre chose. Personne ne prenait réellement le temps de nous donner des informations concernant l'impact de toutes ces matières auxquelles nous étions exposés même pas la médecine du travail ou les ingénieurs qui venaient voir le travail effectué » (pièce n°7 de l'[5]).
Les témoignages se rejoignent quant au fait que Monsieur [W] [S] travaillait en permanence dans une atmosphère fortement empoussiérée, alors que les travaux du fond libéraient d'importantes quantités de poussières que les systèmes d'arrosage destinés à abattre lesdites poussières ne fonctionnaient que rarement. Les deux témoins confirment l'inefficacité des masques respiratoires mis à disposition par l'employeur, lesquels n'étaient pas adaptés aux conditions extrêmes des chantiers du fond (forte chaleur et humidité ambiante), Monsieur [H] [R] évoquant notamment le fait que ses narines se bouchaient par les poussières, ce qui confirme l'inefficacité des masques respiratoires qui n'empêchaient pas les porteurs d'inhaler des poussières en suspension.
Si l'AJE indique dans ses écritures qu'il a placé la santé de ses employés en tête de ses priorités en ne cessant de trouver des moyens pour améliorer le système d'arrosage, l'aération des galeries, et en mettant à la disposition des mineurs des masques de plus en plus efficaces, elle développe uniquement des considérations d'ordre général qui ne comportent aucun élément sur les conditions de travail concrètes de Monsieur [W] [S], ni sur la qualité des moyens de protection réellement mis à la disposition du salarié.
Aussi, l'ensemble des éléments qui précèdent confirment que l'employeur qui avait conscience du danger auquel Monsieur [W] [S] était exposé n'a pas pris les mesures nécessaires afin de protéger ce dernier des dangers liés à l'inhalation des poussières de silice, ceci alors qu'il n'a pas mis en place de mesures de protection collective (aération-arrosage) et individuelle (port du masque) suffisantes et efficaces.
Partant, il s'ensuit que la maladie professionnelle inscrite au tableau n°25 des maladies professionnelles dont souffre Monsieur [W] [S] doit être déclarée comme résultant de la faute inexcusable commise par l'employeur à son égard.
Le jugement entrepris, qui a retenu que l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie professionnelle du tableau n°25 de Monsieur [W] [S] était établie, est donc confirmé.
SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES DE LA FAUTE INEXCUSABLE
Sur la majoration de l'indemnité en capital
Aux termes de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a le droit à une indemnisation complémentaire.
Aux termes de l'article L.452-2, alinéas 1, 2 et 6, du code de la sécurité sociale, « dans le cas mentionné à l'article précédent [faute inexcusable de l'employeur], la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre. Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité [...] La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret ».
En l'espèce, compte tenu du taux d'incapacité permanente partielle qui lui a été reconnu (5%), Monsieur [W] [S] s'est vu allouer une indemnité en capital d'un montant de 1.948,44 euros à la date du 18 décembre 2014.
Aucune discussion n'existe à hauteur de Cour concernant la majoration au maximum de l'indemnité en capital versée à Monsieur [W] [S], dans la limite de 1.948,44 euros, et dans les conditions telles que définies à l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale, étant admis que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente en cas d'aggravation de l'état de santé de l'intéressé, et que le principe de la majoration restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant en cas de décès de la victime résultant des conséquences de sa maladie professionnelle.
Sur les préjudices personnels de Monsieur [W] [S]
Il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale qu'« indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. [...] La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur ».
Sur les souffrances physiques et morales
Monsieur [W] [S] sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande la condamnation de l'AJE à lui verser un montant de 30.000 euros au titre des souffrances morales et 30.000 euros pour les souffrances physiques.
L'AJE fait valoir que les souffrances physiques et morales invoquées par la victime ne sont pas démontrées, et ce en l'absence de période de maladie traumatique et à défaut d'élément de preuve pertinent au soutien de sa demande. Il souligne qu'aucune pièce médicale n'est versée aux débats.
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Comme indiqué, il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisées à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l'accident ou l'événement qui lui est assimilé.
En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d'incapacité permanente défini à l'article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la Cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la Caisse à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière du 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23947).
En l'espèce, la victime, en application de l'article L.434-1 du code de la sécurité sociale, s'est vue attribuer une indemnité en capital, son taux d'incapacité permanente partielle étant inférieur à 10%. Il y a lieu d'admettre, eu égard à son mode de calcul, son montant étant déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret en fonction du taux d'incapacité permanente, que cette indemnité ne répare pas davantage le déficit fonctionnel permanent.
Dès lors, Monsieur [W] [S] est recevable en sa demande d'indemnisation des souffrances physiques et morales subies, sous réserve qu'elles soient caractérisées.
S'agissant des souffrances physiques subies, Monsieur [W] [S] ne produit aucune pièce médicale permettant de caractériser l'existence de souffrances physiques, ni de les rattacher aux conséquences physiques de l'affection dont il souffre. Les attestations rédigées par ses proches (pièce n°8 à 10 de l'[5]) laissent apparaître que Monsieur [W] [S] s'essouffle facilement, mais, à défaut de document médical, les témoignages ne permettent pas de rattacher les constats des témoins à la maladie professionnelle dont souffre Monsieur [W] [S].
Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.
Concernant le préjudice moral, Monsieur [W] [S] était âgé de 63 ans lorsqu'il a appris qu'il était atteint de silicose. Les témoignages de ses proches (pièces n°8 à 10 de l'[5]) établissent que le comportement de Monsieur [W] [S] a changé depuis la découverte de sa pathologie, ce dernier se renfermant sur lui-même et s'inquiétant beaucoup de l'évolution de la maladie.
Ces éléments caractérisent l'anxiété indissociable du fait de se savoir atteint d'une maladie irréversible due à l'exposition aux poussières de silice et liée aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance.
Le préjudice moral de Monsieur [W] [S] sera réparé par l'allocation d'un montant de 12.000 euros de dommages-intérêts eu égard à la nature de la pathologie en cause et à l'âge de la victime au moment de son diagnostic, le jugement est infirmé en ce sens.
Sur le préjudice d'agrément
L'indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu'il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d'une activité spécifique sportive ou de loisir qu'il lui est désormais impossible de pratiquer.
Monsieur [W] [S] sollicite l'octroi d'un montant de 5.000 euros en réparation de son préjudice d'agrément.
L'AJE s'oppose à l'indemnisation du préjudice d'agrément en indiquant que Monsieur [W] [S] ne produit pas d'éléments susceptibles de justifier d'un tel préjudice.
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Les attestations versées aux débats ne permettent pas de justifier d'une part de la régularité de la pratique par Monsieur [W] [S], avant le diagnostic de sa maladie professionnelle, d'une activité spécifique sportive ou de loisirs, et d'autre part, qu'il n'a plus été en capacité de la pratiquer du fait de sa pathologie.
Dès lors, Monsieur [W] [S] ne justifiant pas suffisamment de l'existence de ce préjudice, il doit être débouté de sa demande formée à ce titre, le jugement est réformé en ce sens.
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C'est en définitive la somme de 12.000 euros que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, devra verser à Monsieur [W] [S], au titre du préjudice moral subi par ce dernier.
SUR L'ACTION RECURSOIRE DE LA CAISSE
Aux termes de l'article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur introduites devant les Tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, il apparaît « quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L.452-3 du même code ».
En outre, les articles L.452-2, alinéa 6, et D.452-1 du code de la sécurité sociale, applicables aux décisions juridictionnelles relatives aux majorations de rentes et d'indemnités en capital rendues après le 1er avril 2013, prévoient en outre que le capital représentatif des dépenses engagées par la Caisse au titre de la majoration est, en cas de faute inexcusable, récupéré dans les mêmes conditions et en même temps que les sommes allouées au titre de la réparation des préjudices mentionnés à l'article L.452-3.
Aucune discussion n'existant à hauteur de cour quant à l'action récursoire de la CPAM de Moselle, venant aux droits de la CANSSM, cette dernière est fondée à exercer son action récursoire à l'encontre de l'AJE.
Par conséquent, l'AJE doit être condamné à rembourser à la CPAM de Moselle, les sommes qu'elle sera tenue d'avancer au titre de la majoration de l'indemnité en capital et des préjudices extrapatrimoniaux de Monsieur [W] [S].
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
L'issue du litige conduit la cour à condamner l'AJE à payer à Monsieur [W] [S] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a condamné l'AJE à verser à Monsieur [W] [S] un montant de 800 euros sur base de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance.
L'AJE, partie succombante, sera condamnée en outre aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement entrepris du 22 juillet 2022 du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz, sauf en ce qu'il a :
fixé l'indemnisation des souffrances morales subies par Monsieur [W] [S] à 3.000 euros ;
Statuant à nouveau sur le chef de jugement infirmé,
FIXE l'indemnité en réparation du préjudice moral de Monsieur [W] [S] à la somme de 12.000 euros (douze mille euros), et DIT que cette somme, qui portera intérêt au taux légal à compter de la présente décision, devra être versée à Monsieur [W] [S] par la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines, et si besoin l'y CONDAMNE,
CONDAMNE l'AJE à rembourser à la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines, les sommes, en principal et intérêts, qu'elle aura versées à Monsieur [W] [S] au titre de la majoration de l'indemnité en capital et des préjudices extrapatrimoniaux de la victime, sur le fondement des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale,
CONDAMNE l'AJE à payer à Monsieur [W] [S] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE l'AJE aux dépens d'appel.
La Greffière Le Président