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02/07/2024 | FRANCE | N°22/01109

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 02 juillet 2024, 22/01109


Arrêt n° 24/00282



02 Juillet 2024

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N° RG 22/01109 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FXKO

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FORBACH

26 Avril 2022

F 21/69

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1







ARRÊT DU



deux Juillet deux mille vingt quatre



APPELANT :



M. [S] [B] [J]

[Adr

esse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Sarah SCHIFFERLING-ZINGRAFF, avocat au barreau de SARREGUEMINES





INTIMÉE :



S.A.S.U. EUROSTYRENE

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Philippe WITTNER, av...

Arrêt n° 24/00282

02 Juillet 2024

---------------------

N° RG 22/01109 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FXKO

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FORBACH

26 Avril 2022

F 21/69

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

deux Juillet deux mille vingt quatre

APPELANT :

M. [S] [B] [J]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Sarah SCHIFFERLING-ZINGRAFF, avocat au barreau de SARREGUEMINES

INTIMÉE :

S.A.S.U. EUROSTYRENE

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Philippe WITTNER, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Octobre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;

Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Alexandre VAZZANA Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Selon contrat écrit à durée indéterminée et à temps complet du 7 janvier 1991, M. [S] [B] [J] a été embauché par la SARL Eurostyrene en qualité de chef d'atelier.

Par avenant du 23 avril 2012, M. [J] a été promu en tant que responsable de production, statut cadre.

Un avenant ultérieur du 21 octobre 2015 a prévu que la rémunération du salarié serait composée à compter du 1er novembre 2015 :

- d'une rémunération mensuelle fixe de 3 645 euros brut incluant les heures supplémentaires correspondant à une durée hebdomadaire forfaitaire de 38,50 heures;

- d'une rémunération variable versée en fonction de la performance personnelle du salarié et de la situation de l'entreprise.

La convention collective nationale de la plasturgie était applicable à la relation de travail.

M. [J] a été placé en arrêt de travail pour maladie de façon interrompue à compter du 27 août 2020.

Par courrier du 22 octobre 2020, le salarié a été convoqué à un entretien préalable fixé au 3 novembre 2020.

Par lettre du 19 novembre 2020, il a été licencié pour absence prolongée perturbant le fonctionnement de l'entreprise.

Par courrier du 10 décembre 2020 adressé à l'employeur, M. [J] a contesté la rupture et sollicité diverses indemnités.

Estimant notamment son licenciement infondé, M. [J] a saisi, le 25 mars 2021, la juridiction prud'homale.

Par jugement contradictoire du 26 avril 2022, la formation paritaire de la section encadrement du conseil de prud'hommes de Forbach a notamment :

- déclaré la demande recevable, partiellement fondée et confirmé la compétence de la section encadrement ;

- dit que le licenciement de M. [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamné la SASU Eurostyrene à verser à M. [J] :

* 571,45 euros brut à titre de rappel résultant des minima conventionnels ;

* 1 745,58 euros net à titre de rappel d'indemnité de licenciement ;

* 16 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire pour les dispositions du présent jugement ne bénéficiant pas de l'exécution provisoire de droit prévue par l'article R. 1454-28 du code du travail, étant précisé que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élevait à 4 796,75 euros net ;

- condamné la société Eurostyrene à rembourser à Pôle emploi les allocations de chômage versées à M. [J] dans la limite de deux mois ;

- débouté M. [J] du surplus de ses demandes ;

- débouté la société Eurostyrene de sa demande reconventionnelle ;

- condamné la société Eurostyrene en tous les 'frais et dépens'.

Le 5 mai 2022, M. [J] a interjeté appel par voie électronique.

Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 23 août 2022, M. [J] requiert la cour de :

- débouter l'employeur de l'intégralité de ses fins et prétentions ;

- confirmer le jugement, sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande de rappel d'indemnité compensatrice de congés payés, en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre de la garantie d'emploi, en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure et en ce qu'il a fixé le montant des dommages et intérêts pour licenciement abusif à 16 000 euros ;

statuant à nouveau,

- condamner la société Eurostyrene à lui verser :

* 7 557 euros net au titre du rappel d'indemnité compensatrice de congés payés;

* 2 318,43 euros net au titre de la méconnaissance de la garantie d'emploi ;

* 4 796,75 euros net à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;

* 216 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Eurostyrene à lui verser une somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour ;

- fixer le salaire mensuel moyen à la somme de 4 796,75 euros net.

A l'appui de son appel, il soutient :

- qu'en raison des restructurations successives de l'entreprise, le climat s'est détérioré, notamment avec l'arrivée des actionnaires actuels au cours de l'année 2019 ;

- qu'au moins 30 employés ont quitté le groupe, sans compter les salariés licenciés après son départ ;

- que son arrêt de travail n'était nullement prémédité et n'a, par ailleurs, pas été remis en cause par l'employeur ;

- que c'était la première fois depuis plus de 24 ans d'activité qu'il était en arrêt maladie ;

- qu'il n'a jamais déclaré qu'il n'avait pas l'intention de revenir travailler, ayant au contraire indiqué, lors de l'entretien préalable, qu'il souhaitait retourner à son poste dès que son état de santé le lui permettrait ;

- que, malgré ses demandes, l'employeur n'a pas souhaité préciser les motifs du licenciement et n'a pas donné suite à ses contestations ;

- que l'employeur a méconnu la garantie d'emploi conventionnelle, puisque au regard de son absence depuis le 27 août 2020, la notification du licenciement n'aurait pas dû intervenir avant le 27 novembre 2020 ;

- que la rupture ne pouvait prendre effet que le 27 février 2021 et non le 21 février 2021, de sorte qu'il peut prétendre à un solde de préavis.

Il précise :

- que le salarié prétendument embauché pour le remplacer, M. [M] [V], a été employé en qualité de directeur de production, alors que lui-même occupait le poste de responsable de production ;

- que M. [V] ne disposait pas des compétences nécessaires, ayant initialement été engagé comme conseiller spécial de la direction ;

- que, dans le courrier de licenciement, l'employeur ne prétend pas l'avoir remplacé, mais indiquait seulement envisager de le faire ;

- que la société Eurostyrene ne prouve pas qu'elle était dans l'impossibilité de procéder à son remplacement provisoire, alors qu'elle y est parvenue durant son arrêt maladie ;

- qu'il n'a été absent que deux mois avant l'introduction de la procédure de licenciement ;

- que, dans le courrier de licenciement, l'employeur fait simplement référence à une nécessité de "s'organiser structurellement différemment", mais non à une désorganisation de la société ;

- que son activité n'était pas essentielle à la production de l'entreprise, puisqu'il travaillait principalement pour deux autres sociétés du groupe ;

- qu'à compter du mois de septembre 2020, l'activité de production diminuait toujours, la charge de travail de l'entreprise étant réduite en période hivernale, sans lien avec son absence ;

- que dans son service, c'est le chef d'atelier qui s'occupait de l'organisation des équipes, des plannings, des commandes de matières premières et autres marchandises nécessaires au bon déroulement de la production.

Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 5 avril 2023, la société Eurostyrene sollicite que la cour :

- infirme le jugement, en ce qu'il a dit le licenciement de M. [J] dépourvu de cause réelle et sérieuse, en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [J] les sommes de 571,45 euros à titre de rappel résultant des minima conventionnels, 1 745,58 euros net à titre de rappel d'indemnité de licenciement, 16 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en ce qu'il l'a condamnée à rembourser à Pôle emploi les allocations de chômage versées à M. [J] dans la limite de deux mois, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle et en ce qu'il l'a condamnée à tous les 'frais et dépens' ;

statuant à nouveau,

- déboute M. [J] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamné M. [J] au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle réplique :

- qu'elle est spécialisée dans la fabrication d'éléments en matière plastique et emploie 38 salariés, dont 20 affectés à la maintenance et à la production ;

- que la relation contractuelle avec M. [J] s'est déroulée sans difficultés jusqu'à ce qu'un soir le salarié quitte l'entreprise en emportant sa cafetière et soit placé en arrêt maladie dès le lendemain ;

- que l'absence de M. [J] a fortement désorganisé l'entreprise et nécessité le remplacement définitif de celui-ci ;

- que la demande de l'appelant au titre des dommages et intérêts pour défaut d'application des minima conventionnels pendant plusieurs années avant la rupture est irrecevable car prescrite, le salarié n'ayant d'ailleurs pas interjeté appel du débouté sur ce point ;

- que la convention collective de la plasturgie n'impose aucune garantie d'emploi, puisqu'elle prévoit uniquement le paiement d'une indemnité équivalente au préavis si le licenciement intervient avant l'expiration de certains délais ;

- que M. [J] a bénéficié de son préavis, ainsi que de l'indemnité spéciale d'une semaine ;

- que le salarié exerçait les fonctions de responsable de production, soit un poste clé au sein de l'entreprise, le secteur de la production ne pouvant fonctionner sans responsable ;

- qu'il n'était pas possible de recruter à cet emploi un salarié en contrat à durée déterminée ou en intérim ;

- que M. [V] a été nommé sur le poste de M. [J] à compter du 1er mars 2021, étant précisé qu'il connaissait déjà l'entreprise et ses procédés ;

- qu'elle a précisé, dans la lettre de licenciement, qu'une nouvelle organisation était nécessaire en raison de l'absence de M. [J], qui perturbait le bon fonctionnement de l'entreprise ;

- que lorsque que M. [J] est parti en arrêt maladie, il a indiqué qu'il ne reviendrait pas.

Elle ajoute :

- que M. [J] s'est présenté à l'entretien préalable, de sorte que l'absence d'en-tête sur le courrier de convocation n'a nullement entaché la régularité de la procédure ;

- qu'il n'est pas possible de cumuler l'indemnité pour licenciement abusif avec celle pour irrégularité de la procédure de licenciement ;

- que le salarié ne justifie pas que son arrêt maladie était dû à ses conditions de travail, d'autant qu'il n'a jamais évoqué la moindre difficulté ;

- que M. [J] ne prouve ni la recherche d'un nouvel emploi ni l'incidence de la perte de son précédent emploi sur le montant de sa pension de retraite ;

- que, concernant le décompte des congés payés, c'est à tort que le compteur de congés de M. [J] a été alimenté pendant la période d'arrêt maladie.

Par ordonnance du 6 septembre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction.

MOTIVATION

A titre liminaire, la cour constate qu'aucune des parties ne demande l'infirmation du jugement, en ce qu'il a débouté M. [J] de ses demandes de :

- condamnation de l'employeur à lui verser des dommages et intérêts pour méconnaissance de ses obligations légales en n'appliquant pas les salaires minima durant les années antérieures aux trois années précédant la rupture du contrat de travail ;

- rappel de salaire pour une journée manquante du mois de février 2021 ;

- condamnation de la société Eurostyrene à lui payer des dommages et intérêts pour méconnaissance de la priorité de réembauche ;

- remise sous astreinte de la fiche de paie de mars 2020 rectifiée en supprimant l'indication du "chômage partiel".

De même, conformément au dispositif du jugement, il y a lieu de retenir un salaire de référence correspondant à la moyenne des trois derniers mois de salaire de 4 796,75 euros net, en l'absence de demande d'infirmation sur ce point par les parties.

Par ailleurs, la cour constate que la société Eurostyrene sollicite, dans la partie discussion de ses dernières conclusions, que la prétention formulée par M. [J] au titre de la garantie d'emploi soit déclarée irrecevable, mais qu'aucune fin de non-recevoir en ce sens n'est reprise dans le dispositif, de sorte que la présente juridiction n'est pas saisie de cette demande, conformément à l'article 954 du code de procédure civile qui dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

'

Sur le rappel de salaire au titre des minima conventionnels

M. [J] a sollicité en première instance un rappel de salaire correspondant aux minima conventionnels à hauteur de 5 965,45 euros brut.

La société Eurostyrene ne conteste pas la demande en son principe et ne présente aucun moyen d'appel quant au montant, se contentant de souligner que le salarié a été rempli de ses droits.

La fiche de paie de février 2021 (pièce n° 10 de l'intimée) confirme que l'employeur a versé au salarié un montant de 5 394 euros brut à titre de régularisation.

Il s'ensuit que M. [J] n'a pas perçu l'intégralité du montant auquel il avait droit.

Ainsi, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré qu'un reliquat de 571,45 euros brut restait dû à M. [J].

En conséquence, la société Eurostyrene est condamnée à payer à M. [J] à titre de rappel de salaire résultant de l'application des minima conventionnels un solde de 571,45 euros brut, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur le reliquat de l'indemnité de licenciement

Les deux parties ont procédé à un calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement qui est plus favorable que l'application des règles légales.

M. [J] obtient un montant de 62 227,90 euros (sa pièce n° 15), l'employeur un montant de 60 482,32 euros seulement (sa pièce n° 13).

La différence entre les deux résultats trouve principalement son origine dans la divergence entre le salaire de référence retenu par le salarié (4 796,75 euros) et celui calculé par l'employeur (4 609,60 euros).

Il y a lieu d'approuver M. [J], en ce qu'il s'est fondé sur un salaire de référence conforme à la moyenne des trois derniers mois de salaire mentionné par les premiers juges dans une disposition du jugement dont l'infirmation n'est pas sollicitée.

Dès lors, la société Eurostyrene est condamnée à payer à M. [J] un solde de 1 745,58 euros, le jugement est confirmé sur ce point.

Sur la garantie conventionnelle d'emploi

L'article 13 (2°) de la convention collective nationale de la plasturgie prévoit que :

' 2° Absences pour maladie ou accident

a) Dans le cas où une absence imposerait le remplacement effectif de l'intéressé, et qu'il n'a pas été possible de procéder à un remplacement provisoire, l'employeur devra le notifier à l'intéressé par écrit.

Si cette notification intervient avant que la durée de l'absence n'ait atteint :

- 1 mois si l'intéressé a au moins 1 an d'ancienneté ;

- 2 mois si l'intéressé a au moins 2 ans d'ancienneté ;

- 3 mois si l'intéressé a au moins 3 ans d'ancienneté,

le salarié bénéficiera d'une indemnité égale à l'indemnité de préavis à laquelle il aurait eu droit s'il avait été licencié sans qu'ait été observé le délai-congé.

Si l'intéressé est amené à prendre plusieurs congés de maladie ou d'accident au cours de douze mois consécutifs, les périodes d'absence successives résultant de ces congés se cumuleront pour la détermination de la période de un, deux ou trois mois prévue à l'alinéa précédent.

Si la notification intervient après l'expiration des délais prévus au deuxième alinéa du présent paragraphe, elle ne pourra prendre effet qu'à l'issue d'une période égale à celle du préavis ; dans ce cas il sera versé à l'intéressé, à l'expiration de la période de préavis, une indemnité correspondant à son salaire pour une semaine de travail. Il en sera de même lorsque l'intéressé aura moins de 1 an d'ancienneté.

Dans tous les cas, le salarié remplacé bénéficiera, en outre, d'une indemnité égale à l'indemnité de licenciement à laquelle il aurait eu droit en vertu de la présente convention s'il avait été licencié. (...)'

L'article 13 de la convention collective ne prévoit aucune garantie d'emploi et n'interdit nullement à l'employeur de licencier un salarié dont l'absence ne permet pas son remplacement provisoire et nécessite de le remplacer définitivement.

Il permet en revanche au salarié absent dont le contrat de travail est rompu en raison de la nécessité de le remplacer définitivement, de bénéficier de contreparties indemnitaires.

Ainsi, lorsque la notification du licenciement intervient avant l'expiration du délai prévu en fonction de l'ancienneté, le salarié absent, qui se trouve dans l'impossibilité d'effectuer son préavis, a droit au versement de l'indemnité compensatrice de préavis à laquelle il pouvait normalement prétendre.

En l'espèce, l'employeur a effectué la notification de la nécessité du remplacement définitif de M. [J] le 19 novembre 2020, soit avant l'expiration du délai de trois mois prévu par l'article 13 (le salarié bénéficiant d'une ancienneté de plus de trois années) à compter du 27 août 2020.

Cependant, en rémunérant le salarié pendant trois mois, au vu des bulletins de paie, soit pendant une période équivalente au préavis auquel ce dernier aurait eu droit et en lui versant même une semaine de salaire supplémentaire, ce qui n'est pas contesté, la société Eurostyrene a rempli M. [J] de ses droits aux termes de l'article susvisé.

En conséquence, M. [J] est débouté de ses demandes formées sur le fondement de l'article 13 de la convention collective, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur l'indemnité compensatrice de congés payés

Conformément à l'article L. 3141-28 du code du travail, le salarié dont le contrat de travail est résilié avant qu'il ait bénéficié de la totalité du congé auquel il avait droit doit recevoir une indemnité compensatrice de congés payés.

En l'espèce, M. [J] sollicite le paiement des jours de congés dont il disposait avant le début de son arrêt maladie. Le bulletin de paie du mois d'août 2020 (pièce n° 9 de l'intimée) établit que le salarié bénéficiait alors de 26 jours de congés pour l'année 2019/2020 et de 6,24 jours pour l'année 2020/2021.

En vertu de la règle des équivalences de l'article L. 3141-4 du code du travail, un mois de travail effectif est équivalent à 24 jours de travail.

Il s'ensuit que M. [J] aurait dû percevoir une indemnité compensatrice de congés payés équivalente à 1,34 mois de salaire.

Même à retenir un salaire de référence de 4 497,97 euros par mois en matière de congés payés, comme M. [J] le fait dans sa pièce n° 18, le salarié pouvait réclamer un montant de 6 027,27 euros.

Or il a déjà perçu une indemnité compensatrice de congés payés de 6 534,30 euros brut, comme le montant le bulletin de salaire du mois de février 2021, de sorte que M. [J] a été rempli de ses droits.

En conséquence, M. [J] est débouté de sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur le bien fondé du licenciement

Selon l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap.

L'article L. 1132-1 du code du travail ne s'oppose pas au licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié.

Le salarié ne peut toutefois être licencié que si les perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif par l'embauche d'un autre salarié.

Il appartient à l'employeur d'établir à la fois la perturbation de l'entreprise engendrée par le prolongement de l'absence du salarié ou ses absences répétées, et la nécessité de son remplacement définitif.

Pour apprécier la désorganisation de l'entreprise, le juge tient notamment compte du nombre et de la durée des absences, de la taille de l'entreprise, de la nature des fonctions exercées par le salarié, de la spécificité du poste de travail etc.

La désorganisation du fonctionnement normal doit être constatée, de façon objective, au niveau de l'entreprise, et non pas d'un service, d'un établissement ou d'une agence. Toutefois, la désorganisation d'un service essentiel au fonctionnement de l'entreprise peut objectivement perturber le fonctionnement normal de l'entreprise.

De plus, pour être valable, le remplacement définitif doit intervenir soit avant le licenciement et à une date proche de celui-ci, soit après, dans un délai raisonnable apprécié par rapport à la date du licenciement et non à celle de la fin du préavis.

Lorsque le salarié absent a été remplacé par un autre salarié de l'entreprise, son licenciement n'est légitime que si l'employeur a procédé à une nouvelle embauche répondant à ces mêmes conditions pour occuper le poste du remplaçant.

Un licenciement qui ne répondrait pas aux exigences susvisées doit être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, M. [J] a été licencié par courrier du 19 novembre 2020, dans les termes suivants :

' Ainsi que nous l'avons exposé lors de l'entretien, les motifs de ce licenciement sont les suivants :

Absence : Votre absence prolongée perturbe le fonctionnement de l'entreprise compte tenu des fonctions que vous exercez. Par ailleurs lors de notre échange vous avez précisé que votre situation vous contraignait à ne pas pouvoir envisager de retour à court terme dans vos fonctions. Cette situation nous contraint à nous organiser structurellement différemment et à envisager de vous remplacer définitivement.

Nous vous précisons, par ailleurs, qu'aucun des motifs indiqués ci-dessus n'est prédominant dans notre décision, mais l'ensemble de ces faits concourt à une perte de confiance rendant impossible la poursuite de votre contrat.

Compte tenu de votre préavis de 3 mois, votre contrat cessera en date du 21 février 2021 '.

M. [J] fait valoir que son licenciement est abusif aux motifs que son absence n'a pas désorganisé l'entreprise et que cette dernière n'a pas procédé à son remplacement définitif.

Afin de justifier du fait que l'absence prolongée de M. [J] a perturbé le fonctionnement normal de l'entreprise et nécessité de le remplacer définitivement, la société Eurostyrene se fonde principalement sur deux pièces, à savoir le contrat de travail à durée indéterminée du salarié embauché en interne en remplacement de M. [J] (pièce n° 11), ainsi que le tableau récapitulant l'évolution de son chiffre d'affaires des années 2019 et 2020 (pièce n° 12).

La lecture de l'évolution du chiffre d'affaires des années 2019 et 2020 (pièce n° 12) révèle que le chiffre d'affaires atteint par la société Eurostyrene sur la période d'absence de M. [J], soit de fin août à décembre 2020, est nettement supérieur aux résultats obtenus sur la même période durant l'année 2019 :

- chiffre d'affaires Eurostyrene cumulé d'août à décembre 2020 : 2 532

- chiffre d'affaires Eurostyrene cumulé d'août à décembre 2019 : 1 910

(l'unité de mesure n'étant pas mentionnée).

Ainsi, quand bien même M. [J] aurait occupé un poste clef, ce qui n'est pas établi, le tableau susvisé prouve que le chiffre d'affaires de la société Eurostyrene a augmenté, en dépit de l'absence prolongée de son responsable de production, les seules allégations de l'employeur étant insuffisantes pour établir une quelconque désorganisation de l'entreprise.

Par ailleurs, la société Eurostyrene, qui a recruté en interne un autre employé de l'entreprise, M. [V], en qualité de directeur de production à compter du 1er mars 2021, afin de remplacer M. [J], responsable de production, n'allègue ni ne fourni aucun élément pour justifier de l'embauche d'un nouveau salarié pour occuper les fonctions laissées vacantes par le transfert de M. [V] jusqu'alors ingénieur conseil.

Il s'ensuit que l'employeur échoue à démontrer que l'absence de M. [J] a causé une perturbation du fonctionnement normal de l'entreprise rendant nécessaire son remplacement définitif.

En conséquence, le licenciement de M. [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

L'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 1er avril 2018, dispose que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par cet article, en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.

Le salarié qui est licencié abusivement subit nécessairement un préjudice dont le juge apprécie l'étendue. Pour obtenir une indemnisation, le salarié n'a donc pas à prouver l'existence d'un préjudice.

En l'espèce, M. [J] comptait lors de son licenciement vingt-neuf années complètes d'ancienneté dans une entreprise qui employait habituellement au moins 11 salariés, de sorte que le salarié relève du régime d'indemnisation de l'article L. 1235-3 alinéa 2 du code du travail dans sa rédaction applicable à la cause qui prévoit une indemnité minimale de 3 mois de salaire et une indemnité maximale de 20 mois de salaire.

Compte tenu de l'âge du salarié lors de la rupture de son contrat de travail (52 ans), de son ancienneté (29 années complètes) ainsi que du montant de son salaire mensuel (4 796,75 euros), étant observé que M. [J] justifie qu'il était encore allocataire de Pôle emploi au mois d'avril 2022 (voir sa pièce n° 20), la société Eurostyrene est condamnée à payer à M. [J] une somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement étant infirmé sur ce montant.

Sur l'indemnité pour licenciement irrégulier

Conformément au dernier alinéa de l'article L. 1235-2 du code du travail, lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, mais que le licenciement intervient pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Il résulte d'une interprétation a contrario de cet alinéa qu'aucune indemnité pour procédure irrégulière de licenciement n'est due en cas licenciement infondé, de sorte que l'indemnité pour procédure irrégulière de licenciement n'est pas cumulable avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La demande de ce chef est donc rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur le remboursement des prestations Pôle emploi

Au moment de la rupture, l'entreprise comptait plus de plus de onze salariés et l'ancienneté de M. [J] était supérieure à deux ans.

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par l'employeur à Pôle emploi, devenu France travail depuis le 1er janvier 2024, des indemnités de chômage versées du jour du licenciement au jour de l'arrêt prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Le jugement est confirmé, en ce qu'il a condamné la société Eurostyrene aux dépens de première instance, ainsi qu'à verser à M. [J] un montant de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Eurostyrene est déboutée de sa demande présentée en application de ce même article et condamnée à payer à M. [J] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par celui-ci en cause d'appel.

Elle est aussi condamnée aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a fixé le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 16 000 euros et en ce qu'il a limité le remboursement des allocations de chômages versées à M. [S] [B] [J] par Pôle emploi à deux mois ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la SASU Eurostyrene à verser à M. [S] [B] [J] les montants suivants:

- 70 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés par M. [S] [B] [J] en cause d'appel ;

Ordonne le remboursement par la SASU Eurostyrene à Pôle emploi, devenu France travail au 1er janvier 2024, des prestations versées à M. [S] [B] [J] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités ;

Déboute la SASU Eurostyrene de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SASU Eurostyrene aux dépens d'appel.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 22/01109
Date de la décision : 02/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-02;22.01109 ?
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