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19/06/2024 | FRANCE | N°22/01698

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 19 juin 2024, 22/01698


Arrêt n° 24/00203



19 Juin 2024

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N° RG 22/01698 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FYUA

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FORBACH

01 Juin 2022

21/00167

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1







ARRÊT DU



dix neuf Juin deux mille vingt quatre



APPELANTE :



Mme [T] [X] épouse [B]


[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Romain GORGOL, avocat au barreau de SARREGUEMINES

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/006022 du 09/02/2023 accordée par le bureau d'aide jur...

Arrêt n° 24/00203

19 Juin 2024

---------------------

N° RG 22/01698 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FYUA

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FORBACH

01 Juin 2022

21/00167

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

dix neuf Juin deux mille vingt quatre

APPELANTE :

Mme [T] [X] épouse [B]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Romain GORGOL, avocat au barreau de SARREGUEMINES

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/006022 du 09/02/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de METZ)

INTIMÉS :

M. [C] [P]

[Adresse 5]

[Adresse 5] - ALLEMAGNE

Représenté par Me Alain MARTZEL, avocat au barreau de SARREGUEMINES

S.A.S. ANKA

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Alain MARTZEL, avocat au barreau de SARREGUEMINES

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Novembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT :

Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;

Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Monsieur Alexandre VAZZANA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [T] [X] épouse [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Forbach par acte introductif d'instance enregistré le 8 juillet 2021 en soutenant qu'elle avait été embauchée du 7 octobre 2019 au 1er juin 2020 en qualité de directrice de supermarché par M. [P], puis du 2 juin au 31 décembre 2020 au même poste par la société Anka, et en réclamant des salaires au titre de la rémunération de ses prestations de travail durant ces deux périodes d'embauche, ainsi qu'une indemnité pour travail dissimulé.

Par jugement contradictoire du 1er juin 2022, le conseil de prud'hommes de Forbach a statué comme suit :

« Dit que Mme [T] [B] et la SAS Anka ne sont pas liées par un contrat de travail ;

Dit que Mme [T] [B] et M. [C] [P] ne sont pas liés par un contrat de travail ;

Déboute Mme [B] de l'ensemble de ses demandes ;

Déboute la SAS Anka et M. [C] [P] quant à leurs demandes de dommages et intérêts ;

Dit que chacun supportera ses entiers frais et dépens de l'instance. ».

Par déclaration transmise par voie électronique le 29 juin 2022, Mme [B] a régulièrement interjeté appel du jugement qui lui avait été notifié le 3 juin 2022.

Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 3 octobre 2023, Mme [B] demande à la cour de statuer comme suit :

« Déclarer son appel recevable et bien fondé ;

Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes du Forbach en date du 1er juin 2022, en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

Dire et juger que M. [P] est le gérant de fait de la société Anka ;

Dire et juger que la relation entre M. [P] et Mme [B] s'analyse en un contrat de travail, à durée indéterminée et à temps plein ;

Condamner M. [P] à lui régler les sommes suivantes :

- 45 630 euros brut au titre de sa prestation de travail pour la période du 7 octobre 2019 au 1er juin 2020 ;

- 22 815 euros net au titre de l'indemnité de travail dissimulé ;

Dire et juger que la relation entre la société Anka et Mme [B] s'analyse en un contrat de travail, à durée indéterminée et à temps plein ;

Condamner la société Anka à lui régler les sommes suivantes :

- 44 520 euros brut au titre de sa prestation de travail pour la période du 2 juin 2020 au 31 décembre 2020 ;

- 22 815 euros net au titre de l'indemnité de travail dissimulé ;

- 1 410,73 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

- 12 548,25 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 557,47 euros au titre des congés payés sur préavis ;

- 3 802,50 euros au titre de l'indemnité de non-respect de la procédure de licenciement ;

- 11 407,50 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

- 5 000 euros du préjudice moral de Mme [B] ;

Dire et juger que M. [P] étant manifestement le gérant de la société Anka, M. [P] et la SASU Anka seront condamnés solidairement à payer à l'ensemble des sommes auxquelles ils pourront être condamnés ;

En tout état de cause,

Débouter M. [P] et la société Anka de l'ensemble de leurs fins et prétentions ;

Condamner M. [P] et la société Anka solidairement à verser à Mme [B] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [P] et la société société Anka solidairement aux entiers frais et dépens, et notamment la somme de 309,20 euros au titre des frais de procès-verbal d'huissier de justice, outre

2 916 euros au titre des frais de traducteur assermenté, soit 3 225,20 euros. »

Mme [B] se prévaut de l'existence de deux contrats de travail, le premier la liant à M. [P] du 7 octobre 2019 au 1er juin 2020, et le second la reliant à la société Anka à compter de l'immatriculation de cette dernière, soit du 2 juin au 31 décembre 2020.

Mme [B] relate qu'à la fin du mois de septembre 2019 elle était à la recherche d'un emploi et a été contactée par M. [P] qui avait obtenu son numéro de téléphone par l'intermédiaire d'un ami commun. Elle explique que M. [P] ne maîtrise pas la langue française, qu'il lui a soumis son projet d'ouvrir un supermarché de vente de produits alimentaires en France et de lui confier les rênes dudit projet, avec, en cas de succès, son embauche en qualité de directrice dès l'ouverture du magasin avec le salaire attaché à ce poste. Elle ajoute qu'elle a accepté la proposition de M. [P], et a créé une adresse électronique spécifique « [Courriel 2] » pour l'exécution de ses prestations, en raison de la multiplication des courriels professionnels.

Au soutien de l'existence d'un contrat de travail avec M [P], Mme [B] se prévaut  des éléments suivants :

- des nombreuses diligences qu'elle a assumées afin de permettre l'immatriculation et l'ouverture de la société à venir, en contactant de nombreux interlocuteurs pour ce faire ;

- des directives qui lui étaient données par M. [P] qui ne pouvait diriger une nouvelle société car il était alors gérant de la société Ensar Market SAS en liquidation judiciaire depuis le 16 septembre 2019, date proche de celle à laquelle il l'avait contactée ;

- de l'objet social identique de la société Ensar Market SAS avec la société en formation.

En ce qui concerne la période postérieure à la création de la société, Mme [B] explique que M. [P] était le gérant de fait de la société Anka qui prenait l'ensemble des décisions relatives à l'organisation de l'entreprise.

Mme [B] soutient que durant toute la période de travail alléguée elle était contrainte de se conformer aux consignes déterminées par M. [P], que ce soit pour la création du supermarché ou pour son exploitation.

Elle indique qu'elle était toujours présente avec M. [P] aux réunions de chantier des travaux d'aménagement, qu'elle s'est également chargée de l'ouverture d'un compte bancaire pour la nouvelle société (sur lequel elle bénéficiait d'une procuration) et de prendre contact avec les fournisseurs.

Elle ajoute qu'elle a embauché plusieurs stagiaires dans le cadre de conventions tripartites avec Pôle emploi.

L'appelante conteste avoir exercé la qualité de conseil en immobilier ou en clientèle et réfute la qualité de gérant de fait qui lui est prêtée par les parties intimées.

Elle considère que les échanges avec M. [P] ne permettent pas de douter de l'existence d'un pouvoir de direction et de contrôle de ce dernier.

Elle souligne qu'elle a toujours été perçue comme la directrice du magasin, ayant notamment été présentée publiquement en cette qualité dans un article paru dans un journal local le 17 décembre 2020, ce qui confirme son appartenance à un service organisé.

Elle ajoute qu'elle ne supportait aucun risque économique.

Mme [B] précise :

- que si elle bénéficiait d'une autonomie s'agissant de ses horaires de travail, les échanges établissent qu'elle se trouvait à la disposition de M. [P] en soirée, le matin, le dimanche, mais également pendant les vacances ;

- qu'au mois de janvier 2021, après avoir relancé M. [P] à de multiples reprises pour obtenir un contrat écrit ainsi que le paiement de ses services, ce dernier lui a finalement confié qu'il ne disposait pas des moyens de faire établir un contrat et de la rémunérer comme convenu.

Mme [B] fonde ses demandes de rappels de salaires durant l'intégralité de la relation contractuelle sur les minima fixés par la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire pour une directrice de magasin.

Par ses dernières conclusions d'intimé n° 2 déposées par voie électronique le 28 décembre 2022, M. [P] demande à la cour de statuer comme suit :

« Rejetant toutes fins, moyens et conclusions contraires,

En l'absence de contrat de travail, se déclarer incompétente pour connaître des demandes de Mme [T] [B] ;

Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Forbach du 1er juin 2022 en ce qu'il a:

- jugé que M. [C] [P] et Mme [T] [B] n'étaient liés par aucun contrat de travail ;

- débouté Mme [B] de la totalité de ses demandes ;

Débouter Mme [T] [B] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

Condamner Mme [T] [B] à payer à M. [C] [P] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Mme [T] [B] aux entiers dépens. ».

M. [P] considère que si Mme [B] a participé à la création de la société Anka, elle ne prouve pas l'existence de la promesse d'embauche dont elle se prévaut. Il conteste la véracité des allégations de l'appelante concernant leur mise en contact.

Il soutient que Mme [B] ne démontre pas l'existence d'un lien de subordination.

Il souligne qu'il n'est ni associé ni président de la société Anka, et rappelle que le représentant légal de la société Anka est Mme [K].

M. [P] fait valoir que l'appelante ne démontre pas qu'il serait personnellement concerné par ses demandes, et qu'elle n'explique pas sur quelle base elle lui oppose l'application des minima conventionnels prévus par la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

M. [P] considère que Mme [B] n'établit pas qu'il lui aurait donné des instructions ou qu'il aurait exercé un pouvoir de direction. Il observe que les demandes de l'appelante sont contradictoires car elle prétend avoir été sa salariée à temps complet avant l'immatriculation de la société Anka le 2 juin 2020, sans avoir jamais réclamé de contrat de travail, ni de salaire. Il ajoute que Mme [B] n'a jamais sollicité de remboursement de frais professionnels et qu'elle ne produit aucun justificatif à ce titre.

M. [P] retient que les pièces produites par l'appelante établissent que Mme [B] exécutait des prestations en qualité de consultante, prestataire de services, mandataire indépendante, aide bénévole en vue de la création de la société, sans jamais se présenter comme salariée dans les nombreux échanges.

Il critique les témoignages des proches de Mme [B] qui ne font que relater les déclarations de l'appelante puisqu'ils n'ont pas pu entendre l'intégralité des éventuelles conversations.

Il précise que les échanges produits par Mme [B] censés démontrer son état de subordination sont peu nombreux puisqu'il s'agit de 17 messages entre octobre 2019 et fin mai 2020, dont deux messages seulement en 2020, ainsi que 5 fichiers audios concentrés entre le 23 octobre et le 19 novembre 2019.

Il considère que les extraits produits sont sortis de leur contexte, Mme [B] ayant sélectionné les parties à produire, et qu'en tout état de cause ils ne permettent pas d'établir l'existence d'un pouvoir de direction et de contrôle, ni une quelconque obligation de rendre des comptes.

Par ses dernières conclusions d'intimée n° 3 déposées par voie électronique le 5 septembre 2023, la société Anka demande à la cour de statuer comme suit :

« Se déclarer incompétente pour connaître de la demande visant à faire juger M. [P] gérant de fait de la société Anka au profit de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Sarreguemines ;

En l'absence de contrat de travail, se déclarer incompétente pour connaître des demandes de Mme [T] [B] ;

Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Forbach du 1er juin 2022 en ce qu'il a :

- jugé que la société Anka et Mme[T] [B] n'étaient pas liées par aucun contrat de travail ;

- débouté Mme [T] [B] de la totalité de ses demandes ;

Juger irrecevables les demandes de Mme [T] [B] relatives à l'indemnité compensatrice de préavis et aux dommages-intérêts pour licenciement abusif ;

Débouter Mme [T] [B] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

Condamner Mme [T] [B] à payer à la société Anka la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Mme [T] [B] aux entiers dépens. »

La société Anka constate que si les pièces produites par Mme [B] démontrent sa participation à la création de l'entreprise, elles ne permettent pas d'établir l'existence d'un lien de subordination effectif entre les parties.

Elle considère que les pièces dont se prévaut l'appelante démontrent que Mme [B] a agi en totale autonomie et liberté en qualité de consultante (ou de conseil), prestataire de services, mandataire, indépendante, aide bénévole en vue de la création, conseil immobilier,

Elle précise que M. [P] n'est ni l'associé, ni le président de la société Anka et qu'il n'est en aucun cas son gérant de fait.

La société intimée se prévaut des constats suivants :

- après l'immatriculation de la société Mme [B] jamais présenté un quelconque remboursement de frais professionnels ;

- si Mme [B] avait réellement été salariée pour une période de 12 mois comme elle le prétend, elle n'aurait pas manqué de demander le remboursement de frais professionnels, puisqu'elle avait notamment domicilié la société Anka à son domicile personnel en février 2020.

- l'appelante qui a signé le bail commercial par acte notarié en qualité de « conseil immobilier, traductrice-interprète » n'explique pas pourquoi elle ne s'est pas prévalue de sa qualité de salariée pour justifier de sa présence ;

- Mme [B] était désignée comme « conseiller de clientèle » dans la procuration sur les comptes ouverts dans les livres de la Banque Populaire de Lorraine.

La société Anka retient que Mme [B] a agi « en tant que consultante (ou conseil), prestataire de services, mandataire, indépendante, aide bénévole », comme le montre son adresse email qui évoque expressément le mot « conseil ».

Elle soutient que :

- l'appelante s'est présentée elle-même en tant que ''directrice'' au journaliste rédacteur de l'article du Républicain Lorrain du 17 décembre 2020, soit le jour de l'ouverture du magasin, puisque c'est elle qui a accueilli le journaliste ;

- dans une autre action prud'homale opposant la société Anka à Mme T. (dont l'appelante produit le témoignage) qui a été employée en qualité de stagiaire dans le cadre d'un dispositif Pôle emploi (AFPR), il est apparu que Mme [B] s'était immiscée dans la gestion de l'entreprise en usurpant l'identité de son représentant légal en signant le contrat en qualité de ''gérante'' ;

- Mme [B] ne démontre pas qu'elle a été soumise à un pouvoir de direction et de contrôle ;

- l'immixtion de Mme [B] dans la direction de l'entreprise démontre que l'appelante s'est comportée en gérante de fait, ce qui est exclusif de tout lien de subordination ;

- la gestion en toute liberté opérée par Mme [B] résulte également du fait qu'elle était la seule interlocutrice de la société à l'égard des tiers.

La société Anka observe que Mme [B] a présenté des demandes nouvelles en cause d'appel, notamment en vue d'obtenir le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et de dommages-intérêts pour licenciement abusif qui sont dès lors irrecevables comme ne tendant pas aux mêmes fins que les demandes soutenues devant la juridiction prud'homale.

L'ordonnance de clôture de la procédure de mise en état a été rendue le 4 octobre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions de l'appelant, il est renvoyé aux écritures de celle-ci conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

La cour observe que si la société Anka soulève dans ses écritures l'irrecevabilité de demandes nouvelles de Mme [B], cette prétention n'est pas reprise dans le dispositif de ses écritures. La cour n'est donc pas saisie de cette prétention.

Sur la compétence de la juridiction prud'homale

Aux termes de l'article L. 1411-1 du code du travail le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

La cour rappelle que l'existence d'un tel contrat de travail entre les parties n'est pas une condition de recevabilité de l'action engagée par Mme [B] mais qu'elle constitue une condition du succès de ses prétentions.

La juridiction prud'homale est donc compétente pour statuer sur les prétentions de Mme [B] fondées sur l'existence d'un contrat de travail. Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a retenu sa compétence.

Aux termes de l'article 86 du code de procédure civile : « la cour renvoie l'affaire à la juridiction qu'elle estime compétente. Cette décision s'impose aux parties et au juge de renvoi ».

En l'espèce Mme [B] ne formule des prétentions à l'encontre de M. [P] que sur le fondement de l'existence et de l'exécution d'un contrat de travail liant les deux parties. Elle n'invoque la qualité de gérant de fait de M. [P] qu'au soutien de ses prétentions formulées à l'encontre de la société Anka.

Il n'y a donc pas lieu de renvoyer la procédure devant le tribunal judiciaire de Sarreguemines. La demande de la société Anka formée en ce sens est rejetée.

Sur l'existence d'un contrat de travail

En vertu de l'article L. 1221-1 du code du travail, le contrat de travail peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter.

Le contrat de travail est la convention par laquelle une personne physique s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre personne, physique ou morale, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération ; ainsi l'existence de ce contrat implique la réunion de trois critères soit une rémunération, une prestation de travail et un lien de subordination.

Le lien de subordination, élément majeur du contrat, est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements du subordonné. Il est caractérisé par trois critères, soit le pouvoir de direction, de contrôle, et de sanction de l'employeur, eux-mêmes révélés par la méthode du faisceau d'indices.

Il incombe à celui qui se prévaut de l'existence d'un contrat de travail d'établir les éléments de cette qualification. Cette preuve peut être rapportée par tout moyen.

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

La réalité du lien de subordination est déterminée au regard de la réunion de présomptions graves, précises et concordantes résultant de l'examen par les juges du fond d'un ensemble d'indices relatifs au statut personnel de l'intéressé, au mode de rémunération et aux conditions d'exercice de l'activité qui, isolément, ne sont pas déterminants, et qui doivent faire l'objet d'une appréciation globale, et ce sans tenir compte de la qualification voulue par les parties. Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.

Ainsi, il incombe à Mme [B], qui prétend avoir été employée par M. [P] et la société Anka, de démontrer l'existence d'un contrat de travail au regard de ce qu'elle a fourni des prestations de travail dans des conditions qui l'ont placée dans un lien de subordination juridique à l'égard du donneur d'ordre.

A l'appui de ses prétentions, Mme [B] soutient dans ses écritures :

- qu'il « existait deux contrats de travail successifs du 7 octobre 2019 au 31 décembre 2020, le premier ayant été conclu avec M. [P], en sa qualité de gérant de fait de la société Anka qui n'existait pas encore, puis à compter du 1er juin 2020, date de la création de la société Anka, directement avec cette dernière » ;

- qu'elle occupait le poste de directrice ;

- qu'elle a exécuté « de nombreuses démarches en vue, notamment de trouver un local, chercher des prestataires de travaux et faire exécuter les travaux, ou encore établir les démarches administratives destinées à permettre l'ouverture du magasin exploité plus tard par la société Anka » ;

- qu'elle était « obligée de se conformer à des consignes de travail, que M. [P] déterminait les tâches à effectuer ['] pour la création du magasin et de la société destinée à en assurer l'exploitation » ;

- que postérieurement à la création de la société Anka, elle « n'a fait qu'exécuter les directives de M. [P], sous son contrôle, et que seul ce dernier décidait » et « demeurait à la disposition de M. [P] tôt le soir, tard le matin, le dimanche, voire pendant les vacances qu'elle souhaiterait prendre ».

Mme [B] produit :

- des correspondances dans lesquelles elle contacte des interlocuteurs externes dans le but de :

. trouver une cellule commerciale pour la société Anka (pièces n°5 et 6),

. finaliser les termes du contrat de vente du local entre les sociétés Tahoe et Anka (pièces n°7 et 8),

. effectuer les démarches administratives, entre le 22 mai et le 3 décembre 2020, en vue de l'obtention de l'arrêté municipal permettant l'ouverture du supermarché (pièces n°13 et 14),

. procéder à des virements bancaires au bénéfice de la société Tahoe le 28 octobre 2020, ainsi qu'au règlement de fournisseurs les 26 novembre et 13 décembre 2020 (pièce n°17),

. confirmer un entretien avec le gestionnaire bancaire fixé le 7 octobre 2020 à l'adresse personnelle de Mme [B] (pièce n°19),

. rectifier les termes de conventions de stage entre la société Anka et Pôle emploi le 11 décembre 2020 (pièce n°23),

. confirmer la création d'un compte Metro à son nom personnel le 22 octobre 2020, ainsi que la suspension dudit compte pour cessation d'activité et/ou modification du SIRET à compter du 27 janvier 2021 (pièce n°20) ;

- un message électronique envoyé par le gestionnaire bancaire informant l'appelante de la suppression des procurations dont elle disposait sur les comptes de la société Anka à compter du 26 janvier 2021 (pièce n°27) ;

- l'extrait Kbis, et la présentation de la société Anka qui révèlent que cette dernière était initialement établie à l'adresse personnelle de Mme [B] (pièces n°10 et 11) ;

- une facture d'un montant de 4 050,14 euros émise le 18 août 2020 pour la vente de matériel d'équipement d'un supermarché accompagnée d'un talon de chèque (sans indication d'identité) de

2 025,07 euros libellée à l'attention de la société Anka domiciliée à l'adresse personnelle de l'appelante (pièce n°15) ;

- un article de presse désignant l'appelante comme la directrice du supermarché Anka (pièce n°22) ;

- une liste de rendez-vous assurés entre le 7 octobre 2019 et le 29 décembre 2020 (pièce n°25) ;

- des factures éditées le 5 janvier 2021 pour la réservation de chambres d'hôtel adressées directement à son nom et à son adresse personnelle (pièce n°29) ;

- des attestations rédigées par plusieurs témoins, notamment des proches (pièces n°35 à 37, 41, 44 à 46), des prestataires de service (pièces n°38, 39, 42, 43, 50), des clients (pièces n°47 et 49), et une ancienne salariée de la société Anka (pièce n°51), qui relatent que Mme [B] désignait M. [P] comme étant son « patron », et que ce dernier la sollicitait de manière récurrente, y compris en soirée et le week-end ;

- des captures d'écran de messages écrits (27) et vocaux (41) échangés avec M. [P] entre le 17 octobre 2019 et le 3 décembre 2020 (pièce n°52).

S'il ressort des documents versés aux débats que Mme [B] était régulièrement présente pour coordonner les travaux du magasin puis s'est présentée au supermarché après son ouverture en se désignant directrice, l'appelante fait preuve d'une contradiction certaine dans ses demandes en se prévalant de l'existence de deux contrats de travail successifs avec deux employeurs différents tout en revendiquant la même qualification de directrice de supermarché depuis le début de ses prestations, avant même l'ouverture du magasin.

Mme [B] prouve qu'elle a certes exécuté des prestations ayant permis la création de la société Anka et l'ouverture du supermarché, ce qui n'est par ailleurs nullement contesté par les parties intimées, mais il s'agit de tâches substantiellement distinctes de celles attribuées à un salarié occupant le poste de directeur de magasin.

Il est ajouté que les prestations exécutées par Mme [B] antérieurement à la création de la société Anka, à la demande de M. [P], telles que les démarches administratives en vue de la création d'une personne juridique, les prises de rendez-vous ou des appels téléphoniques, ne caractérisent pas à elles seules l'exercice d'un pouvoir de direction et de contrôle exercé par M. [P].

En effet, le fait de donner des directives n'est pas spécifique au contrat de travail puisque d'autres contrats ' de mandat ou d'entreprise notamment -, donnent lieu à l'échange d'instructions et/ou d'ordres entre cocontractants. à l'autre partie.

A cet égard, il ressort du contenu des messages qui ont été échangés avec les différents interlocuteurs qu'à aucun moment Mme [B] ne s'est présentée en qualité de salariée. Au contraire, comme souligné à juste titre par les parties intimées, l'adresse électronique créée spontanément par Mme [B] pour scinder sa vie privée de son activité professionnelle ne fait nullement mention de la société Anka, alors qu'au contraire l'appelante a fait expressément référence à une activité de conseil : « [Courriel 2] ». Mme [B] n'a pas cessé de faire usage de cette adresse, y compris après l'immatriculation de la société Anka.

D'autres éléments confirment l'exercice d'une activité de conseil par Mme [B], qui est désignée en qualité de « conseiller de clientèle » dans le mandat global qui lui a été alloué par la société Anka (pièce n°26). De même, il résulte du bail commercial produit par la société Anka (pièce n°5) que Mme [B] s'est elle-même présentée lors de la signature de l'acte notarié le 21 juillet 2020 au sein de l'étude de Maître [D], notaire à [Localité 3] comme « conseil immobilier, traductrice-interprète ».

Ainsi, si Mme [B] a pu exécuter des prestations pour permettre la mise en place de l'activité de la société Anka pour le compte de M. [P], elle ne prouve pas que ces dernières ont été exécutées dans le cadre d'un contrat de travail. En tout état de cause, Mme [B] ne saurait se prévaloir de la qualité de directrice d'un supermarché avant l'ouverture de ce dernier.

En ce qui concerne la période postérieure à l'ouverture du supermarché, Mme [B] n'établit pas, que lesdites relations contractuelles se sont transformées en contrat de travail salarié, les éléments qu'elle produit ne démontrant pas la réalité d'un lien de subordination, et aucune illustration de l'exercice d'un pouvoir de direction et de contrôle par les parties intimées n'étant fournie.

En effet, aucun élément n'établit que Mme [B] aurait été placée sous la hiérarchie de M. [P], dont la qualité de gérant de fait n'est pas prouvée, ni sous celle de la société Anka. Au contraire, le contenu des messages échangés entre Mme [B] et M. [P] qui a toujours désigné l'appelante « grande s'ur », exclut tout rapport hiérarchique entre les parties et révèle au contraire des relations de confiance entre un mandant et son mandataire.

Le fait que Mme [B] ait pu ponctuellement être présentée comme la directrice du magasin auprès de tiers est sans emport, de simples déclarations ne permettant pas d'établir l'existence d'un lien de subordination entre les deux parties, étant observé que l'article de journal désignant Mme [B] comme telle a été rédigé sur base des déclarations de cette dernière, présente lors du reportage du journaliste (pièce n°22).

Si certains témoins font état de la présence régulière de Mme [B] dans les locaux du supermarché et du fait que cette dernière se comportait en tant que directrice, ces seules données ne suffisent pas pour établir l'existence d'un lien de subordination entre Mme [B] et les parties intimées.

En effet, non seulement Mme [B] ne démontre pas qu'elle faisait l'objet d'un quelconque contrôle, mais il s'avère qu'elle disposait d'une totale autonomie dans l'exécution de ses prestations. Il n'est pas allégué que les parties intimées auraient disposé de la possibilité de sanctionner Mme [B] en cas de manquements de cette dernière.

De même, Mme [B] n'établit pas qu'elle travaillait dans un service organisé, qui constitue un indice de subordination dès lors que l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail, ce qui n'est pas le cas en l'espèce en raison de l'indépendance évoquée.

La cour relève que le conseil de prud'hommes de Forbach avait demandé à Mme [B] de transmettre ses avis d'imposition 2019 et 2020, et que cette dernière s'était exécutée sans communiquer lesdites pièces au mandataire de la société Anka et de M. [P], ce qui avait contraint la juridiction prud'homale à écarter ces éléments du dossier.

En cause d'appel, malgré les observations des parties intimées, Mme [B] n'a pas joint d'avis d'imposition à son bordereau, plaçant la cour et les parties dans l'impossibilité de connaître le détail et l'origine de ses ressources financières.

A cet égard, les pièces du dossier et les écritures des parties ne font état d'aucun litige financier entre elles avant l'envoi par Mme [B] d'une mise en demeure de payer les salaires le 15 février 2021, l'appelante ne démontrant pas qu'elle a sollicité le paiement de quelconques sommes auparavant.

Au regard de l'ensemble des éléments susvisés, la cour a acquis la conviction que les relations contractuelles entre les parties doivent s'analyser sous l'angle d'un mandat de représentation et de conseil, les pièces établissant que Mme [B] apportait son soutien à M. [P] pour l'aider à gérer les démarches de création de la société Anka, notamment en procédant à la traduction de certains documents rédigés en langue française (Mme [B] et M. [P] échangeant en turc). Son investissement dans le développement de la société et son immixtion dans les affaires de celle-ci postérieurement à sa création exclut tout rapport hiérarchique.

Ainsi, s'il n'est pas contestable que Mme [B] a exécuté des prestations pour le compte de M. [P] et de la société Anka par la suite, il n'est pas prouvé qu'elle aurait réalisé lesdites diligences dans le cadre de deux contrats de travail, Mme [B] échouant dans la démonstration de l'existence d'un lien de subordination entre les parties intimées et elle-même.

En conséquence, le jugement et confirmé en ce qu'il a débouté Mme [B] de ses demandes.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et jugé que chaque partie conservait la charge de ses dépens.

Mme [B] est condamnée aux dépens d'appel conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement rendu le 1er juin 2022 par le conseil de prud'hommes de Forbach,

Y ajoutant,

Déboute la SAS Anka de sa demande de renvoi devant le tribunal judiciaire de Sarreguemines,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appe,

Condamne Mme [T] [X] épouse [B] aux dépens d'appel.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 22/01698
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;22.01698 ?
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