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19/06/2024 | FRANCE | N°21/02492

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 19 juin 2024, 21/02492


Arrêt n° 24/00206



19 Juin 2024

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N° RG 21/02492 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FTEC

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

14 Septembre 2021

F19/00540

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1







ARRÊT DU



dix neuf Juin deux mille vingt quatre



APPELANTE :



Mme [L] [R]

[Adre

sse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Agnès BIVER-PATE, avocat au barreau de METZ

Représentée par Me Elisabeth LASSERONT, avocat au barreau d'EPINAL



INTIMÉE :



S.A. FLOREST

[Adresse 4]

[Localité 2]

R...

Arrêt n° 24/00206

19 Juin 2024

---------------------

N° RG 21/02492 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FTEC

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

14 Septembre 2021

F19/00540

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

dix neuf Juin deux mille vingt quatre

APPELANTE :

Mme [L] [R]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Agnès BIVER-PATE, avocat au barreau de METZ

Représentée par Me Elisabeth LASSERONT, avocat au barreau d'EPINAL

INTIMÉE :

S.A. FLOREST

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Johann GIUSTINATI, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Septembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT :

Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;

Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Alexandre VAZZANA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Selon contrat de travail écrit à durée indéterminée et à temps complet, l'horaire hebdomadaire de travail étant fixé à 39 heures, la SARL Florest a embauché à compter du 1er août 2015 Mme [L] [R], en qualité de fleuriste décoratrice, moyennant une rémunération de 2 414,52 euros brut par mois.

La convention collective des jardineries et graineteries était applicable à la relation de travail.

Mme [R] a été placée en arrêt de travail pour maladie à plusieurs reprises à la fin de l'année 2017 et au début de l'année 2018, puis sans discontinuer à compter du 4 juin 2018.

Estimant n'avoir jamais été payée des heures supplémentaires effectuées, Mme [R] a saisi, par courrier posté le 26 juin 2019, la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.

Le 17 octobre 2019, la salariée a été déclarée inapte par le médecin du travail.

Par courrier du 25 novembre 2019, Mme [R] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 9 décembre 2019.

Par lettre du 16 décembre 2019, la salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 16 mars 2020, Mme [R] a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Metz qui, par ordonnance du 16 juillet 2020, a notamment ordonné la rectification sous astreinte de l'attestation Pôle emploi s'agissant du dernier jour de travail, ainsi que des salaires des douze derniers mois de travail effectif et payé.

Par jugement contradictoire du 14 septembre 2021 assorti de l'exécution provisoire, la formation paritaire de la section commerce du conseil de prud'hommes de Metz a :

- dit n'y avoir lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail ;

- dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société Florest, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [R], à titre de solde de l'indemnité légale de licenciement, la somme de 147,38 euros net augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour de la demande ;

- débouté Mme [R] de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que d'indemnité pour travail dissimulé et de rappel d'heures supplémentaires ;

- condamné la société Florest, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [R] la somme de 1 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour remise tardive de l'attestation destinée au Pôle emploi ;

- condamné la société Florest à délivrer les bulletins de salaire suivants, sous astreinte de 20 euros 'par à compter' du 16e jour suivant la notification :

* octobre et novembre 2018 ;

* juillet, août et novembre 2019 ;

- condamné la société Florest, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [R] la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Florest, prise en la personne de son représentant légal, aux 'frais et dépens d'instance et d'exécution'.

Le 12 octobre 2021, Mme [R] a interjeté appel par voie électronique.

Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 11 juillet 2022, Mme [R] requiert la cour :

- d'infirmer le jugement, en qu'il dit n'y avoir lieu de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail, en ce qu'il dit que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, en ce qu'il a condamné la société Florest, prise en la personne de son représentant légal, à lui payer la somme de 147,38 euros net à titre de solde de l'indemnité légale de licenciement et en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité pour travail dissimulé et de rectification du bulletin de salaire du mois d'octobre 2019 sous astreinte, ainsi que de paiement du solde dû de 187,25 euros ;

statuant à nouveau,

à titre principal,

- de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société Florest ;

à titre subsidiaire,

- de dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

en tout état de cause,

- de condamner la société Florest à lui payer les sommes suivantes :

* 5 634,44 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

* 563,44 euros brut à titre de congés payés sur préavis ;

* 439,53 euros net à titre de solde d'indemnité légale de licenciement ;

* 14 086 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 16 903,32 euros net à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;

* 4 668,71 euros brut au titre des heures supplémentaires (dont à déduire la somme de 4 000 euros net versée à titre d'acompte) ;

* 466,87 euros brut à titre de congés payés sur heures supplémentaires ;

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour retard dans la délivrance d'une attestation Pôle emploi conforme ;

* 128,88 euros de salaire du mois d'octobre 2019 ;

* 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de confirmer la décision pour le surplus ;

- de débouter la société Florest de son appel incident.

A l'appui de son appel, elle expose :

- qu'au 4 juin 2018, elle comptabilisait un total de 250,70 heures supplémentaires ;

- que l'usage dans l'entreprise consistait à récupérer ces heures ou à les payer par compensation avec des achats effectués en magasin, sans que cela apparaisse sur le bulletin de paie ;

- qu'à compter du mois d'octobre 2018, la société Florest lui a adressé, à plusieurs reprises et sans explications, des virements et des chèques ;

- que l'employeur a finalement reconnu que les heures supplémentaires étaient dues en les faisant apparaître sur la fiche de paie du mois d'octobre 2019 et en les réglant intégralement 'au fil du temps'.

Elle fait valoir au soutien de la demande de résiliation judiciaire :

- que la 'manière de procéder' de l'employeur s'agissant des heures supplémentaires était illégale, aucun accord au sein de l'entreprise ne prévoyant la récupération de celles-ci au lieu de leur paiement;

- qu'à certaines périodes, elle a enchaîné les heures supplémentaires pendant plusieurs mois sans prendre suffisamment de récupérations ;

- que la régularisation du paiement des heures supplémentaires effectuées s'est étalée sur plus d'une année et en plusieurs fois ;

- qu'elle était épuisée physiquement et moralement par la réalisation récurrente de telles heures ;

- que l'exécution d'heures supplémentaires n'était pas exceptionnelle, s'agissant de la manière normale de gérer la société ;

- qu'un rapport d'expertise a fait le lien sans réserve entre son état de santé fortement dégradé et son inaptitude avec ses conditions de travail ;

- qu'à compter d'un entretien du mois d'avril 2018, lors duquel elle a exposé les raisons de ses arrêts de travail antérieurs, son employeur lui a indiqué qu'elle serait licenciée au début de l'été pour motif économique et l'a mise à l'écart.

Elle souligne :

- que, déjà fragilisée par un suivi médical en vue d'une PMA, elle a été arrêtée par son médecin traitant à compter du 4 juin 2018, car elle ne pouvait plus supporter ni ses conditions de travail ni le traitement qui lui a été réservé par l'employeur depuis le mois d'avril 2018 ;

- qu'elle a été suivie par un psychiatre et placée sous traitement antidépresseur, anxiolytique et hypnotique à compter du mois de juin 2019 ;

- que son environnement de travail a causé son incapacité ;

- que la société Florest a manqué à ses obligations et porte la responsabilité de l'inaptitude, de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Elle ajoute :

- que l'employeur n'a intentionnellement pas payé les heures supplémentaires ;

- que le bulletin de paie du mois d'octobre 2019 doit être corrigé, en raison d'une erreur d'imputation, ce qui a eu aussi une incidence sur les fiches de paie des mois de novembre et décembre 2019 ;

- qu'indépendamment du licenciement pour inaptitude, une indemnité compensatrice de préavis est due au salarié, en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur ;

- que l'indemnité de licenciement doit être recalculée, au regard de son salaire moyen des douze derniers mois, des heures supplémentaires à intégrer et de son ancienneté;

- que l'employeur lui a remis, dans un premier temps, une attestation Pôle emploi erronée, de sorte qu'elle a perçu des indemnités de chômage minorées du mois de décembre 2019 jusqu'à la remise d'un document rectifié le 5 août 2020, en exécution de l'ordonnance de référé du 16 juillet 2020 ;

- que le laxisme dont son employeur a fait preuve a eu des conséquences financières désastreuses pour elle ;

- qu'elle n'a jamais reçu les bulletins de paie des mois d'octobre 2018, novembre 2018, juillet 2019, août 2019 et novembre 2019.

Dans ses conclusions déposées par voie électronique le 11 avril 2022, la société Florest sollicite :

- le rejet de l'appel principal et de toutes les demandes de Mme [R] ;

- l'infirmation du jugement, en ce qu'il l'a condamnée à délivrer sous astreinte les bulletins de paie des mois d'octobre 2018, novembre 2018, juillet 2019, août 2019 et novembre 2019, puis en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour délivrance tardive de l'attestation Pôle emploi ;

- la cour statuant à nouveau sur les chefs infirmés, le débouté de Mme [R] ;

- la confirmation des autres dispositions du jugement.

Elle réplique :

- qu'elle a intégralement exécuté les termes de l'ordonnance de référé du 16 juillet 2020 ;

- que les heures supplémentaires de Mme [R] ont toujours été 'collationnées et retranscrites à son crédit dans les documents de l'entreprise' ;

- que la pratique était que les heures supplémentaires soient récupérées en périodes creuses ;

- que les heures supplémentaires accomplies par la salariée ont été intégralement mentionnées et rémunérées sur le bulletin de paie du mois d'octobre 2019, de sorte qu'il n'y a pas eu travail dissimulé.

Elle affirme, s'agissant de la demande de résiliation judiciaire :

- qu'elle n'avait pas connaissance des difficultés et du traitement de Mme [R] pour avoir un enfant ;

- qu'elle n'a jamais contrarié l'activité professionnelle de la salariée ;

- qu'elle a proposé à Mme [R] de récupérer les heures supplémentaires lorsque celle-ci travaillait, puis de les rémunérer après la déclaration d'inaptitude ;

- qu'elle a effectivement rencontré des difficultés économiques qui l'ont conduite à aviser l'ensemble des salariés que des mesures de réduction de charges étaient envisagées, mais que rien n'a finalement été concrétisé.

Elle ajoute :

- qu'elle a respecté son obligation de rechercher un reclassement ;

- que Mme [R] ne justifie pas de ses situations professionnelle et familiale ;

- que l'appelante ne justifie pas davantage d'un préjudice tenant à la délivrance d'une attestation Pôle emploi non conforme ;

- que Mme [R] a toujours été destinataire de ses bulletins de salaire et l'avocat de celle-ci de la copie de toutes les fiches de paie des mois de septembre 2018 à août 2019.

Par ordonnance du 7 décembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction.

MOTIVATION

Sur les heures supplémentaires

Conformément aux articles L. 3121-27 et suivants du code du travail, constituent des heures supplémentaires toutes les heures de travail effectuées au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente, y compris celles effectuées au-delà des durées maximales de travail, et à l'exclusion des heures de récupération ou de prolongation permanente.

A défaut d'accord collectif, les taux de majoration des heures supplémentaires sont de 25 % pour chacune des huit premières heures, puis 50 % à compter de la 44e heure.

En l'espèce, le débat ne porte pas sur l'existence et le nombre d'heures supplémentaires, l'employeur ayant fait apparaître sur le bulletin de salaire du mois d'octobre 2019 le total de 250,70 heures supplémentaires comptabilisées par Mme [R].

L'appelante chiffre la somme due par la société Florest à ce titre à 4 668,71 euros brut, outre la somme de 466,87 euros brut de congés payés y afférents.

Le total de ces deux montants correspond à 4 000 euros net.

Or, dans ses conclusions, Mme [R] reconnaît que la société Florest a déjà procédé au paiement de 4 000 euros net d'acomptes à déduire du rappel d'heures supplémentaires (chèques de 2 000 euros du 29 octobre 2018, 1 000 euros du 2 mars 2019 et 1 000 euros du 15 avril 2019).

Il s'ensuit que la salariée a été désintéressée.

En conséquence, les demandes de rappel d'heures supplémentaires et de congés payés y afférents sont rejetées, le jugement étant confirmé sur ces points.

Sur la demande de résiliation judiciaire

Il résulte des articles L. 1221-1 du code du travail et 1224 du code civil que, lorsqu'un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur et qu'il est licencié ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée.

La résiliation doit être prononcée en cas de manquement de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

Pour apprécier si les manquements de l'employeur sont de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, le juge peut tenir compte de la régularisation survenue jusqu'à la date du licenciement (jurisprudence : Cour de cassation, ch. soc. 2 mars 2022, pourvoi n° 20-14.099).

En l'espèce, la demande de résiliation judiciaire ayant été introduite en première instance par courrier du 26 juin 2019, soit antérieurement au licenciement du 16 décembre 2019, il y a lieu d'examiner d'abord le bien fondé de cette demande.

Mme [R] reconnaît qu'elle est dans l'incapacité d'apporter la preuve des agissements qu'elle impute à la société Florest à la suite de l'entretien du début de l'année 2018, lors duquel elle affirme avoir exposé à son employeur les raisons de ses absences récurrentes, à savoir un traitement médical (PMA).

Par ailleurs, la société Florest a procédé à la régularisation du paiement des heures supplémentaires, comme cela a été examiné ci-dessus.

Ces deux griefs ne peuvent donc pas être retenus à l'encontre de la société Florest pour prononcer la résiliation judiciaire.

Toutefois, il ressort des bulletins de salaire de Mme [R] et des conclusions des parties que la salariée a été en arrêt maladie aux périodes suivantes :

- du 1er décembre 2015 au 2 janvier 2016 ;

- du 3 au 17, puis du 21 au 30 septembre 2017 ;

- du 1er au 2, puis du 9 au 22 octobre 2017 ;

- du 28 au 30 novembre 2017 ;

- les 1er et 2 décembre 2017 ;

- du 26 au 28 février 2018 ;

- tout le mois de mars 2018 ;

- à compter du 4 juin 2018 sans discontinuer.

Au regard de la fréquence et de la durée de ces arrêts maladie à partir du mois de septembre 2017, l'employeur avait nécessairement conscience de la fragilité de la santé de sa salariée.

Or il ressort des tableaux, établis dans ses dernières conclusions par l'appelante et non contestés par l'employeur, ainsi que des fiches mensuelles d'heures produites (sa pièce n° 15), que Mme [R] a dû accomplir pendant cette même période un nombre élevé d'heures supplémentaires, à savoir :

- au mois de septembre 2017, pas d'heures supplémentaires ;

- au mois d'octobre 2017, 29,75 heures supplémentaires ;

- au mois de novembre 2017, 14,12 heures supplémentaires (mais 6,5 heures récupérées) ;

- au mois de décembre 2017, 60,24 heures supplémentaires - dont 19,50 heures la semaine précédant Noël ;

- au mois de janvier 2018, 4,12 heures supplémentaires (mais 5 heures récupérées);

- au mois de février 2018, 31,37 heures supplémentaires (mais 5 heures récupérées);

- au mois de mars 2018 : sans objet, la salariée ayant été absente tout le mois ;

- au mois d'avril 2018, pas d'heures supplémentaires (mais 5 heures récupérées)

- au mois de mai 2018, 25,75 heures supplémentaires (mais 5 heures récupérées).

Le nombre d'heures supplémentaires était d'autant plus important que celles-ci se concentraient sur les périodes de présence effective de Mme [R] au regard des arrêts maladie de la salariée.

Le cumul du temps de travail contractuel, soit 169 heures par mois, et des heures supplémentaires soumettait la salariée à une durée de travail particulièrement élevée.

Mme [R] produit 'un rapport d'examen médical à l'attention du médecin conseil' du 12 juin 2019 (sa pièce n° 29) au soutien de son affirmation selon laquelle elle a 'littéralement craqué' et 'était épuisée physiquement et moralement par la réalisation récurrente des heures supplémentaires'.

Même si ce document du 12 juin 2019 n'établit pas un lien exclusif entre la réalisation d'heures supplémentaires et l'état de santé de Mme [R], il relève une problématique d'ordre professionnel :

- 'Madame [R] [L] est en arrêt depuis le 04.06.2018 ; l'ambiance se serait dégradée à son travail, selon ses dires son employeur était demandeur d'heures supplémentaires mais non payées, il y avait beaucoup de travail, et des reproches lui auraient été faits' ;

- 'Elle était orientée vers le Dr [Y], psychiatre, courant juin 2018 (...)

Un certificat du Dr [Y] du 28.05.2019 indique :

'Madame [R] [L] est suivie depuis juin 2018 pour un état dépressif sévère réactionnel. La thérapeutique porte essentiellement sur des difficultés dans le cadre de son travail. (...)'

- ' Mme [R] [L] (...) est en arrêt de travail depuis le 04.06.2018 en raison d'un état anxiodépressif d'origine professionnelle.

Les 1ers symptômes sont apparus en avril 2018, sous forme d'anxiété' ;

- 'Elle souhaiterait obtenir une rupture conventionnelle, ses soucis étant en lien direct avec son employeur actuel.' ;

- 'Cette incapacité concerne son entreprise actuelle.

Cette incapacité ne serait probablement pas justifiée dans une autre entreprise'.

En définitive, en faisant effectuer, pendant la période allant du mois de septembre 2017 au début du mois de juin 2018, un nombre d'heures de travail élevé, bien supérieur à la durée contractuelle prévue, par une salariée dont la santé était fragile, situation que l'employeur ne pouvait ignorer au regard des arrêts maladie répétés, ce qui n'a pu que contribuer à une nouvelle dégradation de l'état de santé de Mme [R] qui a été absente sans discontinuer à compter du 4 juin 2018, l'employeur a manqué à son obligation de sécurité au sens de l'article L. 4121-1 du code du travail, étant observé qu'il ne justifie d'aucune mesure de prévention.

Ainsi, un manquement grave de l'employeur à ses obligations contractuelles faisant obstacle à la poursuite de la relation de travail est caractérisé.

En conséquence, la résiliation judiciaire du contrat de travail au 16 décembre 2019, date du licenciement, est prononcée, le jugement étant infirmé sur ces points.

Cette résiliation a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnité de préavis

Il résulte de l'article L. 1234-1 (3°) du code du travail que, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit, s'il justifie chez le même employeur d'une durée d'ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

L'alinéa 1 de l'article L. 1234-5 du même code ajoute que lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.

En l'espèce, le 17 octobre 2019, Mme [R] a été déclarée inapte par le médecin du travail.

Comme l'intimée le rappelle, un salarié ne peut en principe prétendre au paiement d'une indemnité pour un préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter en raison d'une inaptitude à son emploi.

Toutefois, l'inaptitude de Mme [R] résultant d'un manquement de l'employeur au regard des éléments détaillés ci-dessus, elle doit percevoir une indemnité de préavis équivalente au montant de l'indemnité compensatrice de préavis de l'article L. 1234-5.

Il convient d'ailleurs de relever que la société Florest s'oppose à la demande de résiliation judiciaire, mais n'élève aucune contestation quant à l'indemnité de préavis sollicitée et au montant de celle-ci.

La société Florest est donc condamnée à payer à Mme [R] une indemnité de préavis d'un montant de 5 634,44 euros, le jugement étant infirmé sur ce point.

Cette indemnité de préavis n'est pas de nature salariale, mais indemnitaire, de sorte qu'elle n'ouvre pas droit à congés payés.

La demande de congés payés sur préavis est donc rejetée.

Sur le solde de l'indemnité légale de licenciement

La société Florest ne sollicite pas l'infirmation du jugement, en ce qu'il l'a condamnée à payer un solde de 147,38 euros net d'indemnité légale de licenciement.

Mme [R], qui ne demande pas d'indemnité spéciale de licenciement, retient le même salaire moyen brut que le conseil de prud'hommes.

S'agissant de l'ancienneté, elle ne démontre aucune erreur des premiers juges, en ce qu'ils ont retenu deux années et six mois seulement au 4 juin 2018 - et non, comme l'appelante l'affirme, trois années à cette date.

En effet, d'une part, toutes les périodes de suspension du contrat de travail de Mme [R] n'entrent pas en compte pour le calcul de l'indemnité légale et, d'autre part, l'indemnité de préavis allouée ci-dessus n'a pas pour effet de majorer l'ancienneté de la salariée.

En conséquence, le jugement est confirmé quant au montant du solde de l'indemnité légale de licenciement, étant observé que le point de départ des intérêts au taux légal sur cette indemnité, tel que fixé par les premiers juges, à savoir le jour de la demande, n'est pas critiqué par les parties.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

'L'article L. 1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par cet article, en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.

'

Le salarié qui est licencié abusivement subit nécessairement un préjudice dont le juge apprécie l'étendue. Pour obtenir une indemnisation, le salarié n'a donc pas à prouver l'existence d'un préjudice.

Les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail ne comportant aucune restriction en cas de suspension de l'exécution du contrat de travail, le calcul de l'ancienneté du salarié ouvrant droit à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par ce texte ne peut pas exclure les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie.

'' En l'espèce, Mme [R] comptait lors de son licenciement quatre années complètes d'ancienneté dans une entreprise qui employait habituellement au moins onze salariés (voir attestation Pôle emploi), de sorte qu'elle relève du régime d'indemnisation de l'article L. 1235-3 al. 2 du code du travail qui prévoit une indemnité minimale de 3 mois de salaire et une indemnité maximale de 5 mois de salaire.

'

''''''''''' Compte tenu de l'âge de la salariée lors de la rupture de son contrat de travail (37 ans), de son ancienneté (4 années complètes) et du montant de son salaire mensuel (2 817 euros), et alors qu'elle indique avoir retrouvé un emploi à compter du 20 juin 2022 seulement, il convient de condamner la société Florest à payer à Mme [R] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur le salaire du mois d'octobre 2019

A titre liminaire, la cour constate que Mme [R] sollicite, dans la partie discussion de ses dernières conclusions d'appel, la rectification sous astreinte du bulletin de paie du mois d'octobre 2019 et la condamnation de la société Florest à lui payer la somme de 187,25 euros net.

Toutefois, dans le dispositif de ces mêmes conclusions, Mme [R] se contente de demander un montant de 128,88 euros au titre du salaire du mois d'octobre 2019, de sorte que la cour, en application de l'article 954 du code de procédure civile, n'est tenue d'examiner que cette prétention.

Le bulletin de salaire du mois de décembre 2018 (pièce n° 9 de l'appelante) a indiqué un 'net payé' de 1 551,15 euros.

L'employeur a établi un chèque n° 3650752 non daté de ce montant juste après un autre chèque n° 3670751 non daté d'un montant de 1 000 euros.

Le bulletin de salaire du mois d'octobre 2019 a mentionné plusieurs acomptes dont un de 1551,15 euros correspond au total de ces deux chèques.

Pourtant, le chèque de 551,15 euros avait, au regard de son montant précis, pour objet de procéder au paiement du salaire du mois de décembre 2018 - et non d'un des éléments de la fiche de paie du mois d'octobre 2019.

Il s'ensuit que le bulletin de salaire d'octobre 2019 au lieu de faire apparaître un 'net payé' de - 422,27 euros aurait dû aboutir à un net à payer de + 128,88 euros, la différence entre les deux sommes correspondant à 551,15 euros.

Mais tant le reçu pour solde de tout compte du 17 décembre 2019 que le bulletin de salaire du mois de décembre 2019 montrent que Mme [R] a déjà été remboursée du montant de 551,15 euros de 'trop déduit salaire octobre 2019".

En conséquence, Mme [R] est déboutée de sa demande au titre du salaire du mois d'octobre 2019.

Sur l'indemnité de travail dissimulé

Conformément aux articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, lorsqu'il y a eu travail dissimulé caractérisé par une volonté manifeste de l'employeur de frauder, le salarié a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l'espèce, en considération de la taille modeste de l'entreprise et de la régularisation intervenue sur le bulletin de paie du mois d'octobre 2019 qui mentionne l'intégralité des heures supplémentaires litigieuses, l'intention frauduleuse de l'employeur n'est pas établie.

En conséquence, la demande d'indemnité forfaitaire est rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur la remise tardive de l'attestation Pôle emploi

Selon l'article R 1234-9 du code du travail, l'employeur délivre au salarié, au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d'exercer ses droits aux prestations mentionnées à l'article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à Pôle emploi.

En l'espèce, il n'est pas contesté que l'attestation Pôle emploi initialement délivrée par la société Florest était erronée et que Mme [R] a été contrainte d'engager une procédure de référé pour obtenir un document conforme dont la remise a été ordonnée par décision du 16 juillet 2020.

Mme [R] a incontestablement subi un préjudice moral lié aux tracas administratifs découlant de cette situation. En revanche, elle ne justifie d'aucun élément précis concernant son préjudice financier, notamment lié à un éventuel défaut de régularisation par Pôle emploi du montant des allocations de chômage ou aux difficultés qu'elle aurait rencontrées.

Il n'y a donc pas lieu d'allouer davantage que la somme de 1 000 euros de dommages et intérêts retenue par les premiers juges.

En conséquence, le jugement est confirmé, en ce qu'il a condamné la société Florest à payer à Mme [R] un montant de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive de l'attestation Pôle emploi.

Sur la remise des bulletins de salaire

L'article L. 3243-2 du code du travail dispose que, lors du paiement du salaire, l'employeur remet aux personnes mentionnées à l'article L. 4243-1 une pièce justificative dite bulletin de paie.

En l'espèce, la société Florest ne justifie ni avoir tenu à disposition ni remis ni effectivement adressé à Mme [R] les bulletins de salaire des mois d'octobre 2018 et novembre 2018, ainsi que des mois de juillet 2019, août 2019 et novembre 2019.

Les premiers juges ont donc, à juste titre, condamné la société Florest à délivrer ces documents.

En revanche, le montant de l'astreinte est manifestement excessif et il n'y a pas lieu de prévoir que le conseil de prud'hommes s'en réserve la liquidation.

La condamnation est assortie d'une astreinte de 6 euros par jour de retard et par document, passé un délai de deux mois à compter du prononcé du présent arrêt et sans que l'astreinte puisse courir pendant plus de quatre mois.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Aucune des parties ne sollicite l'infirmation du jugement s'agissant de ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance.

La société Florest est déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à Mme [R] la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par celle-ci en cause d'appel.

La société Florest est condamnée aux dépens d'appel, en application de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement, en ce qu'il a :

- condamné la SARL Florest à payer à Mme [L] [R] la somme de 147,38 euros net à titre de solde de l'indemnité légale de licenciement avec intérêts au taux légal à compter du jour de la demande ;

- rejeté la demande de Mme [L] [R] au titre de l'indemnité de travail dissimulé;

- condamné la SARL Florest à payer à Mme [L] [R], à titre de dommages et intérêts pour remise tardive de l'attestation Pôle emploi, la somme de 1 000 euros à augmenter des intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- condamné la SARL Florest à délivrer les bulletins de salaire des mois d'octobre 2018, novembre 2018, juillet 2019, août 2019 et novembre 2019 ;

- rejeté la demande de Mme [L] [R] à titre de rappel d'heures supplémentaires;

- condamné la SARL Florest à payer à Mme [L] [R] la somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SARL Florest aux dépens de première instance ;

Infirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Prononce la résiliation judiciaire au 16 décembre 2019 du contrat de travail ;

Dit que cette résiliation judiciaire a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Condamne la SARL Florest à payer à Mme [L] [R] les sommes suivantes :

- 5 634,44 euros à titre d'indemnité de préavis ;

- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Rejette les demandes présentées par Mme [L] [R] au titre des congés payés sur préavis et au titre du salaire du mois d'octobre 2019 ;

Dit que la condamnation de la SARL Florest à délivrer les bulletins de salaire des mois d'octobre 2018, novembre 2018, juillet 2019, août 2019 et novembre 2019 est assortie d'une astreinte de 6 euros par jour de retard et par document, passé un délai de deux mois à compter du prononcé du présent arrêt et sans que l'astreinte puisse courir pendant plus de quatre mois ;

Rejette la demande présentée par la SARL Florest sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Florest à payer à Mme [L] [R] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Condamne la SARL Florest aux dépens d'appel.

Le greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 21/02492
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;21.02492 ?
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