Arrêt n° 24/00385
22 Juillet 2024
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N° RG 22/01488 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FYD6
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Pole social du TJ de METZ
25 Mai 2022
19/00714
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
Section 3 - Sécurité Sociale
ARRÊT DU
vingt deux Juillet deux mille vingt quatre
APPELANTE :
Madame [Y] [F] VEUVE [P]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Cédric DE ROMANET, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
CAISSE AUTONOME NATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE DANS LES MINES - CANSSM
ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur
et pour adresse postale
L'Assurance Maladie des Mines
TSA 39014
[Localité 4]
représentée par Mme [R], munie d'un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre
Mme Carole PAUTREL, Conseillère
Mme Anne FABERT, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [J] [P] a été employé par la cokerie de [Localité 5] du 1er juillet 1981 au 31 décembre 2008 notamment en qualité de piqueur traçage fond, ouvrier annexe, sauveteur, élève technicien, et porion d'exploitation fond.
Le 24 avril 2018, Monsieur [J] [P] a présenté à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle (CPAM ou Caisse) une demande de reconnaissance de maladie professionnelle appuyée d'un certificat médical établi le 28 mars 2018 par le Docteur [G] faisant état de « néoplasie pancréatique métastatique hépatique ».
Le 16 mai 2018, le médecin conseil considéra que la maladie en cause n'entrait dans aucun tableau de maladie professionnelle et que le taux d'incapacité partielle permanente (TIPP) prévisible était supérieur à 25%.
Le 19 juillet 2018, la Caisse a infirmé l'assuré qu'elle devait recourir à un délai complémentaire d'instruction.
Le 26 septembre 2018, la Caisse informa Monsieur [K] [P] de la transmission du dossier au Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) de [Localité 8].
En date du 18 octobre 2018 la Caisse notifia un refus provisoire de prise en charge dans l'attente de l'avis du CRRMP sur l'origine professionnelle de la maladie déclarée.
Le 5 novembre 2018, Monsieur [K] [P] a contesté cette décision devant la Commission de Recours Amiable (CRA) de la Caisse qui, par décision du 24 janvier 2019, rejeta la réclamation.
Monsieur [K] [P] est décédé le 5 février 2019.
Par courrier du 2 mai 2019, son épouse, Madame [Y] [F] veuve [P] forma un recours contentieux devant le Pôle social du tribunal de grande instance de Metz (devenu Pôle social du Tribunal judiciaire de Metz le 1er janvier 2020). La procédure a été enregistrée sous le numéro RG 19/00714.
Le 28 mai 2019, le CRRMP de Strasbourg a rendu un avis défavorable. Il a indiqué que durant son activité en tant que mineur de fond, Monsieur [K] [P] avait été exposé de manière habituelle aux poussières de charbon et de roche contenant de la silice cristalline ainsi qu'à des émanations toxiques diverses. Le Comité a conclu que « dans l'état actuel des connaissances, les données scientifiques en retrouvent pas de lien établi entre ces expositions et l'affection déclarée. Dans ces conditions, le comité ne peut établir de lien direct et essentiel entre l'activité professionnelle et l'affection déclarée. »
Le 6 juin 2019, la Caisse informa Madame [Y] [F] veuve [P] du refus de prise en charge de la maladie de feu [K] [P], suite à l'avis défavorable du CRRMP.
Madame [Y] [F] veuve [P] a saisi la Commission de Recours Amiable qui a rejeté son recours par décision du 14 novembre 2019.
Le 2 mars 2020, Madame [Y] [F] veuve [P] a saisi par requête le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz afin de contester cette décision. La procédure a été enregistrée sous le numéro RG 20/00365.
Le 18 mars 2021, le juge de la mise en état a joint, par ordonnance, les deux procédures qui se sont poursuivies sous le seul numéro RG 19/00714.
Par jugement du 25 mai 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz a :
En premier ressort :
débouté Madame [Y] [P] née [F] de ses demandes tendant à voir constater l'existence d'une décision de reconnaissance implicite du caractère professionnel de la maladie déclarée le 24 avril 2018 et du décès qu'elle lui déclare imputable ;
Avant dire-droit :
désigné le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles de Bourgogne Franche Comté avec pour mission de prendre connaissance de la présente décision et de répondre à la question suivante : « Existe-t-il un lien direct et essentiel entre le « néoplasie pancréatique » dont était atteint Monsieur [K] [P] et son travail habituel ' » ;
dit que le comité devra prendre connaissance de l'intégralité de la présente décision et des pièces versées par les parties dans le cadre du présent litige qui lui seront transmises par celle-ci à l'adresse suivante : [6] , secrétariat du CRRMP , [Adresse 3] ;
dit qu'en application de l'article D.461-35 du code de la sécurité sociale, ce Comité devra rendre son avis motivé dans le délai de quatre mois suivant sa saisine, et en présence de ses trois membres ;
désigné le magistrat coordinateur du Pôle social du tribunal judicaire de Metz pour suivre les difficultés éventuelles relatives à cette consultation ;
renvoyé le dossier à l'audience de mise en état silencieuse du jeudi 1er décembre 2022 à laquelle les parties sont dispensées de comparaitre ;
dit que les parties devront adresser leurs éventuelles écritures dans un délai de 45 jours suivant la notification de l'avis du CRRMP de Bourgogne Franche-Comté ;
réservé les droits et demandes des parties dans l'attente de cet avis ;
réservé les frais et dépens ;
dit que la présente décision est assortie de l'exécution provisoire.
Madame [Y] [F] veuve [P] a interjeté appel par LRAR du 2 juin 2022 de cette décision qui lui avait été notifiée par lettre recommandée réceptionnée le 30 mai 2022.
L'affaire a été retenue et plaidée après renvoi le 28 mai 2024.
Madame [Y] [F] veuve [P] s'est référée à ses conclusions datées du 1er février 2024 par lesquelles elle demande à la cour de :
réformer en toutes ses dispositions le jugement du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz du 25 mai 2022 et statuant à nouveau :
décider que la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle de la demande d'imputabilité du décès à la maladie ont fait l'objet d'une décision implicite de prise en charge ;
renvoyer en conséquence le dossier de Monsieur [P] devant l'Assurance Maladie des Mines pour la fixation du taux d'IPP et de la rente d'ayant droit dont bénéficiera sa veuve ;
condamner l'Assurance [7] à verser à Madame [P] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Subsidiairement :
renvoyer la cause et les parties devant le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz pour voir statuer sur la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie dont était atteint et dont est décédé Monsieur [P].
La CPAM de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM qui était régulièrement représentée s'est référée à ses conclusions datées du 22 mai 2024 par lesquelles elle demande à la cour de :
déclarer l'appel mal fondé ;
confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 mai 2022 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures oralement reprises à l'audience conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la reconnaissance implicite de la maladie professionnelle
Aux termes de l'article R.441-10 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable aux faits, la Caisse dispose d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration d'accident et le certificat médical initial ou de trois mois à compter de la date à laquelle elle a reçu le dossier complet comprenant la déclaration de la maladie professionnelle intégrant le certificat médical initial et le résultat des examens médicaux complémentaires le cas échéant prescrits par les tableaux de maladies professionnelles pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.
Il en est de même lorsque, sans préjudice de l'application des dispositions du chapitre Ier du titre IV du livre Ier et de l'article L. 432-6, il est fait état pour la première fois d'une lésion ou maladie présentée comme se rattachant à un accident du travail ou maladie professionnelle.
Sous réserve des dispositions de l'article R. 441-14, en l'absence de décision de la Caisse dans le délai prévu au premier alinéa, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu.
1Conformément à l'article R.441-14 du même code, lorsqu'il y a nécessité d'examen ou d'enquête complémentaire, la Caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l'employeur avant l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article R. 441-10 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. A l'expiration d'un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d'accidents du travail ou trois mois en matière de maladies professionnelles à compter de la date de cette notification et en l'absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu.
En cas de saisine du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles, mentionné au cinquième alinéa de l'article L. 461-1, le délai imparti à ce comité pour donner son avis s'impute sur les délais prévus à l'alinéa qui précède.
Dans les cas prévus au dernier alinéa de l'article R. 441-11, la Caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception, l'information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l'article R. 441-13.
La décision motivée de la Caisse est notifiée, avec mention des voies et délais de recours par tout moyen permettant de déterminer la date de réception, à la victime ou ses ayants droit, si le caractère professionnel de l'accident, de la maladie professionnelle ou de la rechute n'est pas reconnu, ou à l'employeur dans le cas contraire. Cette décision est également notifiée à la personne à laquelle la décision ne fait pas grief.
Le médecin traitant est informé de cette décision.
En l'espèce, il est constant que la Caisse a indiqué avoir réceptionné la demande de reconnaissance de maladie professionnelle transmis par Monsieur [K] [P] le 25 avril 2018 (pièce n°9 de l'appelante).
Par la suite, par courrier du 19 juillet 2018, la Caisse a notifié à l'assuré le recours à un délai complémentaire d'instruction.
Madame [Y] [F] veuve [P] rappelle qu'elle a, par l'intermédiaire, de son conseil, enjoint à la Caisse de produire le bordereau d'envoi de la lettre ayant notifié à son époux le délai complémentaire d'instruction (pièce n°24 de l'appelante). Elle soutient que son époux n'a pas réceptionné la lettre datée du 19 juillet 2018 et réitère sa demande de communication de la preuve de dépôt justifiant que les diligences ont été effectuées par la Caisse dans le délai qui lui était imparti.
Il n'est pas contestable que Monsieur [K] [P] a bien réceptionné le courrier lui notifiant le recours à un délai complémentaire d'instruction, puisque cette correspondance a été produite par Madame [Y] [F] veuve [P] à l'appui de son recours saisissant le Pôle social du tribunal de grande instance de Metz le 2 mai 2019.
De même, le courrier du 19 juillet porte bien le numéro d'une lettre recommandée, ce qui confirme son envoi en recommandé.
En revanche, la Caisse ne produit pas le bordereau d'envoi du courrier du 19 juillet 2018 sollicité en première instance, ainsi qu'en cause d'appel, et ne prend pas position sur ce point, alors que la charge de la preuve de la date d'envoi lui incombe.
En l'état du dossier, s'il n'est pas contesté que Monsieur [K] [P] a bien réceptionné le courrier l'informant du recours à un délai complémentaire d'instruction, il n'est pas possible d'établir que la Caisse a bien procédé à l'envoi de ladite correspondance dans le délai de trois mois suivant la réception de la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle.
En conséquence, il y a lieu d'admettre l'existence d'une décision implicite de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie « néoplasie pancréatique métastatique hépatique » déclarée par Monsieur [K] [P], le jugement entrepris est infirmé.
En revanche, la Caisse n'a pas statué sur l'imputation du décès de Monsieur [K] [P] à la maladie dont il était atteint, les seules décisions rendues par la Caisse concernant le caractère professionnel de ladite pathologie, Madame [Y] [F] veuve [P] sera dès lors déboutée de ses demandes présentées sur ce fondement.
Sur les demandes accessoires
L'issue du litige conduit la cour à condamner la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, à verser à Madame [Y] [F] veuve [P] une somme de 1.000 euros sur base de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément à l'article 696 du Code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
La CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, partie succombante, est condamnée aux dépens de première instance engagés à compter du 1er janvier 2019, ainsi qu'aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement rendu par le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz le 25 mai 2022,
Statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés,
CONSTATE que la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, n'a pas respecté les délais d'instruction prévus par le code de la sécurité sociale,
En conséquence,
INFIRME les décisions rendues par la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM les 18 octobre 2018 et 6 juin 2019, ainsi que les décisions rendues par la Commission de Recours Amiable de la Caisse les 24 janvier 2019 et 14 novembre 2019,
DIT que la maladie « néoplasie pancréatique métastatique hépatique » de Monsieur [K] [P] a fait l'objet d'une reconnaissance implicite et qu'elle doit être prise en charge par la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, à compter de la date de première constatation médicale retenue par le médecin-conseil, soit le 26 avril 2016,
DIT que la maladie « néoplasie pancréatique métastatique hépatique » de Monsieur [K] [P] diagnostiquée par certificat médical initial établi le 28 mars 2018 est d'origine professionnelle,
RENVOIE Madame [Y] [F] veuve [P] vers la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, pour la liquidation des droits de son époux,
DEBOUTE Madame [Y] [F] veuve [P] de sa demande d'imputabilité du décès à la maladie dont souffrait son époux,
CONDAMNE la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, à verser à Madame [Y] [F] veuve [P] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, aux dépens de première instance engagés à compter du 1er janvier 2019 et aux dépens d'appel.
La greffière Le président