La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/07/2024 | FRANCE | N°22/01395

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 3, 22 juillet 2024, 22/01395


Arrêt n° 24/00332



22 Juillet 2024

---------------

N° RG 22/01395 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FX6D

------------------

Pole social du TJ de METZ

29 Avril 2022

17/01492

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ



CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale





ARRÊT DU



vingt deux Juillet deux mille vingt quatre





APPELANT :



Monsieur [N] [R]

[Adresse 1]

[Local

ité 3]

représenté par l'association ADEVAT-AMP, prise en la personne de Mme [A] [L], salariée de l'association munie d'un pouvoir spécial



INTIMÉS :



L'AGENT JUDICIAIRE DE l' ETAT (AJE)

Ministères économiques et f...

Arrêt n° 24/00332

22 Juillet 2024

---------------

N° RG 22/01395 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FX6D

------------------

Pole social du TJ de METZ

29 Avril 2022

17/01492

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt deux Juillet deux mille vingt quatre

APPELANT :

Monsieur [N] [R]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par l'association ADEVAT-AMP, prise en la personne de Mme [A] [L], salariée de l'association munie d'un pouvoir spécial

INTIMÉS :

L'AGENT JUDICIAIRE DE l' ETAT (AJE)

Ministères économiques et financiers Direction des affaires juridiques

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 4]

représenté par Me Laure HELLENBRAND, avocat au barreau de METZ

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]

représentée par Mme [B], munie d'un pouvoir général

FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 5]

Représenté par Me Sabrina BONHOMME, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Anne FABERT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [N] [R], né le 1er janvier 1951, a travaillé pour le compte des Houillères du Bassin de Lorraine (HBL) devenues l'établissement public Charbonnages de France (CDF) du 30 avril 1975 au 23 octobre 1976, du 7 mars 1977 au 3 août 1978, puis du 11 décembre 1978 au 31 janvier 2001.

Il a occupé les postes suivants, exclusivement au fond :

Unité d'exploitation [Localité 7] :

du 30/04/1975 au 22/06/1975 : apprenti-mineur,

du 23/06/1975 au 19/10/1976 : abatteur-boiseur,

Unité d'exploitation La Houve :

du 20/10/1976 au 23/10/1976 : abatteur-boiseur,

Unité d'exploitation [Localité 7] :

du 07/03/1977 au 03/08/1978 et du 11/12/1978 au 17/01/1979 : boiseur de renforcement,

Vouters SGEL :

du 18/01/1979 au 25/02/1979 : transporteur aides installateur,

Unité d'exploitation [Localité 7] :

du 26/02/1979 au 29/02/1980 : boiseur de renforcement,

du 01/03/1980 au 31/10/1980 : piqueur cheminée,

du 01/11/1980 au 31/12/1980 : abatteur-boiseur,

du 01/01/1981 au 28/02/1982 : piqueur cheminée,

du 01/03/1982 au 31/05/1982 : abatteur-boiseur,

du 01/06/1982 au 31/10/1982 : piqueur cheminée,

du 01/11/1982 au 28/02/1983 : préposé au remblayage hydraulique,

du 01/03/1983 au 30/09/1983 : ripeur soutènement marchant,

du 01/10/1983 au 30/11/1983 : installateur taille ou traçage,

du 01/12/1983 au 31/07/1985 : remblayeur pneumatique,

du 01/08/1985 au 28/02/1986 : installateur taille ou traçage,

du 01/03/1986 au 30/11/1988 : ripeur soutènement marchant,

du 01/12/1988 au 31/03/1989 : installateur taille ou traçage,

du 01/04/1989 au 30/06/1989 : préparateur extrémité taille,

du 01/07/1989 au 31/10/1989 : boiseur de renforcement,

du 01/11/1989 au 31/01/1990 : boiseur foudroyeur,

du 01/02/1990 au 30/04/1990 : ripeur soutènement marchant,

du 01/05/1990 au 31/07/1990 : boiseur foudroyeur,

du 01/08/1990 au 30/09/1990 : préparateur extrémité taille,

du 01/10/1990 au 31/12/1998 : ripeur soutènement marchant,

Unité d'exploitation Merlebach :

du 01/01/1999 au 31/01/2001 : ripeur soutènement marchant.

Il a bénéficié d'un congé charbonnier fin de carrière du 1er février 2001 au 31 décembre 2005.

Par formulaire du 23 novembre 2015, Monsieur [N] [R] a déclaré à la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité Sociale dans les Mines - l'Assurance Maladie des Mines (ci-après la caisse ou CANSSM) une pathologie au titre du tableau n°30B des maladies professionnelles, transmettant avec ladite demande de reconnaissance un certificat médical initial du Docteur [F] du 17 août 2015.

Par décision du 28 juillet 2016, la Caisse a pris en charge la maladie « plaques pleurales » de Monsieur [N] [R] au titre du tableau n°30B des maladies professionnelles, relatif aux affections consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante.

Le 28 novembre 2016, la Caisse a notifié à Monsieur [N] [R] un taux d'incapacité permanente partielle de 5%, lui attribuant une indemnité en capital d'un montant de 1.948,44 euros à la date du 18 août 2015 (lendemain de la date de consolidation).

En parallèle, Monsieur [N] [R] a saisi le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA) d'une demande d'indemnisation et a accepté l'offre du FIVA fixant l'indemnisation de son préjudice comme suit :

préjudice d'incapacité fonctionnelle : 6.506,99 euros,

préjudice moral : 14.600 euros,

préjudice physique : 200 euros,

préjudice d'agrément : 1.100 euros.

Après échec de la tentative de conciliation introduite devant l'Assurance Maladie des Mines par lettre du 6 février 2017, Monsieur [N] [R] a, par courrier recommandé expédié le 28 septembre 2017, saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Moselle (devenu Pôle social du tribunal de grande instance de Metz le 1er janvier 2019, puis Pôle social du tribunal judiciaire de Metz au 1er janvier 2020), d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur dans la survenance de sa maladie professionnelle.

Il convient de préciser que l'établissement public Charbonnages de France a été définitivement liquidé le 31 décembre 2017, ses droits et obligations étant transférés à l'État, représenté par l'Agent Judiciaire de l'État (AJE).

Par ailleurs, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle (CPAM ou caisse) qui agit pour le compte de la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité Sociale dans les Mines (CANSSM) depuis le 1er juillet 2015, a été mise en cause.

Le FIVA est également intervenu à l'instance.

Par jugement du 29 avril 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz a :

déclaré le jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines,

déclaré recevable en la forme le recours de Monsieur [N] [R],

déclaré le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante, subrogé dans les droits de Monsieur [N] [R], recevable en ses demandes,

dit que l'existence d'une faute inexcusable des Houillères du Bassin de Lorraine, devenues Charbonnages de France, aux droits desquels vient l'AJE, dans la survenance de la maladie professionnelle de Monsieur [N] [R] inscrite au tableau n°30B, n'est pas établie,

débouté Monsieur [N] [R] et le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante de leur demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et de leurs demandes subséquentes,

déclaré en conséquence sans objet les demandes de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle,

débouté Monsieur [N] [R] et le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante de leurs demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné in solidum Monsieur [N] [R] et le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante aux entiers frais et dépens de l'instance,

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Par courrier recommandé du 12 mai 2022, Monsieur [N] [R], par l'intermédiaire de son représentant, l'Association de Défense des Victimes d'Accident du Travail, de l'Amiante et des Maladies Professionnelles (ADEVAT-AMP), a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR datée du 3 mai 2022 dont l'accusé de réception ne figure pas au dossier de première instance.

Par conclusions datées du 10 juillet 2023, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son représentant, l'ADEVAT-AMP, Monsieur [N] [R] demande à la cour de :

infirmer le jugement rendu entre les parties le 29 avril 2022,

Statuant à nouveau :

juger que la maladie professionnelle du tableau n°30B de Monsieur [N] [R] est due à la faute inexcusable de l'employeur représenté par l'Agent Judiciaire de l'Etat,

ordonner la majoration du capital à son taux maximal,

juger qu'en cas d'aggravation, le principe de la majoration restera acquis,

débouter l'AJE de l'ensemble de ses conclusions, fins et prétentions,

le condamner à payer à Monsieur [N] [R] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions datées du 24 mai 2024, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son conseil, l'AJE demande à la cour de :

A TITRE D'APPEL INCIDENT ET A TITRE PRINCIPAL :

confirmer le jugement du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz en date du 29 avril 2022 en toutes ses dispositions,

EN CONSEQUENCE :

débouter Monsieur [N] [R] et le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante et la CPAM de Moselle de toutes ses demandes formées à l'encontre de l'AJE,

A TITRE SUBSIDIAIRE : si par extraordinaire la faute inexcusable était confirmée :

réduire à de plus juste proportions les demandes indemnitaires,

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

rejeter la demande d'article 700 du CPC,

dire n'y avoir lieu à dépens.

Par conclusions datées du 11 juillet 2023, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son conseil, le FIVA demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris, et, statuant à nouveau,

déclarer recevable la demande formée par Monsieur [N] [R], dans le seul but de faire reconnaître l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur,

déclarer recevable la demande du Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante, subrogé dans les droits de Monsieur [N] [R],

dire que la maladie professionnelle dont est atteint Monsieur [N] [R] est la conséquence de la faute inexcusable des Charbonnages de France,

fixer à son maximum la majoration de l'indemnité en capital prévue à l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale, soit 1.948,44 euros, et dire que la CPAM de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM devra verser cette majoration de capital à Monsieur [N] [R],

dire que cette majoration devra suivre l'évolution du taux d'incapacité permanente de Monsieur [N] [R], en cas d'aggravation de son état de santé,

dire qu'en cas de décès de la victime imputable à sa maladie professionnelle due à l'amiante, le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente de son conjoint survivant,

fixer l'indemnisation des préjudices personnels de Monsieur [N] [R] comme suit :

souffrances morales : 14.600 euros,

souffrances physiques : 200 euros,

préjudice d'agrément : 1.100 euros,

Total : 15.900 euros,

dire que la CPAM de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM devra verser cette somme au FIVA, créancier subrogé, en application de l'article L.452-3 alinéa 3, du code de la sécurité sociale,

Y ajoutant,

condamner l'Agent Judiciaire de l'Etat en tant que repreneur du contentieux de l'ancien EPIC Charbonnages de France à payer au FIVA une somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la partie succombante aux dépens, en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.

Par conclusions datées du 18 janvier 2023, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son représentant, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM demande à la cour de :

donner acte à la Caisse qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à l'AJE,

Le cas échéant :

donner acte à la Caisse qu'elle s'en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de l'indemnité en capital réclamée par le FIVA,

en tout état de cause, fixer la majoration de l'indemnité en capital dans la limite de 1.948,44 euros,

constater que la Caisse ne s'oppose pas à ce que le principe de la majoration de l'indemnité en capital reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès de Monsieur [N] [R] consécutivement à sa maladie professionnelle,

prendre acte que la Caisse ne s'oppose pas à ce que la majoration de l'indemnité en capital suive l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle de Monsieur [N] [R],

donner acte à la Caisse qu'elle s'en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant des préjudices extrapatrimoniaux subis par Monsieur [N] [R],

le cas échéant, de rejeter toute éventuelle demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle n°30B de Monsieur [N] [R],

en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, de condamner l'AJE à rembourser à la CPAM de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM l'ensemble des sommes en principal et intérêts, que cet organisme sera tenu d'avancer sur le fondement des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale au titre de la pathologie professionnelle de Monsieur [N] [R] inscrite au tableau n°30B.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.

SUR CE

SUR L'EXPOSITION PROFESSIONNELLE AU RISQUE :

Monsieur [N] [R] sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce que les premiers juges ont estimé que les attestations produites par ses soins manquaient de force probante. A hauteur d'appel, Monsieur [N] [R] produit de nouveaux témoignages circonstanciés pour prouver son exposition au risque amiante, certains témoignages étant accompagnés des relevés de carrière des témoins. Il ajoute que l'amiante était présent et utilisé massivement dans les travaux du fond, ce qui est établi par les pièces générales versées par l'AJE, et qu'au regard de son parcours professionnel et des outils employés au fond de la mine, il a nécessairement été exposé aux poussières d'amiante.

Le FIVA soutient les arguments développés par Monsieur [N] [R] et considère que l'exposition de ce dernier à l'inhalation de poussières d'amiante est incontestable.

L'AJE sollicite la confirmation du jugement entrepris et conteste l'exposition de Monsieur [N] [R] au risque prévu par le tableau n°30B des maladies professionnelles. Il critique les attestations produites, en ce que les écritures des témoignages rédigés par les mêmes témoins, en première instance et en cause d'appel sont différentes. Il ajoute qu'en tout état de cause les attestations sont imprécises, notamment quant à la qualité de collègues directs de la victime, et manquent dès lors de force probante.

La Caisse s'en remet à l'appréciation de la cour.

***********************

Aux termes de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions désignées dans ce tableau. Pour renverser cette présomption, il appartient à l'employeur de démontrer que la maladie est due à une cause totalement étrangère au travail.

Le tableau n°30B désigne les plaques pleurales confirmées par un examen tomodensitométrique comme maladie provoquée par l'inhalation de poussières d'amiante. Ce tableau prévoit un délai de prise en charge de 40 ans et une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer cette affection.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la maladie dont se trouve atteint Monsieur [N] [R] répond aux conditions médicales du tableau n°30B. Seule est discutée l'exposition professionnelle du salarié au risque d'inhalation de poussières d'amiante.

Il convient de rappeler que les plaques pleurales sont une maladie caractéristique de l'inhalation de poussières d'amiante, et que la liste des travaux prévue au tableau 30B des maladies professionnelles est simplement indicative des travaux susceptibles d'entraîner les affections consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante, de sorte que ce tableau n'impose pas que le salarié ait directement manipulé des produits amiantés, seul important le fait qu'il ait effectué des travaux l'ayant conduit à inhaler habituellement des poussières d'amiante.

Il résulte du relevé de périodes et d'emplois établi par l'Agence Nationale pour la Garantie des Droits des Mineurs (pièce n°2 de l'ADEVAT-AMP), que Monsieur [N] [R] a travaillé au sein des Houillères du Bassin de Lorraine, devenues les Charbonnages de France, exclusivement au fond, du 30 avril 1975 au 23 octobre 1976, du 7 mars 1977 au 3 août 1978, puis du 11 décembre 1978 au 31 janvier 2001, aux postes suivants : apprenti-mineur, abatteur-boiseur, boiseur de renforcement, transporteur aide installateur, piqueur cheminée, préposé au remblayage hydraulique, ripeur soutènement marchant, installateur taille ou traçage, préparateur extrémité taille, et boiseur foudroyeur.

Monsieur [N] [R] verse aux débats les témoignages établis par trois anciens collègues de travail, à savoir Messieurs [G] [I], [Z] [V] et [D] [P] (pièces n°7 à 9 de l'ADEVAT-AMP). L'AJE entend quant à lui remettre en cause l'authenticité de ces témoignages en indiquant qu'il n'est pas possible d'établir la qualité de collègues de travail directs des témoins. Il précise que Monsieur [Z] [V] a modifié les périodes d'emplois communes entre l'attestation produite en première instance et celle versée en cause d'appel et qu'en outre les écritures figurant sur les deux témoignages sont différentes, ce qui laisse le doute quant à l'auteur desdits témoignages. L'AJE se prévaut du fait que le témoignage de Monsieur [D] [P] n'est pas dactylographié et ne respecte dès lors pas les prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile.

Il convient de rappeler que les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité et qu'en tout état de cause, si une attestation ne respecte pas les conditions de l'article susvisé, il appartient au juge du fond d'apprécier souverainement si ladite attestation, non conforme, présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.

En l'espèce, si les témoignages des témoins présentent effectivement des écritures différentes des attestations produites en première instance, et si un témoignage n'est pas manuscrit, il n'y a pas lieu de les écarter pour ce seul motif. En effet, il est relevé que les témoignages comportent la mention selon laquelle les témoins sont informés de ce qu'ils seront produits en justice et qu'ils encourent des sanctions pénales en cas de fausse déclaration. Ainsi, si certains témoins, ont reçu une aide pour rédiger de manière efficiente les faits vécus qu'ils souhaitaient rapporter, cette aide à la rédaction, même si elle est différente selon les procédures, ne remet pas en cause l'authenticité des témoignages personnels que chaque salarié a souhaité apporter. En apposant leur signature à l'issue du témoignage, les témoins ont reconnu la véracité des faits relatés dans les attestations, quand bien même ils n'auraient pas été en mesure de les rédiger de leur main, étant rappelé que leurs pièces d'identité permettent de vérifier l'identité du signataire des déclarations.

Par ailleurs, contrairement aux critiques formulées par l'AJE, il apparaît que les témoignages produits aux débats ne sont pas stéréotypés, dès lors que les trois attestations sont distinctes et comportent des passages qui leur sont propres.

La cour relève que les témoins allèguent avoir travaillé directement avec Monsieur [N] [R], Messieurs [G] [I] et [Z] [V] ayant joint leurs relevés de carrière qui permettent de confirmer qu'ils ont bien travaillé directement avec l'appelant (pièces n°7A et 8A de l'ADEVAT-AMP).

En l'absence de relevé de carrière, le témoignage de Monsieur [D] [P] n'est pas suffisamment détaillé pour retenir qu'il a bien travaillé aux côtés de Monsieur [N] [R], le témoin ne précisant pas de période commune d'activité, et son attestation n'étant pas circonstanciée (pièce n°9 de l'ADEVAT-AMP).

En conséquence, seules les attestations de Messieurs [G] [I] et [Z] [V] seront retenues puisqu'il est établi que les deux témoins ont été des collègues de travail directs de Monsieur [N] [R], ces informations n'étant pas utilement contredites par l'AJE.

Monsieur [G] [I] déclare que Monsieur [N] [R] et lui-même utilisaient « des perforatrices à air comprimé, des marteaux piqueurs à air comprimé qui contenaient des joints en amiante qu'il fallait remplacer par nos soins, des palans également contenant des joints en amiante. Les conduites d'air comprimé devaient être démontées et remontées et contenaient aussi des joints en amiante. Les scrappeurs aussi contenaient des joints à base d'amiante. Les poussières d'amiante dégagées par les chantiers lors du raccourcissement des chaînes sur les convoyeurs blindés dont les garnitures contenaient de l'amiante étaient inhalées par tous les mineurs. Le chargement du charbon et les tirs d'explosifs faisaient voler toutes ces poussières mélangées » (pièce n°7 de l'ADEVAT-AMP).

Monsieur [Z] [V] expose que « le monorail qui transportait le personnel et le matériel était équipé de freins qui contenaient de l'amiante. Les poussières dégagées par le frottement étaient respirées par tout le personnel. Les perforatrices ainsi que les marteaux piqueurs et les convoyeurs blindés avaient des garnitures de freins à base d'amiante » (pièce n°8 de l'ADEVAT-AMP).

Les attestations produites aux débats sont suffisamment précises et circonstanciées pour que la cour retienne leur force probante, l'AJE n'apportant aucun élément permettant de contester leur bien-fondé, ou de remettre en cause la sincérité des auteurs et la réalité des tâches décrites par ces derniers.

Il convient de relever que la présence d'amiante dans les équipements utilisés au fond résulte du rapport annuel de la Commission d'Hygiène et de sécurité du Bassin du 3 septembre 1996 annexé au compte-rendu de la réunion du Comité de Bassin du 12 septembre 1996, alors que l'exploitant minier y a indiqué rechercher « les lieux potentiels où de l'amiante pourrait être présente ainsi que des matériaux contenant de l'amiante » (pièce n°58 de l'AJE).

Par ailleurs, il découle des autres éléments produits par l'AJE, et notamment de l'Etude [T] (pièce n°82 de l'AJE), que des poussières fines contenant de l'amiante étaient déposées sur les carters de freins des chargeurs transporteurs et qu'une pollution par des fibres d'amiante était localisée dans le carter du système de freinage des treuils monorail, étant relevé que, si l'étude conclut in fine à une pollution par fibres d'amiante « négligeable », les tests ainsi pratiqués dans cette étude n'ont pas été réalisés en conditions réelles dans un chantier de fond mais en laboratoire, une seule machine étant testée à la fois en position statique.

Il apparaît ainsi constant que la friction des organes de freins des différentes installations et machines utilisées au fond de la mine à la période d'emploi de Monsieur [N] [R] ont été de nature à exposer habituellement l'intéressé à l'inhalation de poussières d'amiante durant ses nombreuses années d'activité au fond, et ce dans un contexte de confinement résultant de la configuration de la mine.

Les éléments présentés par l'AJE, qui concluent à une pollution minime au regard de l'inhalation de poussières d'amiante pour certains matériels ne sauraient écarter la présomption d'imputabilité qui découle de l'établissement de l'exposition habituelle à l'inhalation de poussières d'amiante, indépendamment de la question de la nocivité, le tableau n°30 ne fixant pas de seuil d'exposition à l'agent nocif.

Dans ces conditions, il doit être admis que Monsieur [N] [R] a été exposé de façon habituelle au risque d'inhalation des poussières d'amiante durant sa carrière aux Houillères du bassin de Lorraine.

Dès lors, la présomption d'imputabilité de la maladie au travail trouve à s'appliquer, et l'AJE n'apportant pas la preuve contraire que le travail n'a joué aucun rôle dans le développement de la maladie, le caractère professionnel de la maladie dont se trouve atteint Monsieur [N] [R] est établi à l'égard de l'établissement public Charbonnages de France auquel l'AJE est substituée. Le jugement entrepris est infirmé en ce sens.

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR :

Monsieur [N] [R] sollicite l'infirmation du jugement entrepris et fait valoir que compte tenu de l'inscription des affections respiratoires liées à l'amiante dans un tableau des maladies professionnelles à partir de 1945, des connaissances scientifiques raisonnablement accessibles à l'époque, de la réglementation applicable relative à la protection contre les poussières et de l'importance de l'organisation et de l'activité de cet employeur, celui-ci aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié ; que ni l'information, ni les moyens nécessaires à sa protection n'ont été mis en 'uvre par Charbonnages de France. Il précise qu'il a produit d'autres témoignages, plus circonstanciés, en appel, afin d'étayer ses propos.

Le FIVA soutient les arguments de Monsieur [N] [R].

L'AJE sollicite la confirmation du jugement entrepris et soutient, outre la contestation de l'exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante, que les Houillères du Bassin de Lorraine ne pouvaient avoir conscience avant 1996 du risque et qu'elles ont mis en 'uvre tous les moyens nécessaires pour protéger les salariés des risques connus à chacune des époques de l'exploitation, avec les données connues et les mesures de protection qui existaient ; qu'elles ont parfaitement satisfait à leur obligation de prévention et de sécurité et qu'aucun défaut d'information ne peut leur être reproché. Il ajoute que très tôt les Houillères se sont préoccupées des masques et de leur efficacité et ont 'uvré contre l'empoussièrement par la mise en place et l'amélioration constante des systèmes, d'abattage des poussières, d'aérage et de capotage. Il fait également valoir que ce n'est qu'en 1996 qu'ont été introduits dans la liste du tableau n°30 des maladies professionnelles, les travaux d'équipement, d'entretien ou de maintenance effectués sur des matériels ou dans des locaux revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante de sorte que les HBL ne pouvaient pas, dans ce contexte, avoir conscience du danger du risque amiante.

Il critique les attestations produites, estimant que les nombreuses pièces générales produites par ses soins viennent contredire les affirmations du salarié et de ses témoins.

La Caisse s'en remet à l'appréciation de la cour concernant l'établissement de la faute inexcusable.

***********************

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise.

Les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l'employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.

Dans le cadre de son obligation générale de sécurité, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La preuve de la faute inexcusable de l'employeur incombe à la victime. La faute inexcusable doit s'apprécier en fonction de la législation en vigueur et des connaissances scientifiques connues ou susceptibles de l'avoir été par l'employeur aux périodes d'exposition au risque du salarié.

Sur la conscience du danger par l'employeur :

La dangerosité de l'amiante est connue en France depuis le début du XXème siècle au moins, notamment grâce au Bulletin de l'inspection du travail de 1906 faisant état de très nombreux cas de fibroses chez les ouvriers de filatures et tissage.

Dans les années 1930, plusieurs publications ont également alerté sur l'exposition professionnelle à l'amiante et le développement de certaines pathologies. Ainsi, en 1930, une publication du Docteur [C] dans la revue La médecine du travail établissait déjà un lien de causalité entre l'asbestose et le travail des ouvriers de l'amiante, et comprenait déjà des recommandations précises en direction des industriels sur les mesures à prendre afin de réduire l'empoussièrement. A partir de 1935 d'autres publications ont fait un lien entre l'exposition professionnelle à l'amiante et le cancer broncho-pulmonaire.

Les maladies engendrées par les poussières d'amiante ont été inscrites pour la première fois au tableau des maladies professionnelles en 1945, et un tableau spécifique aux pathologies consécutives à l'inhalation des poussières d'amiante (asbestose) a été créé en 1950, avec inscription des travaux de calorifugeage au moyen d'amiante dès 1951. La liste des travaux susceptibles d'entraîner les maladies inscrites au tableau n°30A est devenue simplement indicative par décret n°55-1212 du 13 septembre 1955.

Dès lors, les éventuelles carences des pouvoirs publics s'agissant de la protection des travailleurs exposés à l'amiante ne peuvent tenir lieu de fait justificatif et exonérer l'employeur de sa propre responsabilité.

Ainsi, dès le début des années 1950, tout employeur avisé était tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de la fibre d'amiante.

Un décret du 17 août 1977 a fixé des limites de concentration moyenne de fibres d'amiante dans les locaux de travail ainsi que les règles de protection générale ou à défaut individuelle à appliquer. Si ce décret n'était pas applicable aux mines, il ne pouvait qu'alerter à nouveau les Charbonnages de France sur la nocivité de l'amiante. D'ailleurs, il résulte des pièces même produites par l'AJE que les Charbonnages de France disposaient d'un service médical interne conséquent et performant dont faisait partie le docteur [K], entré dans l'entreprise en 1977, l'intéressé ayant rédigé sa thèse de docteur en médecine sur l'amiante, ses risques et son utilisation sur les lieux de travail. Sans compter l'existence au sein des Charbonnages de France d'un centre d'études et de recherche (le CERCHAR) à la compétence internationale reconnue en la matière.

Compte tenu de sa dimension et des moyens corrélatifs dont il disposait pour exploiter les informations et les données scientifiques déjà connues à cette époque, sur les dangers liés à l'exposition habituelle à l'inhalation de poussières d'amiante, l'employeur ne pouvait pas ne pas avoir conscience, à l'époque de la période d'emploi de Monsieur [N] [R], des risques sanitaires graves, d'ores et déjà révélés par de nombreuses publications, auxquels se trouvaient exposés son salarié.

Ainsi, au vu de ce qui vient d'être développé et compte tenu des emplois exercés par Monsieur [N] [R] au fond des mines, il en résulte que les HBL puis les Charbonnages de France ne pouvaient ignorer le risque encouru par l'intéressé.

Sur les mesures prises par l'employeur pour préserver le salarié :

S'agissant des mesures de protection mises en 'uvre, une réglementation en matière de protection contre l'empoussiérage a existé très tôt et a connu une évolution particulière à partir de 1951, date du décret n°51-508 du 04 mai 1951 portant règlement général sur l'exploitation des mines dont l'article 314 énonce : « Des mesures sont prises pour protéger les ouvriers contre les poussières dont l'inhalation est dangereuse ». Également, une instruction du 15 décembre 1975 relative aux mesures de prévention médicales dans les mines de houille a introduit la notion de pneumoconiose autre que la silicose, et a préconisé des mesures de prévention telles que des mesures d'empoussiérage, de classement des chantiers empoussiérés, de détermination de l'aptitude des travailleurs aux différents chantiers et de leur affectation dans les chantiers empoussiérés.

Monsieur [G] [I] rappelle que les poussières volaient en raison du chargement du charbon et des tirs à l'explosif, et ajoute que « les masques utilisés à cette époque étaient en nombre insuffisant et pas du tout adaptés à nos travaux. Aucune information n'était donnée aux mineurs contre les dangers des poussières d'amiante. Nous n'étions pas obligés de porter un masque qui, de toute façon, était inefficace » (pièce n°7 de l'ADEVAT-AMP).

Monsieur [Z] [V] relate que « les mesures d'empoussiérage étaient contournées en utilisant des pulvérisateurs d'eau ou faites lorsque l'activité n'était pas au rythme normal. Il y avait un arrosage sur des machines mais souvent bouché. Les masques donnés se colmataient avec la transpiration et se déformaient alors ils n'étaient déjà plus étanches. Nous avions des chaussures de sécurité obligatoires mais le port du masque ne l'était pas » (pièce n°8 de l'ADEVAT-AMP).

Ces témoignages ne sont pas utilement contestés par l'AJE qui ne verse au dossier aucun élément de nature à remettre en cause la sincérité de leurs auteurs et le caractère authentique des faits relatés.

Par ailleurs, il est constant que les mineurs ne pouvaient pas se protéger efficacement contre un danger dont ils ignoraient l'existence, l'exploitant minier n'ayant pas informé ces derniers des risques, pour leur santé, de l'inhalation de poussières d'amiante.

Ainsi les témoins confirment-t-ils que Monsieur [N] [R] et eux-mêmes ne disposaient pas de protections individuelles respiratoires efficaces contre les poussières d'amiante, que les systèmes d'arrosage et d'aération étaient inefficaces, et qu'ils n'ont jamais bénéficié de campagnes de prévention quant aux dangers liés à l'inhalation de poussières d'amiante.

Il sera relevé que l'AJE ne peut sans contradiction prétendre que les Houillères du Bassin de Lorraine, puis les Charbonnages de France, ne pouvaient pas avoir conscience du danger lié au risque amiante avant 1996, et en même temps affirmer qu'ils ont pris les mesures nécessaires pour protéger Monsieur [N] [R] contre ce risque.

Ensuite, l'examen des pièces générales produites par l'AJE établit que la lutte contre les poussières avait manifestement pour objectif essentiel la lutte contre la silicose.

Ces documents ne sont en effet pas de nature à contrecarrer les témoignages fournis par la victime et à démontrer qu'elle a bénéficié de protections efficaces, alors, d'une part, que les poussières d'amiante beaucoup plus fines que les poussières de silice nécessitaient des protections respiratoires spécifiques, et qu'il ressort d'autre part, d'une annexe au compte rendu de la réunion du Comité de Bassin du 12 septembre 1996 qu'une action de sensibilisation de l'ensemble du personnel concernant l'amiante était seulement, à cette date, en préparation (pièce n°58 de l'AJE).

Enfin, quant aux dispositifs de prévention médicale mis en avant par l'AJE, il apparaît nécessaire de rappeler que si ces dispositifs permettaient de détecter une éventuelle pathologie et d'en éviter potentiellement l'aggravation, ils n'avaient aucunement pour vocation de prévenir l'apparition des maladies. En outre, il n'est pas établi que Monsieur [N] [R] en aurait personnellement bénéficié.

En l'état de l'ensemble de ces constatations, il doit donc être retenu que les Charbonnages de France, qui avaient conscience du danger auquel Monsieur [N] [R] était exposé, n'ont pas pris les mesures de protection individuelle nécessaires pour l'en préserver et ont ainsi commis une faute inexcusable à son égard.

Il s'ensuit que la maladie professionnelle inscrite au tableau n°30B dont est atteint Monsieur [N] [R] doit être déclarée due à la faute inexcusable de Charbonnages de France, le jugement du 29 avril 2022 étant donc infirmé sur ce point.

SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES DE LA FAUTE INEXCUSABLE :

Sur la majoration de l'indemnité en capital

Monsieur [N] [R] et le FIVA sollicitent la majoration de l'indemnité en capital qui lui a été octroyée à son taux maximal, et que la Caisse effectue le versement de ladite majoration directement entre les mains de ce dernier.

La CPAM s'en remet à la cour quant à la majoration sollicitée par Monsieur [N] [R] et le FIVA et rappelle que le montant ne pourra excéder le montant de l'indemnité en capital versée, soit 1.948,44 euros. Elle ajoute qu'elle ne s'oppose pas à ce que la majoration suive l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle de Monsieur [N] [R], ni à ce que le principe de la majoration reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant en cas de décès de l'assuré consécutivement à sa maladie professionnelle.

L'AJE ne formule pas d'observations à ce titre dans ses écritures.

*******************

Aux termes de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a le droit à une indemnisation complémentaire.

Aux termes de l'article L.452-2, alinéas 1, 2 et 6, du code de la sécurité sociale, « dans le cas mentionné à l'article précédent [faute inexcusable de l'employeur], la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre. Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité. ['] La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret ».

Il est constant que la Caisse a notifié à Monsieur [N] [R], le 28 novembre 2016, un taux d'incapacité permanente partielle de 5%, avec attribution d'une indemnité en capital d'un montant de 1.948,44 euros.

Aucune discussion n'existe à hauteur de cour concernant la majoration au maximum de l'indemnité en capital versée à Monsieur [N] [R], par conséquent ladite indemnité sera majorée au maximum conformément aux conditions définies par l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale, dans la limite de 1.948,44 euros, étant admis que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle résultant d'une aggravation de l'état de santé de Monsieur [N] [R], et que le principe de la majoration restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant en cas de décès de l'assuré consécutivement à la maladie professionnelle dont il souffrait.

Cette majoration sera versée par la Caisse directement à Monsieur [N] [R].

Sur les préjudices personnels de Monsieur [N] [R]

Il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale qu'« indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. [...] La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur ».

Les dispositions de cet article, telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010, ne font pas obstacle à ce qu'en cas de faute inexcusable de l'employeur et indépendamment de la majoration de rente servie à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, celle-ci puisse demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation non seulement des chefs de préjudice énumérés par le texte susvisé, mais aussi de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Sur les souffrances physiques et morales

Le FIVA, en sa qualité de créancier subrogé dans les droits de Monsieur [N] [R], sollicite l'indemnisation de ses préjudices comme suit : 14.600 euros au titre du préjudice moral, et 200 euros pour ses souffrances physiques.

L'AJE sollicite le rejet des demandes présentées par Monsieur [N] [R] en indiquant que ce dernier ne peut se prévaloir de l'existence de préjudices, physique et moral, antérieurs à la date de consolidation, dans la mesure où cette dernière coïncide avec la date du premier certificat médical, ceci d'autant qu'il ne produit aucun élément pour en justifier. L'AJE ajoute qu'il appartient à la victime qui se prévaut de souffrances physiques et morales postérieures à la date de consolidation d'en justifier.

Il demande, à titre plus subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires présentées par Monsieur [N] [R].

La Caisse s'en rapporte à la cour.

*******************

Comme indiqué, il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisées à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l'accident ou l'événement qui lui est assimilé.

En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d'incapacité permanente défini à l'article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la Cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n°21-23947). En conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées.

De même, en cas d'attribution d'une indemnité en capital lorsque le taux d'incapacité est inférieur à 10 %, ce qui est le cas de la maladie, plaques pleurales, pour des raisons tenant à son mode de calcul, son montant étant déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret en fonction du taux d'incapacité permanente, il y a lieu d'admettre que cette indemnité ne répare pas davantage les souffrances physiques et morales endurées.

Dès lors le FIVA qui justifie avoir indemnisé la victime est recevable en sa demande d'indemnisation des souffrances physiques et morales subies par l'intéressé sous réserve qu'elles soient caractérisées.

S'agissant des souffrances physiques subies par Monsieur [N] [R], le FIVA produit des pièces médicales (compte-rendu de scanner thoracique, explorations fonctionnelles respiratoires) (pièces n°7 et 8 du FIVA), lesquelles ne permettent pas d'établir la réalité des troubles allégués par le FIVA, ni d'imputer ces derniers à la maladie professionnelle dont Monsieur [N] [R] est atteint.

Ainsi, le FIVA, subrogé dans les droits de Monsieur [N] [R], sera donc débouté de sa demande d'indemnisation des souffrances physiques.

S'agissant du préjudice moral, Monsieur [N] [R] était âgé de 63 ans lorsqu'il a appris qu'il était atteint de plaques pleurales. L'anxiété indissociablement liée au fait de se savoir atteint d'une maladie irréversible due à l'amiante, dont bon nombre de ses anciens collègues sont atteints parfois de formes plus graves ou sont décédés, et aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance, sera réparée par l'allocation de la somme de 12.000 euros de dommages-intérêts, eu égard à l'existence d'une maladie professionnelle due à l'amiante, à la nature de la pathologie en cause et à l'âge de Monsieur [N] [R] au moment de son diagnostic.

Sur le préjudice d'agrément

L'indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu'il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d'une activité spécifique sportive ou de loisir qu'il lui est désormais impossible de pratiquer.

En l'espèce, le FIVA, subrogé dans les droits de Monsieur [N] [R], sollicite l'octroi d'une indemnité de 1.100 euros en réparation de son préjudice d'agrément, lequel n'est pas détaillé dans ses écritures.

L'AJE s'oppose à l'indemnisation du préjudice d'agrément en indiquant que Monsieur [N] [R] ne produit pas d'éléments susceptibles de justifier d'un tel préjudice.

La Caisse s'en rapport à la sagesse de la cour.

********

En l'espèce, force est de constater que le FIVA ne rapporte pas la preuve de la pratique régulière par Monsieur [N] [R] antérieurement à sa maladie professionnelle d'une activité spécifique sportive ou de loisir, quelle qu'elle soit.

La demande présentée par le FIVA au titre du préjudice d'agrément sera ainsi rejetée.

SUR L'ACTION RECURSOIRE DE LA CAISSE :

Aux termes de l'article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur introduites devant les Tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, il apparaît « quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L.452-3 du même code ».

En outre, les articles L.452-2, alinéa 6, et D.452-1 du code de la sécurité sociale, applicables aux décisions juridictionnelles relatives aux majorations de rentes et d'indemnités en capital rendues après le 1er avril 2013, prévoient en outre que le capital représentatif des dépenses engagées par la Caisse au titre de la majoration est, en cas de faute inexcusable, récupéré dans les mêmes conditions et en même temps que les sommes allouées au titre de la réparation des préjudices mentionnés à l'article L.452-3.

Aucune discussion n'existant à hauteur d'appel sur ce point, la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, est fondée à exercer son action récursoire à l'encontre de l'AJE.

Par conséquent, l'AJE doit être condamné à rembourser à la CPAM de Moselle, les sommes qu'elle sera tenue d'avancer au titre de la majoration de l'indemnité en capital, ainsi que des préjudices extrapatrimoniaux subis par Monsieur [N] [R].

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :

L'issue du litige conduit la cour à infirmer les dispositions du jugement entrepris ayant condamné in solidum Monsieur [N] [R] et le FIVA aux dépens de la première instance.

L'AJE sera condamné à verser 2.500 euros à Monsieur [N] [R] et 2.000 euros au FIVA, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de la première instance engagés à compter du 1er janvier 2019 et aux dépens de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

INFIRME le jugement entrepris du 29 avril 2022 du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz, sauf en ce qu'il a :

déclaré le jugement commun à la CPAM de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM,

déclaré recevable en la forme le recours de Monsieur [N] [R],

déclaré le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante, subrogé dans les droits de Monsieur [N] [R], recevable en ses demandes,

Statuant à nouveau sur les points infirmés,

DIT que la maladie professionnelle déclarée par Monsieur [N] [R] inscrite au tableau n°30B des maladies professionnelles est due à la faute inexcusable de son employeur, l'EPIC Charbonnages de France, anciennement Houillères du Bassin de Lorraine, aux droits duquel vient l'Agent Judiciaire de l'État (AJE),

ORDONNE la majoration au maximum de l'indemnité en capital allouée à Monsieur [N] [R] au titre de sa maladie professionnelle n°30B dans les conditions telles que définies à l'article L.452-2 alinéas 1 et 2 du code de la sécurité sociale, soit dans la limite de 1.948,44 euros,

ORDONNE à la CPAM de Moselle, intervenant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines, de verser la majoration de l'indemnité en capital directement à Monsieur [N] [R],

DIT que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle de Monsieur [N] [R], en cas d'aggravation de son état de santé due à sa maladie professionnelle du tableau n°30B,

DIT qu'en cas de décès de Monsieur [N] [R], résultant des conséquences de sa maladie professionnelle du tableau n°30B, le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant,

FIXE l'indemnité en réparation du préjudice moral de Monsieur [N] [R] à la somme de 12.000 euros (douze mille euros), et DIT que cette somme, qui portera intérêt au taux légal à compter de la présente décision, devra être versée au FIVA, créancier subrogé dans les droits de Monsieur [N] [R], par la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines, et si besoin l'y CONDAMNE,

DEBOUTE le FIVA, subrogé dans les droits de Monsieur [N] [R] de ses demandes au titre des souffrances physiques, et du préjudice d'agrément,

CONDAMNE l'AJE à rembourser à la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines, les sommes, en principal et intérêts, qu'elle aura versées à Monsieur [N] [R] au titre de la majoration de l'indemnité en capital et des préjudices extrapatrimoniaux de la victime, sur le fondement des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale,

CONDAMNE l'AJE à payer à Monsieur [N] [R], la somme de 2.500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE l'AJE à payer au FIVA la somme de 2.000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE l'AJE aux dépens de première instance engagés à compter du 1er janvier 2019 et aux dépens d'appel.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 3
Numéro d'arrêt : 22/01395
Date de la décision : 22/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-22;22.01395 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award