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29/05/2024 | FRANCE | N°22/01656

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 29 mai 2024, 22/01656


Arrêt n°24/00187



29 mai 2024

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N° RG 22/01656 -

N° Portalis DBVS-V-B7G-FYQ4

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Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de FORBACH

13 juin 2022



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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1









ARRÊT DU



Vingt neuf mai deux mille vingt quatre









APPELANTE

:



Mme [Z] [J] épouse [Y] agissant en sa qualité d'ayant-droit de M. [G] [Y], décédé

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Cédric DE ROMANET DE BEAUNE, avocat au barreau de PARIS





INTIMÉ :



L'AGENT JUDICIAI...

Arrêt n°24/00187

29 mai 2024

------------------------

N° RG 22/01656 -

N° Portalis DBVS-V-B7G-FYQ4

----------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de FORBACH

13 juin 2022

----------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Vingt neuf mai deux mille vingt quatre

APPELANTE :

Mme [Z] [J] épouse [Y] agissant en sa qualité d'ayant-droit de M. [G] [Y], décédé

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Cédric DE ROMANET DE BEAUNE, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ :

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT (AJE) venant aux droits de l'EPIC CHARBONNAGES DE FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Claire LALLEMENT-HURLIN, avocat au barreau de THIONVILLE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 janvier 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;

Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

[G] [Y] a été employé par les Houillères du Bassin de Lorraine à compter du 5 septembre 1962. Il a été affecté aux ateliers centraux au poste d'ajusteur, puis au fond à l'unité d'exploitation de Vouters - puits dont l'exploitation s'est arrêtée en 2003 - et a occupé successivement les postes d'ajusteur, de porion électromécanicien, porion chef de quartier et sous-chef porion.

[G] [Y] a fait valoir ses droits à la retraite le 1er avril 1994.

L'activité des Houillères du Bassin de Lorraine - devenues établissement public à caractère industriel et commercial - a été transférée à l'EPIC Charbonnages de France le 1er mars 2004. La liquidation judiciaire des Charbonnages de France au 1er janvier 2008 a été prononcée selon décret du 21 décembre 2007. Les droits et obligations de l'établissement ayant été transférés à l'Etat, l'agent judiciaire de l'Etat a repris le contentieux dans lequel étaient mis en cause les Charbonnages de France.

Par requête enregistrée au greffe le 5 juin 2013 [G] [Y] a, à l'instar d'autres mineurs (environ 780) du bassin de Lorraine, saisi le conseil de prud'hommes de Forbach d'une demande à l'encontre de l'EPIC Charbonnages de France, pris en la personne de son liquidateur et l'Agence Nationale pour la Garantie des Droits des Mineurs (ANGDM) aux fins d'obtenir l'indemnisation des préjudices consécutifs à l'exposition fautive à des produits cancérogènes.

[G] [Y] est décédé au cours de la procédure prud'homale le 29 septembre 2015, et la radiation de l'affaire a été prononcée par décision du 5 novembre 2015.

Par acte du 13 octobre 2017, Mme [Z] [J] veuve [Y], a sollicité la reprise de l'instance en sa qualité d'ayant droit.

Par acte du 25 janvier 2018, l'agent judiciaire de l'Etat est intervenu volontairement à l'instance à la suite de la clôture de la liquidation de l'EPIC Charbonnages de France.

Par décision du 14 mars 2018, le conseil de prud'hommes de Forbach a ordonné le sursis à statuer dans l'attente du prononcé des arrêts de la Cour de cassation dans les procédures relatives au préjudice d'anxiété concernant les autres mineurs des Houillères du Bassin de Lorraine. La Cour de cassation a, par arrêt rendu le 11 septembre 2019, cassé et annulé en toutes leurs dispositions les arrêts rendus par la cour d'appel de Metz qui avait rejeté les prétentions des salariés en ce qu'ils avaient retenu que l'employeur démontrait avoir mis en 'uvre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; la cour d'appel de Douai a été désignée comme cour d'appel de renvoi.

Après réinscription de l'affaire au rôle sur diligences de Mme [Y], le conseil de prud'hommes de Forbach a, par jugement en formation de départage du 13 juin 2022, statué comme suit :

« Prononce la mise hors de cause de I'ANGDM ;

Déboute [Z] [Y] née [J], en qualité d'ayant droit de [G] [Y], de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamne [Z] [Y] née [W] aux dépens ;

Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire du jugement ».

Le conseil de prud'hommes a rappelé que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour la reconnaissance du préjudice d'anxiété, à savoir :

- l'exposition à une substance nocive ou toxique,

- le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- l'existence d'un préjudice personnellement subi.

Le conseil a retenu que les deux premières conditions étaient remplies, mais que la troisième condition relative au préjudice ne l'était pas en considérant les attestations produites par Mme [Y] comme insuffisantes et devant être prises avec circonspection, dans la mesure où le dossier ne contient aucune pièce objectivant un suivi médical en rapport avec l'activité professionnelle qui n'est pas à l'origine de la détresse respiratoire évoquée par la fille de [G] [Y]. Le conseil a relevé l'absence de tout élément, notamment de certificat ou attestation d'ordre médical mettant en lumière l'existence d'une anxiété, étant précisé que le constat de maladies graves en lien avec l'activité professionnelle chez plusieurs anciens collègues de [G] [Y] ne permettait pas d'en déduire l'existence d'un préjudice d'anxiété.

Mme [Z] [Y] a régulièrement interjeté appel par déclaration électronique en date du 23 juin 2022.

Dans ses conclusions d'appel datées du 26 août 2022, Mme [Z] [Y] en sa qualité d'ayant droit de [G] [Y] demande à la cour de statuer comme suit :

« Réformer le jugement rendu le 13 juin 2022 par le conseil des prud'hommes de [Localité 6] et,

Statuant de nouveau :

Décider que M. [G] [Y] a été exposé à de nombreuses substances cancérogènes au sein des Houillères du Bassin de Lorraine aux droits de desquelles vient l'Agent judiciaire de l'Etat depuis la clôture de la liquidation de Charbonnages de France dans des conditions constitutives d'un manquement à l'obligation de sécurité de son employeur et qu'il subissait des préjudices qu'il convient de réparer.

Condamner au visa de l'article 3 des décrets n°2007-1806 du 21 décembre 2007 et n°2017-1800 du 28 décembre 2017, l'Agent judiciaire de l'Etat à verser, au titre de l'action successorale, la somme de 10 000 euros aux ayants droit de M. [G] [Y] en réparation du préjudice d'anxiété subi par leur auteur ;

Condamner en outre l'Agent judiciaire de l'Etat à payer aux ayants droit de M. [G] [Y] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens. ».

Mme [Y] évoque l'action engagée au mois de juin 2013 par des anciens mineurs auprès du conseil de prud'hommes de Forbach aux fins d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice d'anxiété pour les expositions multiples au risque qu'ils ont subies au sein des Houillères du Bassin de Lorraine.

Elle précise que dans une série de décisions du 30 juin 2016, la formation de départage du conseil de prud'hommes de Forbach a fait partiellement droit aux demandes des anciens mineurs en condamnant le liquidateur de Charbonnages de France à indemniser leur préjudice d'anxiété à hauteur de la somme de 1 000 euros chacun en ne retenant cependant que l'exposition à deux risques particuliers parmi la longue liste des dangers auxquels ils ont été confrontés, soit l'inhalation de poussières nocives et l'exposition sans protections suffisantes aux résines de consolidation des terrains miniers. Considérant ce jugement paradoxal dans la mesure où il reconnaissait le principe du droit à indemnisation des mineurs de Lorraine en ne retenant que certaines des multiples expositions à l'origine de leurs maladies, les anciens salariés ont interjeté appel, le liquidateur de Charbonnages de France interjetant appel incident.

Elle indique que dans une série d'arrêts en date du 7 juillet 2017, la cour d'appel de Metz a réformé les décisions de première instance et débouté les mineurs de Lorraine de l'ensemble de leurs demandes, et que sur le pourvoi des anciens mineurs la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 11 septembre 2019 (rectifié par un arrêt de rectification d'erreur matérielle du 15 octobre 2019 n°1188 FP-P+B) par lequel elle a cassé et annulé, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus par la cour d'appel de Metz et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai, qui a par des arrêts rendus le 29 janvier 2021 fait droit aux prétentions des salariés en leur accordant des dommages-intérêts à hauteur de 10 000 euros en réparation de leur préjudice d'anxiété.

A l'appui de ses prétentions Mme [Y] détaille les substances cancérogènes auxquels ont été exposés les mineurs et plus précisément son époux ; elle se rapporte notamment aux contentieux d'ores et déjà tranchés par la Cour de cassation dans son arrêt du 11 septembre 2019 qui a analysé, pour les écarter, les éléments de preuve versés aux débats par l'employeur pour tenter de justifier avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.

Mme [Y] fait état de ce que depuis quelques années, les CRRMP, notamment ceux de [Localité 8] et de [Localité 10], ont rendu des avis favorables entrainant la reconnaissance du caractère professionnel de très nombreuses maladies des mineurs des Houillères du Bassin de la Lorraine, et que de nombreuses décisions judiciaires ont retenu la faute inexcusable de l'employeur.

Mme [Y] rappelle l'évolution de la jurisprudence, et notamment :

- que par un arrêt en date du 11 mai 2010 la chambre sociale de la Cour de cassation a caractérisé le préjudice spécifique d'anxiété des travailleurs de l'amiante avec un régime probatoire d'exception, les travailleurs de l'amiante ayant été employés dans des établissements figurant sur la liste ouvrant droit à l'ACAATA étant dispensés d'apporter la preuve de la responsabilité de l'employeur, de leur exposition à l'amiante, et du préjudice qu'ils subissent ;

- que par des arrêts du 25 septembre 2013 la chambre sociale de la Cour de cassation a défini les conditions auxquelles doivent répondre les salariés pour pouvoir prétendre à l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété distinct de celui des travailleurs de l'amiante, soit la preuve de la réalité, de la certitude et de l'étendue des préjudices dont ils réclament l'indemnisation ;

- que le 5 avril 2019 la Cour de cassation a rendu un arrêt en assemblée plénière concernant un salarié qui avait été exposé professionnellement à l'amiante sans avoir travaillé sur un site classé, en jugeant qu' « il y a lieu d'admettre, en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée.».

Mme [Y] considère qu'elle rapporte la preuve de l'existence du préjudice d'anxiété subi par son époux à travers les témoignages des proches, et par l'existence d'un suivi post professionnel par nature anxiogène ; elle considère que ces éléments illustrent l'atteinte infrapathologique que constituait son anxiété.

Elle fait valoir que ce préjudice était actuel et certain dans la mesure où il s'était réalisé le jour de la connaissance par [G] [Y] de l'ampleur de son exposition professionnelle aux produits toxiques et cancérogènes en cause.

Elle ajoute que la Cour de cassation considère que ce préjudice spécifique perdure jusqu'à la reconnaissance, le cas échéant, d'une maladie au titre de la législation sur les risques professionnels à laquelle correspond un régime d'indemnisation spécifique.

Elle considère que ce préjudice est en relation de causalité directe avec les conditions de travail délétères au sein des Houillères du Bassin de Lorraine.

Dans ses conclusions datées du 28 novembre 2022 l'Agent Judiciaire de l'Etat demande à la cour de statuer comme suit :

« A titre principal

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Débouter Mme [Z] [Y], ayant droit de M. [G] [Y], de l'intégralité de ses demandes formulées à l'égard de l'AJE, la preuve cumulative des deux dernières conditions relatives au préjudice d'anxiété :

- d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi par son mari décédé, n'étant pas rapportée ;

En conséquence,

Débouter Mme [Z] [Y], ayant droit de M. [G] [Y], de sa demande formée au titre du préjudice d'anxiété à hauteur 10 000 euros ;

A titre infiniment subsidiaire

Réduire à de plus justes proportions la demande formulée au titre du préjudice d'anxiété ;

En tout état de cause

Sur la demande formulée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Débouter Mme [Z] [Y], ayant-droit de M. [G] [Y], de sa demande présentée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Sur les dépens

Condamner Mme [Z] [Y], ayant-droit de M. [G] [Y], aux entiers dépens. ».

L'intimé conteste tout manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité au regard de ce qu'il a :

- appréhendé les risques inhérents à l'activité minière ;

- entrepris des actions et des démarches actives de prévention, d'information et de formation des salariés pour combattre les risques à la source ;

- mis en place une organisation et des moyens adaptés aux risques inhérents à l'activité minière;

- pris toutes les mesures nécessaires de protection pour lutter contre les risques liés à la silice, à l'amiante et aux produits chimiques, compte tenu de la réglementation alors applicable, de l'état des connaissances techniques et scientifiques, des tableaux de maladies professionnelles et des moyens de protections collectives et individuelles alors disponibles.

L'intimé détaille les diverses mesures mises en place concernant la silicose, l'amiante, et les produits toxiques au cours des années et avec l'évolution des moyens d'exploitation des bassins lorrains.

Concernant les conditions de travail de M. [Y], l'intimé relève que les lieux et les périodes d'exercice de ses fonctions se situent à Vouters essentiellement, et qu'il a bénéficié spécifiquement de mesures de prévention.

L'intimé rappelle que l'exposition à un risque ne suffit pas à justifier l'existence d'un préjudice personnellement subi, que l'existence d'un dommage né ou inéluctable à l'origine d'un préjudice d'anxiété doit être caractérisée, ce qui n'est pas le cas s'agissant d'une simple exposition à un risque.

Il retient que la preuve d'un préjudice personnel, actuel et certain n'est pas rapportée. Il rappelle que le seul manquement à l'obligation de sécurité ne suffirait pas à justifier une réparation fondée sur le droit commun de la responsabilité civile contractuelle, que le préjudice doit être évalué in concreto et analysé eu égard à la situation effective du salarié et en considération de la souffrance personnellement ressentie ; le juge doit tenir compte, dans son pouvoir souverain d'appréciation du préjudice, des conditions de travail de chaque personne, de la réalité, du degré et de la durée de l'anxiété et des éléments de preuve produits pour en justifier.

L'intimé observe que l'appelante ne produit aux débats aucune pièce médicale, aucune preuve d'un suivi psychologique qui serait lié à la connaissance du risque, et qui attesterait de l'anxiété subie, et qu'elle produit des attestations qui sont inopérantes pour démontrer la réalité d'un préjudice d'anxiété.

Il rappelle que le salarié ne souffrait d'aucune pathologie entrant dans le champ des prévisions d'un tableau de maladie professionnelle.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2023.

MOTIFS

En vertu de l'article L. 230-2 devenu L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 applicable au litige, le salarié qui justifie d'une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

A ce titre, l'article L. 4121-1 du code du travail dispose :

« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3°La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ;

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement de circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. ».

En vertu de l'article L. 4121-2 de ce même code du travail « L'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs. ».

L'employeur doit justifier avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés notamment sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : tenir compte de l'état d'évolution de la technique et remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux.

[G] [Y] a été employé par les Houillères du Bassin de Lorraine du 5 septembre 1962 au 31 décembre 1962 en qualité d'ajusteur au jour aux ateliers centraux, puis à compter du 11 mai 1964 en étant affecté au fond au sein de l'unité d'exploitation de Vouters jusqu'à la prise de sa retraite le 31 mars 1994 en qualité d'ajusteur jusqu'en mars 1970, de porion électromécanicien jusqu'en juillet 1983, de porion chef de quartier jusqu'en mars 1989, et en dernier lieu en qualité de sous-chef porion.

Mme [Y] soutient à l'appui de ses prétentions que les trois conditions cumulatives pour obtenir réparation du préjudice d'anxiété sont réunies soit l'exposition à une substance nocive ou toxique, le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, et l'existence d'un préjudice personnellement subi.

La première condition relative à l'exposition de [G] [Y] au cours de sa carrière à des substances toxiques ou nocives générant un risque élevé de développer une pathologie grave n'est pas contestée. Mme [Y] évoque à ce titre les conditions de travail particulièrement pénibles pour les mineurs au fond, et fait état de l'exposition quotidienne de son mari, pendant toutes ses années de travail, à de nombreux cancérogènes notamment l'amiante, la silice, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) contenus dans les huiles et carburants, les cambouis, les fumées de tir, les gaz d'échappement diesel, les brais, les goudrons et les bitumes, le benzène, le trichloréthylène et le créosote.

Pour justifier des mesures de prévention et de protection mises en place, de la pertinence et de l'adéquation de ces mesures aux risques inhérents à l'extraction du charbon, l'intimé se prévaut de ce que l'employeur a :

- effectué un travail d'appréhension des risques inhérents à l'activité minière,

- entrepris des actions et des démarches actives de prévention, d'information et de formation des salariés pour combattre les risques à la source,

- mis en place une organisation et des moyens adaptés aux risques inhérents à l'activité minière,

- pris toutes les mesures nécessaires de protection pour lutter contre les risques liés à la silice, à l'amiante et aux produits chimiques, compte tenu de la réglementation alors applicable, de l'état des connaissances techniques et scientifiques, des tableaux de maladies professionnelles et des moyens de protection collective et individuelle disponibles.

Le décret n° 51-508 du 4 mai 1951 portant règlement général sur l'exploitation des mines de combustibles minéraux solides a prévu en ses articles 124 à 136 des prescriptions générales concernant le travail au fond. L'ayant droit de [G] [Y] en rappelle le contenu qui visait à prévenir l'inhalation des poussières toxiques, ainsi qu'à assurer l'assainissement obligatoire des chantiers et galeries du fond, l'article 145 disposant :

« Tous les ouvrages souterrains accessibles aux ouvriers doivent être parcourus par un courant d'air régulier ; capable d'en assainir l'atmosphère, spécialement à l'égard des gaz nuisibles et des fumées. (')

Le débit global d'air de la mine doit être d'au moins cinquante litres d'air par seconde et par homme présent au poste le plus chargé. (')

L'assainissement de l'atmosphère des ouvrages doit y éviter tant le manque d'oxygène que la présence de gaz toxiques en quantité dangereuse. ».

L'intimé cite lui-même les articles 185 et suivants imposant à l'exploitant de diminuer autant que possible, dans les mines poussiéreuses, les quantités de poussières dangereuses car susceptibles de produire une explosion, et l'article 187 disposant que « Lorsque l'abattage, le chargement, le transport ou la manipulation du charbon peuvent entraîner la mise en suspension ou l'accumulation de poussières, des mesures efficaces doivent être prises pour y remédier ».

Une instruction du 30 novembre 1956 complétée par une instruction du 15 décembre 1975 relative à la prévention médicale a prévu la mise en 'uvre de moyens de protection collective à tous les stades de la production, par l'humidification des poussières et par l'aérage, ainsi que des mesures de protection individuelles assurées par le port pendant toute la durée de l'exposition au risque de masques reconnus efficaces. Ce texte contenait des obligations pour l'exploitant qui étaient induites par des dispositions spécifiques sur la prévention des pneumoconioses, et prescrivait des mesures de prévention précises et devant être efficaces, tant collectives (humidification des poussières) qu'individuelles (port d'un masque).

Le décret n° 80-331 du 7 mai 1980 a institué un règlement général des industries extractives qui a introduit des dispositions spécifiques, telles que la tenue d'un dossier de prescriptions relatif aux règles à respecter ' notamment pour rendre inaccessibles les travaux insuffisamment aérés, pour la mise en 'uvre de l'aérage en matière travaux souterrains afin de garantir la salubrité de l'atmosphère, avec pour objectif d'éviter toute accumulation de gaz dangereux, d'assurer des conditions de travail acceptables ainsi que la protection du personnel à l'égard des risques occasionnés par l'amiante en imposant à l'exploitant une évaluation des risques afin de déterminer la nature, la durée et le niveau de l'exposition des travailleurs à l'inhalation de poussières provenant de l'amiante ou de matériaux contenant de l'amiante.

Au soutien des mesures de prévention mises en place, et plus précisément des méthodes mises en 'uvre pour traiter les poussières et résidus nocifs, l'intimé verse aux débats 194 pièces, qui comprennent notamment des rapports annuels de la médecine du travail (années 1976, 1982 1986, 1988, 1989, 1991, 1996, 1998, 2004), des comptes rendus de réunions du comité d'entreprise, de la commission d'hygiène et de sécurité, du groupe de travail ''agents chimiques'' complétés par des rapports d'activité.

L'intimé expose que des mesures de prévention ont été appliquées, avec une surveillance médicale spéciale des agents dès lors qu'ils étaient considérés comme explosés à des nuisances, mais aussi la mise en place de groupes de travail créés dès 1973 sous la dénomination ''poussières nocives'' et un contrôle constant du niveau d'empoussiérage.

L'intimé fait état de la mise en 'uvre de techniques visant à neutraliser des poussières par la pulvérisation d'eau sur les machines d'abattage, la captation des poussières et l'amélioration des outils de coupe. Il cite notamment, à l'appui de l'amélioration de l'efficacité des moyens utilisés pour effectuer un dépoussiérage à la source, l'installation de rampes d'arrosage sur les haveuses, le soutènement marchant équipé de buses à eau sous pression à partir des années 1970, la foration humide au rocher, un système d'aérage performant, la multiplication des capteurs de poussières, et des dépoussiéreurs éliminant les poussières soit par humidification « avec une efficacité remarquable de 90 % », soit par filtrage à sec.

Concernant l'unité d'exploitation de Vouters au sein de laquelle [G] [Y] a effectué toute sa carrière au fond, un compte rendu du comité d'hygiène et de sécurité du 6 décembre 1982 (pièce n° 78 de l'intimé) fait le constat d'une imprécision des calculs du taux d'empoussiérage et mentionne des contraintes importantes « du fait de la mécanisation croissante de l'abattage en taille et du creusement de nos galeries qui obligeront la profession à améliorer les techniques actuelles et à rechercher des voies nouvelles dans la lutte contre les poussières. ».

Pour ce qui est des mesures prises en matière de risques chimiques, l'intimé explique qu'à partir de la fin des années 1970 des résines expansives ont été introduites pour traiter les terrains fracturés, que dès l'introduction de ce type de produits pour assurer le travail des mineurs au fond des actions de prévention, de protection et de formation ont été diligentées, que le groupe de travail ''agents chimiques'' créé en mars 1982 a fourni des prestations majeures pour la protection des agents notamment en termes d'homologation des produits chimiques, et que le nombre très restreint de maladies professionnelles déclarées au titre des tableaux 43, 62 et 65 qui concernent ce risque démontre l'efficacité des mesures mises en place.

L'intimé soutient également que les Houillères du Bassin de Lorraine ont doté leurs agents des équipements de protection individuelle adaptés, avec une procédure spécifique d'achat après vérification de leur conformité aux exigences de santé et de sécurité par le biais d'essais assurés par le service de sécurité générale.

Pour démontrer l'application de mesures de prévention, de protection, et d'information, tant collectives qu'individuelles, l'intimé se prévaut notamment des témoignages de :

- M. [N] [S], ingénieur en pré-retraite (sa pièce n° 59), qui indique que durant son embauche de 1974 jusqu'à juillet 2004 il a travaillé dans diverses unités d'exploitation, dont celle de [Localité 6], et qu'il a constaté sur trente ans l'évolution des méthodes et du matériel dans tous les services et dans le domaine de la lutte contre les poussières par la recherche et la mise en 'uvre des moyens les plus efficaces ainsi que leur adaptation en fonction de l'évolution des techniques et des matériels, et qui conclut que lui-même a toujours apporté une attention particulière à la lutte contre les poussières nocives ;

- M. [D] [O], agent de maîtrise (sa pièce n° 77 et non 79 comme indiqué sur le bordereau), qui relate qu'il a été embauché en 1982 comme ouvrier, a évolué aux fonctions de chef d'équipe en 1990 puis d'agent de maîtrise à compter de 1998, et qui témoigne que « tout au long de ma carrière passée au fond de la mine, j'ai pu constater l'amélioration constante des systèmes d'arrosage afin de lutter contre les poussières sur les différents matériels utilisés. Tant au point de vue des machines d'abattages, des différents convoyeurs, que du soutènement, et des effets individuels ces différents moyens de lutte étaient constamment contrôlés et entretenus. Les effets individuels de sécurité (masques à poussière) étaient à la portée de chaque agent avant la descente en quantité suffisante. Des contrôles de poussière étaient organisés par des appareils individuels portés par des agents durant tout le poste aux conditions réelles de travail ' Des agents du service sécurité lors de leurs descentes rappelaient constamment à l'ordre les agents qui travaillaient sans effet individuel de sécurité » ;

- M. [A] [V] (sa pièce n° 77 - et non 91 comme indiqué sur le bordereau) explique qu'il a commencé sa carrière en qualité d'apprenti mineur en 1978, puis a évolué aux fonctions de porion d'exploitation jusqu'en 1989, porion sécurité de l'UE La Houve jusqu'en 1994, puis sous-chef porion d'exploitation, et enfin agent technique au service de gestion depuis 2002, et qui décrit l'évolution des conditions de travail au fond vers une amélioration constante au sein de l'unité d'exploitation de la Houve où la fourniture des équipements de protection était assurée par un magasin situé au fond « pour les agents n'ayant pas eu le temps de servir au jour » ;

- M. [I] [E], agent de maîtrise (sa pièce n° 125 et non 128) embauché à compter de 1984 en qualité de porion d'exploitation fond, puis chef de quartier exploitation jusqu'en 1996, puis sous-chef porion jusqu'en 2000, chef porion exploitation jusqu'en 2003, et enfin chef de projet gestion, qui décrit l'évolution des moyens mis en 'uvre pour lutter contre les poussières, et qui mentionne que « l'entreprise nous a toujours mis à disposition et en quantité suffisante les masques à poussière, de telle manière que le personnel pouvait en changer plusieurs fois pendant le poste. » ;

- M. [R] [K], retraité (sa pièce n° 126 et non 129), qui retrace le déroulement de sa carrière sur plusieurs sites ainsi que l'évolution des méthodes d'extraction, précisant avoir connu l'époque de la foration à la main avec un marteau perforateur, et qui atteste « que la lutte contre les poussières et la surveillance médicale des personnels ont constamment évolué pour appliquer toujours les meilleurs dispositifs disponibles et efficaces. J'ajouterais enfin que je suis personnellement atteint de silicose depuis 1986 ».

Aucun des documents produits par l'intimé ne concerne précisément la situation de [G] [Y], qui a travaillé au sein de l'unité d'exploitation de Vouters au fond durant une trentaine d'années. En effet les documents versés aux débats par l'intimé concernent l'ensemble des sites, et ce n'est que ponctuellement que des renseignements visent celui de Vouters.

L'intimé produit de nombreux éléments relatifs à l'activité de dépistage et de suivi médical assurée par les médecins du travail, ayant notamment trait à l'intervention de ces derniers dans divers groupes de travail ou réunions spécifiques.

Ces documents sont toutefois impropres à caractériser une action spécifique de l'employeur dans le domaine de la sécurité. En effet, le document intitulé «Evolution des moyens mis en 'uvre pour la prévention médicale des pneumoconioses au service de médecine du travail des Houillères de Lorraine » et élaboré à partir des rapports annuels de la médecine du travail de 1966 à 1999 (pièce n° 6 de l'intimé) décrit pour l'essentiel les moyens matériels, techniques et humains mis à disposition du service de médecine du travail, les méthodes de dépistage employées et les pathologies détectées chez les actifs examinés, avec chaque année indication du nombre de cas avérés de silicose ou de déclarations faites au titre de la maladie professionnelle, et ponctuellement le nombre de personnes ayant eu une activité réduite du fait de pathologies pneumoconiotiques. Il ressort des indications statistiques qu'il contient que si le nombre de cas déclarés a varié, il n'y a cependant pas eu de diminution notable des personnes affectées au fil des années, eu égard à l'effectif de l'entreprise suivi par la médecine du travail, en constante baisse, soit :

- 66 cas de pneumoconiose en 1966 pour un effectif de 36 892 personnes,

- 86 déclarations de pneumoconiose en 1970 (effectif non communiqué),

- 88 déclarations de silicose et pneumoconiose en 1973 (effectif non communiqué),

- 131 déclarations au tableau 25 et 103 aggravations en 1977 (effectif non communiqué),

- 42 déclarations de silicose et pneumoconiose en 1979 (effectif non communiqué),

- 45 déclarations de silicose et pneumoconiose en 1980 et 609 aptitudes réduites pour pneumoconiose (effectif non communiqué),

- 50 déclarations de silicose et pneumoconiose en 1981 (effectif non communiqué),

- 67 déclarations de silicose et pneumoconiose en 1982 et 561 affectations ou réaffectation de pneumoconiotiques (effectif non communiqué),

- 83 déclarations de silicose et pneumoconiose en 1983 et 558 affectations ou réaffectation de pneumoconiotiques (effectif non communiqué),

- 94 déclarations au tableau 25 et 552 aptitudes réduites en 1984 (effectif non communiqué),

- 86 déclarations de maladie professionnelle en 1985 pour un effectif de 22 853 personnes,

- 40 déclarations au tableau 25 et 157 personnes pneumoconiotiques au fond - contre 191 en 1985, 215 en 1984 et 242 en 1983 - en 1986 (effectif non communiqué),

- 41 déclarations de maladie professionnelle en 1987, 114 personnes pneumoconiotiques au fond et 294 affectations ou réaffectation de pneumoconiotiques pour un effectif de 19 082 personnes,

- 53 déclarations au tableau 25, 71 personnes pneumoconiotiques au fond et 161 affectations ou réaffectation de personnes pneumoconiotique en 1988 (effectif non communiqué),

- 29 déclarations de maladie professionnelle en 1989 et 128 affectations ou réaffectation de personnes pneumoconiotiques pour un effectif de 16 225 personnes,

- 24 déclarations au tableau 25 en 1990 et 3,5 % du personnel en aptitude réduite,

- 17 déclarations au tableau 25 en 1991 et 3,8 % du personnel en aptitude réduite pour un effectif de 14 333 personnes,

- 30 déclarations au tableau 25 en 1992 et 135 affectations ou réaffectation de personnes pneumoconiotiques pour un effectif de 13 698 personnes,

- 40 déclarations de maladie professionnelle en 1993 pour un effectif de 13 009 personnes,

- 15 déclarations de maladie professionnelle en 1999 pour un effectif de 7 946 personnes.

Il s'avère que seul le nombre des personnes ayant connu des périodes d'inactivité du fait d'une pneumoconiose a diminué sensiblement, de 717 en 1978 à 128 en 1989. Aussi le rapport annuel de médecine du travail 1989 (pièce n° 8 de l'intimé) mentionne que « Les indicateurs concernant la pneumoconiose n'ont pas tous évolué dans un sens favorable : accroissement du nombre de nouvelles images suspectes et de nouveaux cas de pneumoconiose chez des sujets à ancienneté de moins en moins élevé rendant nécessaire un affinement de notre suivi radiologique' d'autant plus que l'âge moyen du personnel va inéluctablement augmenter dans les années à venir ».

Il ressort par ailleurs de ces rapports de médecine du travail et de leur synthèse que :

- en 1973 il est constaté que le taux de mineurs silicotiques après 30 ans de travail au fond est évalué entre 7 % et 9 % ;

- en 1974, la pneumoconiose est qualifiée de maladie du troisième âge dans 2/3 des cas, à savoir que même s'il est souligné une augmentation de l'espérance de vie des personnes atteintes, les pathologies apparaissent souvent chez les travailleurs âgés et les retraités, l'auteur du rapport constatant que la maladie « n'entraîne pas le départ prématuré en retraite mais occasionne un absentéisme important, surtout hivernal. Si nos pneumoconiotiques ne meurent plus prématurément, ils n'en sont pas moins dans certains cas douloureusement atteints dans leur capital « santé » et leur potentiel de travail » (pièce n° 6 de l'intimé) ;

- en 1984, la médecine du travail indique qu'elle exerce une action pressante sur les sièges pour que l'exposition des salariés silicotiques qui travaillent encore au fond soit la plus réduite possible et pour la mise en place de capteurs individuels de poussières pour les travailleurs du fond (pièce n° 6 de l'intimé) ;

- en 1986, il est mentionné que lors de leurs visites des chantiers au fond les médecins du travail ont constaté la prise en compte de leurs « nombreuses remarques » par la hiérarchie avec « l'augmentation du nombre de dépoussiéreurs dans les chantiers de creusement » et « l'utilisation croissante des masques antipoussières' de différents types et, bien sûr, d'efficacité variable », ainsi que « l'équipement progressif du personnel en vêtements spéciaux lors de l'utilisation de produits tels que les résines »  (pièce n° 7 de l'intimé) ;

- en 1991, la médecine du travail recommande à nouveau, au titre des actions dans le cadre de la prévention des pneumoconioses, une « poursuite de la sensibilisation du personnel, sur place, au port du masque anti-poussières ainsi qu'à d'autres équipements de protection individuelle » (pièce n° 20 de l'intimé) ;

- en 1993, dernière année de travail complète de [G] [Y] ' qui a cessé son activité en mars 1994 -, la médecine du travail mentionne encore « Poursuite de la sensibilisation du personnel sur le terrain et au cabinet médical au port du masque anti-poussières » (pièce n° 6 de l'intimé). 

Un rapport d'étude de l'INERIS (institut national de l'environnement industriel et des risques) en date du 19 août 2005 sur la lutte contre les poussières nocives dans les bassins (pièce n° 122 de l'intimé ' et non 125 comme indiqué dans son bordereau) révèle en ce qui concerne les Houillères du bassin de Lorraine qu'au regard des méthodes d'exploitation le procédé d'infusion d'eau a été abandonné, et qu'en raison de l'importance des poussières nocives provoquées par la mécanisation et l'utilisation de haveuses à tambour dans les années 1960, des recherches ont été entreprises afin de mettre en place un système efficace d'abattage des poussières par pulvérisation et arrosage sur les machines d'abattage, que ce système n'a été généralisé qu'à partir des années 1970 par un dispositif de pulvérisation à partir d'une rampe soudée sur le tambour apportant un gain sur l'abattage des poussières de 30 à 40 % mais que le problème de colmatage des buses d'arrosage de par l'irruption d'agrégats n'était encore pas résolu en 1992.

Cette étude de l'INERIS précise qu'une campagne de sensibilisation pour le port du masque a été diligentée en 1982, que dans les années qui ont suivi les recherches se sont amplifiées concernant les masques jetables, qu'une station de lavage quotidien des masques à [Localité 7] a été mise en service en 1986, et qu'une généralisation des masques jetables est intervenue en 1991 « bien acceptée par le personnel ».

Il s'avère que ce n'est qu'en 1996, après le départ en retraite de M. [Y], que vingt séances d'information « poussières risque pour la santé » ont été organisées pour les personnels et les unités de jour de Vouters exclusivement (pièce n° 29 de l'intimé). Les mineurs travaillant au fond à long terme étaient pourtant particulièrement exposés puisqu'une étude de type prospectif diligentée en 1999 définit trois groupes, le premier groupe ES (exposés suspects) étant des mineurs âgés de 35 à 48 ans ayant travaillé au moins 10 ans dans les chantiers empoussiérés au fond, dont la radiographie est classée 0/1 ou 1/0, le deuxième groupe EN (exposés à radiographie normale) étant des mineurs âgés de 35 à 48 ans ayant travaillé plus de 10 ans dans les chantiers empoussiérés au fond, dont la radiographie est classée 0/0, et le troisième groupe N.N. (très peu exposé à radiographie normale) ayant travaillé moins de trois ans dans les chantiers empoussiérés.

Mme [Y], ayant droit de [G] [Y], produit de nombreuses décisions judiciaires (ses pièces n° 85 à 191) rendues dans des litiges opposant d'anciens mineurs du bassin de Lorraine aux Charbonnages de France, et qui ont retenu que les conditions de la faute inexcusable de l'employeur étaient réunies ; l'une d'elles concerne les conditions de travail d'un mineur ayant été affecté d'octobre 1978 à octobre 1990 dans les chantiers du fond des mines à Vouters où [G] [Y] travaillé jusqu'en mars 1994 (pièce n° 185).

Mme [Y] produit également plus d'une dizaine de témoignages de mineurs (ses pièces n° 151, n° 174 à 184 et 284) qui ont travaillé au fond durant des périodes d'embauche concomitantes à celle du défunt, et qui font état de leurs conditions de travail quotidiennes en les décrivant comme suit :

- s'agissant du port de masques à poussière, les salariés mentionnent que cette protection « n'était pas obligatoire » (ses pièces n° 176, 178 et 179), « même en cas de poussière intense » (sa pièce n° 180), qu'« il était plus aisé de se déplacer sans masque » (sa pièce n° 179), que dans les années 80 « certains d'entre nous achetaient des masques en pharmacie », que lors de l'usage de masques dotés de filtres « nous perdions le filtre pendant le travail et le havage et nous ne le remarquions pas », « dans les années 90 on portait des masques jetables, ils se colmataient vite avec respiration et la poussière les colmatait et on n'en avait pas assez à disposition et ils n'étaient pas adaptés à un travail physique intense » (sa pièce n° 174), « distribution limité au jour (') Parfois impossible de tenir avec un seul masque, vu chantier chaud et humide, masque H.S. et manque de rechange » (sa pièce n° 175), « la plupart des ouvriers se protégeaient avec leur foulard ou avec un masque en mousse acheté en pharmacie qu'il fallait laver en fin de poste » (sa pièce n° 178);

- concernant le traitement des poussières par l'humidification, les anciens mineurs indiquent qu'il fallait réduire l'eau « qui à l'avant de la machine de creusement provoquait un embourbement » (pièce n° 177), que l'eau était coupée dans les chantiers « en descenderie nous fermions l'eau pour ne pas être noyer à front » (pièce n° 174), que « vu la dureté du front, les buses étaient souvent bouchées voir H.S.. Les arrosages sectoriels étaient très vite H.S. » (sa pièce n° 175), « lorsqu'un incident arrivait sur le circuit d'eau la production ne s'arrêtait pas » (sa pièce n° 175) ;

- pour ce qui est de la ventilation, un salarié relate que « quand plusieurs chantiers étaient sur le même circuit d'air, ça arrivait que le ventilateur aspirait les poussières des chantiers voisins » (pièce n° 175), et un autre mineur ayant travaillé au service taille du puits de la Houve de 1982 à 2002 indique, comme la plupart des autres salariés, qu'il n'a jamais eu « d'information sérieuse sur les dangers et les effets de la poussière » et ajoute « j'ai entendu que le capteur de poussière était placé volontairement à l'abri de la poussière. » (pièce n° 180), information similaire à celle donnée par un ancien mineur ayant travaillé au service taille dans les années 1980 à 2000 qui mentionne « j'ai assisté à plusieurs fois à la mise en place du capteur de poussières qui était toujours placé derrière une toile de jute mouillée par une buse à eau » (sa pièce n° 183).

De l'ensemble de ces témoignages il ressort que pendant de nombreuses années les salariés n'ont reçu aucune information sur les risques liés aux poussières, et il n'est fait état que d'une action en 1996 et seulement pour une unité et non l'ensemble de l'entreprise.

Il ressort de ces témoignages qui émanent de mineurs ayant travaillé au fond dans les mêmes conditions que [G] [Y], mais aussi de l'ensemble des données ci-avant examinées relatives notamment à l'évolution des méthodes d'exploitation et des risques auxquels était exposé [G] [Y], que l'employeur n'a pas mis en 'uvre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale du salarié, telles que prévues aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

En conséquence le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a retenu que l'employeur n'a pas rempli son obligation de sécurité.

Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque élevé de développer une pathologie grave par le salarié.

L'intimé fait état de ce que [G] [Y] n'a déposé ''qu'une seule demande'' (sic) de reconnaissance de maladie professionnelle (tableau 30 B) qui n'a pas été reconnue, mais cet élément est indifférent puisqu'il est question de l'indemnisation d'un préjudice autre que celui lié à une affection d'origine professionnelle.

Au soutien des troubles psychologiques ayant affecté l'état de santé de son époux, Mme [Y] produit plusieurs témoignages de l'entourage professionnel et familial de l'ancien mineur.

Trois anciens collègues de [G] [Y] attestent des conditions de travail qu'ils ont partagées ainsi que de l'ampleur de leur exposition - sans aucune protection - aux divers produits toxiques par l'inhalation de poussières de charbon, silice, roche, particules d'amiante, d'huiles hydrauliques et par la manipulation de peintures, de trichloréthylène et de perchloréthylène  (pièces n° 3, 4 et 5).

L'un d'eux, M. [F], relate à la date du 24 juillet 2013 : « J'habite la cité Belle [Localité 9] à [Localité 5] depuis 1969 (où j'ai fréquenté G. [Y] de façon amicale) et j'ai constaté qu'il n'est plus le même avec ses ennuis de santé, anxiété pour son avenir (car il a une famille) et récemment hospitalisation (embolie pulmonaire) il se fatigue très vite et n'a plus le moral. Le spectre du cancer nous tient en permanence. ».

Mme [Y] (pièce n° 11) indique que « Vers la fin de sa carrière, le comportement de [G] a changé lorsqu'il lisait le journal et voyait une annonce mortuaire d'un mineur, il me faisait part de ses inquiétudes face à son destin. Lorsqu'il rencontrait ses anciens camarades de travail touchés par des maladies il en était très affecté et commençait à perdre goût à la vie. Ses craintes s'amplifiaient et il devenait anxieux. Soucieux dès le moindre symptôme, il allait consulter des rubriques sur internet ce qui le rendait encore plus inquiet. Grand-père de quatre petits-enfants, il me confiait régulièrement son angoisse de ne pas pouvoir en profiter durant de nombreuses années encore. Il passait des nuits blanches à cogiter ce qui l'a lentement entraîné vers la dépression' ».

La fille de [G] [Y] (pièce n° 12) évoque également le changement de comportement de son père qui est devenu anxieux et taciturne « il avait peur de ne pas pouvoir voir grandir ses petits-enfants mais en parallèle n'abordait pas ses problèmes de santé en notre présence. 'Au cours des dernières années, il ne quittait quasiment plus son domicile pour faire des sorties ou des courses car il se retrouvait vite en détresse respiratoire. Son état de santé s'est amplifié au fil du temps malgré notre présence et notre soutien. ».

Le neveu de [G] [Y] (pièce n° 13) confirme les troubles psychologiques de son oncle qui « n'avait plus cette joie de vivre. Il me parlait souvent de ces camarades décédés de maladie pulmonaire liée à l'amiante. Il se faisait beaucoup de souci pour l'avenir et anxieux à chaque examen qu'il devait réaliser'Il ne s'intéressait même plus à son jardinage qui était pourtant son passe-temps favori ainsi que l'entretien de sa pelouse' ».

Si ces documents émanent des proches de [G] [Y], notamment de son épouse, aucun élément ne permet de mettre en doute leur sincérité, étant observé qu'ils mentionnent justement que l'intéressé n'avait plus de contacts autres qu'avec sa famille.

Ces éléments suffisent à établir la réalité des troubles psychologiques dont était atteint [G] [Y] de par son exposition pendant une trentaine d'année à un risque susceptible de compromettre gravement son état de santé, et démontrent la réalité d'un préjudice qu'il convient d'évaluer à la somme de 10 000 euros.

Le jugement déféré est infirmé en ce sens.

Il est inéquitable de laisser à la charge de Mme [Y] ses frais irrépétibles. Il lui est alloué à ce titre la somme de 2 000 euros.

L'Agent judiciaire de l'Etat est condamné aux dépens de première instance et d'appel conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement rendu le 13 juin 2022 ;

Condamne l'Agent judiciaire de l'Etat venant aux droits de l'EPIC Charbonnages de France à payer à Mme [Z] [J] veuve [Y] les sommes suivantes :

- 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'anxiété subi par [G] [Y],

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne l'Agent judiciaire de l'Etat venant aux droits de l'EPIC Charbonnages de France aux dépens de première instance et d'appel.

Condamne l'Agent judiciaire de l'Etat venant aux droits de l'EPIC Charbonnages de France aux dépens de première instance et d'appel.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 22/01656
Date de la décision : 29/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-29;22.01656 ?
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