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02/07/2024 | FRANCE | N°21/02929

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 02 juillet 2024, 21/02929


Arrêt n°24/00279



02 juillet 2024

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N° RG 21/02929 -

N° Portalis DBVS-V-B7F-FUJE

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

19 novembre 2021

19/00892

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1







ARRÊT DU



Deux juillet deux mille vingt quatre







APPELANTE :



SARL SOLAUTO représentée par son gérant

Immatriculée au registre du Commerce et des Sociétés de THIONVILLE, sous le numéro 430.093.773

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me François RIGO, avocat au barrea...

Arrêt n°24/00279

02 juillet 2024

------------------------

N° RG 21/02929 -

N° Portalis DBVS-V-B7F-FUJE

----------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

19 novembre 2021

19/00892

----------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Deux juillet deux mille vingt quatre

APPELANTE :

SARL SOLAUTO représentée par son gérant

Immatriculée au registre du Commerce et des Sociétés de THIONVILLE, sous le numéro 430.093.773

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me François RIGO, avocat au barreau de METZ

INTIMÉ :

M. [P] [R]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Angelo LAURICELLA, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 novembre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;

Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

M. [P] [R] a été embauché par la SARL Solauto, à compter du 1er avril 2002 suivant contrat à durée indéterminée signé le 4 janvier 2002, en qualité de directeur de centre Auto, position 2, indice 110 selon la convention collective nationale des services de l'automobile.

La modification de sa rémunération est intervenue à plusieurs reprises suivant avenants à son contrat dont le dernier signé le 1er septembre 2005 porte son salaire mensuel brut à 3 650 euros.

Le 2 février 2019, M. [R] a reçu en main propre une lettre lui signifiant une mise à pied conservatoire avec effet immédiat.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 13 février 2019, M. [R] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 27 février 2019.

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 14 mars 2019, M. [R] a été licencié pour faute grave.

Par acte introductif enregistré au greffe le 3 avril 2019, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Thionville aux fins de voir requalifier son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et obtenir la condamnation de la SARL Solauto à lui verser des indemnités de ruptures, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SARL Solauto demandait principalement le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la plainte pénale, et avant dire droit que soit ordonnée une mission de conseiller rapporteur avec pour objet l'audition de certains témoins. Subsidiairement et en tout état de cause, elle sollicitait qu'il soit reconnu que le licenciement prononcé contre M. [R] repose sur une faute grave, s'opposait aux demandes formées contre elle par M. [R], et réclamait la condamnation de celui-ci à lui verser 5 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La procédure a été renvoyée devant le conseil de prud'hommes de Metz compte tenu de la proximité entre le gérant de la SARL Solauto et un conseiller prud'hommal de la section encadrement du conseil de prud'hommes de Thionville.

Par conclusions datées du 15 avril 2021, M. [R] demandait pour la première fois une contrepartie financière à la clause de non-concurrence et réitérait ses prétentions exposées précédemment.

Par jugement du 19 novembre 2021, le conseil de prud'hommes de Metz, section encadrement, a statué ainsi qu'il suit :

Requalifie le licenciement de M. [R] en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

Condamne la SARL Solauto, prise en la personne de son gérant, à payer à M. [R] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2019, date de saisine du conseil de prud'hommes de Thionville :

4 128,65 euros brut au titre du salaire afférent à la période de mise à pied disciplinaire, outre 412,86 euros au titre des congés payés afférents ;

14 333,76 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 433,37 euros brut pour les congés payés y afférents ;

23 226,02 euros net au titre de l'indemnité de licenciement ;

Condamne la SARL Solauto, prise en la personne de son gérant, à payer à M. [R] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 19 novembre 2021 :

40 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [R] de ses demandes au titre de la clause de non-concurrence ;

Déboute la SARL Solauto de sa demande reconventionnelle et de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle que le jugement est de droit exécutoire à titre provisoire en application et dans les limites de l'article R 1454-28 du code du travail ;

Ordonne l'exécution provisoire du jugement concernant les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pour la somme de 40 000 euros net ;

Subordonne l'exécution prévue par les dispositions de l'article 515 du code de procédure civile à la constitution d'une garantie auprès de la caisse des dépôts et consignations, en application de l'article 517 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Solauto, prise en la personne de son gérant, à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage qui ont été versées à M. [R] par cet organisme dans les limites de six mois d'indemnités sur le fondement de l'article L 1235-4 du code du travail ;

Condamne la SARL Solauto aux entiers frais et dépens, y compris ceux liés à l'exécution du présent jugement.

Par déclaration formée par voie électronique le 14 décembre 2021, la SARL Solauto a régulièrement interjeté appel du jugement qui lui avait été notifié le 23 novembre 2021 au vu de l'émargement de l'accusé de réception postal.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 septembre 2023, la SARL Solauto demande à la cour de :

Infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté M. [R] de ses demandes au titre de la clause de non-concurrence ;

Et statuant à nouveau,

Dire et juger que le licenciement de M. [R] repose sur une faute grave ;

Débouter M. [R] de son appel incident ;

Débouter M. [R] de l'intégralité de ses fins et prétentions ;

Le condamner à verser à la SARL Solauto la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société explique que :

Sur le licenciement,

- La demande tendant à voir annuler le licenciement n'a pas le même objet ni la même nature que la demande tendant à le voir requalifier en licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sorte que formée pour la première fois en avril 2021 elle doit être déclarée prescrite,

- La mise à pied prononcée le 2 février 2019 a un caractère conservatoire de sorte que le licenciement prononcé par la suite le 14 mars 2019 ne constitue pas une double sanction,

La société justifie d'un motif légitime, à savoir la nécessité de procéder à une enquête sur les faits de harcèlement moral, expliquant le délai de 11 jours entre la mise à pied et la convocation à l'entretien préalable,

La faute grave reprochée à M. [R] dans le cadre de son licenciement est caractérisée par le harcèlement moral infligé par celui-ci à certains de ses subordonnés, par son comportement agressif et irrespectueux à l'égard de la clientèle, par l'utilisation de matériel de la société à des fins personnelles et enfin par son insuffisance professionnelle, l'ensemble de ces griefs rendant impossible la poursuite du contrat de travail,

Sur la clause de non-concurrence,

M. [R] n'a pas la qualité de commis commercial, ne travaillant pas en permanence au contact de la clientèle et bénéficiant surtout d'une totale indépendance dans l'exécution de ses tâches, de sorte qu'il ne peut pas bénéficier de la clause de non-concurrence prévue pour les seuls commis commerciaux par le code de commerce local,

S'agissant de la demande subsidiaire formée au titre de la clause de non-concurrence figurant au contrat de travail, cette prétention est prescrite comme n'ayant été formée qu'en cours de procédure et plus d'un an après la rupture du contrat de travail,

L'intimé ne démontre pas qu'il a trouvé un emploi dans une société dotée d'une surface de vente respectant les conditions de la clause de non-concurrence prévue au contrat, de sorte qu'il ne peut prétendre au bénéfice de la contrepartie financière ;

En tout état de cause cette demande subsidiaire d'indemnité n'ouvre pas droit à congés payés, cette contrepartie financière n'ayant pas de caractère salarial.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er mai 2023, M. [R] demande à la cour de :

Confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a débouté de ses demandes au titre de la clause de non-concurrence ;

En conséquence, sur appel incident,

A titre principal, condamner la SARL Solauto à payer à M. [R] les sommes de :

. 57 335,15 euros au titre de la contrepartie financière sur la clause de non-concurrence,

. 5 733,51 euros au titre des congés payés afférents,

Subsidiairement, condamner la SARL Solauto à payer à M. [R] les sommes suivantes conformément aux dispositions contractuelles régissant la contrepartie financière de la clause de non-concurrence :

. 19 111,68 euros brut représentant 4 mois de salaire,

. 1 911,16 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

En tout état de cause,

. Condamner la SARL Solauto à payer à M. [R] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

. Condamner la SARL Solauto aux entiers frais et dépens.

M. [R] précise :

Sur le licenciement,

Que la mise à pied conservatoire du 2 février 2019 a une nature disciplinaire compte tenu du délai excessif la séparant de la convocation à l'entretien préalable et de l'absence de motif légitimant ce délai, l'enquête interne mise en 'uvre par l'employeur étant achevée à la date du 2 février 2019,

Que la société ne pouvait donc pas le sanctionner une deuxième fois en prononçant un licenciement à son encontre,

Que cet argument ne constitue pas une demande nouvelle mais un moyen tendant aux mêmes fins, à savoir constater l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,

Que les manquements qui lui sont reprochés dans le cadre de son licenciement ne sont pas établis,

Qu'il n'a commis aucun harcèlement moral, aucune suite n'ayant été réservée à la plainte pénale de l'employeur et l'enquête interne devant être écartée du fait de son absence d'impartialité, d'objectivité et de son caractère déloyal,

Que les témoins entendus dans le cadre de l'enquête ont été incités par l'employeur à l'accabler, leurs témoignages étant imprécis par ailleurs et n'évoquant pas les conséquences sur la santé des prétendues victimes,

Qu'il produit des témoignages contredisant ceux de l'enquête,

Que l'employeur cherchait à se séparer de lui,

Que l'utilisation du matériel de la société pour réparer les véhicules personnels des salariés était une pratique acceptée par l'employeur, qui ne peut pas lui être reprochée,

Que les clients s'étant plaints auprès de la direction ne le visent pas précisément ou sont liés à des membres de la direction,

Que l'insuffisance professionnelle ne peut pas servir de fondement à un licenciement disciplinaire et n'est pas caractérisée en l'espèce, la société ne démontrant pas que les mauvais résultats du Centre Auto lui sont imputables,

Qu'il n'avait auparavant fait l'objet d'aucun avertissement et d'aucun reproche sur ses résultats professionnels ;

Sur la clause de non concurrence,

Que la clause de non-concurrence prévue à son contrat de travail n'a pas été dénoncée par l'employeur,

Qu'il respecte les conditions prévues par cette clause, liées à son activité entamée postérieurement à la rupture, de sorte qu'il peut bénéficier du versement de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence,

Qu'il remplit les conditions pour être considéré comme un commis commercial au sens des dispositions du code de commerce local, en l'absence d'une totale indépendance dans l'exercice de ses fonctions, notamment quant à l'organisation de ses horaires de travail,

Que pour le calcul de cette contrepartie, il peut bénéficier du montant prévu par les dispositions du code de commerce local, et subsidiairement, si le statut de commis commercial ne lui est pas reconnu, de celui prévu au contrat de travail,

Que cette demande subsidiaire n'est pas une demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile, mais une prétention tendant aux mêmes fins.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 octobre 2023.

Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

M. [R] conteste son licenciement et soulève en premier lieu le moyen tiré de l'impossibilité pour l'employeur de prononcer un licenciement à son encontre, au motif que la mise à pied conservatoire qui lui a été notifiée le 2 février 2019 constitue en réalité une mise à pied disciplinaire, en l'absence d'engagement immédiat de la procédure disciplinaire, de sorte qu'il a déjà été sanctionné pour les griefs qui lui sont reprochés et ne peut pas faire l'objet d'une deuxième sanction. Il précise qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle demande mais d'un moyen supplémentaire qu'il peut former en cours de procédure, la prétention tendant à voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse restant inchangée depuis l'introduction de sa demande initiale.

Sur le fond, il conteste les griefs qui lui sont reprochés au titre de la faute grave, soulignant en outre que l'enquête menée par l'employeur suite à la dénonciation de faits de harcèlement moral n'est pas loyale, à défaut d'être impartiale et objective.

La SARL Solauto estime que la demande tendant à faire prononcer la nullité de la procédure disciplinaire est prescrite, comme ayant été formée pour la première fois en avril 2021 alors qu'elle n'a pas le même objet que la demande initiale tendant à constater l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, et ce en application de l'article L 1471-1 du code du travail prévoyant un délai de prescription de deux ans pour les actions liées à la rupture du contrat de travail.

Sur le fond, elle ajoute que la mise à pied litigieuse a une nature conservatoire et que le délai de 11 jours entre sa notification et la convocation à l'entretien préalable au licenciement est justifié par un motif légitime, en l'espèce la nécessité de diligenter une enquête sur les faits de harcèlement moral dénoncés. Elle indique que l'enquête a été diligentée et que les manquements reprochés à M. [R] au titre de la faute grave sont justifiés.

Sur la prescription

En application de l'article 4 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, qui sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense.

En outre, selon l'article 72 du code de procédure civile, les moyens de défense au fond peuvent être proposés en tout état de cause, y compris à hauteur d'appel en application de l'article 563 du même code.

En l'espèce, il résulte de l'examen du dossier que M. [R] a sollicité dans sa demande introductive d'instance datée du 1er avril 2019 la requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et la condamnation de la SARL Solauto à lui payer des indemnités de rupture, fondant sa demande sur l'absence de réalité des griefs. Dans ses conclusions récapitulatives datées du 15 avril 2021, M. [R] sollicite en outre des sommes au titre de la clause de non concurrence et maintient ses prétentions initiales relatives à la requalification de son licenciement, invoquant au soutien de cette demande à la fois l'absence de réalité des griefs telle que soulevée initialement, mais également la nature disciplinaire de la mise à pied prononcée le 2 février 2019 qui interdisait à l'employeur de prononcer d'une nouvelle sanction, à savoir le licenciement.

La contestation de la procédure disciplinaire engagée postérieurement à la notification du 2 février 2019 de la mise à pied conservatoire s'analysant comme un moyen sur lequel repose la demande de requalification du licenciement, et non comme une demande distincte, il convient de constater qu'elle pouvait être soulevée à tout moment par le salarié et n'était pas soumise à un délai de prescription.

La fin de non-recevoir tirée de la prescription est donc écartée.

Sur la nature de la mise à pied notifiée le 2 février 2019

Aux termes de l'article L 1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

En outre, en application des articles L 1332-2 et L 1332-3 du code du travail lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive relative à ces faits ne peut être prise sans que la procédure de convocation à un entretien préalable n'ait été respectée.

Il est de jurisprudence constante que l'employeur qui notifie une mise à pied conservatoire doit immédiatement engager la procédure disciplinaire qui aboutira à la sanction, en convoquant le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement. Si l'employeur n'engage pas immédiatement la procédure de licenciement, et qu'il ne dispose d'aucun motif justifiant ce délai d'attente, la mise à pied sera qualifiée de sanction disciplinaire. Dès lors, le licenciement du salarié prononcé par la suite est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, le président directeur général de la SARL Solauto a notifié à M. [R], par lettre datée du 2 février 2019 remise en main propre, une mise à pied rédigée de la façon suivante :

« Monsieur,

Une enquête est en cours dans l'entreprise SOLAUTO.

Cette enquête est diligentée conformément aux dispositions de l'article L 2313-2 du code du travail.

De plus d'autres faits viennent d'être portés à ma connaissance.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés et dans l'attente de la décision qui découlera des explications que vous nous donnerez, nous vous notifions par la présente une mise à pied conservatoire à effet immédiat qui se terminera lorsque nous aurons statué sur votre sanction ».

S'il n'est pas contesté que la SARL Solauto a attendu 11 jours, soit le 13 février 2019, pour adresser à M. [R] une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 27 février 2019, elle justifie néanmoins avoir procédé à une enquête dans cet intervalle, suite aux faits de harcèlement moral reprochés à M. [R] dont elle s'était vu dénoncer l'existence par un courrier du délégué du personnel daté du 16 janvier 2019.

Elle produit notamment 21 attestations de témoins, établies entre le 18 janvier et le 1er mars 2019 par des salariés, anciens salariés de la SARL Solauto mais aussi par la chef d'équipe sécurité incendie du magasin Leclerc de [Localité 6] situé à proximité du centre auto où M. [R] exerçait ses fonctions, qui ont été invités à s'exprimer sur le comportement de M. [R].

La SARL Solauto justifie ainsi que le délai de 11 jours était nécessaire pour mener à bien les investigations sur les faits reprochés à M. [R], portant sur des agissements de harcèlement moral à l'encontre de certains salariés de l'entreprise, et se déterminer sur l'opportunité d'engager une procédure de licenciement pour faute grave.

La mise à pied notifiée le 2 février 2019 à M. [R] a donc bien un caractère conservatoire et ne constitue pas une mise à pied disciplinaire, de sorte que le licenciement prononcé le 14 mars 2019 à la suite de la procédure engagée par la convocation du 13 février 2019 ne peut pas être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif qu'il viendrait sanctionner un comportement qui l'a déjà été une première fois.

Sur l'existence d'une faute grave

Lorsque l'employeur invoque une faute grave du salarié pour prononcer un licenciement avec effet immédiat, il lui incombe d'apporter la preuve des griefs avancés dans les termes énoncés par la lettre de licenciement, à charge ensuite pour le juge d'apprécier le caractère réel et sérieux de ces griefs et de rechercher s'ils constituaient une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et les motifs invoqués doivent être suffisamment précis, objectifs et vérifiables.

En l'espèce, la lettre de licenciement datée du 14 mars 2019 fait état des griefs suivants à l'encontre de M. [R], caractérisant pour l'employeur un défaut d'exécution loyale et de bonne foi de son contrat de travail et justifiant le licenciement pour faute grave :

« Faits constitutifs de harcèlement moral, un comportement inadmissible et un manque de respect à l'égard de salariés placés sous son autorité » ;

« Abus de pouvoirs et perte de confiance pour l'utilisation à titre personnel du matériel et des salariés de la société » ;

« Comportement agressif et irrespectueux à l'égard de clients du Centre Auto » ;

« Insuffisance professionnelle d'un salarié expérimenté, baisse de résultat, objectif non atteint et chute significative du chiffre d'affaires ».

. Sur les faits constitutifs de harcèlement moral

En application de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En outre, selon l'article L 1152-5 du même code, tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire.

Les dispositions de l'article L 1152-4 du code du travail précisent également que l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

S'agissant de la preuve du harcèlement, il convient de rappeler que les dispositions de l'article L 1154-1 du code du travail ne sont pas applicables en cas de litige relatif à la mise en cause d'un salarié auquel sont reprochés des agissements de harcèlement moral, seules les règles de preuve de droit commun devant s'appliquer.

M. [R] soulève en premier lieu le caractère déloyal de l'enquête diligentée par l'employeur en application de l'article L 2313-59 du code du travail, expliquant qu'elle n'est ni impartiale ni objective, comme ayant été effectuée par le seul employeur, de façon non contradictoire, sans que les témoins de M. [R] n'aient été entendus, et les salariés auditionnés pendant l'enquête ayant fait l'objet de pression de la part de l'employeur. Il conclut à l'inopposabilité de cette enquête.

Il ajoute que le harcèlement moral n'est pas démontré, compte tenu de l'imprécision des témoignages, de l'absence d'indications relatives aux conséquences du harcèlement moral sur l'état de santé des salariés prétendues victimes, du défaut de saisine du médecin du travail, de la volonté de l'employeur de mettre fin à son contrat, des témoignages qu'il produit contredisant les attestations adverses, et de l'absence de toute critique par l'employeur de son comportement dans les entretiens d'évaluation d'autres salariés.

Selon l'article L 2313-2 ancien du code du travail, devenu L 2313-59 depuis le 1er janvier 2018 et la création des comités sociaux économiques, si un délégué du personnel constate, notamment par l'intermédiaire d'un salarié, qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l'employeur. Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement sexuel ou moral ou de toute mesure discriminatoire en matière d'embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement. L'employeur procède sans délai à une enquête avec le délégué et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation.

En l'espèce, il résulte des éléments versés aux débats que M. [A] [D], délégué du personnel au sein de la SARL Solauto, a adressé aux dirigeants de la société un courrier daté du 16 janvier 2019 rédigé de la façon suivante :

« Suite à l'appel que j'ai reçu de l'inspection du travail, je me dois, en tant que délégué du personnel, de vous avertir des faits. Celle-ci a reçu de multiples plaintes provenant de salariés du centre SOLAUTO de [Localité 6], concernant des accusations de harcèlement qui seraient commis à leur encontre par monsieur [R] [P] notre directeur. Par la présente, je vous sollicite afin que les contrôles et une enquête soient réalisés, par vos soins, auprès du personnel du centre automobile. »

La SARL Solauto répondait dès le lendemain, par courrier remis en main propre à M. [A] [D], dans lequel elle précisait qu'elle avait décidé de procéder sans délai à une enquête conjointe avec lui en application de l'article L 2313-2 du code du travail, et que de ce fait elle lui demandait expressément de se rapprocher de ses deux délégataires de pouvoir afin de déterminer les modalités et le planning d'enquête.

En décidant ainsi de procéder à une enquête, l'employeur a respecté les dispositions des articles susvisés.

Par ailleurs, le fait que M. [D] ait occupé les fonctions de M. [R] pendant quelques mois, à compter de sa mise à pied conservatoire et jusqu'à son remplacement, n'est pas de nature à porter atteinte à la force probante de l'enquête à laquelle il a participé ou à son témoignage.

Il ressort des attestations versées aux débats par la SARL Solauto (pièces n°12 à 29 et 31 à 33) que la société a recueilli, dans le cadre de cette enquête, les témoignages de 21 de ses salariés ou anciens salariés, dont 5 ont indiqué ne pas avoir été témoins de faits de harcèlement moral ou ne pas avoir eu de difficulté particulière avec M. [R] (pièces n°23 à 27 : Mrs [I], [Z], [N], Mmes [V] et [W]), de sorte que le reproche tiré du manque d'impartialité de l'enquête ne peut pas être retenu.

M. [R] produit des attestations de salariés (pièces n°7 à 11 et 13 à 16), dont pour certains le témoignage a été recueilli dans le cadre de l'enquête, qui révèlent d'autres points litigieux existant quant au fonctionnement de l'entreprise (M. [Z], [F]), mais aussi l'insistance de l'employeur à ce que les points négatifs de M. [R] soient exposés et à faire témoigner ses salariés qui n'en avaient pas véritablement envie (Mrs [T], [E], [U]). Toutefois, ces témoins ne reviennent pas sur les déclarations ou les précisions peu favorables à M. [R] formulées dans leurs attestations données à l'employeur. Les pressions imputées par M. [R] à l'employeur qui aurait tenté d'influencer le contenu des témoignages ne sont donc pas établies.

Par ailleurs, le chantage à l'attestation dénoncé par M. [M] dans son témoignage ne caractérise pas une attitude déloyale de la SARL Solauto compte tenu du litige prud'homal existant entre celui-ci et la SARL Solauto qui porte atteinte à la force probante de cette attestation.

En outre, si M. [R] conteste avoir eu communication des attestations recueillies par l'employeur dans le cadre de l'enquête, il résulte de la lettre de licenciement qu'il a eu connaissance de leur contenu au cours de l'entretien préalable, de sorte que le contradictoire a été respecté.

Dès lors le caractère déloyal de l'enquête effectuée par l'employeur n'est pas établi, et il n'y a pas lieu de la déclarer inopposable à M. [R].

Il résulte des différents témoignages recueillis lors de l'enquête que des salariés travaillant directement avec M. [R] (Mrs. [E], [H], [S], [X], [J], [U]) se sont plaints de subir des insultes, des moqueries ou des propos dénigrants, rabaissants (ex : con, moins que rien, incapable, gros, ne sers à rien) de la part de M. [R], y compris en présence de collègues.

Ces témoignages sont renforcés par ceux de salariés qui estiment ne pas avoir été victimes personnellement de fait de harcèlement moral ou d'un comportement anormal de la part de M. [R], mais qui ont néanmoins constaté que M. [R] était dur avec certains d'entre eux, notamment avec les nouveaux qu'il qualifiait de « non rentables » en les poussant un peu pour qu'ils aillent plus vite (Mme [L]), ou qui comprennent que certains autres salariés aient eu l'impression d'être harcelés (M. [F]), ou encore qui ont été témoins d'insultes, de propos dégradants envers des membres du personnel (M. [D]), ou de farces portant sur le physique (Mme [Y]).

D'autres témoins, qui soulignent les qualités professionnelles de M. [R], confirment cependant que celui-ci manque de respect et de contrôle et s'énerve (M. [T]).

Si certains de ses collègues n'ont rien à dire à l'encontre de M. [R] (Mrs. [I], [Z], [N], [O], Mmes [V], [W]), le nombre important d'attestations concordantes de salariés dénonçant des comportements dégradants et humiliants à l'encontre d'autres salariés subordonnés démontre l'existence et la réalité de ces propos.

Ces comportements, du fait de leur répétition, de la position de supérieur hiérarchique occupée par M. [R], de leur caractère dénigrant voire humiliant, des conséquences sur les salariés concernés qui expliquent venir travailler avec la boule au ventre ou subir un stress (Mrs. [E], [X]), constituent des agissements de harcèlement moral et ce quand bien même ils n'ont pas entraîné d'arrêt de travail ou de démission de la part de salariés qui en ont été victimes.

Ce grief est dès lors établi.

. S'agissant du comportement agressif et irrespectueux à l'égard de clients de la société

La SARL Solauto reproche à M. [R] d'avoir adopté un comportement agressif et irrespectueux à l'égard de certains clients du Centre Auto, précisant que des lettres de réclamation de clients permettent de l'identifier et que l'attitude de M. [R] a nécessité l'intervention du personnel de sécurité de l'hypermarché dans lequel se trouve le Centre Auto.

M. [R] conteste ce manquement, estimant que les témoignages sont imprécis, exagérés, non probants ou non objectifs.

Il résulte des pièces versées aux débats que deux clients du Centre Auto (pièces n°34 et 35) ont signalé par courriers du 14 janvier 2019 et du 5 décembre 2018 à la direction de l'hypermarché Leclerc que le responsable du Centre Auto, se présentant à eux comme étant le directeur, avait eu un comportement « irrespectueux et irresponsable » pour le premier et « agressif » pour le second.

La désignation par les clients du Centre Auto et de la fonction (directeur) de l'auteur de ces agissements permet d'identifier M. [R] avec certitude, et ce quand bien même le nom de celui-ci n'est pas donné précisément.

Par ailleurs, plusieurs salariés indiquent avoir été témoins du comportement non respectueux ou injurieux de M. [R] à l'égard de clients (pièces de l'appelante n°22, 16, 20, 21, 14, 18), M. [D] précisant même avoir dû contacter téléphoniquement certains d'entre eux, « parler longuement, pour nous excuser de son comportement et trouver un terrain d'entente afin d'éviter une mauvaise publicité sur internet ou un courrier de réclamation ». Mme [B], chef d'équipe sécurité incendie au magasin Leclerc, indique en outre dans son attestation (pièce n°36 de l'appelante) : « à plusieurs reprises, j'ai dû intervenir au Leclerc Auto pour des différends entre M. [R] [P] et plusieurs clients et toujours pour les mêmes raisons, le comportement irrespectueux, vulgaire et agressif qu'avait M. [R] envers la clientèle. Lors de mes arrivées sur place, M. [R] se montrait très agressif, voire menaçant et insultait les clients de divers noms comme « connard ' bouffon ». A chaque intervention je devais calmer le jeu, mais M. [R] continuait toujours de plus belle ! ».

Ces témoignages sont suffisamment précis et circonstanciés pour confirmer les déclarations des clients et démontrer l'existence d'un comportement agressif et irrespectueux de M. [R] à l'encontre d'une partie de la clientèle du Centre Auto.

Il convient dès lors de considérer ce manquement comme établi.

. S'agissant de l'utilisation à titre personnel du matériel et des salariés de la société

La SARL Solauto reproche à M. [R] un abus de pouvoirs et une perte de confiance pour l'utilisation à titre personnel du matériel et des salariés de la société. Elle indique qu'au cours de l'enquête diligentée suite à la révélation de faits de harcèlement moral, elle a appris que M. [R] a fait entreposer pendant environ 6 mois au Centre Auto son propre véhicule Peugeot 205, qu'il y faisait des travaux dessus, certains mécaniciens du Centre Auto intervenant pour procéder à ces réparations.

Si la SARL Solauto reconnaît accepter que ses salariés viennent au Centre technique pour y effectuer des réparations sur leurs véhicules personnels, elle fait grief à M. [R] de ne pas avoir établi de devis ni obtenu l'accord de la direction, de sorte qu'il a manqué à son obligation de loyauté à l'égard de son employeur en laissant planer des doutes pour les salariés sur la probité du dirigeant du Centre Auto.

M. [R] ne conteste pas avoir entreposé son véhicule au Centre Auto et y avoir fait des réparations, mais précise que cette démarche n'a pas gêné le fonctionnement du centre, qu'il profitait de ses temps de pause pour travailler sur son véhicule, et que les autres membres du personnel ont toujours bénéficié de la gratuité de la main d''uvre sur leurs véhicules personnels.

Les différentes pièces versées aux débats confirment le dépôt par M. [R] de son véhicule et les réparations qui y étaient effectuées, ce qui n'est pas contesté par M. [R], mais démontrent également que d'autres salariés procédaient de la même manière, sans que l'employeur ne justifie des règles et exigences mises en place pour valider cet usage (devis, autorisation) qu'elle déclare avoir accepté.

A défaut pour la société de justifier d'un protocole précis et de démontrer que M. [R] ne l'a pas respecté, il y a lieu de considérer que la réalité de ce grief n'est pas démontrée.

. S'agissant de l'insuffisance professionnelle et de résultats

Dans le cadre de son licenciement pour faute grave, la SARL Solauto considère que M. [R] a fait preuve d'insuffisance professionnelle, compte tenu du fait qu'il a connu une baisse de ses résultats, que ses objectifs n'ont pas été atteints, et que le chiffre d'affaires du Centre a connu une chute significative.

La SARL Solauto précise qu'indépendamment des résultats chiffrés qui démontrent cette insuffisance professionnelle, le comportement irascible de M. [R] avec certains clients, la démobilisation de son équipe par son harcèlement moral, l'utilisation d'équipements de la société à des fins personnelles ont causé une perte sèche pour la société qui n'a pas utilisé un de ses 7 ponts élévateurs pendant 6 mois, et ont eu une incidence significative sur les résultats de la société.

M. [R] conteste l'insuffisance professionnelle qui lui est reprochée, précisant que le fondement d'un licenciement pour faute grave ne peut pas reposer sur une insuffisance professionnelle, et indiquant qu'aucun objectif précis n'a été fixé en concertation avec lui ni ne lui a été communiqué, la SARL Solauto ne justifiant pas en outre que les résultats du Centre sont en rapport avec son activité personnelle. Il ajoute qu'il n'a jamais été alerté sur ses résultats et qu'aucun reproche ne lui a été formulé antérieurement à la procédure de licenciement.

Il est constant que l'insuffisance professionnelle n'est jamais fautive, mais que l'employeur doit toutefois se placer sur le terrain disciplinaire si les mauvais résultats du salarié résultent d'une abstention ou d'un comportement volontaire, ou de sa mauvaise volonté délibérée. L'employeur doit en outre justifier de faits objectifs matériellement vérifiables imputables au salarié pouvant caractériser cette insuffisance professionnelle, sans cependant que le juge ne puisse substituer son appréciation à celle résultant pour cet employeur de l'exercice de son pouvoir de direction.

En l'espèce, la SARL Solauto verse aux débats un document établi par ses soins intitulé « Point sur les résultats économiques du centre Auto de [Localité 6] » dans lequel elle présente l'évolution du chiffre d'affaires entre 2017 et 2018 pour les centres de [Localité 6], de [Localité 3] et pour la « Scapest », ainsi que les bilans au 31 janvier 2018 et les comptes du 1er février au 31 décembre 2018 pour ces structures.

Ce document, qui n'est pas établi par un comptable et qui ne fait état que d'informations partielles sur le fonctionnement des centres, ne permet pas à lui seul de justifier que le comportement de M. [R] est à l'origine de la baisse de résultat et de chiffre d'affaires du centre Auto de [Localité 6], aucune pièce ne démontrant par ailleurs qu'un objectif précis a été fixé à M. [R] pendant cette période et n'a pas été respecté par celui-ci.

La réalité de ce grief n'est donc pas établie.

*****

S'agissant des motifs de licenciement pour faute grave retenus par l'employeur dans la lettre de licenciement, seuls le harcèlement moral, à l'encontre de salariés placés sous son autorité, et le comportement agressif et irrespectueux de M. [R], à l'égard de clients du Centre Auto, sont établis.

Compte tenu de l'impact occasionné par ces agissements sur l'ambiance régnant au sein du Centre Auto de [Localité 6] et les relations de travail au sein de la structure, mais également sur la clientèle fréquentant le centre, et au regard des fonctions de directeur occupées par M. [R], le comportement de M. [R] empêchait, même pendant la durée du préavis, toute poursuite de son contrat de travail au sein de la SARL Solauto, tenue à une obligation de prévention en application de l'article L 4121-1 du code du travail, ce qui justifiait son licenciement pour faute grave.

Le jugement entrepris doit donc être infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande formée par M. [R] aux fins de requalifier en licenciement sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave prononcé contre lui le 14 mars 2019, et M. [R] sera débouté de cette prétention.

Les autres demandes formées par M. [R] aux fins de voir condamner la SARL Solauto à lui verser un rappel de salaire au titre de la mise à pied outre les congés payés afférents, une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, une indemnité de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doivent également être rejetées comme n'étant pas justifiées.

La demande aux fins d'ordonner, en application de l'article L 1235-4 du code du travail, le remboursement à Pôle emploi, devenu France Travail, des indemnités chômage versées à M. [R] est également rejetée, le licenciement étant fondé.

Sur la demande formée par M. [R] au titre de la contrepartie de la clause de non-concurrence

Selon l'article L 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Le contrat de travail signé le 4 janvier 2002 par les parties prévoit à sa page 3 une clause de non-concurrence qui n'a pas été modifiée par les avenants ultérieurs et qui est rédigée de la façon suivante :

« Au cas où le présent contrat viendrait à être rompu postérieurement à la période d'essai par l'une ou l'autre des parties, vous vous engagez expressément à ne pas travailler à quelque titre que ce soit (salarié, gérant ou autre) dans toute entreprise, d'une surface de vente comprise entre 200 m2 et 1 500 m2, ayant pour objet la vente au public de produits ou marchandises concurrençant directement ou indirectement les nôtres, et ce dans un rayon de 100 km à vol d'oiseau autour de notre magasin.

L'exécution de la présente clause est limitée à une durée égale à l'ancienneté que vous aurez acquise dans l'entreprise au jour de votre départ plafonnée à deux ans ; cette clause ne commencera à produire ses effets qu'à la date de cessation de nos relations contractuelles.

Toute infraction à cette clause vous exposerait au paiement d'une indemnité fixée forfaitairement à 50 fois le SMIC horaire en vigueur au jour de votre départ, et ce par jour de retard à faire cesser l'infraction.

En contrepartie de l'obligation de non-concurrence telle que définie ci-dessus, vous percevrez le jour de la cessation effective de votre contrat de travail une indemnité spéciale forfaitaire et unique égale à 400% de votre dernier salaire mensuel de base.

Néanmoins, nous nous réservons le droit de vous libérer de cette clause de non-concurrence à condition de vous en aviser par lettre recommandée avec accusé de réception dans les huit jours qui suivront la notification, par l'une ou l'autre des parties, de la rupture de votre contrat de travail ; dans ce cas, vous ne bénéficiez pas de l'indemnité compensatrice dont il est question ci-dessus. »

Il est constant que la SARL Solauto n'a pas dénoncé cette clause dans les huit jours de la rupture du contrat de travail de M. [R] intervenue le 14 mars 2019.

Par ailleurs, M. [R] justifie avoir signé un contrat à durée indéterminée avec la société KR Pneus, située à [Localité 5], pour laquelle il occupe une fonction d'assistant commercial depuis le 16 avril 2019. A la date du 9 septembre 2021, le gérant de cette société attestait que la surface de vente de la société KR Pneus représentait une superficie n'excédant pas 45 m2.

M. [R] démontrant avoir respecté les obligations qui lui étaient imposées par cette clause, il est en droit de bénéficier de la contrepartie financière destinée à les compenser.

S'agissant du montant de l'indemnité de non-concurrence, M. [R] revendique la qualité de commis commercial, dont le statut est régi par le code de commerce local, applicable aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Il rappelle à cet effet qu'aux termes de l'article 74 de ce code, le commis commercial qui est soumis à une clause de non-concurrence peut prétendre en cas de rupture de son contrat de travail à une indemnité dont le montant doit être, pour chaque année d'interdiction, égal à la moitié des rémunérations prévues par le contrat et versées en dernier lieu au commis, et non à seulement 400% de son dernier salaire mensuel de base comme il a été convenu dans le contrat de travail signé entre les parties.

Il est de jurisprudence constante que seul le commis commercial peut se prévaloir des articles 74 et 75 de ce code qui ne régit que les rapports des commis et apprentis commerciaux avec les commerçants. L'article L. 1226-24, alinéa 3, du code du travail définit le statut de commis commercial comme « le salarié qui, employé par un commerçant au sens de l'article L. 121-1 du code de commerce, occupe des fonctions commerciales au service de la clientèle. »

Pour caractériser le statut de commis commercial, à interprétation restrictive, il y a lieu d'examiner les fonctions confiées au salarié sous l'angle des deux critères principaux contestés par l'employeur, à savoir l'exercice de fonctions commerciales en relation avec la clientèle et l'absence d'indépendance dans l'exercice des fonctions. Ainsi, le commis commercial ne doit pas bénéficier d'une grande autonomie dans son travail ou dans l'organisation de son travail et le seul contact avec la clientèle n'est pas suffisant pour caractériser ce statut, les fonctions du salarié devant être à prépondérance commerciale et non manuelle ou technique.

En l'espèce, si la SARL Solauto précise que M. [R] n'était pas en permanence en contact direct avec la clientèle, quand bien même cela a pu lui arriver, les fonctions de directeur d'un Centre Auto, nécessitant une certaine polyvalence au vu de son contrat de travail, impliquaient qu'il travaillait régulièrement en contact direct avec la clientèle.

Les courriers de deux clients et les attestations de six salariés de la société et de la chef d'équipe sécurité incendie du centre commercial Leclerc de [Localité 6], tels que précisés dans les développements qui précèdent, montrent en outre que M. [R] a eu plusieurs échanges conflictuels avec des clients, ce qui signifie nécessairement qu'il se trouvait régulièrement au service de la clientèle dans le cadre de ses fonctions commerciales.

Cette condition est dès lors remplie, le caractère permanent du contact avec la clientèle n'étant pas exigé pour bénéficier du statut de commis.

S'agissant de la seconde condition, la SARL Solauto explique que le poste de M. [R] implique une indépendance dans l'exécution de ses tâches qui apparaît au vu des fonctions de M. [R] décrites dans son contrat de travail.

M. [R] retient quant à lui qu'il ne disposait pas de cette totale indépendance puisque la société Solauto est gérée et administrée par son gérant, M. [C], et n'a ni la qualité d'associé ni de dirigeant de la société.

La cour entend rappeler que la condition tirée de l'absence d'une totale indépendance s'apprécie au regard des fonctions réellement exercées par le salarié, et non du seul descriptif de son poste figurant dans son contrat de travail.

Si le contrat de travail prévoit que M. [R], en sa qualité de directeur du Centre Auto, a « la responsabilité pleine et entière » du centre, est « responsable de l'animation de l'équipe de Direction de façon à optimiser le résultat, le fonctionnement et l'image de l'enseigne », dispose « d'une entière autonomie quant à la réalisation de ses tâches dans la limite des responsabilités qui lui sont déléguées », s'inscrivant « dans la perspective d'une activité commerciale qui implique une certaine polyvalence », il est également précisé qu'il exerce ses fonctions « compte tenu des directives générales ou particulières qui (lui) seront données par la Direction Générale ».

Les échanges de courriers versés aux débats établis entre janvier et septembre 2015 entre M. [R] et le gérant de la SARL Solauto, M. [C], puis le courriel adressé par la responsable ressources humaines du centre Leclerc de [Localité 6] à l'ensemble des responsables de la structure (pièce n°24 de M. [R]), montrent que la SARL Solauto imposait à M. [R] de ne pas dépasser les 39.5 heures de travail hebdomadaires, à moins d'y être autorisé préalablement par écrit par la direction, que M. [R] s'est fait vu rappeler à plusieurs reprises la procédure applicable en la matière, et qu'il devait remplir pour chaque semaine une feuille de pointage dont la somme des heures était égale à 39.5 heures, feuille signée par M. [R] et un délégataire de la direction.

Ces éléments démontrent que M. [R] n'était pas indépendant pour gérer et organiser son temps de travail, de sorte qu'il ne disposait pas d'une indépendance totale dans l'exercice de ses fonctions, remplissant ainsi la dernière condition pour bénéficier du statut de commis commercial prévu notamment par les dispositions de l'article 74 du code de commerce local.

Compte tenu de l'ancienneté de plus de 16 années acquise par M. [R] au sein de la SARL Solauto, portant à deux ans la durée des obligations liées à la clause de non-concurrence prévue au contrat de travail, M. [R] est en droit de bénéficier d'une indemnité dont le montant est égal à la moitié de son salaire mensuel pendant la durée de la clause, soit pendant deux ans, ce qui représente un an de salaire.

M. [R] sollicite la somme de 57 335,15 euros brut, calculée à partir d'un salaire mensuel de base de 4 777,92 euros bruts, outre les congés payés afférents.

La SARL Solauto ne contestant pas le montant du salaire invoqué, elle doit être condamnée à verser à M. [R] la somme de 57 335,04 euros (12 mois x 4 777,92 euros) brut à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence, outre la somme de 5 733,50 euros brut pour les congés payés afférents, compte tenu de la nature salariale de cette indemnité.

Le jugement entrepris est infirmé sur ce point.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement entrepris est confirmé sur les dépens de première instance.

La SARL Solauto, partie perdante à l'instance, est également condamnée aux dépens d'appel, sans qu'il n'y ait lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant contradictoirement, en dernier ressort,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la SARL Solauto aux dépens de première instance et en ce qu'il a débouté la SARL Solauto de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la SARL Solauto tirée de la prescription de la demande tendant à faire prononcer la nullité de la procédure disciplinaire,

Dit que le licenciement pour faute grave de M. [P] [R] est justifié,

Rejette en conséquence la demande formée par M. [P] [R] aux fins de requalifier son licenciement pour faute grave prononcé le 14 mars 2019 en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Rejette les demandes formées par M. [P] [R] aux fins de condamner la SARL Solauto à lui verser un rappel de salaire au titre de la période de mise à pied et des congés payés afférents, une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, une indemnité de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Rejette la demande formée par M. [P] [R] aux fins de condamner la SARL Solauto à restituer à Pôle emploi, devenu France Travail, les indemnités chômage versées à M. [P] [R],

Condamne la SARL Solauto, prise en la personne de son représentant légal, à verser à M. [P] [R] la somme de 57 335,04 euros brut à titre de contrepartie financière à la clause de non-concurrence,

Condamne la SARL Solauto, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [P] [R] la somme de 5 733,50 euros brut au titre des congés payés afférents à la contrepartie financière à la clause de non-concurrence,

Rejette la demande formée par M. [P] [R] au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance,

Confirme le jugement entrepris pour le surplus,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SARL Solauto aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 21/02929
Date de la décision : 02/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-02;21.02929 ?
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