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24/06/2024 | FRANCE | N°22/01914

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 3, 24 juin 2024, 22/01914


Arrêt n° 24/00302



24 Juin 2024

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N° RG 22/01914 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FZHR

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Pole social du TJ de METZ

29 Juin 2022

19/00987

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ



CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale





ARRÊT DU



vingt quatre Juin deux mille vingt quatre







APPELANT :



Monsieur [X] [V]

[Adresse 2]

[Ad

resse 2]

représenté par l'association [4], prise en la personne de Mme [J] [W], salariée de l'association munie d'un pouvoir spécial



INTIMÉS :



L'ETAT représenté par l'[5] [5]-

Établissement public à caractère administ...

Arrêt n° 24/00302

24 Juin 2024

---------------

N° RG 22/01914 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FZHR

------------------

Pole social du TJ de METZ

29 Juin 2022

19/00987

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt quatre Juin deux mille vingt quatre

APPELANT :

Monsieur [X] [V]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par l'association [4], prise en la personne de Mme [J] [W], salariée de l'association munie d'un pouvoir spécial

INTIMÉS :

L'ETAT représenté par l'[5] [5]-

Établissement public à caractère administratif

[Adresse 12]

ayant siège social

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Laure HELLENBRAND, avocat au barreau de METZ

CAISSE PRIMAIRE D 'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 11]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Mme [E], munie d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Avril 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Carole PAUTREL, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Anne FABERT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [X] [V] né le 2 décembre 1966, a travaillé au sein des [8] ([8]) aux droits desquelles vient l'EPIC [7] ([7]) du 6 août 1984 au 31 décembre 2011 où il a occupé les postes suivants à l'unité d'exploitation de Vouters et [Localité 10] :

-apprenti-mineur du 6 août 1984 au 31 janvier 1985,

-piqueur d'élevage du 1er février 1985 au 31 juillet 1985,

-boiseur chantier machine du 1er août 1985 au 31 mars 1987,

-boiseur de renforcement du 18 avril 1988 au 31 mai 1988,

-boiseur chantier machine du 1er juin 1988 au 31 août 1990,

-conducteur machine d'abattage du 1er septembre 1990 au 28 septembre 1997,

-détaché divers du 29 septembre 1997 au 31 mai 1998,

-conducteur machine d'abattage du 1er juin 1998 au 30 septembre 1998,

-mécanicien skip recette du 1er octobre 1998 au 31 décembre 2000,

-machiniste d'extraction du 1er janvier 2001 au 30 septembre 2006,

-agent administratif du 1er octobre 2006 au 31 décembre 2011.

En date du 1er janvier 2008, l'établissement des [7] a été dissout et mis en liquidation. Ses biens, droits et obligations ont été transférés à l'État, représenté par l'[5] (ci-après [5]), qui intervient au nom et pour le compte du liquidateur des [7].

M. [X] [V] a déclaré le 6 septembre 2017 auprès de la [6] (ci-après la caisse ou [6]) être atteint d'une maladie professionnelle au titre du tableau n°25, la silicose, fournissant, à l'appui de sa déclaration, un certificat médical initial du 22 mars 2017 établi par le Docteur [M], pneumologue appuyé sur un scanner thoracique du 21 octobre 2016, puis confirmé par un autre scanner le 29 juin 2017.

Par décision en date du 27 février 2019, la caisse a d'abord refusé le caractère professionnel de cette pathologie.

Puis par décision du 23 juillet 2018, la caisse a reconnu l'origine professionnelle de la maladie inscrite au tableau 25 de M. [X] [V].

Le 28 août 2018, la caisse a notifié à l'assuré un taux d'incapacité de 5% avec une indemnité en capital d'un montant de 1 952,33 euros correspondant à ce taux d'incapacité permanente partielle à la date du 23 mars 2017, lendemain de la date de consolidation.

Par requête introductive d'instance enregistrée au greffe du 20 juin 2019, M. [X] [V] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Metz afin d'obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans la survenance de sa maladie professionnelle et de bénéficier des indemnisations qui en découlent.

Par jugement du 29 juin 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Metz (anciennement tribunal de grande instance) a :

-déclaré recevable M. [X] [V] en son action ;

-déclaré le présent jugement commun à la CPAM de [Localité 11] intervenant pour le compte de la [6] ;

-reçu l'agence nationale de la garantie des droits des mineurs en son intervention volontaire et reprise d'instance suite à la clôture de la liquidation des [7] venant aux droits des [8] ;

-débouté M. [X] [V] et la CPAM de l'ensemble de leurs demandes ;

-dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens ;

-rejeté les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par courrier recommandé expédié le 12 juillet 2022, M. [X] [V], représenté par [4], a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par courrier du 1er juillet 2022 dont l'accusé de réception ne figure pas dans le dossier de première instance.

Par conclusions du 22 janvier 2024 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son conseil le 16 avril 2024, M. [X] [V] représenté par l'ADEVAT-AMP demande à la cour de :

-infirmer le jugement du 29 juin 2022,

-débouter l'[5] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

-juger que la maladie professionnelle du tableau 25 de M. [X] [V] est due à la faute inexcusable de l'employeur, les [8] représentés par l'[5],

-condamner l'[5] à payer à M. [X] [V] les sommes suivantes :

30 000 euros au titre du préjudice moral, augmenté des intérêts au taux légal à compter du jour du jugement à intervenir,

20 000 euros au titre du préjudice physique, augmenté des intérêts au taux légal à compter du jour du jugement à intervenir ;

3 000 euros au titre du préjudice d'agrément.

-condamner l'[5] à verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner l'[5] aux entiers frais et dépens.

Par conclusions du 12 avril 2024 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son représentant, l'[5] demande à la cour de :

-confirmer dans sa totalité le jugement rendu par le pôle social du Tribunal judiciaire de Metz le 29 juin 2022,

-débouter M. [X] [V] et la CPAM de [Localité 11] de l'intégralité de leurs demandes formées à son encontre,

-à titre subsidiaire, débouter l'appelant de ses demandes au titre du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, ainsi qu'au titre du préjudice d'agrément ;

-à titre infiniment subsidiaire, réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires,

-rejeter la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-dire n'y avoir lieu aux dépens.

Par courrier transmis à la cour et selon ses conclusions soutenues lors de l'audience de plaidoirie par son représentant, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 9] (CPAM de [Localité 11]) intervenant pour le compte de la [6] ([6]) sollicite la condamnation de l'employeur au remboursement de l'intégralité des sommes qu'elle devra avancer dans l'hypothèse où la faute inexcusable aura été reconnue.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR

M. [X] [V] fait valoir que, compte tenu de la réglementation applicable, de l'organisation, des moyens et compétences techniques et scientifiques de l'employeur, les [8], devenues les [7], avaient ou auraient dû avoir conscience du danger de l'exposition aux poussières de silice. Il expose que malgré cela, l'employeur n'a pas mis en 'uvre les mesures collectives et individuelles nécessaires, suffisantes et efficaces pour le préserver du danger auquel il était exposé notamment par la mise à disposition de masques adaptés. Il se prévaut des témoignages, revus à hauteur d'appel, de trois anciens collègues de travail.

L'[5] soutient que si les [8] puis les [7] avaient conscience du risque, ils ont mis en 'uvre tous les moyens nécessaires pour protéger les salariés des risques connus à chacune des époques de l'exploitation. L'[5] indique que l'employeur a parfaitement satisfait à son obligation de prévention et qu'aucun défaut d'information ou de formation ne peut lui être reproché. Elle conteste la pertinence des attestations produites M. [X] [V] comme étant trop imprécises, notamment sur la qualité de collègue direct des témoins, et sur la question des moyens de protection. L'[5] estime que ces attestations sont contredites par ses propres témoignages et par les pièces générales qu'elle produit.

La Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 11] s'en remet à la cour.

*******

L'article L 452-1 du Code de la sécurité sociale dispose que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise. Les articles L 4121-1 et 4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l'employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.

Le manquement à son obligation de sécurité et de protection de la santé de son salarié a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en preserver.

Il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve de ce que celui-ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et de ce qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

En l'espèce, l'[5] ne conteste pas le caractère professionnel de la maladie de M. [X] [V]. Elle reconnaît que l'employeur avait conscience du danger constitué par l'inhalation de poussières de silice et revendique même la conscience de ce risque.

Les parties s'opposent sur l'existence et l'efficacité des mesures de protection individuelle et collective prises par l'employeur afin de préserver la victime du danger auquel elle était exposée.

Ces mesures de protection sont déterminées par le décret n° 51-508 du 4 mai 1951 portant règlement général sur l'exploitation des mines, reprenant les dispositions générales des décrets du 10 juillet 1913 et du 13 décembre 1948 prévoyant l'évacuation des poussières ou, en cas d'impossibilité, la mise à disposition de moyens de protection individuelle.

L'article 187 dudit décret dispose que lorsque l'abattage, le chargement, le transport ou la manipulation du charbon peuvent entraîner la mise en suspension ou l'accumulation de poussières, des mesures efficaces doivent être prises pour s'y opposer ou y remédier.

L'instruction du 30 novembre 1956 prescrit des mesures de protection collective (arrosage et humidification des poussières) et individuelle (port du masque) précises et devant être efficaces.

S'agissant des masques, on peut lire dans l'instruction de 1956 que « seuls les masques à pouvoir d'arrêt élevé pour les particules de moins de 5 microns et à résistance faible à la respiration peuvent être pris en considération. La protection individuelle ne saurait être admise en remplacement d'une protection collective possible qui aurait été négligée. Elle ne doit être appliquée qu'en complément de la prévention collective qui doit toujours être poussée aussi loin que possible ».

Il ressort du relevé de périodes et d'emplois établi le 28 juillet 2022 par l'[5] pour les [8] (pièce n° 2 de l'appelant), que M. [X] [V] a travaillé au fond pendant 16 ans et 4 mois dans les unités d'exploitation de Vouters et [Localité 10] :

-apprenti-mineur du 6 août 1984 au 31 janvier 1985,

-piqueur d'élevage du 1er février 1985 au 31 juillet 1985,

-boiseur chantier machine du 1er août 1985 au 31 mars 1987,

-boiseur de renforcement du 18 avril 1988 au 31 mai 1988,

-boiseur chantier machine du 1er juin 1988 au 31 août 1990,

-conducteur machine d'abattage du 1er septembre 1990 au 28 septembre 1997,

-détaché divers du 29 septembre 1997 au 31 mai 1998,

-conducteur machine d'abattage du 1er juin 1998 au 30 septembre 1998,

-mécanicien skip recette du 1er octobre 1998 au 31 décembre 2000.

M. [X] [V] produit aux débats les attestations d'anciens collègues de travail, en la personne de M. [B], M. [D] et M. [U], témoignages revus à hauteur d'appel.

M. [B] dont le certificat de travail est versé aux débats (pièces 7 et 7 bis appelant), atteste avoir été « embauché aux [8] le 10-2-75 au 31-12-2002 en tant que mineur de fond, boiseur, conducteur de machine d'abattage et M. [V] [X] (') y a travaillé du 6-8-84 au 31-12-2011. J'ai travaillé avec M. [V] S. de 6-1993 au 12-1995 à l'UE Vouters Freyming-[Localité 10]. Je certifie l'avoir vu être exposé quotidiennement dans son emploi de conducteur machine d'abattage à l'inhalation des poussières de charbon et silice sans protection respiratoires individuelles et collectives efficaces durant cette période. Nous étions une équipe de trois personnes, chacun avait sa fonction et les taches bien défini à effectuer pour le déroulement des travaux. Notre taille en dresssant était à -1250m. M. [V] se rendait sous le canal en début de poste pour effectuer l'aprovisionnement du matériel de boisage necessaire pour le poste et le contrôle d'aérage en culbute d'aérage d'une hauteur d'environ 1m30 sur une longueur de 300m ; le canal était recouvert d'un tapis de poussière porté par l'aérage du à l'abattage du charbon pendant son déplacement et au chargement du matériel sur le convoyeur à chaine. Les poussières s'élevant et se répandant avec l'aérage exposant M. [V], à son retour il était tout en sueur et noir, son masque devait être soufflé à l'air comprimé pour le réutiliser, puis il démarait le havage M. [V] était particulièrement exposé aux poussières que dégageait la haveuse. Le système d'arrosage du tambour de havage pour lutter contre ces poussières utilisait les eaux usées filtrées qui obstruait les buses d'arrosage et par consequent inefficace pour éliminer toute cette poussière de havage, les problemes de flux d'aérage étaient également très frequents, il devait arrêter plusieurs fois le havage pour que la poussière s'évacue, tellement elle était dense. La foration à l'explosif pour le tir se faisait avec des fleurets secs, l'exposition aux poussières et fumées de tir dans cet espace confiné était suffocant. Malgré le port du masque durant ces travaux M. [V] en se mouchant dégageait du mucus noir. Tous ces travaux et ces taches étaient harassantes et répétitifs et quotidiennes, exposant M. [V] la majeur du poste aux poussières sans protections respiratoires individuelles et collectives efficaces. Les masques jettables étaient très vite saturés et inefficaces (élastiques qui cassaient, l'humidité à l'expiration en raison des conditions de travail et travaux physique) ».

De même, M. [D], dont le relevé de périodes et d'emplois est transmis (pièces 8 et 8 bis appelant) témoigne que « j'ai travaillé aux [8] du 16/02/1971 au 28/02/1998 en tant que mineur de fond, boiseur, haveur, chef de taille, et M. [X] [V] (') y a travaillé du 06/08/1984 au 31/12/2011. Collègue de M. [V], je certifie qu'il a été exposé quotidiennement dans son emploi de boiseur du 01/08/1985 au 31/03/1987 et du 01/06/1988 au 31/08/1990 ainsi que dans son emploi de haveur du 01/09/1990 au 09/1993 à l'inhalation de poussières de charbon et silice sans protection respiratoires individuelles et collectives efficaces à l'unité d'exploitation de VOUTERS à Freyming [Localité 10]. M. [V] a débuté en exploitation à la même taille ('5) à partir de 1985 en tant que piqueur boiseur, il y effectuait les travaux annexes et d'avancement, quand il effectuait les travaux ou montait du matériel dans le chantier sous le canal au culbute d'aérage pendant l'abattage du charbon, rendant cet espace confiné très poussiéreux, qu'on y voyait à peine à nos mains, situation normale pour la hierarchie, jusqu'à ce qu'ils réalisent après l'avoir signalé à plusieurs reprises, que le personnel devait évacuer le canal pendant le havage. Cette taille était très difficile. Nous avions eu un écroulement qui mettait à l'arrêt l'exploitation de longs mois avec d'énormes travaux de renforcement de déblaiement qui demandait l'emploi d'engins pneumatiques, marteau-piqueur, brise-béton, pour casser les blocs de roche, pelles EINCO et de matériel de foration. M. [V] utilisait des heures ce matériel qui dégageait beaucoup de poussières, à cette époque, il avait un masque caoutchouc type 'toucan' avec un filtre coton qui était très vite saturé et que la pénibilité des travaux, la transpiration et la chaleur rendaient incomandant. Nous avions à cette période, peu voir pas du tout de masques, plus souvent recours à notre foulard. Durant la période, ou il occupe le poste de boiseur, puis haveur, le dispositif pour lutter contre les poussières dues au havages, était inéfficace (les duses se bouchaient et les rampes d'arrosage étaient souvent cassées). L'arrosage était à ce point inefficace que le haveur ne voyait plus le tambour de la machine. En conclusion, je peux affirmer pour l'avoir vécu directement, que M. [V] durant son travail dans les chantiers dressants, a été massivement exposé aux poussières nocives liées à l'abattage de charbon. Je tiens à préciser que lorsque nous dressions au fond, le seul contrôle effectué concernant le port du casque, les chaussures de sécurité, qui étaient obligatoires et qu'à aucun moment on nous demandait si nous avions un masque à poussière».

M. [U] dont le relevé de carrière est également versé aux débats (pièces 9 et 9 bis appelant), certifie être « un collègue de travail de M. [V] [X] de 09/1990 à 03/1995, j'étais piqueur boiseur et M. [V] était conducteur machine d'abattage (haveur) à l'unité d'exploitation Vouters à Freyming [Localité 10]. Je certifie l'avoir vu être exposé dans les travaux quotidiens en taille dressant à l'inhalation de poussières de silices et charbon sans protection respiratoires individuelles et collectives efficaces dans les conditions décrites ci-dessous. Les travaux de préparation au remblayage hydraulique, réalisation du barrage de remblayage, poussardage du pont, installation des poutres en fer valor pour la télémotrice, M. [V] utilisait le marteau piqueur pour réaliser ces travaux en faisant des potelles (trous) dans la roche avec un fat dégagement de poussières afin d'y placer les buttes de soutènement, et ce tout le poste dans de dures conditions de travail avec un masque jetable. Pendant l'exploitation de la tranche de charbon qui durait en moyenne un mois et demi les phases de havage étaient de deux à cinq par poste. M. [V] aux commandes de la haveuse dans un espace confiné était toujours dans une atmosphère très poussiéreuse tant l'abattage du charbon dégageait de poussières avec un seul et unique dispositif pour lutter contre ces poussières l'arrosage du tambour de havage munis de buses d'arrosage qui se rebouchaient avec de l'eau de très mauvaise qualité utilisé pour le refroidissement du moteur inefficace pour éliminer toutes les poussières d'abattage , également les problèmes de débit d'air d'aérage qui était très variable rendant l'évacuation très lente des poussières sous le canal, M. [V] devait interrompre le havage plusieurs fois afin que l'atmosphère redevienne « normale » pour reprendre le havage. Les anomalies d'aérage ont toujours été signalées à notre hiérarchie, en vain'Toutes ces tâches ne sont qu'une partie des expositions aux poussières dont il a été exposé individuellement, et collectivement. Les quelques masques que nous recevions n'étaient pas adaptés à nos conditions de travail.

La transpiration de l'activité soutenue colmatait très rapidement ce masque, entrainant rapidement une gêne respiratoire le rendant inutilisable. Quant à savoir que le taux de filtration de ces masques BM8710E (FFP1S) est d'environ 80%, c'est utiliser un parapluie troué sous la pluie. N'aurait-il pas mieux valu des masques FFP2 offrant une meilleure protection à notre environnement poussiéreux avec une filtration de 94% ou autres.(') Même si les [8] ont fait des envoies de casques pressurés, des dispositifs de lutte contre les poussières, nous étions au final toujours avec un masque jetable et dans la poussière au front en taille. Nous étions toujours sous pression par notre hiérarchie leur seule préoccupation était le rendement du chantier au détriment de note santé, malgré les difficiles conditions de travail. »

Ainsi, il ressort des témoignages de M.[B], M. [D] et M. [U], accompagnés des relevés de périodes et d'emploi de chacun, que la qualité de collègue direct de travail de chacun des témoins est établie, étant relevé que chacun précise les différents postes et fonctions occupés, les périodes d'emploi communes, ainsi que les puits dans lesquels ils ont travaillé avec la victime.

Il ressort donc de ces trois attestations, circonstanciées et suffisamment précises, que l'employeur n'a pas pris des mesures de protection collective pour remédier au manque de dépoussiérage, d'aérage et de déshumidification. M. [B], M. [D] et M. [U] décrivent notamment la défaillance des systèmes d'aérage des voies, imposant de travailler dans un espace confiné en présence des poussières de charbon et de silice, et font également état d'un système d'arrosage inefficient, pour être souvent obstrué et inefficace.

Il résulte de ces témoignages que l'employeur n'a pas non plus pris de mesures de protection individuelle suffisantes et efficaces s'agissant du port du masque qui était non obligatoire, avec des modèles non adaptés à la lutte contre les poussières de silice (utilisation de masques jetables inefficaces).

Enfin, M. [B], M. [D] et M. [U] ont attesté du manque d'action des [8], devenues [7], face aux signalements des travailleurs du fond quant aux dangers auxquels ils étaient exposés ou à la défaillance des systèmes d'aérage et d'arrosage.

Ces témoignages ne sont pas utilement contestés par l'[5]. Celle-ci ne verse en effet aux débats aucun élément de nature à élever des doutes sur la sincérité de ces témoignages et sur le caractère authentique des faits relatés. Elle développe seulement des considérations d'ordre général.

Il ressort ainsi des pièces générales versées aux débats par l'[5] que, si des mesures ont été progressivement mises en 'uvre pour améliorer l'arrosage des haveuses, lutter contre les poussières provenant du soutènement et favoriser l'aérage de la taille, ces explications ne contiennent aucun élément sur les conditions effectives de travail de M. [X] [V], et ne permettent pas de contredire la situation concrète dans laquelle l'intéressé s'est trouvé, décrite par les témoignages concordants et circonstanciés de ses anciens collègues directs de travail confirmant l'insuffisance des protections individuelles et collectives mises en 'uvre par les [8] devenues les [7].

Il résulte en outre, de l'examen de ces pièces, des carences de l'employeur dans la mise en 'uvre des mesures pour lutter contre les poussières nocives. Ainsi, s'agissant des masques, une note du chef de sécurité générale des [8] du 18 avril 1984 déplore le fait que les distributeurs de filtres pour masques sont généralement vides et qu'aucune personne responsable des sièges ne semble suivre cette question (pièce générale n°36 de l'appelant et pièce n°85 de l'intimée).

En l'état de l'ensemble de ces constatations, il doit être retenu que les [8] devenues l'EPIC [7], aux droits duquel vient l'[5], avaient conscience du danger auquel M. [X] [V] était exposé et n'ont pas pris les mesures de protection individuelle et collective nécessaires pour l'en préserver.

Dès lors, le jugement entrepris est infirmé, et il sera retenu l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie professionnelle du tableau n° 25 de M. [X] [V].

SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES DE LA FAUTE INEXCUSABLE

Sur la majoration de l'indemnité en capital

Aux termes de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a le droit à une indemnisation complémentaire.

Aux termes de l'article L.452-2, alinéas 1, 2 et 6, du code de la sécurité sociale, « dans le cas mentionné à l'article précédent [faute inexcusable de l'employeur], la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre. Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité. ['] La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret ».

********************

En l'espèce, M. [X] [V] s'est vu reconnaître, le 28 août 2018, un taux d'incapacité permanente partielle de 5% à la date du 23 mars 2017, lendemain de la date de consolidation, avec une indemnité en capital d'un montant de 1 952,33 euros.

En l'absence de toute contestation sur ce point, il y a lieu de fixer au maximum la majoration de l'indemnité en capital qui sera versée à M. [V] directement par la caisse.

En outre, cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente en cas d'aggravation de l'état de santé de M. [X] [V], et le principe de la majoration de l'indemnité en capital restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant en cas de décès de la victime résultant des conséquences de sa maladie professionnelle.

Sur les préjudices personnels

M. [X] [V] demande à la cour de fixer ses préjudices extrapatrimoniaux à la somme de 30 000 euros au titre du préjudice moral, et 20 000 euros au titre du préjudice physique, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la décision à intervenir. Il demande enfin la réparation de son préjudice d'agrément à hauteur de 3 000 euros.

M. [X] [V] fait valoir qu'il souffre d'une pathologie pulmonaire dégénérative à répercussions fonctionnelles respiratoires douloureuses, impactant ses activités quotidiennes, et provoquant une angoisse constante de voir son état de santé s'aggraver.

L'[5] demande la confirmation du jugement de première instance en ce qu'il a débouté la victime de l'ensemble de ses demandes au titre de ses préjudices extra-patrimoniaux. Elle évoque l'absence de période de maladie traumatique et l'absence de preuves opérantes au regard des demandes formulées. A titre subsidiaire, elle demande que l'indemnisation au titre des souffrances physiques et morales soit réduite à de plus justes proportions. Elle soutient enfin que la preuve d'un préjudice d'agrément n'est pas rapportée.

******************

Sur les souffrances physiques et morales

Il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisées à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l'accident ou l'évènement qui lui est assimilé.

En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d'incapacité permanente défini à l'article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la Cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23947). En conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées.

M. [X] [V] demande la réparation d'un préjudice physique à hauteur de 20 000 euros sur le fondement de témoignages de ses proches (Mme [O] sa belle-mère, M. [M] son voisin et son épouse, Mme [V]) relatant des limitations de ses capacités respiratories. Toutefois, aucune pièce médicale n'est produite caractérisant l'existence de souffrances physiques liées à la maladie déclarée, de sorte que M. [X] [V] doit être débouté de sa demande à ce titre.

S'agissant du préjudice moral, M. [X] [V] était âgé de 51 ans lorsqu'il a appris qu'il était atteint de silicose. L'anxiété, décrite par son épouse, liée au fait de se savoir atteint d'une maladie irréversible due à l'inhalation de poussières de silice dont bon nombre de ses anciens collègues sont atteints parfois de formes plus graves ou sont décédés, et aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance sera réparée par l'allocation d'une somme de 15 000 euros de dommages-intérêts avec intérêt au taux légal à compter de la décision, eu égard à la nature de la pathologie en cause et à l'âge de M. [X] [V] au moment de son diagnostic.

Sur le préjudice d'agrément

L'indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu'il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d'une activité spécifique sportive ou de loisir qu'il lui est désormais impossible de pratiquer.

Si les proches de M. [X] [V] ((Mme [O] sa belle-mère, M. [M] son voisin et son épouse, Mme [V]) indiquent que ce dernier rencontre davantage de difficultés dans sa vie personnelle et qu'il est l'empêché désormais d'effectuer des activités qu'il avait l'habitude d'exercer antérieurement à sa maladie professionnelle tel que du jardinage, du vélo, de la natation et du bricolage, ces attestations manquent de précisions et sont insuffisantes à caractériser la pratique régulière par la victime avant sa maladie professionnelle d'une activité spécifique sportive ou de loisir.

En conséquence, ce préjudice ne peut être indemnisé et M. [V] sera débouté de sa demande sur ce fondement.

En définitive, c'est donc la somme de 15 000 euros que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 11], agissant pour le compte de la [6], devra verser à Monsieur [V] au titre du préjudice moral subi.

SUR L'ACTION RECURSOIRE DE LA CAISSE.

La CPAM de [Localité 11] intervenant pour le compte de la [6] demande à la cour que l'[5] soit condamnée à lui rembourser l'intégralité des sommes qu'elle devra avancer à M. [X] [V] en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

L'[5] ne formule aucune observation sur ce point.

*************

Aux termes de l'article L.452-3-1 du code de la Sécurité Sociale, applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur introduites devant les Tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, que « quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L.452-3 du même code ».

Les articles L.452-2, alinéa 6, et D.452-1 du code de la Sécurité Sociale, applicables aux décisions juridictionnelles relatives aux majorations de rentes et d'indemnités en capital rendues après le 1er avril 2013, prévoient en outre que le capital représentatif des dépenses engagées par la caisse au titre de la majoration est, en cas de faute inexcusable, récupéré dans les mêmes conditions et en même temps que les sommes allouées au titre de la réparation des préjudices mentionnés à l'article L.452-3.

La cour a reconnu la faute inexcusable de l'employeur dans la survenance de la maladie professionnelle inscrite au tableau 25 de M. [X] [V] et a fait droit à la majoration de l'indemnité en capital de la victime, ainsi qu'à la reconnaissance de son préjudice au titre des souffrances morales.

Ainsi, dès lors qu'aucune discussion n'existe à hauteur d'appel sur l'action récursoire de la caisse par les parties, la CPAM de [Localité 11], agissant pour le compte de la [6], est fondée à exercer son action récursoire à l'encontre de l'[5] pour les sommes qu'elle est tenue d'avancer à M. [X] [V] au titre de la majoration maximal de l'indemnité en capital et de ses souffrances morales.

SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCEDURE CIVILE ET LES DEPENS

L'issue du litige conduit la cour à condamner l'[5] à payer à M. [X] [V] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ailleurs, partie succombante, l'[5] sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

INFIRME le jugement entrepris du pôle social du tribunal judiciaire de Metz en date du 29 juin 2022, sauf en ce qu'il a déclaré Monsieur [V] recevable en son action, reçu l'[5] en son intervention volontaire, et déclaré le jugement commun à la CPAM de [Localité 11] agissant pour le compte de la [6].

En conséquence, statuant à nouveau,

DIT que la maladie professionnelle de M. [X] [V] inscrite au tableau 25 des maladies professionnelles est due à la faute inexcusable de son employeur, les [8], devenues l'EPIC [7] aux droits duquel vient l'[5] ;

ORDONNE la majoration au maximum de l'indemnité en capital allouée à M. [X] [V] au titre de sa maladie professionnelle n°25 dans les conditions telles que définies à l'article L.452-2 alinéas 1 et 2 du code de la sécurité sociale ;

ORDONNE à la CPAM de [Localité 11], intervenant pour le compte de la [6], de verser cette majoration directement à M. [X] [V] ;

DIT que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente en cas d'aggravation de l'état de santé de M. [X] [V], et que le principe de la majoration de l'indemnité en capital restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant en cas de décès de la victime résultant des conséquences de sa maladie professionnelle ;

FIXE l'indemnité réparant le préjudice moral de M. [X] [V] à la somme de 15 000 euros (quinze mille euros) ;

DIT que cette somme, qui portera intérêt au taux légal à compter de la présente décision, devra être versée à M. [X] [V] par la CPAM de [Localité 11], agissant pour le compte de la [6], et si besoin l'y CONDAMNE ;

DEBOUTE M. [X] [V] de ses demandes au titre des souffrances physiques et du préjudice d'agrément ;

CONDAMNE l'[5] ([5]) à rembourser à la CPAM de [Localité 11], agissant pour le compte de la [6], les sommes, en principal et intérêts, que cette dernière sera tenue de verser au titre de la majoration de l'indemnité en capital et du préjudice moral de M. [X] [V], sur le fondement des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale ;

Y ajoutant,

CONDAMNE l'[5] à payer à M. [X] [V], la somme de 2 500 (deux mille cinq cent euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE l'[5] aux dépens de première instance et d'appel.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 3
Numéro d'arrêt : 22/01914
Date de la décision : 24/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-24;22.01914 ?
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