La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/06/2024 | FRANCE | N°22/00167

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 3, 24 juin 2024, 22/00167


Arrêt n° 24/00304



24 Juin 2024

---------------

N° RG 22/00167 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FVA5

------------------

Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social



15 Décembre 2021

18/00241

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ



CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale





ARRÊT DU



vingt quatre Juin deux mille vingt quatre







APPELANT :



FONDS D'INDEMNISA

TION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 6]

Représenté par Me Sabrina BONHOMME, avocat au barreau de METZ



INTIMÉS :



L'AGENT JUDICIAIRE DE l' ETAT (AJE)

Ministères économiques et financie...

Arrêt n° 24/00304

24 Juin 2024

---------------

N° RG 22/00167 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FVA5

------------------

Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social

15 Décembre 2021

18/00241

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt quatre Juin deux mille vingt quatre

APPELANT :

FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 6]

Représenté par Me Sabrina BONHOMME, avocat au barreau de METZ

INTIMÉS :

L'AGENT JUDICIAIRE DE l' ETAT (AJE)

Ministères économiques et financiers Direction des affaires juridiques

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représenté par Me BEAUPRE, avocat au barreau de METZ

substitué par Me CABOCEL , avocat au barreau de METZ

CAISSE AUTONOME NATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE DANS LES MINES - CANSSM

ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur

et pour adresse postale

L'Assurance Maladie des Mines

[Adresse 9]

[Localité 4]

représentée par Mme [C], munie d'un pouvoir général

Monsieur [R] [O]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Guillaume DELORD, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Janvier 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Anne FABERT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement après prorogation du 27.05.2024

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [R] [O], né en 1949, a travaillé pour le compte des [7] ([7]), devenues l'établissement public Charbonnages de France (CDF), et ce du 15 décembre 1976 au 30 novembre 1999.

Il a bénéficié d'un congé charbonnier fin de carrière du 1er décembre 1999 au 30 juin 2004.

Par formulaire du 29 décembre 2015, M. [O] a déclaré à l'Assurance Maladie des Mines une maladie professionnelle au titre du tableau n°30B des maladies professionnelles (« atteinte pleurale bénigne, plaques »), accompagné d'un certificat médical initial du docteur [Z] du 13 octobre 2015.

Par décision du 28 juillet 2016, la Caisse a pris en charge la maladie de M. [O] au titre du tableau n°30B des maladies professionnelles, relatif aux affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante.

Le 14 octobre 2016, la Caisse a notifié à M. [O] un taux d'incapacité permanente partielle de 5% à la date du 14 octobre 2015 (lendemain de la date de consolidation), avec attribution d'une indemnité en capital de 1 950,38 euros.

En parallèle, M. [O] a accepté l'offre du Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA) fixant l'indemnisation de ses préjudices comme suit :

préjudice moral : 13 400 euros,

préjudice physique : 200 euros,

préjudice d'agrément : 1 000 euros.

Après échec de la tentative de conciliation introduite devant l'Assurance Maladie des Mines, M. [O] a saisi, selon courrier recommandé expédié le 5 février 2018, le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Moselle (devenu Pôle social du tribunal de grande instance de Metz le 1er janvier 2019, puis Pôle social du tribunal judiciaire de Metz au 1er janvier 2020) d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur dans la survenance de sa maladie professionnelle et afin de bénéficier des conséquences indemnitaires en découlant.

Il convient de préciser que l'établissement public Charbonnages de France a été définitivement liquidé le 31 décembre 2017, ses droits et obligations étant transférés à l'État, représenté par l'Agent Judiciaire de l'État (AJE).

Par ailleurs, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle (CPAM ou Caisse) qui agit pour le compte de la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité Sociale dans les Mines (CANSSM) depuis le 1er juillet 2015, a été mise en cause.

Le FIVA est également intervenu à l'instance.

Par jugement du 15 décembre 2021, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz, nouvellement compétent, a :

déclaré le jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines,

déclaré recevable en la forme le recours de M. [O],

déclaré le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante recevable en ses demandes,

dit que la maladie professionnelle déclarée par M. [O] et inscrite au tableau n°30B des maladies professionnelles est due à la faute inexcusable de son employeur, l'Agent Judiciaire de l'Etat venant aux droits de l'établissement Charbonnages de France, anciennement [7] ;

ordonné la majoration à son maximum de l'indemnité en capital allouée à M. [O] dans les conditions prévues à l'article L 452-2 alinéa 3 du code de la sécurité sociale ;

dit que cette majoration suivra l'évolution de son taux d'incapacité permanente en cas d'aggravation de son état de santé et qu'en cas de décès résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant ;

dit que cette majoration sera versée par la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, au FIVA en sa qualité de créancier subrogé ;

débouté le FIVA de ses demandes formées au titre des préjudices personnels subis par M. [O] ;

rappelé que la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, est fondée à exercer son action récursoire contre l'AJE ;

condamné l'AJE à rembourser à la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, l'ensemble des sommes, en principal et intérêts, qu'elle sera tenue d'avancer sur le fondement des articles L452-1 à L452-3 du code de la sécurité sociale au titre de la pathologie professionnelle de M. [O] inscrite au tableau n°30B ;

condamné l'AJE aux entiers frais et dépens de la procédure ;

condamné l'AJE à payer à M. [O] la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné l'AJE à payer au FIVA la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par acte de son conseil déposé au greffe le 13 janvier 2022, le FIVA a formé un appel partiel contre cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR datée du 28 décembre 2021.

Par ses dernières conclusions datées du 11 mai 2023, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son conseil, le FIVA demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable la demande formée par M.[O], déclaré recevable la demande du FIVA subrogé dans les droits de M.[O], dit que la maladie professionnelle dont est atteint M. [O] est la conséquence de la faute inexcusable de l'AJE, fixé à son maximum la majoration de l'indemnité en capital, dit que cette majoration devra suivre l'évolution du taux d'incapacité permanente de M. [O] en cas d'aggravation de son état de santé, et qu'en cas de décès de la victime imputable à sa maladie professionnelle due à l'amiante le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente de son conjoint survivant, condamné l'AJE à payer au FIVA une somme de 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, condamné l'AJE aux entiers frais et dépens de la procédure, et ordonné l'exécution provisoire de la décision,

Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté le FIVA de ses demandes formées au titre des préjudices personnels subis par M. [O], et en ce qu'il a dit que l'Assurance Maladie des Mines devra verser cette majoration de capital de 1 950,38 euros au FIVA en sa qualité de créancier subrogé ;

Et statuant à nouveau sur ce point,

Fixer l'indemnisation des préjudices personnels de M. [O] comme suit :

souffrances morales : 13 400 euros,

souffrances physiques : 200 euros,

Dire que l'Assurance Maladie des Mines devra verser cette somme de 13 600 euros au FIVA, créancier subrogé, en application de l'article L 452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale,

Fixer à son maximum la majoration de l'indemnité en capital prévue à l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale, soit 1 950,38 euros et dire que l'Assurance Maladie des Mines devra directement verser cette majoration de capital de 1 950,38 euros à M. [O] ;

Y ajoutant,

Condamner l'Agent Judiciaire de l'Etat à payer au FIVA une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la partie succombante aux dépens, en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.

Par ses conclusions datées du 18 août 2022, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son conseil, M. [O] demande à la cour de :

Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Metz le 15 décembre 2021 ;

Et par conséquent,

Dire que la maladie professionnelle inscrite au tableau 30 de M. [O] est due à la faute inexcusable des Charbonnages de France ;

Dire que M. [O] a droit à une majoration de sa rente en la portant au taux maximum conformément aux dispositions de l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale ;

Condamner la caisse à lui payer cette majoration ;

Dire :

. que cette majoration prendra effet à la date de reconnaissance de la maladie professionnelle ;

. en cas d'aggravation ultérieure que le taux de rente sera indexé au taux d'IPP ;

. en cas de décès imputable, que la rente de conjoint sera majorée à son taux maximum et que la caisse devra verser l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L452-3 du code de la sécurité sociale, de même qu'en cas d'aggravation du taux d'IPP à 100% ;

Condamner l'AJE à payer à M. [O] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner l'AJE aux entiers frais et dépens ;

Déclarer la décision à intervenir commune à la Caisse ;

Dire que l'ensemble des sommes allouées portera intérêt au taux légal à compter du prononcé de la décision.

Par conclusions du 26 avril 2023, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son conseil, l'AJE demande à la cour de :

A titre principal :

Infirmer le jugement rendu le 15 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Metz en ce qu'il a jugé que la maladie professionnelle inscrite au tableau 30B résultait de la faute inexcusable de l'employeur ;

Confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a débouté le FIVA de ses demandes formées au titre des préjudices personnels de M. [O] ;

Condamner le FIVA à verser à l'AJE la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner le FIVA en tous les dépens en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire :

Réduire à de plus justes proportions les condamnations mises à la charge de l'AJE.

Par conclusions datées du 27 mars 2023, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son représentant, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM demande à la cour de :

donner acte à la Caisse qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à la société Charbonnages de France (AJE),

Le cas échéant :

donner acte à la Caisse qu'elle s'en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de l'indemnité en capital,

prendre acte que la Caisse ne s'oppose pas à ce que la majoration de la rente suive l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle de M. [O],

constater que la Caisse ne s'oppose pas à que ce que le principe de la majoration de rente reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès de M. [O] consécutivement à sa maladie professionnelle,

donner acte à la Caisse qu'elle s'en remet à la cour en ce qui concerne l'évaluation des préjudices extrapatrimoniaux,

déclarer irrecevable toute éventuelle demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle prononcée par la Caisse,

condamner l'AJE à rembourser à la Caisse l'ensemble des sommes, en principal et intérêts, qu'elle sera tenue d'avancer sur le fondement des articles L 452-1 à L 452-3-1 du code de la sécurité sociale.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.

SUR CE

SUR L'EXPOSITION PROFESSIONNELLE AU RISQUE :

L'AJE demande à ce que le jugement querellé soit infirmé. Il rappelle qu'il est en droit de contester l'exposition de M. [O] au risque du tableau n°30B des maladies professionnelles, ceci d'autant que l'Agence Nationale pour la Garantie des Droits des Mineurs (ANGDM) n'a pas reconnu l'exposition de ce dernier au risque amiante et qu'aucun des emplois occupés par le salarié ne l'a exposé audit risque. Il conteste les attestations produites qui ne permettent pas de retenir que les témoins ont travaillé avec M. [O], de sorte qu'elles ne peuvent établir l'exposition du salarié au risque amiante.

M. [O] et le FIVA sollicitent la confirmation du jugement entrepris, expliquant que la victime a été exposé durant toute sa vie professionnelle à l'amiante.

La Caisse s'en remet à l'appréciation de la cour.

***********************

Aux termes de l'article L 461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions désignées dans ce tableau. Pour renverser cette présomption, il appartient à l'employeur de démontrer que la maladie est due à une cause totalement étrangère au travail.

Le tableau n°30B désigne les plaques pleurales confirmées par un examen tomodensitométrique comme maladie provoquée par l'inhalation de poussières d'amiante. Ce tableau prévoit un délai de prise en charge de 40 ans et une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer cette affection.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la maladie dont se trouve atteint M. [O] répond aux conditions médicales du tableau n°30B. Seule est discutée l'exposition professionnelle du salarié au risque d'inhalation de poussières d'amiante.

Il convient de rappeler que les plaques pleurales sont une maladie caractéristique de l'inhalation de poussières d'amiante, et que la liste des travaux prévue au tableau 30B des maladies professionnelles est simplement indicative des travaux susceptibles d'entraîner les affections consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante, de sorte que ce tableau n'impose pas que le salarié ait directement manipulé des produits amiantés, seul important le fait qu'il ait effectué des travaux l'ayant conduit à inhaler habituellement des poussières d'amiante.

Il ressort du relevé de périodes et d'emplois que M. [O] a exercé dans les chantiers des [7], devenues les Charbonnages de France, les postes suivants, au fond :

17 novembre 1976 au 13 mai 1978, du 20 septembre 1978 au 10 mars 1980, puis du 13 août 1980 au 30 septembre 1998, aux postes suivants (pièce n°A de l'AJE) :

du 15/12/1976 au 31/08/197 : apprenti-mineur,

du 01/09/1977 au 02/06/1985 : abatteur-boiseur,

du 03/06/1985 au 30/06/1994 : ouvrier service reclassement niveau 1.

A hauteur d'appel, M. [O] verse aux débats les attestations testimoniales établies par deux anciens collègues de travail, à savoir Mrs [K] et [D] (pièces n°4 de l'assuré). L'AJE remet en cause les témoignages au motif qu'il n'est pas établi que les témoins aient réellement travaillé aux côtés de M. [O] et qu'en outre elles sont stéréotypées et générales, alors qu'elles comportent des paragraphes très proches d'attestations versées dans d'autres procédures, ce qui leur retire toute force probante.

Il y a lieu de rappeler que, si les attestations produites comportent des formulations similaires avec les témoignages produits dans d'autres instances, il n'y a néanmoins pas lieu de les écarter de ce seul fait. En effet, les attestations relatent les mêmes faits, écrits par des témoins non nécessairement rompus à la rédaction, si bien que des similitudes existent dans leurs contenus, ce qui ne remet pas en cause l'authenticité des témoignages personnels que chaque salarié a souhaité apporter à partir du moment où ces témoins font état d'indications spécifiques permettant de se convaincre qu'il s'agit de collègues de travail directs de M. [O]. Ainsi, le seul fait que les témoins aient pu recevoir une aide pour rédiger de manière efficiente les faits qu'ils souhaitaient rapporter ne permet pas de remettre en cause leur contenu.

Les deux témoins allèguent avoir travaillé avec M. [O] et produisent leurs relevés de carrières respectifs qui confirment leurs propos alors qu'il est établi qu'ils ont travaillé avec M. [O] durant plusieurs années entre 1976 et 1985 au sein de l'unité d'exploitation Simon. Par conséquent, la force probante de leurs témoignages sera retenue, l'AJE ne produisant aucun élément utile pour les remettre en cause.

M. [K] indique : « que M. [O] était en contact direct à ces poussières et fibres d'amiante car ces dernières étaient omniprésentes dans l'atmosphère et dans les outils de travail et cela toute la journée. De plus il faut noter que les outils de travail plaquettes de frein et les embrayages des différents véhicules, machines et treuils étaient fabriqués à base d'amiante. Lors de l'usage des machines et véhicules des nuages épais chargés de poussières et de fibres d'amiante se dégageaient que nous respirons sans protection respiratoire (') Même si M. [O] ne manipulait pas directement de l'amiante, mais juste le fait qu'il se trouvait dans les lieux ou d'autres personnes manipulaient de l'amiante sous différentes formes (plaques, cordons, ') il inhalait des poussières et des fibres d'amiante, et cela bien sûr toute la journée sur plusieurs années ».

M. [D] précise quant à lui : « durant son poste de travail M. [O] était exposé et en contact quotidien avec la substance de l'amiante lors de ses travaux effectués. Il était en rapport avec fibres d'amiante, les poussières provenant de différentes machines et véhicules se trouvant sur place notamment les treuils, les marteaux piqueurs ('). De plus lors de son travail ces poussières et fibre d'amiante étaient en suspension permanente dans l'atmosphère et donc l''inhalation était quotidienne ».

La description des conditions de travail ainsi faite expose parfaitement comment les travaux réalisés ont nécessairement impliqué, jusqu'en 1985 pour M. [O], une exposition de la victime aux poussières d'amiante, du fait non seulement de la manipulation de produits amiantés mais également de l'usage ou du travail à proximité d'engins dont les pièces de friction des organes de frein libéraient des fibres d'amiante en fonctionnant, l'utilisation de l'amiante n'ayant été interdite qu'en 1996.

En outre, si l'AJE conteste l'exposition de M. [O] au risque amiante, l'étude intitulée « Etude des risques éventuels de pollution de fibres d'amiante a voisinage des systèmes de freinage dans les chantiers du fond » réalisée en 1984 par le docteur [V] au centre d'études des poussières HBCM, produite par la victime (pièce générale n°1 de la victime) fait état de poussières fines contenant de l'amiante déposées sur les carters de freins des chargeurs transporteurs Wagner et d'une pollution par des fibres d'amiante localisée dans le carter du système de freinage des treuils monorail, étant relevé que, si l'étude conclut in fine à une pollution par fibres d'amiante « négligeable », les tests ainsi pratiqués dans cette étude n'ont pas été réalisés en conditions réelles dans un chantier de fond mais en laboratoire, une seule machine étant testée à la fois en position statique.

Il apparaît ainsi constant que la friction des organes de freins des différentes installations et machines utilisées au fond de la mine à la période d'emploi de M. [O], ont été de nature à exposer habituellement l'intéressé à l'inhalation de poussières d'amiante durant ses nombreuses années d'activité au fond, en l'espèce de 1976 à 1985, et ce dans un contexte de confinement résultant de la configuration de la mine.

Les éléments présentés par l'AJE, qui concluent à une pollution minime au regard de l'inhalation de poussières d'amiante pour certains matériels ne sauraient écarter la présomption d'imputabilité qui découle de l'établissement de l'exposition habituelle à l'inhalation de poussières d'amiante, indépendamment de la question de la nocivité, le tableau n°30B des maladies professionnelles ne fixant pas de seuil d'exposition à l'agent nocif.

Dès lors, la présomption d'imputabilité de la maladie au travail trouve à s'appliquer, et l'AJE n'apportant pas la preuve contraire que le travail n'a joué aucun rôle dans le développement de la maladie, le caractère professionnel de la maladie dont se trouve atteint M. [O] est établi à l'égard de l'établissement public Charbonnage de France auquel l'AJE est substituée.

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR :

M. [O] soutient que l'AJE avait conscience du danger lié à l'amiante. Il fait valoir notamment que la réglementation antérieure à 1977 imposait déjà aux employeurs de fournir une protection au personnel contre les poussières, ces dernières incluant nécessairement les poussières d'amiante. Il explique que compte tenu, des connaissances scientifiques raisonnablement accessibles à l'époque, de la réglementation applicable relative à la protection contre les poussières et de l'importance de l'organisation et de l'activité de cet employeur, celui-ci aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié ; que ni l'information, ni les moyens nécessaires à sa protection n'ont été mis en 'uvre par Charbonnages de France.

Le FIVA précise que l'exploitant minier avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel les mineurs étaient exposés et que les éléments du dossier établissent qu'il n'a pas mis en place de mesures de protection collectives ou individuelles.

L'AJE sollicite l'infirmation du jugement entrepris et soutient, outre la contestation de l'exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante, que les [7] ne pouvaient avoir conscience avant 1996 du risque et qu'elles ont mis en 'uvre tous les moyens nécessaires pour protéger les salariés des risques connus à chacune des époques de l'exploitation, avec les données connues et les mesures de protection qui existaient. Il ajoute qu'elles ont parfaitement satisfait à leur obligation de prévention et de sécurité, qu'aucun défaut d'information ne peut leur être reproché, et que très tôt les Houillères se sont préoccupées des masques et de leur efficacité et ont 'uvré contre l'empoussièrement par la mise en place et l'amélioration constante des systèmes, d'abattage des poussières, d'aérage et de capotage. Il fait également valoir que ce n'est qu'en 1996 qu'ont été introduits dans la liste du tableau n°30 des maladies professionnelles, les travaux d'équipement, d'entretien ou de maintenance effectués sur des matériels ou dans des locaux revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante de sorte que les [7] ne pouvaient pas, dans ce contexte, avoir conscience du danger du risque amiante.

Il critique enfin les attestations produites qui sont imprécises et lacunaires et estime que les nombreuses pièces générales produites par ses soins viennent contredire les affirmations du salarié et de ses témoins.

La Caisse s'en remet à l'appréciation de la cour concernant l'établissement de la faute inexcusable.

***********************

L'article L 452-1 du code de la sécurité sociale dispose que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise.

Les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l'employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.

Dans le cadre de son obligation générale de sécurité, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Le manquement à son obligation de sécurité et de protection de la santé de son salarié a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve de ce que celui-ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et de ce qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Sur la conscience du danger par l'employeur :

La dangerosité de l'amiante est connue en France depuis le début du XXème siècle au moins, notamment grâce au Bulletin de l'inspection du travail de 1906 faisant état de très nombreux cas de fibroses chez les ouvriers de filatures et tissage.

Dans les années 1930, plusieurs publications ont également alerté sur l'exposition professionnelle à l'amiante et le développement de certaines pathologies. Ainsi, en 1930, une publication du Docteur [T] dans la revue La médecine du travail établissait déjà un lien de causalité entre l'asbestose et le travail des ouvriers de l'amiante, et comprenait déjà des recommandations précises en direction des industriels sur les mesures à prendre afin de réduire l'empoussièrement. A partir de 1935 d'autres publications ont fait un lien entre l'exposition professionnelle à l'amiante et le cancer broncho-pulmonaire.

Les maladies engendrées par les poussières d'amiante ont été inscrites pour la première fois au tableau des maladies professionnelles en 1945, et un tableau spécifique aux pathologies consécutives à l'inhalation des poussières d'amiante (asbestose) a été créé en 1950, avec inscription des travaux de calorifugeage au moyen d'amiante dès 1951. La liste des travaux susceptibles d'entraîner les maladies inscrites au tableau 30B est devenue simplement indicative par décret n°55-1212 du 13 septembre 1955.

Dès lors, les éventuelles carences des pouvoirs publics s'agissant de la protection des travailleurs exposés à l'amiante ne peuvent tenir lieu de fait justificatif et exonérer l'employeur de sa propre responsabilité.

Ainsi, dès le début des années 50, tout employeur avisé était tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de la fibre d'amiante.

Un décret du 17 août 1977 a fixé des limites de concentration moyenne de fibres d'amiante dans les locaux de travail ainsi que les règles de protection générale ou à défaut individuelle à appliquer. Si ce décret n'était pas applicable aux mines, il ne pouvait qu'alerter à nouveau les Charbonnages de France sur la nocivité de l'amiante. D'ailleurs, il résulte des pièces même produites par l'AJE que les Charbonnages de France disposaient d'un service médical interne conséquent et performant dont faisait partie le docteur [B], entré dans l'entreprise en 1977, l'intéressé ayant rédigé sa thèse de docteur en médecine sur l'amiante, ses risques et son utilisation sur les lieux de travail. Sans compter l'existence au sein des Charbonnages de France d'un centre d'études et de recherche (le CERCHAR) à la compétence internationale reconnue en la matière.

Compte tenu de sa dimension et des moyens corrélatifs dont il disposait pour exploiter les informations et les données scientifiques déjà connues à cette époque, sur les dangers liés à l'exposition habituelle à l'inhalation de poussières d'amiante, l'employeur ne pouvait pas ne pas avoir conscience, à l'époque de la période d'emploi de M. [O], des risques sanitaires graves, d'ores et déjà révélés par de nombreuses publications, auxquels se trouvaient exposés son salarié.

Ainsi, compte tenu de ce qui vient d'être développé et compte tenu des emplois exercés par M. [O] dans les chantiers du fond, il en résulte que les Charbonnages de France ne pouvaient ignorer le risque encouru par l'intéressé.

Sur les mesures prises par l'employeur pour préserver le salarié :

S'agissant des mesures de protection mises en 'uvre, une réglementation en matière de protection contre l'empoussiérage a existé très tôt et a connu une évolution particulière à partir de 1951, date du décret n°51-508 du 04 mai 1951 portant règlement général sur l'exploitation des mines dont l'article 314 énonce : 'Des mesures sont prises pour protéger les ouvriers contre les poussières dont l'inhalation est dangereuse'. Également, une instruction du 15 décembre 1975 relative aux mesures de prévention médicales dans les mines de houille a introduit la notion de pneumoconiose autre que la silicose, et a préconisé des mesures de prévention telles que des mesures d'empoussiérage, de classement des chantiers empoussiérés, de détermination de l'aptitude des travailleurs aux différents chantiers et de leur affectation dans les chantiers empoussiérés.

Si M. [K] indique dans son attestation (pièce n°4 de l'assuré) que « nous respirons sans protection respiratoire (qui nous permettraient de nous protéger) », il ajoute que « M.[O] a été exposé à l'inhalation de poussières de fibres d'amiante et cela sans protections individuelles et collectives efficaces de 1976 à 1985 », invoquant ainsi dans un premier temps l'absence de protections individuelles puis dans un second temps le caractère inefficace de celles-ci.

M. [D] précise quant à lui, s'agissant de la situation de M. [O] et de la sienne, « nous n'avions pas de protection respiratoire, ni de protection collective lors de nos interventions ».

Ces deux témoignages, seuls versés aux débats à hauteur d'appel, ne donnent pas de détail quant à la nature des protections mises à la disposition de M. [O] par l'employeur et sur les éléments les rendant inefficaces, et ne permettent dès lors pas à la cour d'établir que l'employeur n'a pas délivré de moyens de protection suffisants à l'assuré.

Enfin les seules pièces générales émanant de l'AJE et de l'assuré ne permettent de tirer aucune conclusion pertinente sur le cas individuel de M. [O] quant aux mesures prises par l'employeur pour le protéger, ni sur leur absence.

A défaut de faire état et de justifier des carences précises de l'employeur quant à la mise en place de mesures de protection destinées à protéger la santé de M. [O], il convient de constater que celui-ci et le FIVA ne démontrent pas l'existence de la faute inexcusable de l'employeur comme étant à l'origine de la maladie professionnelle déclarée et inscrite au tableau n°30B des maladies professionnelles.

Par conséquent, la décision des premiers juges est infirmée et il convient de débouter M.[O] et le FIVA de leur demande aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur relativement à la maladie inscrite au tableau n°30B des maladies professionnelles, ainsi que de leurs demandes indemnitaires qui en découlent.

L'action récursoire de la Caisse est sans objet dès lors que la faute inexcusable de l'employeur n'est pas retenue.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :

L'issue du litige conduit la cour à infirmer les dispositions du jugement entrepris ayant condamné l'AJE aux dépens et à verser à M. [O] et au FIVA une somme, à chacun, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [O] et le FIVA étant les parties perdantes à la procédure, ils sont condamnés in solidum aux dépens de première instance engagés à compter du 1er janvier 2019, ainsi qu'aux dépens d'appel.

En outre, leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel doivent être rejetées.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

INFIRME le jugement entrepris du 15 décembre 2021 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

REJETTE les demandes formées par M. [R] [O] et par le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA) aux fins de voir constatée l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur, Les [7], devenues Charbonnages de France, représentées par l'Agent Judiciaire de l'Etat, dans la survenance de la maladie professionnelle déclarée par M. [R] [O] au titre du tableau 30B des maladies professionnelles ;

REJETTE les demandes financières qui en découlent formées par le FIVA au titre des préjudices personnels subis par la victime, et par M. [R] [O] au titre de la majoration de l'indemnité en capital ;

DIT n'y avoir lieu en conséquence à statuer sur l'action récursoire de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Moselle ;

DEBOUTE M. [R] [O] et le FIVA de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance et en cause d'appel ;

CONDAMNE M. [R] [O] et le FIVA in solidum aux dépens de première instance engagés à compter du 1er janvier 2019 et aux dépens d'appel.

La Greffière, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 3
Numéro d'arrêt : 22/00167
Date de la décision : 24/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-24;22.00167 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award