RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 22/02734 - N° Portalis DBVS-V-B7G-F3P6
Minute n° 24/00181
[Z]
C/
S.A.R.L. OKNO FEN FRANCE
Jugement Au fond, origine TJ de METZ, décision attaquée en date du 03 Novembre 2022, enregistrée sous le n° 1122000093
COUR D'APPEL DE METZ
3ème CHAMBRE - TI
ARRÊT DU 27 JUIN 2024
APPELANT :
Monsieur [L] [Z]
[Adresse 1]
Représenté par Me Sébastien JAGER, avocat au barreau de METZ
INTIMÉE :
S.A.R.L. OKNO FEN FRANCE
[Adresse 2]
Représentée par Me Stéphane FARAVARI, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés devant M. MICHEL, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries.
A l'issue des débats, les parties ont été informées que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2024, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
PRÉSIDENT : Mme GUIOT-MLYNARCZYK, Président de Chambre
ASSESSEURS : M. MICHEL, Conseiller
M. KOEHL, Conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme BAJEUX, Greffier
ARRÊT :
Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Mme GUIOT-MLYNARCZYK, Présidente de Chambre, et par Mme BAJEUX, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Par ordonnance du 23 novembre 2021, le juge du tribunal judiciaire de Metz a enjoint à M. [L] [Z] de payer à la SARL Okno Fen France la somme de 5.486,00 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2021.
M. [Z] a formé opposition le 20 janvier 2022 et au dernier état de la procédure, la SARL Okno Fen France a demandé au tribunal de le condamner à lui payer les sommes de 5.486 euros avec intérêts au taux légal depuis le 10 septembre 2021, de 800 euros de dommages et intérêts et de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [Z] a demandé au tribunal de juger irrecevables les prétentions de la SARL Okno Fen France, de l'en débouter et la condamner à lui payer la somme de 2.000 euros pour procédure abusive et celle de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 3 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Metz a'déclaré recevable l'opposition formée par M. [Z], mis à néant l'ordonnance portant injonction de payer prononcée le 23 novembre 2021 et a :
- déclaré recevables les demandes de la SARL Okno Fen France
- condamné M. [Z] à verser à la SARL Okno Fen France la somme de 5.486 euros au titre de la facture n°2020-12-1057 du 28 octobre 2020, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2021
- débouté la SARL Okno Fen France de sa demande de dommages et intérêts
- débouté M. [Z] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts
- condamné M. [Z] aux dépens et à verser à la SARL Okno Fen France une indemnité de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- débouté M. [Z] de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Par déclaration déposée au greffe le 2 décembre 2022, M. [Z] a interjeté appel des dispositions de ce jugement à l'exception de celles l'ayant déclaré recevable en son opposition et ayant débouté la SARL Okno Fen France de sa demande de dommages et intérêts.
Aux termes de ses dernières conclusions du 5 juillet 2023, il demande à la cour d'infirmer le jugement et de':
- juger irrecevables et non fondées les demandes de la SARL Okno Fen France pour défaut d'intérêt et de qualité à agir contre lui
- à défaut débouter la SARL Okno Fen France de l'ensemble de ses prétentions en raison de la nullité du contrat et, à titre subsidiaire, en raison de sa défaillance à démontrer l'existence de l'obligation dont elle tente d'obtenir l'exécution
- débouter la SARL Okno Fen France de ses demandes nouvelles d'irrecevabilité et de dommages et intérêts pour résistance abusive
- en tout état de cause la condamner à lui payer la somme de 2.000 euros pour procédure abusive, celle de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.
Il soutient que les demandes sont irrecevables pour défaut d'intérêt et de qualité à agir contre lui dans la mesure où il n'a jamais conclu le moindre contrat avec la SARL Okno Fen France, expliquant que contrairement à ce qu'a estimé le tribunal la dette contractée par son épouse Mme [I], relative à la création d'une ouverture entre la cuisine et l'espace de vie pour la mise en 'uvre d'une verrière, n'a pas pour objet l'entretien du ménage au sens de l'article 220-1 du code civil, de sorte qu'elle n'oblige pas solidairement les deux époux. Il prétend que son épouse est seule à l'origine de la commande sans qu'il en ait eu connaissance, que le salarié de l'intimée qui a établi le devis est un de ses amis et client de son cabinet d'hypnothérapeute, qu'il était informé de la séparation des époux et qu'il n'a lui-même jamais pu profiter de l'agrément résultant des travaux. M. [Z] ajoute que le financement de ces travaux constitue une dépense excessive au vu du devis qu'il produit, et inutile pour le ménage. Il précise que la SARL Okno Fen France est de mauvaise foi et qu'il a déposé plainte à son encontre pour tentative d'escroquerie ainsi qu'à l'encontre de son salarié, soulignant la connivence entre celui-ci et Mme [I] qui n'a pas été sollicitée pour le règlement de la facture, ni même attraite à la procédure. Il observe également que l'intimée ne rapporte pas la preuve de la date à laquelle elle a réalisé les travaux et ne peut dès lors se prévaloir de la solidarité entre époux.
L'appelant fait par ailleurs valoir que sa demande subsidiaire tendant à la nullité du contrat est recevable, cette question ayant été'visée dans ses conclusions justificatives d'appel comme la prétention ayant pour objet le rejet des demandes au motif de cette même nullité. Il souligne que le devis établi au nom de M. et Mme [Z] ne contient pas la signature et la mention «'bon pour accord'» de l'ensemble des clients, qu'il ne comporte ni la date, ni le délai d'exécution du service, ni l'existence et les modalités de mise en 'uvre des garanties légales, qu'il se contente d'une somme forfaitaire ne reposant sur aucun détail, les prestations n'étant pas chiffrées, et qu'il constitue en fait un faux grossier, ses références laissant apparaître qu'il a été réalisé non le 9 octobre 2020 mais au mois de décembre 2020. Il soutient également que la SARL Okno Fen France ne rapporte la preuve ni de la date d'exécution des travaux litigieux, ni de leur réalisation effective au 25 octobre 2020, que les références de la facture renvoient au mois de décembre 2020, laquelle ne répond pas aux exigences légales et constitue un faux grossier. Il en déduit que même si la nullité du contrat n'est pas prononcée, l'intimée doit être déboutée de sa demande en raison de sa défaillance à démontrer l'obligation dont elle réclame l'exécution.
Au soutien de sa demande de dommages et intérêts, l'appelant fait valoir que la procédure a été engagée de façon abusive aux fins d'obtenir un titre exécutoire à son encontre avec la complicité de Mme [I] qui est le véritable cocontractant, ajoutant que la somme sollicitée au vu des prestations effectuées atteste d'une tentative d'escroquerie. Enfin il s'oppose à la demande de dommages et intérêts adverse.
Aux termes de ses dernières conclusions du 22 novembre 2023, la SARL Okno Fen France demande à la cour de':
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts
- condamner M. [Z] à lui payer une somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et préjudice moral
- confirmer pour le surplus le jugement entrepris
- déclarer irrecevable subsidiairement mal fondé l'ensemble des demandes de M. [Z] et les rejeter
- le condamner aux dépens d'appel et à lui payer la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose que M. [Z] l'a sollicitée pour réaliser des travaux, qu'un devis de 5.486 euros a été émis le 9 octobre 2020, qu'il a été accepté et signé, que les travaux convenus ont été réalisés, qu'une facture de 5.486 euros a été établie le 28 octobre 2020, qu'elle a adressé une mise en demeure à l'appelant le 15 avril 2021 et tenté en vain de solutionner amiablement le dossier.
Sur l'intérêt et la qualité à agir, elle observe que le devis a été établi au nom de M. et Mme [Z] et que les problèmes de couple de l'appelant lui sont inopposables, soulignant que les travaux ont été réalisés pendant le mariage, avant le 1er février 2021, date de la séparation de fait selon M. [Z], précisant que celui-ci était présent le matin pour ouvrir la porte aux ouvriers, qu'il s'occupait du côté technique des travaux et donnait des directives pendant que son épouse se chargeait du côté décoration. Elle fait valoir que les travaux concernent la cuisine du domicile conjugal dont les époux sont propriétaires indivis, qu'il s'agit d'une dette contractée pendant le mariage pour l'entretien du ménage, qu'elle n'est pas excessive au regard des revenus des époux, que la solidarité des époux s'applique et que l'appelant en bénéficiera dans le cadre du partage, ajoutant être libre de diriger la procédure contre le codébiteur de son choix.
Au visa de l'article 910-4 du code de procédure civile, l'intimée expose que l'appelant est irrecevable à invoquer la nullité du contrat faute de l'avoir sollicitée dans ses conclusions justificatives d'appel. Elle soutient qu'il n'a pas qualité pour solliciter des sanctions administratives, que l'absence de mention du délai d'exécution dans le devis est indifférente, que les travaux ont été réalisés avant le départ du domicile conjugal de l'appelant et que celui-ci admet avoir eu connaissance du devis et de la facture le 25 janvier 2021, soit un mois auparavant environ. Elle conteste les critiques émises à l'encontre de sa facture, expliquant que celle-ci a bien été établie le 28 octobre 2020 comme en atteste un extrait de son grand livre comptable et qu'une facture n'est pas forcément établie au même moment que les travaux, ceux-ci ayant été achevés au mois de janvier 2021. Elle ajoute que l'appelant produit un devis établi sur internet sans rapport avec les travaux effectués et qu'il n'a pas contesté sa facture avant le 20 janvier 202, ni appelé en garantie son épouse. Enfin elle sollicite des dommages et intérêts pour résistance abusive.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 novembre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le défaut de légitimité passive
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'article 220 du code civil dispose que chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants, toute dette ainsi contractée par l'un oblige l'autre solidairement. La solidarité n'a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l'utilité ou à l'inutilité de l'opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.
En l'espèce, pour justifier de la souscription par l'appelant du contrat qu'elle allègue, la SARL Okno Fen France verse notamment aux débats un devis de travaux daté du 9 octobre 2020 comportant en suite de la mention manuscrite «'bon pour accord'», une signature attribuée à Mme [Z]. C'est en vain que l'intimée soutient que ce document engage les deux époux au motif qu'il est établi au nom de «'M. et Mme [Z]'» expressément désignés comme «'clients'». Cette mention apposée par l'intimée n'atteste à elle seule ni de la transmission effective du devis aux deux époux, ni de leur accord et n'est donc pas de nature à caractériser un engagement de l'appelant dont il n'est pas allégué qu'il a lui-même signé le document. Il n'est pas davantage démontré qu'il l'a accepté. En effet, s'il résulte des mentions d'un courriel échangé le 10 novembre 2020 entre l'intimée et l'installateur de cuisine, que M. [Z] était informé de tout ou partie des travaux projetés et qu'il ressort de l'attestation d'un sous-traitant, M. [K], que l'appelant lui donnait des directives, à elles seules, ces circonstances n'induisent pas une connaissance du devis, une acceptation de son montant et la souscription d'une obligation de règlement lesquelles ne sont corroborées par aucun élément objectif du dossier.
C'est par ailleurs à tort que le premier juge a estimé que le montant des travaux litigieux constitue une dépense ménagère au sens de l'article 220 du code civil, les époux étant à l'époque toujours mariés. En effet, il ressort des pièces versées aux débats, en particulier du devis du 9 octobre 2020, que l'intervention de l'intimée a consisté à procéder à une ouverture dans la cloison entre la cuisine et l'espace de vie pour poser une verrière. Il n'est pas démontré que le financement de ces travaux procède d'une dépense nécessaire à la vie courante du ménage, alors qu'il ressort des explications et photographies produites que la transformation est essentiellement d'ordre esthétique et si les travaux permettent une communication entre les deux pièces comme l'a retenu le premier juge, celle-ci relève tout au plus d'un agrément et non d'une utilité qui n'est même pas invoquée. Le fait que cette dépense a vocation à profiter symétriquement aux deux conjoints n'est pas établi dès lors que seul l'un d'eux occupe l'immeuble et en tout état de cause, il n'est de pas de nature à induire une solidarité qui n'est conditionnée sur le fondement de l'article 220 du code civil'que par l'objet de la dépense.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement et de déclarer la demande en paiement de la SARL Okno Fen France irrecevable faute de légitimité passive de M. [Z].
Sur les demandes de dommages et intérêts
Le fait d'exercer d'une action en justice ou d'y résister ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol, l'appréciation inexacte que l'une des parties fait de ses droits ne constituant pas une faute susceptible d'engager sa responsabilité à ce titre. Par ailleurs la simple affirmation du caractère abusif de la demande ou de la résistance ne peut suppléer la nécessaire démonstration et justification du préjudice allégué.
L'intimée ne développe aucun moyen au soutien de l'irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de M. [Z] qu'elle allègue. En conséquence, cette demande est déclarée recevable.
Sur le fond, il n'est démontré par aucune pièce que lors de la réalisation des travaux, l'intimée avait connaissance du contexte de séparation des époux ou en encore qu'elle a agi de connivence avec Mme [Z]. L'erreur d'appréciation de la SARL Okno Fen France quant à la qualité de débiteur de M. [Z] n'est pas constitutive d'un abus et il n'est pas établi que son action a été initiée avec mauvaise foi ou malice. Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur la résistance abusive, il résulte de ce qui précède que la demande en paiement est irrecevable, de sorte que l'intimée est mal fondée à invoquer une résistance abusive de l'appelant. Le jugement est également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de ce chef.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles et les dépens sont infirmées.
La SARL Okno Fen France, partie perdante, est condamnée aux dépens d'instance et d'appel. Elle est également condamnée à payer à M. [Z] la somme de 1.200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa demande présentée sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
DECLARE recevable la demande de M. [L] [Z] en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive';
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [L] [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et la SARL Okno Fen France de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
L'INFIRME pour le surplus et statuant à nouveau,
DECLARE irrecevable la demande de la SARL Okno Fen France tendant à la condamnation de M. [L] [Z] à lui payer la somme de 5.846, euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2021';
DEBOUTE la SARL Okno Fen France de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SARL Okno Fen France à payer à M. [L] [Z] la somme de 1.200 euros du code de procédure civile';
CONDAMNE la SARL Okno Fen France aux dépens d'instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT