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24/06/2024 | FRANCE | N°22/01203

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 3, 24 juin 2024, 22/01203


Arrêt n° 24/00306



24 Juin 2024

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N° RG 22/01203 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FXQQ

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Pole social du TJ de METZ

06 Avril 2022

18/00785

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ



CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale





ARRÊT DU



vingt quatre Juin deux mille vingt quatre







APPELANTES :



SARL [9] en liquidation judiciaire

M

e [D] [M]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Benoît VELER, avocat au barreau de METZ



S.A.M.C.V. CAMBTP

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Benoît VELER, avocat au barreau de METZ



INTIMÉS :

...

Arrêt n° 24/00306

24 Juin 2024

---------------

N° RG 22/01203 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FXQQ

------------------

Pole social du TJ de METZ

06 Avril 2022

18/00785

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt quatre Juin deux mille vingt quatre

APPELANTES :

SARL [9] en liquidation judiciaire

Me [D] [M]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Benoît VELER, avocat au barreau de METZ

S.A.M.C.V. CAMBTP

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Benoît VELER, avocat au barreau de METZ

INTIMÉS :

Monsieur [B] [C]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Alain MARTZEL, avocat au barreau de SARREGUEMINES substitué par Me BONHOMME, avocat au barreau de METZ

CAISSE PRIMAIRE D' ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 7]

représentée par Mme [J], munie d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Janvier 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Anne FABERT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement après prorogation du 27.05.2024

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [B] [C] a été engagé par la SARL [9] le 2 mai 2011 en qualité de maçon coffreur.

Le 18 mai 2015, il était victime d'un accident du travail, chutant d'un échafaudage sur un chantier. La Caisse a reconnu le caractère professionnel de cet accident dès le 19 juin 2015.

M. [C] a été déclaré consolidé le 22 avril 2017 par le médecin conseil et inapte à toute activité professionnelle le 24 avril 2017 par le médecin du travail. Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 22 mai 2017.

Le 30 mai 2017, la Caisse a notifié à M. [C] sa décision de lui reconnaître une rente d'incapacité permanente partielle au taux de 50%, à compter du 23 avril 2017, lendemain de la consolidation, d'un montant de 5 642,78 euros.

Par décision du 4 janvier 2022 le Tribunal judiciaire de Nancy, statuant en matière de contentieux de la sécurité sociale et de l'aide sociale, a fixé à 80% à compter du 22 avril 2017, le taux d'IPP subi par M. [C] au titre de l'accident du travail dont il a été victime le 18 mai 2015.

Par requête enregistrée le 9 mai 2018, M. [B] [C] a saisi le président du Tribunal des affaires de sécurité sociale de la Moselle d'une demande tendant à voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur, la SARL [9], à l'origine de l'accident du travail dont il a été victime le 18 mai 2015.

Par jugement prononcé le 8 novembre 2019, le Pôle social du tribunal de grande instance de Metz, nouvellement compétent, a notamment :

Jugé recevable et bien-fondé la demande présentée par M. [C] aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur,

Déclaré le jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de Moselle,

Jugé que le caractère professionnel de l'accident subi par M. [C] est établi, y compris à l'égard de l'employeur,

Jugé que l'employeur de M. [C], la SARL [9], a commis au détriment de M. [C] une faute inexcusable,

Fixé à son maximum la majoration de rente prévue à l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale,

Jugé que la CPAM devra verser cette majoration de rente à M. [C],

Jugé que la CPAM de Moselle est en droit d'obtenir le remboursement de la part de la SARL [9], en liquidation judiciaire, sous réserve de justifier de sa déclaration de créance dans le cadre de la procédure collective de cette société, des sommes qu'elle sera tenue de verser à M. [C] au titre de la majoration de rente et au titre des préjudices extrapatrimoniaux,

Invité M. [D] [M], en sa qualité de mandataire judiciaire de la SARL [9] à renseigner le tribunal et les parties sur le point de savoir si la SARL [9] a ou non souscrit une assurance à l'effet de se garantir des conséquences financières de sa faute inexcusable,

Ordonné une expertise judiciaire confiée au docteur [H] [E], expert près la cour d'appel de Metz aux fins notamment de :

. examiner M. [C] et recueillir ses doléances,

. prendre connaissance de l'ensemble des documents médicaux concernant M.[C] à la suite de son accident du 18 mai 2015,

. décrire et définir l'ampleur des souffrances physiques et morales subies par M. [C], de son préjudice d'agrément, et de son préjudice esthétique,

. caractériser le déficit fonctionnel temporaire, en déterminer l'importance,

. dire si l'état de M. [C] a justifié l'assistance temporaire d'une tierce personne et préciser les modalités de cette assistance,

Dit que la CPAM de Moselle devra faire l'avance des frais d'expertise,

Jugé que la SARL [9] est redevable envers M. [C] d'une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et doit supporter la charge des dépens exposés à compter du 1er janvier 2019,

Ordonné l'emploi de ces indemnités et dépens en frais privilégiés de la procédure collective de la SARL [9].

Le docteur [E] a rendu son rapport d'expertise daté du 23 septembre 2020, qui a fait l'objet de conclusions rectificatives du 8 octobre 2020.

Par jugement prononcé le 6 avril 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz, compétent depuis le 1er janvier 2020, a statué de la façon suivante :

Dit que la majoration fixée dans le jugement du 8 novembre 2019 suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle reconnu à M. [C],

Fixe l'indemnisation complémentaire des préjudices de M. [C] comme suit :

. 50 000 euros au titre des souffrances endurées,

. 20 000 euros au titre du préjudice esthétique,

. 20 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

. 18 266,55 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

. 5 617 euros au titre de l'assistance par une tierce personne,

Déboute M. [C] de ses autres demandes d'indemnisation,

Dit que la CPAM de Moselle versera directement à M. [C] ces sommes dues au titre de l'indemnisation complémentaire,

Dit que la CPAM de Moselle est en droit d'obtenir le remboursement de la part de la SARL [9], en liquidation judiciaire, sous réserve de justifier de sa déclaration de créance dans le cadre de la procédure collective de cette société, des sommes qu'elle sera tenue de verser à M. [C] au titre de la majoration de rente et au titre des préjudices extrapatrimoniaux,

Condamne la SARL [9] à payer 1 000 euros à M. [C] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que la SARL [9] doit supporter la charge des dépens exposés à compter du 1er janvier 2019,

Ordonne l'emploi de ces indemnités et dépens en frais privilégiés de la procédure collective de la SARL [9],

Déclare le jugement commun à la Caisse d'Assurance Mutuelle du Bâtiment et des Travaux Publics (CAMBTP),

Ordonne l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration enregistrée par voie électronique le 12 mai 2022, la SARL [9], représentée par son mandataire liquidateur, et la CAMBTP ont interjeté appel du jugement prononcé le 6 avril 2022 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz qui leur a été notifié respectivement le 14 avril 2022 (date de l'accusé de réception de la LRAR de notification) et le 12 avril 2022 (date de la lettre de notification dont l'accusé de réception n'a pas été retourné).

Par conclusions datées du 7 juin 2023 et soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par leur conseil, la SARL [9] et la CAMBTP demandent à la cour de :

Infirmer partiellement le jugement prononcé le 6 avril 2022 par le pôle social du Tribunal judiciaire de Metz,

Prendre en conséquence acte de ce qu'il est offert les sommes suivantes, concernant l'indemnisation du préjudice de M. [C] :

. 14 000 euros au titre des souffrances physiques et morales,

. 500 euros au titre du préjudice esthétique permanent,

. 13 851,25 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

. 5 617 euros au titre de l'aide humaine avant consolidation,

Débouter M. [C] du surplus de ses demandes,

Dans l'hypothèse où la CPAM serait défaillante à établir l'existence d'une déclaration de créance au passif de la SARL [9], la condamner alors à répéter à la CAMBTP la somme de 267 030,75 euros réglée le 15 novembre 2022, en exécution du jugement précité,

Condamner M. [C] aux entiers frais et dépens.

Par conclusions datées du 28 décembre 2023 et soutenues oralement par son conseil à l'audience de plaidoirie, M. [C] demande à la cour de :

. Confirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Metz, Pôle social, du 6 avril 2022 en ce qu'il a :

Dit que la majoration de rente fixée dans le jugement du 8 novembre 2019 suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle reconnu à M. [C],

Fixé l'indemnisation complémentaire des préjudices de M. [C] à :

. 50 000 euros au titre des souffrances endurées,

. 20 000 euros au titre du préjudice esthétique,

. 20 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

. 18 266,55 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

. 5 617 euros au titre de l'assistance par une tierce personne,

Condamné la SARL [9] à payer à M. [C] 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

. Débouter la SARL [9] et la CAMBTP de toutes leurs demandes, fins et prétentions,

. Condamner solidairement la SARL [9] et la CAMBTP à payer à M.[C] 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

. Condamner solidairement la SARL [9] et la CAMBTP aux entiers frais et dépens de l'instance, toutes taxes comprises.

Par ses conclusions datées du 7 décembre 2023 et soutenues oralement à l'audience par son représentant, la CPAM de Moselle demande à la cour de :

Lui donner acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse de la Cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à la SARL [9],

Et le cas échéant,

De donner acte à la Caisse qu'elle s'en remet à la Cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de la rente réclamée par M. [C],

De prendre acte de ce qu'elle ne s'oppose pas à ce que la majoration de rente suive l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle de M. [C],

De constater qu'elle ne s'oppose pas à ce que le principe de la majoration de rente reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès de M. [C] consécutivement à son accident du travail,

De donner acte qu'elle s'en remet à la Cour en ce qui concerne la fixation des préjudices extrapatrimoniaux réclamés par M. [C],

Le cas échéant, de rejeter toute éventuelle demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge de l'accident du travail de M. [C],

De condamner la SARL [9] et la CAMBTP à rembourser à la CPAM de Moselle les sommes qu'elle sera tenue de verser à M. [C] au titre des préjudices extrapatrimoniaux et intérêts subséquents.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.

SUR CE,

Il convient au préalable de constater que la demande en reconnaissance de l'existence d'une faute inexcusable de la SARL [9] dans la survenance de l'accident du travail dont a été victime M. [C] a été définitivement tranchée par le jugement prononcé le 8 novembre 2019 par le Pôle social du tribunal de grande instance de Metz.

Par ailleurs, les dispositions du jugement entrepris concernant l'évolution de la majoration de la rente et la fixation du préjudice à la somme de 5 617 euros au titre de l'assistance par une tierce personne, ainsi que le rejet de la demande d'indemnisation d'un préjudice moral, n'ont pas fait l'objet d'un appel principal ou incident de sorte qu'elles sont définitives.

SUR L'INDEMNISATION DES PREJUDICES PERSONNELS SUBIS PAR M. [C] :

Selon l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100%, il lui est alloué, en outre une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

Il résulte de ce texte, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010, qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Sur le déficit fonctionnel temporaire :

Il est de jurisprudence constante que le poste de préjudice de déficit fonctionnel temporaire répare la perte de qualité de vie de la victime des joies usuelles de la vie courante pendant la maladie traumatique, en l'espèce du 18 mai 2015, date de l'accident jusqu'à la date de consolidation, le 22 avril 2017, au lendemain de laquelle, il s'est vu allouer une rente. Ce préjudice n'est pas couvert par le livre IV du code de la sécurité sociale et doit donc être indemnisé.

M. [C] sollicite la confirmation du jugement de première instance en ce qu'il lui a accordé une indemnisation de ce préjudice à hauteur de la somme de 18 266,55 euros calculée sur la base d'une incapacité totale sur la durée de la période, estimant que le médecin expert ne fait pas état d'élément objectif permettant de minorer le déficit fonctionnel temporaire à 75% puis à 55%.

Il ajoute que l'expert n'a pas pris en compte certains éléments tels que le préjudice sexuel, le préjudice temporaire d'agrément, la mise sous tutelle ou encore la charge de famille importante supportés par M. [C].

La SARL [9] et la CAMBTP reconnaissent un préjudice d'un montant de 13 851,25 euros, et reprennent l'estimation de l'expert, se basant sur un coût de 25 euros par jour correspondant au déficit total, diminué proportionnellement lorsque l'incapacité est partielle.

La Caisse s'en rapporte s'agissant de la fixation du montant des préjudices.

L'expert médical, dans les conclusions modifiées de son rapport d'expertise du 8 octobre 2020, conclut de la façon suivante, s'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

Total du 18 mai 2015 au 29 avril 2016, puis du 8 au 10 juin 2016 (hospitalisations) ;

Partiel à 75% du 30 avril 2016 au 7 juin 2016

Partiel à 55% du 11 juin 2016 au 22 avril 2017.

Il résulte également de ce rapport que M. [C] a subi pendant cette période une perte de qualité de vie importante et une gêne dans l'accomplissement des actes de la vie courante comme par exemple l'impossibilité d'accueillir ou de sortir avec ses proches, de gérer ses démarches administratives seul. Il a en outre été hospitalisé puis pris en charge en centre de rééducation pendant près d'un an avant d'être hébergé chez son fils pendant 10 mois.

Les éléments versés aux débats ne démontrent pas en quoi M. [C] a pu récupérer une partie de ses capacités à partir du 30 avril 2016 et jusqu'à la date de consolidation, de sorte qu'il convient de retenir tout comme l'ont justement estimé les premiers juges que le déficit temporaire subi par M. [C] a été total du 18 mai 2015 au 22 avril 2017.

Sur la base d'un montant de 25,91 euros par jour non contesté par les appelantes, le montant du préjudice de M. [C] au titre du déficit fonctionnel temporaire doit être estimé à 18 266,55 euros (705 jours à 25,91 euros).

Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur les souffrances endurées :

Ce poste de préjudice indemnise les souffrances tant physiques que morales endurées par le salarié suite à l'accident et tient compte des traitements, interventions et hospitalisations dont il a fait l'objet.

M. [C] sollicite la confirmation de la décision de première instance en ce qu'elle a fixé le montant de son préjudice subi au titre des souffrances physiques et morales à la somme de 50 000 euros, somme qu'il estime justifiée au regard des nombreuses périodes d'hospitalisation endurées, de la durée et de la pénibilité des soins subis, de la longue période de convalescence, des séquelles neurologiques et psychologiques qui subsistent, des souffrances physiques et morales qu'il a connues (anxiété, nombreuses hospitalisations, perte d'autonomie, repli sur soi, douleurs). Il précise que l'estimation donnée par l'expert de son pretium doloris à 4/7 est sous-évaluée, et qu'elle doit être plus justement fixée à 6/7 au vu du barème sur les souffrances endurées et des crises comitiales (épileptiques) qui sont devenues persistantes et se sont aggravées, en dépit des conclusions contraires de l'expert.

La SARL [9] et la CAMBTP soulignent que les séquelles invoquées par M.[C] relèvent du déficit fonctionnel permanent indemnisé par le versement de la rente accident du travail, tout comme l'incidence professionnelle. Elles ajoutent que la cotation retenue par le docteur [E] (4/7) est justifiée, et que leur offre d'une indemnisation de 14 000 euros correspond à cette évaluation.

La cour entend rappeler qu'en considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d'incapacité permanente défini à l'article L 434-2 du code de la sécurité sociale, la cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23947).

En conséquence, au regard du rapport d'expertise du 23 septembre 2020 et de ses conclusions rectifiées du 8 octobre 2020, des soins observés et des douleurs décrites, des crises d'épilepsie subies par M. [C] dont la reprise n'avait pas été constatée par l'expert, il convient de fixer l'indemnisation de ce chef de préjudice à la somme de 50000 euros, le jugement entrepris étant confirmé sur ce point.

Sur le préjudice esthétique :

Le préjudice esthétique vise à indemniser l'altération de l'apparence physique subie par la victime durant la maladie traumatique (préjudice esthétique temporaire) et après la consolidation de celle-ci (préjudice esthétique permanent).

M. [C] sollicite au titre de l'indemnisation de ce préjudice la somme de 20 000 euros, précisant qu'il a subi une déformation crânienne pendant 9 mois, un amaigrissement et une perte de masse musculaire, une obligation de se déplacer en fauteuil roulant, et que subsistent une démarche modifiée et un cal osseux important au niveau de la clavicule droit.

La SARL [9] et la CAMBTP propose une indemnisation de 500 euros de ce poste de préjudice, se référant au rapport de l'expert médical qui n'a pas retenu de préjudice esthétique permanent en dépit de l'existence constatée d'un dandinement discret à la marche.

Si le rapport de l'expert médical conclut à l'absence de tout préjudice esthétique, il convient néanmoins de constater, au vu des pièces médicales produites aux débats et non discutées, que M. [C] a subi une déformation crânienne entre le 18 mai 2015, date de l'accident, et janvier 2016 où il a bénéficié d'une cranioplastie. Compte tenu de ces éléments mais aussi du cal hypertrophique au niveau de la clavicule droite et du petit dandinement à la marche constatés par l'expert dans ses développements et qui constituent une altération de son apparence physique, il convient de fixer à 15 000 euros le montant du préjudice esthétique subi par M. [C] suite à l'accident du travail du 18 mai 2015.

Sur le préjudice d'agrément :

L'indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu'il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d'une activité spécifique sportive ou de loisir qu'il lui est désormais impossible de pratiquer.

M. [C] sollicite l'indemnisation d'un préjudice d'agrément à hauteur de 20 000 euros, expliquant qu'avant son accident il était très actif et sociable et avait l'habitude de partir régulièrement en vacances, de faire des sorties entre amis ou en famille (cinéma, restaurant), d'entretenir son jardin, et ses véhicules, de faire notamment beaucoup de chantiers personnels et de bricolage et de pratiquer le quad, le vélo et la marche à pied. Il précise également qu'il a du stopper ces activités du fait des suites de l'accident.

La SARL [9] et la CAMBTP s'opposent à cette demande, estimant que les activités décrites par M. [C] constituent des activités de la vie courante non indemnisables au titre du préjudice d'agrément qui vient réparer la perte de possibilité d'accomplir des activités spécifiques sportives ou de loisirs.

Si les activités de bricolage et de jardinage peuvent être considérées comme des activités de la vie courante, il résulte en l'espèce des attestations des proches de la victime (pièces n°23 à 29 de M. [C]) que M. [C] pratiquait avant son accident le jardinage et le bricolage de façon importante, spécifique et régulière, comme par exemple l'entretien d'un terrain de 50 ares, la construction ou réhabilitation d'un bassin, d'une maison et d'un chalet. Par ailleurs, son état physique l'empêche de faire des voyages qu'il pratiquait régulièrement auparavant, ce qui caractérise également un préjudice d'agrément.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de fixer à 15 000 euros le montant du préjudice d'agrément subi par M. [C], et d'infirmer le jugement entrepris en ce sens s'agissant du montant.

*****************

Compte tenu de ce qui précède, il convient de fixer la réparation des préjudices susmentionnés comme suit :

déficit fonctionnel temporaire : 18 266,55 euros

souffrances morales et physiques : 50 000 euros

préjudice esthétique : 15 000 euros

préjudice d'agrément : 15 000 euros

Total : 98 266,55 euros

SUR LE RECOURS DE LA CAISSE :

La CPAM de Moselle sollicite le bénéfice de son action récursoire qu'elle dirige à l'encontre de la SARL [9], représentée par son mandataire liquidateur, et de la CAMBTP en sa qualité d'assureur de la société employeur.

Elle précise que si elle n'a pas déclaré sa créance à la procédure collective ouverte à l'encontre de la SARL [9] par jugement du 13 février 2018, elle n'avait pas à procéder à cette formalité, sa créance étant postérieure au jugement de liquidation comme résultant du recours en reconnaissance de la faute inexcusable introduit par M. [C] le 9 mai 2018.

Elle ajoute que la jurisprudence de la Cour de cassation prévoit qu'à défaut de déclaration de la créance de remboursement au passif de la procédure collective de l'employeur, elle n'en demeure pas moins fondée à exercer une action récursoire à l'encontre de l'assureur de ce dernier.

La SARL [9] et la CAMBTP sollicitent, dans l'hypothèse où la Caisse serait défaillante à établir l'existence d'une déclaration de créance au passif de la SARL [9], la condamnation de la CPAM à restituer à la CAMBTP la somme de 267 030,75 euros réglée le 15 novembre 2022 en exécution du jugement entrepris.

Les deux sociétés appelantes ne précisent pas sur quels moyens elles fondent leur prétention.

**********

Il résulte des dispositions de l'article L 452-3-1 du code de la sécurité sociale, applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur introduites devant les Tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, que « quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L 452-1 à L 452-3 du même code ».

Les articles L 452-2, alinéa 6, et D 452-1 du même code, applicables aux décisions juridictionnelles relatives aux majorations de rentes et d'indemnités en capital rendues après le 1er avril 2013, prévoient en outre que le capital représentatif des dépenses engagées par la Caisse au titre de la majoration est, en cas de faute inexcusable, récupéré dans les mêmes conditions et en même temps que les sommes allouées au titre de la réparation des préjudices mentionnés à l'article L 452-3, lequel prévoit en son troisième alinéa « que la réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur ».

En l'espèce, l'action ayant été introduite par M. [C] le 9 mai 2018, et la Caisse se prévalant des dispositions de l'article L 452-3-1 du code de la sécurité sociale, la CPAM de Moselle est fondée à exercer son recours récursoire à l'encontre de l'employeur.

Cependant, la créance de restitution de la Caisse ayant pour origine la faute de celui-ci, elle est soumise à déclaration à son passif dès lors que l'accident est antérieur à l'ouverture de la procédure collective de l'employeur.

En l'espèce, il est constant que l'accident du travail litigieux date du 18 mai 2015 et que la SARL [9] a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 13 février 2018, de sorte que la Caisse devait déclarer sa créance au passif de la SARL [9] en application de l'article L 622-24 ancien du code de commerce.

Compte tenu de l'absence de toute déclaration de créance à la procédure collective de la SARL [9], la créance non déclarée de la Caisse est éteinte, ne peut pas fonder son action récursoire contre elle, et doit être rejetée.

En revanche, lorsque la société employeur est couverte par un contrat d'assurance au moment de l'accident, la Caisse, subrogée dans les droits de la victime à l'égard de la société, peut agir directement contre l'assureur.

Il n'est pas contesté que la CAMBTP assurait la SARL [9] au moment de l'accident de M. [C] survenu le 18 mai 2015, de sorte qu'il convient de faire droit à la demande d'action récursoire formée par la SARL [9] à l'encontre de la CAMBTP.

Les différentes sommes fixées ci-avant ainsi que la majoration de la rente et les frais d'expertise seront payés à M. [C] par la Caisse qui ne pourra récupérer ces sommes qu'auprès de la CAMBTP.

Le jugement entrepris est infirmé en ce sens.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :

La SARL [9], représentée par Maître [M] es qualité de liquidateur judiciaire, et la CAMBTP étant les parties perdantes à l'instance, il convient de dire qu'elles seront tenues aux dépens d'appel et de première instance engagés à compter du 1er janvier 2019.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu de leur mettre à charge une somme de 1 000 euros pour les frais non compris dans les dépens engagés par M. [C] dans le cadre de la première instance, outre une somme de 1500 euros pour les mêmes frais engagés à hauteur d'appel.

Compte tenu de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la SARL [9], les dépens et les sommes attribuées en application de l'article 700 du code de procédure civile doivent être fixés à la procédure collective de la société employeur, la CAMBTP étant quant à elle condamnée au paiement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz du 6 avril 2022 sur les chefs entrepris, sauf en ce qu'il a fixé à 50 000 euros le montant du préjudice subi au titre des souffrances physiques et morales, et en ce qu'il a fixé à 18 266,55 euros le montant du déficit fonctionnel temporaire ;

Statuant à nouveau sur ces points,

FIXE l'indemnisation des autres préjudices personnels de M. [B] [C] comme suit :

. préjudice esthétique : 15 000 euros

. préjudice d'agrément : 15 000 euros

DIT que l'ensemble des sommes dues à M. [B] [C] au titre de ces préjudices ainsi que des préjudices liés aux souffrances morales et physiques et du déficit fonctionnel temporaire, totalisant 98 266,55 euros, seront versées par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de Moselle à M. [B] [C] ;

REJETTE la demande formée par la CPAM de Moselle à l'encontre de la SARL [9], représentée par son mandataire liquidateur, Maître [M], au titre de son action récursoire ;

CONDAMNE la Caisse d'Assurance Mutuelle du Bâtiment et des Travaux Publics (CAMBTP), en sa qualité d'assureur de la SARL [9], à rembourser à la CPAM de Moselle l'ensemble des sommes, en principal et intérêts, que cet organisme sera tenu d'avancer sur le fondement des articles L 452-1 à L 452-3 du code de la sécurité sociale ;

FIXE au passif de la procédure collective de la SARL [9] les dépens d'appel et de première instance engagés à compter du 1er janvier 2019, dus in solidum avec la CAMBTP ;

FIXE au passif de la procédure collective de la SARL [9] la créance de M. [B] [C] aux sommes de 1000 euros et de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile respectivement pour la première instance puis à hauteur d'appel, et dues in solidum avec la CAMBTP ;

CONDAMNE la CAMBTP à payer à M. [B] [C] les sommes de 1000 euros et de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile respectivement pour la première instance puis à hauteur d'appel, et dues in solidum avec la SARL [9] placée en liquidation judiciaire ;

CONDAMNE la CAMBTP aux dépens de première instance et d'appel qui sont dus in solidum avec la SARL [9] placée en liquidation judiciaire.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 3
Numéro d'arrêt : 22/01203
Date de la décision : 24/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-24;22.01203 ?
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