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03/07/2024 | FRANCE | N°22/00649

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 03 juillet 2024, 22/00649


Arrêt n° 24/00275



03 juillet 2024

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N° RG 22/00649 -

N° Portalis DBVS-V-B7G-FWHB

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Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de FORBACH

21 février 2022

F20/00068

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1









ARRÊT DU



Trois juillet deux mille vingt quatre







APPELANTES

:



Association UNEDIC délégation CGEA AGS FAILLITE TRANSNATIONALE prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Yaël CYTRYNBLUM, avocat au barreau de SARREGUEMINES



S...

Arrêt n° 24/00275

03 juillet 2024

---------------------

N° RG 22/00649 -

N° Portalis DBVS-V-B7G-FWHB

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de FORBACH

21 février 2022

F20/00068

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Trois juillet deux mille vingt quatre

APPELANTES :

Association UNEDIC délégation CGEA AGS FAILLITE TRANSNATIONALE prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Yaël CYTRYNBLUM, avocat au barreau de SARREGUEMINES

SAS KUHN prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Xavier PELISSIER, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMÉS :

M. [R] [F]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Sarah SCHIFFERLING-ZINGRAFF, avocat au barreau de SARREGUEMINES

Me [I] [D] ès qualités de mandataire liquidateur de la société ATOMPRO GMBH

[Adresse 4]

[Localité 6] (ALLEMAGNE)

SAS KUHN prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Xavier PELISSIER, avocat au barreau de STRASBOURG

UNEDIC délégation AGS CGEA ILE DE FRANCE OUEST FAILLITE TRANSNATIONALE prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Yaël CYTRYNBLUM, avocat au barreau de SARREGUEMINES

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 octobre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;

Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [R] [F] a été embauché à compter du 23 juin 2015 en qualité de monteur par l'entreprise de travail temporaire de droit allemand Atompro GMBH en exécution d'un contrat de travail à durée indéterminée. A compter du 24 juin 2015 jusqu'au 31 décembre 2019 M. [F] a travaillé au sein de la société Kuhn sise à [Localité 10].

La société Atompro GMBH a été mise en liquidation judiciaire le 16 novembre 2019.

M. [F] a été licencié par le liquidateur, Maître [D], par courrier en date du 28 janvier 2020 à effet au 31 mars 2020.

Par requête enregistrée au greffe le 11 mai 2020, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Forbach d'une demande de requalification en contrat en contrat à durée indéterminée à l'encontre de la société Kuhn.

Par requête enregistrée au greffe le 14 janvier 2021, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Forbach d'une demande d'indemnité de fin de contrat à l'encontre de la liquidation judiciaire de la société Atompro GmbH et du CGEA-AGS IDF Ouest Faillite internationale'.

La jonction des deux procédures a été ordonnée le 22 mars 2021.

Par jugement contradictoire du 21 février 2022, le conseil de prud'hommes de Forbach dans sa formation de départage a statué comme suit :

«'Requalifie la relation de travail de M. [F] avec la SAS Kuhn en contrat de travail à durée indéterminée et dit que la rupture de la relation de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SAS Kuhn, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [F] les sommes suivantes :

- 1 209,44 € brut au titre de rappels de salaires

- 2 739,67 € net au titre de l'indemnité de requalification

- 5 479,34 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 547,93 € brut au titre des congés payés y afférents

- 3 082,12 € net au titre de l'indemnité de licenciement

- 10 958,68 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent jugement

Rejette l'exception d'irrecevabilité soulevée par Me [D] es qualité de liquidateur de la société Atompro GMBH

Dit que la loi française s'applique au contrat de travail de M. [R] [F]

Fixe la créance de M. [R] [F] au passif de la société Atompro GMBH à la somme de

14 794,21 €

Déclare la présente décision opposable au CGEA-AGS IDF Ouest et dit qu'il devra sa garantie en paiement de ces sommes

Condamne à ce titre le CGEA-AGS IDF Ouest à payer à M. [F] la somme de 14 794,21 € brut, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du présent jugement

Ordonne le remboursement par la SAS Kuhn, entreprise employant plus de 11 salariés à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à M. [F] dans la limite du présent jugement

Rappelle que sont exécutoires de plein droit les condamnations ordonnant la délivrance des pièces que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de paie, certificat de travail) et celles ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnés au 2° de l'article R 1454-14, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, étant précisé que la moyenne des trois derniers mois est fixée à 2 739,67 € ;

Condamne la SAS Kuhn à payer à M. [F] la somme de 250 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [F] pour le CGEA-AGS IDF Ouest et Me [D] es qualité de liquidateur de la société Atompro GMBH;

Condamne la SAS Kuhn aux dépens.'».

Par déclaration électronique transmise le 15 mars 2022, l'Association Unedic CGEA AGS Ile de France Ouest a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par déclaration électronique transmise le 17 mars 2022, la société Kuhn a également régulièrement interjeté appel du jugement.

Les deux procédures d'appel ont été enregistrées sous les numéros RG 22/00649 et 22/00674.

Par ses dernières conclusions récapitulatives et responsives d'appelante datées du 24 juin 2022 transmises dans la procédure enregistrée sous le numéro RG 22/00649, l'Association Unedic CGEA AGS Ile de France Ouest demande à la cour de statuer comme suit :

«'Dire et juger l'appel recevable et bien fondé ;

En conséquence,

Infirmer partiellement le jugement rendu le 21 février 2022 par le conseil de prud'hommes de Forbach sous la référence F 20/00068 ;

Statuant à nouveau,

Vu la loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008,

Vu les articles L 3253-18-1 et suivants du code du travail,

Vu les dispositions du règlement européen du 29 mai 2000,

Vu l'absence de déclaration de créance par M. [F] entre les mains de l'administrateur judiciaire allemand,

Mettre le CGEA AGS Faillites Transnationales hors de cause ;

Débouter M. [F] de sa demande d'indemnité de fin de contrat ;

Le débouter de sa demande reconventionnelle de condamnation aux dépens d'instance et d'appel ainsi que de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire,

Dire et juger que la garantie de l'AGS n'a vocation à s'appliquer que dans les limites des dispositions des articles L. 3253-8 et suivants du code du travail ;

Dire et juger qu'au regard du principe de subsidiarité, le CGEA-AGS ne doit sa garantie qu'autant qu'il n'existe pas de fonds disponibles dans la procédure collective ;

Dire et juger que le CGEA AGS ne garantit que les montants dus au titre de l'exécution du contrat de travail ;

Dire et juger qu'en application des dispositions de l'article L 621-48 du code de commerce, les intérêts cessent de courir à compter du jour de l'ouverture de la procédure collective.'».

L'organisme de garantie fait valoir à titre principal que la mise en jeu de sa garantie en présence d'une faillite transnationale nécessite que M. [F] soit en mesure de justifier d'une déclaration de créance selon les règles applicables en matière de procédure collective allemande.

L'AGS soutient que le code allemand de l'insolvabilité prévoit que les créanciers doivent déclarer par écrit leurs créances à l'administrateur, en précisant tant la cause que le montant de leur créance et en annexant à leur déclaration les documents justificatifs. Elle retient qu'en l'absence de déclaration de créance réalisée par M. [F], il convient de prononcer la mise hors de cause du CGEA Faillites Transnationales.

Elle rappelle que la déclaration de créance est régie par la loi applicable à la procédure ouverte, en l'occurrence la loi allemande.

A titre subsidiaire, sur les demandes formulées par M. [F], l'AGS observe que le salarié a été embauché par la société allemande Atompro Gmbh en exécution d'un contrat de travail à durée indéterminée et mis à la disposition de la société Kuhn en qualité de monteur au cours de la période du 24 juin 2015 au 31 mars 2020.

L'appelante mentionne que le salarié ne peut revendiquer le paiement de son indemnité de fin de mission, qui n'est pas due dans le cadre d'une embauche définitive.

Elle rappelle qu'elle n'est tenue à garantie qu'après l'inscription des créances sur un relevé dressé par le liquidateur, et ne peut être condamnée.

Dans la procédure enregistrée sous le numéro RG 22/00674 l'Association Unedic CGEA AGS Ile de France Ouest a transmis des conclusions d'intimée datées du 12 août 2022 aux termes desquelles elle formule les mêmes demandes et développe les mêmes moyens que dans la procédure RG 22/00642.

Par ses conclusions en réplique datées du 20 mai 2022, M. [F] demande à la cour de statuer comme suit :

«'Débouter la partie adverse de l'intégralité de ses fins et prétentions

Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Forbach le 21 février 2022 en toutes ses dispositions

Condamner le CGEA-AGS à verser à M. [F] une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour

Condamner le CGEA-AGS en tous les frais et dépens, d'instance et d'appel.'».

Au soutien de la régularité de la déclaration de sa créance, M. [F] considère que le droit français est applicable dès lors qu'il n'a jamais travaillé en Allemagne et a toujours reçu des fiches de paie françaises. Il ajoute qu'il n'avait dès lors pas de délai pour déclarer sa créance en tant que salarié.

Si l'application du droit allemand est retenue, M. [F] précise qu'il a sollicité auprès du liquidateur allemand le paiement de ses indemnités de fin de mission et d'un complément maladie par courrier en date du 21 décembre 2020.

Il considère qu'il a ainsi déclaré une créance et qu'aucun formalisme n'est exigé, étant constaté que ni le liquidateur ni l'AGS n'ont cité les textes leur permettant de refuser une déclaration de créance au motif qu'elle ne comporterait pas de montant. Il ajoute que si ses réclamations n'étaient pas chiffrées dans son courrier adressé au liquidateur, elles étaient précises et déterminables.

Sur les indemnités de fin de mission, M. [F] fait valoir qu'en application de l'accord du 10 février 2013 elles ne sont pas dues au salarié en présence d'un CDI à condition qu'elles soient versées sur le fonds professionnel pour l'employeur FPE-TT. Il soutient que le liquidateur a reconnu que la société Atompro Gmbh n'avait jamais versé les indemnités de fin de mission au fonds professionnel pour l'emploi.

Au titre de la condamnation'de l'AGS', M. [F] ajoute que les dispositions spécifiques de garantie en cas de procédure d'insolvabilité transfrontalière prévoient le versement direct par l'organisme de garantie au salarié sans transiter par le mandataire judiciaire.

Dans la procédure enregistrée sous le numéro RG 22/00674 M. [F] a transmis des conclusions d'intimé datées du 12 août 2022 aux termes desquelles il demande à la cour de statuer comme suit':

« Débouter l'appelante de l'intégralité de ses fins et prétentions

Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Forbach sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qu'il conviendra de fixer à 28'800 € nets

Condamner la Sas Kuhn à verser à M. [F] une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour

Condamner la Sas Kuhn en tous les frais et dépens, d'instance et d'appel'».

Au soutien de la requalification des relations contractuelles M. [F] indique':

- qu'il a toujours occupé le même poste de chaudronnier pendant plus de quatre ans au sein de la société Kuhn';

- que ce poste est permanent, lié à l'activité normale de l'entreprise'et qu'il «'a donc manifestement été embauché pour faire face à un besoin structurel de main-d''uvre, puisqu'il a occupé le même poste pendant plusieurs années'»';

- qu'en vertu de l'article L 1251-10 du code du travail il peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission';

- qu'avant de collaborer avec la société Atompro France la société Kuhn était en relation avec la société Atompro GmbH';

- que suite à la perte du contrat de prestation Kuhn par la société Atompro GmbH, l'entreprise Atompro France a assuré la réalisation dudit contrat avec le client Kuhn à la date du 1er mai 2014';

- qu'à la différence des autres salariés M. [F] a refusé le transfert de son contrat de la société allemande à la société française mais a néanmoins continué à être mis à disposition de la société Kuhn';

- que c'est mensongèrement que la société Kuhn a feint de ne pas le connaître et de ne jamais avoir eu de relation contractuelle avec la société Atompro GmbH';

- que le fait que la société Kuhn ait contracté avec la société Atompro GmbH ou avec la société Atompro France est inopposable au salarié, qui a toujours travaillé sans interruption sur le site de la société Kuhn et peut ainsi prétendre à la requalification de ce seul fait';

- que l'existence d'un contrat de mise à disposition entre l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice importe peu, car seule l'occupation d'un poste permanent doit être prise en considération pour juger du droit à requalification, nonobstant le recours entre l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice.

Au titre de son appel incident concernant le montant des dommages-intérêts, M. [F] soutient que sa demande à hauteur de 8 mois de salaire est justifiée par divers troubles physiques et financiers. Il ajoute que sa situation professionnelle très difficile puisqu'il n'a pas retrouvé d'emploi si ce n'est de brèves missions temporaires.

Par ses conclusions d'intimée transmises le 13 juin 2022, la société Kuhn demande à la cour de statuer comme suit :

«'Dire et juger qu'il n'y a pas de contrat de mission entre la société Kuhn et M. [F] ;

Dire et juger qu'il n'y a pas de contrat de mise à disposition entre la société Kuhn et la société Atompro GMBH ;

Dire et juger qu'il n'y a pas lieu de requalification de son contrat de travail temporaire ;

Rejeter intégralement les demandes de M. [F] ;

Infirmer dans sa totalité le jugement du conseil de prud'hommes ;

Condamner M. [F] à une indemnité de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.'».

La société Kuhn soutient qu'aucune mise à disposition n'a été convenue entre l'entreprise de travail temporaire de droit allemand et elle-même. Elle souligne que M. [F] n'a pas été mis à sa disposition en qualité de travailleur temporaire et qu'il n'a pas travaillé en son sein en exécution de contrats de mission. Elle observe que M. [F] n'apporte aucune pièce démontrant l'existence d'une relation contractuelle la liant à la société allemande.

La société Kuhn considère que la seule relation contractuelle dans laquelle elle est engagée est celle la liant à la société Atompro France dans le cadre d'un contrat de prestation de services, avec une collaboration entre les parties ancienne de dix années.

Elle précise qu'aucun contrat n'a été signé en 2018 et en 2019, mais que les deux sociétés ont établi un contrat le 16 mars 2020 pour une durée d'un an.

Elle ajoute que la société Atompro France lui a remis la déclaration préalable de détachement qui a été conclue entre Atompro GmbH et Atompro France concernant M. [F].

La société Kuhn précise que M. [F] a, dans le cadre de la procédure de licenciement initiée par la société Atompro GmbH, refusé son reclassement auprès d'une autre structure'allemande ; elle rappelle qu'il a déjà perçu une indemnité de licenciement liée à la rupture de son contrat de travail avec la société de droit allemand.

Dans la procédure enregistrée sous le numéro RG 22/00674 la société Kuhn a transmis des conclusions justificatives d'appel datées du 7 juin 2022 aux termes desquelles elle formule les mêmes demandes et développe les mêmes moyens que dans la procédure RG 22/00642.

Par acte d'huissier du 9 mai 2022, l'Unedic CGEA AGS Ile de France Ouest a signifié à Maître [I] [D] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Atompro GmbH la déclaration d'appel du 15 mars 2022, ainsi que ses conclusions justificatives d'appel, auxquelles ont été jointes les pièces produites au soutien de son recours.

Par acte d'huissier en date du 21 juin 2022 M. [F] a signifié à Maître [I] [D] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Atompro GmbH ses conclusions d'appel.

Par acte d'huissier du 16 mai 2022 la SA Kuhn a signifié à Maître [I] [D] en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Atompro GmbH la déclaration d'appel du 17 mars 2022.

Les ordonnances de clôture de la procédure de mise en état ont été rendues le 4 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions de l'appelant, il est renvoyé aux écritures de celle-ci conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la jonction des procédures

Conformément à l'article 367 du code de procédure civile, la jonction de plusieurs instances pendantes peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de les faire instruire ou juger ensemble.

En l'espèce au regard de l'identité du litige, il y a lieu dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'ordonner la jonction de la procédure enregistrée sous le numéro RG 22/00674 avec la procédure enregistrée sous le numéro RG 22/00649.

Sur le fond

Sur la requalification du contrat de travail de M. [F]

A titre liminaire la cour observe que les dispositions du jugement déféré relatives à l'application de la loi française au contrat de travail de M. [F] ne sont pas contestées et sont d'ores et déjà confirmées.

La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi a généralisé jusqu'au 31 décembre 2018 le dispositif expérimental du contrat de travail à durée indéterminée intérimaire qui avait été mis en place pour la première fois par un accord de branche du 10 juillet 2013 relatif à la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires.

Ce dispositif a été pérennisé par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, qui l'a inséré dans le code du travail dont l'article L. 1251-58-1 prévoit':

« Une entreprise de travail temporaire peut conclure avec le salarié un contrat à durée indéterminée pour l'exécution de missions successives. Chaque mission donne lieu à :

1° La conclusion d'un contrat de mise à disposition entre l'entreprise de travail temporaire et le client utilisateur, dit 'entreprise utilisatrice';

2° L'établissement, par l'entreprise de travail temporaire, d'une lettre de mission.'».

En vertu de l'article L. 1251-58-4 du code du travail, «'Les missions effectuées par le salarié lié par un contrat de travail à durée indéterminée avec l'entreprise de travail temporaire sont régies par les articles L. 1251-5 à L. 1251-63 du code du travail, sous réserve des adaptations prévues au présent article et à l'exception des articles L. 1251-14, L. 1251-15, L. 1251-19, L. 1251-26 à L. 1251-28, L. 1251-32, L. 1251-33 et L. 1251-36.'».

Il ressort des données constantes du débat que M. [F] a conclu avec la société de droit allemand Atompro GmbH ayant pour activité la mise à disposition de travailleurs intérimaires un contrat de travail intérimaire à durée indéterminée rédigé en langue allemande le 24 juin 2015 avec effet à compter du même jour, qui prévoit son embauche en qualité de monteur rémunéré selon un taux horaire brut de 13 euros et un temps de travail hebdomadaire de 40 heures (pièce n° 1 de M. [F] ' copie du contrat de travail et sa traduction).

Suite à la procédure d'insolvabilité de la société allemande ouverte par une juridiction allemande le 1er novembre 2019, Maître [I] [D] agissant en qualité de mandataire liquidateur a procédé au licenciement de M. [F] par courrier daté du 28 janvier 2020 prévoyant la fin des relations contractuelles au terme du délai de préavis au 31 mars 2020 (pièce n° 2 de M. [F]).

Au soutien de ses prétentions tendant à la requalification de son contrat de travail en contrat à durée indéterminée avec la société Kuhn, M. [F] indique qu'il n'a travaillé qu'au sein du site de [Localité 10] de cette entreprise durant l'intégralité de sa relation contractuelle avec la société Atompro GmbH, soit du 24 juin 2015 au 31 décembre 2019.

M. [F] se prévaut de ce qu'il a durant l'intégralité de sa période d'embauche occupé le même poste «'à savoir celui de chaudronnier': il préparait les pièces pour la fabrication de charpentes'», et soutient qu'il a ainsi pourvu un emploi de manière durable car lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

Il est toutefois établi que M. [F] a travaillé sur le site de [Localité 10] de la société Kuhn non pas dans le cadre d'un contrat de mise à disposition conclu entre la société allemande Atompro GmbH et la société Kuhn en qualité d'entreprise utilisatrice, mais dans le cadre d'un contrat de prestation de services conclu entre la société Kuhn et la société Atompro France.

En effet, si les premiers juges ont écarté toute incidence du lien contractuel existant entre les sociétés Kuhn et Atompro France en relevant que seul un contrat relatif à l'année 2020 avait été conclu entre elles, et si les premiers juges ont considéré «'qu'aucune relation contractuelle n'existe entre M. [R] [F] et Atompro France'», la société Kuhn produit une déclaration préalable de détachement transnational de travailleur effectuée par l'entreprise étrangère employeur Atompro GmbH vers la société Atompro France sise à [Localité 9] concernant une prestation de service en France au sein de la société Kuhn à [Localité 10] pour la période du 1er au 31 décembre 2019. Il y est mentionné que M. [F] est détaché pour occuper un emploi de monteur avec une rémunération mensuelle brute de 1'550 euros (pièce n° 7 de la société Kuhn), et il convient de relever que M. [F] précise lui-même avoir travaillé au sein de la société Kuhn jusqu'au 31 décembre 2019.

En outre, M. [F] produit aux débats un courrier adressé par la société Atompro France à un salarié de la société Atompro GmbH le 7 juillet 2014 ' date antérieure à l'embauche de M. [F] - ayant pour objet 'notification de transfert de votre contrat de travail vers l'entreprise Atompro France'et rédigé comme suit':

«'Suite à la perte du contrat de prestation Kuhn par votre employeur d'origine l'entreprise Atompro GmbH sise', assure la réalisation dudit contrat envers le client Kuhn à la date du 01 mai 2014'.'» (sa pièce n° 8).

Il ressort de ces données constantes que M. [F], qui à cette date du 1er mai 2014 n'était pas encore embauché par la société Atompro GmbH et ne pouvait par là-même - comme il le prétend pourtant dans ses écritures - avoir refusé un transfert de son contrat de travail conclu avec la société allemande le 24 juin 2015 à la société Atompro France, n'a pas comme il soutient « continué à être'mis à la disposition de la société Kuhn'» qui n'a jamais été entreprise utilisatrice.

Au regard des contrats de prestation de services conclus entre les sociétés Kuhn et Atompro France avant même l'embauche de M. [F] par la société allemande Atompro GmbH, le fait que M. [F] ait travaillé sans interruption sur le site de la société Kuhn dans le cadre d'un détachement transnational conclu entre les sociétés Atompro GmbH et Atompro France ne peut valablement permettre au salarié de prétendre à une requalification tenant au fait qu'il a occupé «'un poste permanent dans l'entreprise'» puisque cet emploi était pourvu par la société Atompro France dans le cadre d'un contrat de prestation de services conclu entre elle et la société Kuhn.

En conséquence les prétentions de M. [F] au titre de la requalification de son contrat de travail en contrat à durée indéterminée avec la société Kuhn sont rejetées. Le jugement déféré est infirmé en ce sens, et en ce qu'il a condamné la société Kuhn à payer des montants à M. [F] à titre de rappels de rémunération et au titre de la rupture, étant de surcroît rappelé que M. [F] a été licencié dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société allemande.

Sur les demandes de M. [F] à l'encontre de la liquidation judiciaire de la société Atompro GmbH et sur la garantie du CGEA AGS Faillites Transnationales

L'application du droit allemand à la procédure collective ouverte auprès d'une juridiction allemande et à la déclaration de créance retenue par le premier juge n'est pas contestée par l'organisme de garantie, et M. [F] n'a pas formé d'appel incident au titre des dispositions concernant la liquidation judiciaire de la société Atompro GmbH et la garantie de l'AGS. Ces dispositions relatives à la loi applicable à la procédure collective sont donc définitives.

L'organisme de garantie sollicite l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a fixé sa créance de M. [F] à la somme de 14'794,21 euros au titre de l'indemnité de fin de mission, et en ce qu'il a retenu la recevabilité de la déclaration de créance du salarié. M. [F] sollicite la confirmation de ces dispositions.

Au regard de l'application du droit allemand mais aussi de ce que la procédure de liquidation de la société Atompro GmbH a été ouverte auprès d'une juridiction allemande, impliquant que celle-ci soit saisie des litiges nés au cours de la procédure ayant trait notamment aux déclarations de créances, il convient de statuer au fond sur le bien-fondé de la créance dont se prévaut M. [F] à l'encontre de la liquidation judiciaire de la société Atompro GmbH et dont il sollicite la fixation en se prévalant du droit français.

Il ressort de l'application combinée des articles L. 1251-58-4 et L. 1251-32 du code du travail que l'indemnité de fin de mission qui est versée au salarié lorsque, à l'issue du contrat de mission il ne bénéficie pas immédiatement d'un contrat à durée indéterminée avec l'entreprise

utilisatrice, est exclue lorsque le salarié a bénéficié d'un contrat de travail indéterminée avec l'entreprise de travail temporaire.

En effet, ces montants sont, en cas d'embauche à durée indéterminée, consacrés à l'alimentation par l'entreprise de travail temporaire d'un fonds de sécurisation des parcours intérimaires et affectés au financement des périodes d'intermission et des formations proposées aux salariés.

A l'appui de sa demande M. [F] soutient que le liquidateur que la société allemande n'a pas été en mesure d'indiquer si elle avait alimenté le fonds commun avec les sommes concernées.

Les premiers juges ont fait droit à cette prétention en retenant que dans un courrier du 19 décembre 2019 (pièce n° 7 de l'appelant) la DIRECCTE a précisé qu'il ne lui a pas été possible de vérifier le versement effectif de cette indemnité par l'entreprise de travail temporaire. Les premiers juges ont fait droit à la demande de M. [F] en considérant qu'à défaut de preuve de versement de cette indemnité à ce fonds, la société allemande ne pouvait s'affranchir de la loi française.

Or ce seul constat, à supposer même qu'il soit pertinent, ne peut valablement permettre à M. [F] de prétendre à l'octroi de l'indemnité de fin de contrat qui, au regard du caractère indéterminé de son embauche par l'entreprise de travail temporaire, ne lui est pas due, étant de surcroît rappelé que le salarié a été licencié dans le cadre de la liquidation de la société allemande après avoir ' selon les précisions données par le liquidateur et non démenties par le salarié ' refusé tout reclassement au sein d'une autre société allemande.

En l'absence de tout fondement juridique justifiant cette demande, cette prétention de M. [F] est rejetée. Le jugement déféré est infirmé en ce sens, et par là-même en ce qu'il a retenu la garantie du CGEA, qui a été condamné à payer directement le montant alloué au salarié.

En l'absence de créance de M. [F] à l'égard de la liquidation judiciaire de la société Atompro GmbH, il n'a pas lieu de statuer sur l'existence et la recevabilité de sa déclaration de créance, et il convient de mettre hors de cause l'organisme de garantie.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Les dispositions du jugement déféré relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et relatives aux dépens sont infirmées.

Il n'est pas contraire à l'équité de laisser à la charge de chaque partie ses frais irrépétibles exposées en premier ressort et en cause d'appel. Les demandes formées à ce titre sont rejetées.

M. [F] est condamné aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Ordonne la jonction de la procédure enregistrée sous le numéro RG 22/00674 avec la procédure enregistrée sous le numéro RG 22/00649';

Infirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions';

Statuant à nouveau':

Rejette toutes les prétentions de M. [R] [F] à l'égard de la SAS Kuhn';

Rejette les prétentions de M. [R] [F] à l'encontre de la liquidation judiciaire de la société Atompro GmbH';

Met hors de cause l'Unedic CGEA AGS Faillites Transnationales ;

Rejette les demandes des parties au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile en premier ressort et en cause d'appel';

Condamne M. [R] [F] aux dépens de première instance et d'appel.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 22/00649
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;22.00649 ?
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