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27/05/2024 | FRANCE | N°23/01471

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 3, 27 mai 2024, 23/01471


Arrêt n° 24/00254



27 Mai 2024

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N° RG 23/01471 - N° Portalis DBVS-V-B7H-F75Q

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Tribunal de Grande Instance de METZ - POLE SOCIAL

19 Juillet 2019

17/821

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ



CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale





ARRÊT DU



vingt sept Mai deux mille vingt quatre







APPELANTE :



UNION DE RECOUVREMENT DE

S COTISATIONS DE SECURITE SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE LORRAINE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me François BATTLE, avocat au barreau de METZ





INTIMÉE :



S.A.R.L. [5]

[Adr...

Arrêt n° 24/00254

27 Mai 2024

---------------

N° RG 23/01471 - N° Portalis DBVS-V-B7H-F75Q

------------------

Tribunal de Grande Instance de METZ - POLE SOCIAL

19 Juillet 2019

17/821

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt sept Mai deux mille vingt quatre

APPELANTE :

UNION DE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SECURITE SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE LORRAINE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me François BATTLE, avocat au barreau de METZ

INTIMÉE :

S.A.R.L. [5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier FIRTION, avocat au barreau de METZ

substitué par Me BANI-BATON , avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Novembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Carole PAUTREL, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Anne FABERT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement après prorogation du 25.03.2024

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La SARL [5] a fait l'objet d'une vérification comptable au titre des années 2014 et 2015 par l'URSSAF Lorraine.

A l'issue de ce contrôle, une mise en demeure datée du 29 mars 2017 a été émise, portant redressement d'un montant total de 13 828 euros, dont 12 234 euros au titre du rappel de cotisations et contributions sociales, et 1 594 euros au titre des majorations de retard.

La SARL [5] a formé un recours à l'encontre de cette mise en demeure devant la commission de recours amiable de l'URSSAF, par lettre recommandée dont l'accusé de réception a été signé le 24 mai 2017.

Le 16 mai 2017, une contrainte d'un montant de 13 828 euros a été délivrée par l'URSSAF Lorraine et signifiée à personne le 17 mai 2017.

Par requête déposée le 29 mai 2017, la SARL [5] a formé un recours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Moselle à l'encontre de cette contrainte.

Par jugement du 19 juillet 2019, le pôle social du tribunal judiciaire de Metz a :

- DECLARE la SARL [5] recevable en son opposition à la contrainte du 16 mai 2017, signifiée le 17 mai 2017 par l'URSSAF Lorraine ;

- ANNULE le chef de redressement numéro 3, relatif aux frais de restaurant/frais d'entreprise dont le montant est de 4 115 euros au titre du rappel de cotisations ;

- ANNULE, en conséquence, la contrainte délivrée le 16 mai 2017 par le directeur de l'URSSAF Lorraine pour un montant de 13 828 euros, et signifiée à personne le 17 mai 2017 ;

- CONFIRME tous les autres chefs de redressement ;

- DEBOUTE l'URSSAF Lorraine de ses demandes de condamnation aux frais d'huissier et au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- LAISSE à la charge de chacune des parties les dépens engagés par elles ;

Par acte déposé au greffe le 19 août 2019, l'URSSAF Lorraine a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR reçue le 23 juillet 2019.

Par ordonnance du 19 janvier 2021, le magistrat chargé d'instruire l'affaire a ordonné la radiation du rôle, l'affaire n'étant pas prête à être plaidée.

Par écritures du 29 novembre 2022, l'URSSAF Lorraine sollicitait la reprise de l'instance.

Par courrier du 13 juillet 2023, l'URSSAF Lorraine sollicitait une date d'audience suite à ses écritures restées sans réponse du 29 novembre 2022. L'affaire était fixée au 20 novembre 2023.

Par conclusions datées du 17 novembre 2023 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son conseil, l'URSSAF de Lorraine demande à la cour de :

- Recevoir l'URSSAF Lorraine en son appel et le déclarer bien-fondé,

- Déclarer la SARL [5] recevable mais mal fondée en son appel incident,

En conséquence,

- Infirmer le jugement entrepris,

Et, statuant à nouveau :

- Déclarer la SARL [5] recevable mais partiellement mal fondée en son opposition à la contrainte n°40857245,

- En conséquence, l'en débouter, et confirmer la contrainte n° 0857245 à hauteur de 9.507€ en cotisations et majorations de retard, sans préjudice des majorations de retard complémentaires qui seront décomptées au jour du règlement intégral du rappel de cotisations,

- Condamner la SARL [5] aux frais de signification de la contrainte n°40857245,

- Condamner la SARL [5] au paiement de la somme de 1.500,00 € au titre de l'article 700 du CPC à hauteur d'appel.

Par conclusions datées du 3 novembre 2023 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son conseil, la société [5] demande à la cour de :

- DECLARER l'appel formé par l'URSSAF Lorraine mal fondé ;

En conséquence,

- DEBOUTER l'URSSAF Lorraine de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- DECLARER l'appel incident formé par la société [5] recevable et bien fondé ;

En conséquence,

- CONFIRMER le jugement du Pôle social du Tribunal de Grande Instance de Metz du 19 juillet 2019 en ce qu'il a :

* déclaré la société [5] recevable en son opposition à la contrainte du 16 mai 2017, signifiée le 17 mai 2017 par l'URSSAF Lorraine ;

* annulé le chef de redressement numéro 3, relatif aux frais de restaurant/frais d'entreprise dont le montant est de 4.115 euros au titre du rappel de cotisations ; annulé, en conséquence, la contrainte délivrée le 16 mai 2017 par le directeur de l'URSSAF Lorraine pour un montant de 13.828 euros ;

* débouté l'URSSAF Lorraine de ses demandes de condamnation aux frais d'huissier et au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- INFIRMER le jugement du Pôle social du Tribunal de Grande Instance de Metz du 19 juillet 2019 pour le surplus ;

Dans cette limite, statuant à nouveau :

- ANNULER l'ensemble des chefs de redressement ;

- CONSTATER au besoin DIRE ET JUGER que les cotisations et contributions réclamées ne sont pas dues ;

- ANNULER en conséquence la contrainte délivrée le 16 mai 2017 par le directeur de l'URSSAF Lorraine pour un montant de 13.828 euros ;

- CONDAMNER l'URSSAF Lorraine à payer à la société [5] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- CONDAMNER l'URSSAF Lorraine aux entiers frais et dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision déférée.

SUR CE,

SUR LE NON RESPECT DU CALENDRIER DE PROCEDURE

La société [5] soutient que l'URSSAF n'a pas respecté le délai initialement imparti pour conclure, soit celui adressé par la cour le 9 juin 2020, et qu'en conséquence elle n'a pas soutenu son appel si bien qu'il appartient à la cour d'en tirer les conséquences.

L'URSSAF ne formule aucune observation sur ce point.

*****************

En l'espèce, force est de constater que la société [5] souligne le non-respect du calendrier fixé le 9 juin 2020 par la cour, ce qui est sans emport sur le présent litige, dès lors que, par ordonnance du 19 janvier 2021, l'affaire avait fait l'objet d'une radiation par le magistrat chargé de l'instruire.

Sur reprise de l'instance par l'URSSAF, une nouvelle convocation a ensuite été délivrée aux parties le 18 juillet 2023 pour l'audience du 20 novembre 2023. Les conclusions alors prises par l'URSSAF, ainsi que ses pièces, ont ainsi été communiquées et notifiées à la société [5] qui a eu la possibilité de répliquer. Le conseil de l'intimée a ainsi plaidé l'affaire à l'audience des débats du 20 novembre 2023 sans solliciter de renvoi, de sorte que le principe du contradictoire a été respecté.

Il s'ensuit que la cour est ainsi valablement saisie de l'appel formé par l'URSSAF et que les conclusions de celles-ci sont recevables.

Le moyen est rejeté.

SUR LE CHEF DE REDRESSEMENT N°1 : les frais inhérents à l'utilisation des outils issus des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC)

La société [5] sollicite l'infirmation du jugement entrepris qui a validé ce chef de redressement portant sur le remboursement, à chacun de ses salariés, de la somme de 1 euro par semaine travaillée au titre de l'utilisation professionnelle de leurs téléphones portables privés.

Elle fait valoir que, du fait de son activité, elle doit pouvoir contacter ses salariés à tout moment durant leurs heures de travail, et que, les lignes des téléphones portables professionnels ayant été résiliées en août 2014, il s'ensuit que l'usage par les salariés de leurs téléphones personnels à des fins professionnelles est établi et résulte d'une note de service du 4 août 2014 ainsi que des attestations des salariés de la société.

L'URSSAF Lorraine sollicite la confirmation du jugement entrepris. Elle fait valoir que la société [5] ayant opté pour une évaluation forfaitaire, évaluée par elle-même à 1 euro par semaine travaillée, et ne fournissant aucunement les abonnements téléphoniques de ses salariés, il s'ensuit que la démonstration de l'exposition à des frais supplémentaires pour chaque salarié n'est pas rapportée. Il s'ensuit que la prise en charge par la société d'un euro par semaine travaillée doit être soumise à cotisations.

*****************

En vertu de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, la déduction des frais professionnels de l'assiette de calcul des cotisations de sécurité sociale constitue une exception à la règle de l'assujettissement des sommes et avantages verses en contrepartie ou à l'occasion du travail.

Des lors, la qualification de remboursement de frais professionnels est retenue de façon limitative et doit répondre à la définition donnée par l'article 1 de l'arrêté du 20 décembre 2002 : les frais professionnels s'entendent des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou l'emploi du travailleur salarié ou assimilé que celui-ci supporte au titre de l'accomplissement de ses missions.

Il incombe ainsi à l'employeur de démontrer en quoi l'activité professionnelle de ses salariés a rendu nécessaire l'engagement de ces frais supplémentaires et d'en produire les justificatifs précis.

II résulte par ailleurs des articles 2 et 7 de l'arrêté interministériel du 20 décembre 2002, modifié par l'arrêté du 25 octobre 2005, dans leur version applicable au présent litige, que l'indemnisation des frais engagés par le travailleur salarié à des fins professionnelles pour l'utilisation des outils issus des nouvelles technologies de l'information et la communication (NTIC) s'effectue uniquement sous la forme du remboursement des dépenses réellement exposées ou, lorsque l'employeur ne peut en justifier, d'après la déclaration faite par les salaries évaluant le nombre d'heures d'utilisation à usage strictement professionnel de ces outils, dans la limite de 50 % de l'usage total. Cette indemnisation ne peut être évaluée forfaitairement.

En l'espèce, force est de constater que, si la société [5] fournit une note de service (sa pièce n°6) ainsi que les attestations de ses salariés (sa pièce n°7), et qu'elle justifie de la résiliation des lignes mobiles professionnelles de la société à compter d'août 2014 (ses pièces n°16 et 17), il ne résulte cependant aucunement de ces différents éléments la démonstration d'un usage professionnel des téléphones portables personnels des salariés dans les conditions règlementaires rappelées ci-dessus permettant une exception au principe de cotisation.

En effet, en l'absence de fourniture des abonnements téléphoniques de chacun des salariés concernés, en l'absence de mention de cette utilisation professionnelle des téléphones portables privés dans les contrats de travail de ses salariés, et en l'absence de justificatifs précis des conditions dans lesquelles intervient quotidiennement cet usage professionnel de moyen de communication personnel, il s'ensuit que la société [5] se montre défaillante dans la charge de la preuve qui lui incombe, et ce alors même qu'il résulte de ses propres déclarations qu'un tel usage professionnel des téléphones privés est pourtant indispensable à l'activité de l'entreprise.

Il apparaît ainsi qu'en l'absence d'éléments de preuve permettant de préciser exactement la réalité des frais supplémentaires nés de l'usage professionnel des téléphones portables personnels des salariés, le jugement doit donc être confirmé sur ce point.

SUR LE CHEF DE REDRESSEMENT N°2 : la prime de transport et l'indemnité kilométrique

La société [5] sollicite l'infirmation du jugement entrepris qui a validé ce chef de redressement. Elle fait valoir que, s'agissant du remboursement des frais de trajet domicile/travail de trois de ses salariés, en la personne de Messieurs [W] et [M] et de Madame [O], elle justifie de ce que les intéressés utilisent leurs véhicules personnels, et aucunement les véhicules de service comme allégué par l'URSSAF Lorraine, si bien que l'exonération de cotisations pour les indemnités kilométriques versées est fondée.

L'URSSAF Lorraine fait valoir que les salariés ayant l'autorisation d'utiliser les véhicules professionnels en dehors de leur activité professionnelle et de leur temps de travail, notamment pour regagner leurs domiciles, il en résulte que les montants versés pour compenser les frais de trajet domicile/travail ne peuvent être considérés comme ayant été utilisés conformément à leur objet, les salariés concernés n'ayant pas été exposés à des frais supplémentaires.

********************

Comme déjà rappelé ci-dessus, la déduction des frais professionnels de l'assiette de calcul des cotisations de sécurité sociale constitue une exception à la règle de l'assujettissement des sommes et avantages versés en contrepartie ou à l'occasion du travail. La qualification de remboursement de frais professionnels est donc retenue de façon limitative, à charge pour l'employeur de démontrer en quoi l'activité professionnelle de ses salariés a rendu nécessaire l'engagement de ces frais supplémentaires et d'en produire les justificatifs précis.

S'agissant plus particulièrement des frais de trajet domicile/travail, si l'employeur peut prendre en charge tout ou partie des frais de carburant engagés par le salarié pour son déplacement entre sa résidence habituelle et son lieu de travail, c'est à la condition que cette utilisation soit une nécessité absolue et que l'employeur justifie précisément de l'usage effectif des indemnités versées à ce titre conformément à leur objet.

Les sommes ainsi versées par l'employeur sont exonérées de toute cotisation d'origine légale ou d'origine conventionnelle rendue obligatoire par la loi dans la limite de 200 euros par an.

Au-delà de cette somme de 200 euros, est applicable le régime des frais professionnels, à savoir les indemnités kilométriques, ce qui est le cas en l'espèce et est non contesté par l'intimée.

Or, force est de constater que si la société [5] fait valoir une note de service du 14 mars 2007 interdisant l'usage des véhicules professionnels à des fins personnelles (sa pièce n°8) et indique louer des emplacements de parking pour le stationnement des véhicules professionnels la nuit et les fins de semaine (sa pièce n°9), il appert qu'elle ne produit aucun inventaire des véhicules professionnels utilisés par ses salariés, ni aucun carnet de bord concernant leur usage, si bien qu'elle ne démontre aucunement leur non-utilisation sur des trajets domicile/travail, outre le fait que la société [5] n'apporte par ailleurs aucun justificatif sur l'utilisation par ses salariés des primes de transport conformément à leur objet.

Ainsi, la société intimée se montrant défaillante dans la charge de la preuve qui lui incombe, c'est donc à bon droit que les premiers juges ont validé ce chef de redressement

SUR LE CHEF DE REDRESSEMENT N°3 : les frais d'entreprise et frais de restaurant

L'URSSAF Lorraine sollicite l'infirmation du jugement entrepris qui a reconnu l'existence d'un accord tacite résultant de deux précédents contrôles de la société [5] ayant donné lieu à deux lettres d'observations, en date des 2 septembre 2004 et 13 avril 2007. Elle fait valoir qu'il ne résulte aucunement des conditions de ces deux précédents contrôles que l'ensemble des points litigieux a été vérifié et validé par les inspecteurs.

La société [5] sollicite la confirmation du jugement entrepris. Elle soutient que, les inspecteurs de l'URSSAF ayant eu accès aux divers documents comptables et aux justificatifs des frais de remboursement lors des précédents contrôles, il s'ensuit un accord tacite de l'URSSAF sur la pratique de la société [5] s'agissant des frais de restauration de son gérant.

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Il est constant que, dès lors que l'organisme de recouvrement s'est abstenu de critiquer, à l'occasion d'un précédent contrôle la pratique, connue de lui, suivie par un employeur dans la détermination de l'assiette des cotisations, son silence équivaut à une acceptation implicite de la pratique en question.

Il incombe à l'employeur de préciser les éléments et les circonstances du contrôle de nature à caractériser la décision implicite de l'URSSAF, et notamment de rapporter la preuve d'une décision non équivoque de l'URSSAF approuvant la pratique litigieuse.

Il appartient alors aux juges du fond d'apprécier souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve qui leur sont soumis pour juger de l'existence d'un accord tacite.

Par ailleurs, il est rappelé que les frais de repas au restaurant constituent des avantages en nature soumis à cotisation, sauf si la qualification de frais professionnel est retenue, ce qui implique que ces frais doivent présenter un caractère exceptionnel, qu'ils ont été engagés dans l'intérêt de l'entreprise et qu'ils sont exposés en dehors de l'exercice normal de l'activité professionnelle.

En l'espèce, il apparaît que, lors des contrôles précédents ayant donné lieu à deux lettres d'observations, en date des 2 septembre 2004 et 13 avril 2007 (pièce n°10 de la société intimée), les inspecteurs ont, comme relevé par les premiers juges, consulté l'ensemble des pièces comptables nécessaires, ainsi que le grand livre des comptes. Cependant, cette seule constatation, en l'absence de la preuve que les pièces justificatives de remboursement des frais professionnels étaient alors strictement identiques, dans leur établissement, à celles ayant fait l'objet du présent contrôle, ne saurait démontrer l'existence d'un accord tacite.

Ainsi, la simple consultation des pièces comptables, et notamment des justificatifs de remboursement des frais professionnels lors des précédents contrôles par l'URSSAF, ne saurait donc donner lieu à l'existence d'un accord implicite concernant les frais de restaurant du gérant de la société [5], dès lors qu'il n'est pas démontré par l'intimé que l'URSSAF avait eu l'occasion de se prononcer, en toute connaissance de cause, sur cet item particulier dans des circonstances de fait parfaitement identiques.

En conséquence, le jugement entrepris est infirmé sur ce point, et ce chef de redressement validé pour un montant de 4115€, non contesté par la société intimée.

SUR LE CHEF DE REDRESSEMENT N°4 : l'assujettissement des stagiaires

La société [5] sollicite l'infirmation du jugement qui validé le chef de redressement concernant la soumission à cotisations de la gratification versée à un stagiaire, en la personne de Monsieur [Y]. Elle soutient que le statut de ce stagiaire entre dans les prévisions règlementaires donnant lieu à exonération de cotisations.

L'URSSAF Lorraine sollicite la confirmation du jugement entrepris. Elle fait valoir que le stagiaire ayant en l'espèce le statut de la formation professionnelle, la gratification qui lui a été versée n'entre pas dans les sommes soumises à exonération.

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En application de l'article L. 242-4-2 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au présent litige, ne sont pas soumis à cotisation les gratifications versées aux stagiaires tels que définis à l'article L 412-8, 2°, a, b et f du code de la sécurité sociale, à savoir :

*les étudiants ou les élèves des établissements d'enseignement techniques,

*les élèves des établissements d'enseignement secondaire ou d'enseignement spécialisé et les étudiants autres que ceux mentionnés ci-dessus,

*les personnel, non mentionnés aux deux points précédents, qui effectuent, dans un organisme public ou privé, un stage d'initiation, de formation ou de complément de formation professionnelle ne faisant pas l'objet d'un contrat de travail et n'entrant pas dans le cadre de la formation professionnelle continue telle que définie par le livre IX, partie VI nouveau du code du travail.

En l'espèce, il est expressément mentionné dans la convention de stage en entreprise tripartite de Monsieur [Y] que celui-ci a le statut de stagiaire de la formation professionnelle tel que défini à l'article L. 6313-1 du code du travail qui définit les actions de formation qui entrent dans le champ d'application des dispositions relatives à la formation professionnelle continue.

Dès lors, la gratification versée à Monsieur [Y] est soumise à cotisations. Dans ces conditions, ce chef de redressement sera confirmé.

SUR LE CHEF DE REDRESSEMENT N°5 : les frais de repas conventionnels

La société [5] sollicite l'infirmation du jugement entrepris, faisant valoir qu'elle a versé les indemnités de repas concernées conformément aux dispositions de la convention professionnelle qui est obligatoire et qui prend en compte le fait que les salariés, étant à la disposition permanente de l'entreprise, ils ne rentrent pas chez eux pour manger. Elle souligne avoir produit l'ensemble des documents mettant ainsi en avant les déplacements effectifs de ses salariés et l'impossibilité dans laquelle ils se trouvaient de regagner leurs domiciles.

L'URSSAF Lorraine sollicite la confirmation du jugement, soulignant que, contrairement aux dires de la société [5], celle-ci s'est trouvée dans l'incapacité de démontrer que les conditions d'exonération étaient remplies s'agissant du versement des indemnités de repas conventionnelles.

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En vertu de l'article L.242-1 du code de la sécurité sociale, la déduction des frais professionnels de l'assiette de calcul des cotisations de sécurité sociale constitue une exception à la règle de l'assujettissement des sommes et avantages versés en contrepartie ou à l'occasion du travail.

Des lors, la qualification de remboursement de frais professionnels est retenue de façon limitative et doit répondre à la définition donnée par l'article 1 de l'arrêté du 20 décembre 2002 : les frais professionnels s'entendent des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l'emploi du travailleur salarié ou assimilé que celui-ci supporte au titre de l'accomplissement de ses missions.

Ainsi, les indemnités de repas sont des frais professionnels lorsque le salarié est en déplacement professionnel et empêché de regagner sa résidence ou son lieu de travail habituel, et lorsque le montant versé ne dépasse pas une certaine limite.

Par ailleurs, il sera rappelé que l'URSSAF est seule compétente pour analyser le régime social d'une indemnité versée en application stricte des seules dispositions du droit de la sécurité sociale, et qu'ainsi, le fait que le cotisant ait respecté les dispositions conventionnelles applicables ne peut la lier.

En l'espèce, la société [5] produit les agendas des interventions prises en charge (sa pièce n°13) ainsi qu'un récapitulatif annuel, pour les années 2014 et 2015, détaillant pour chaque heure les déplacements effectués par les véhicules professionnels, et montrant ainsi les créneaux horaires les plus utilisés (sa pièce n°14).

Or, force est de constater que, comme relevé par les premiers juges, ces deux documents ne permettent pas d'identifier que chaque salarié concerné par le versement d'une indemnité de repas était en déplacement professionnel et dans l'incapacité de regagner son domicile. Ainsi, les agendas des interventions indiquent uniquement les heures de rendez-vous et l'identité des clients sans qu'il soit possible d'en extraire le nom du salarié ayant effectué chaque intervention, ni l'horaire de fin d'intervention, ni le lieu de départ et d'arrivée. Quant à l'état récapitulatif versé, il mentionne uniquement pour chaque type de véhicule le nombre d'utilisations annuelles par plage horaire, sans que le nom des intervenants n'y figure.

Par ailleurs, le fait que la société [5] ait versé les indemnités repas en application de la convention collective, laquelle prend en compte la mise à disposition permanente des salariés, est sans emport sur le présent litige, dès lors qu'il n'est pas reproché à l'employeur d'avoir versé des indemnités à hauteur du montant, plus avantageux pour les salariés, prévu par la convention collective, mais seulement de ne pas avoir soumis à cotisations sociales le montant des indemnités de repas dès lors qu'elle se montrait dans l'incapacité de démontrer que les conditions d'exonération étaient remplies.

Le chef de redressement est validé et le jugement est confirmé sur ce point.

SUR LE CHEF DE REDRESSEMENT N°6 : la prise en charge par la société des contraventions

La société [5] sollicite l'infirmation du jugement qui a confirmé ce chef de redressement. Elle fait valoir l'existence d'un accord tacite résultant des deux précédents contrôles, et souligne que, seul le gérant de la société ayant commis des contraventions à l'occasion de déplacements professionnels, contraventions inévitables et prises en charge par la société, l'exonération de cotisations est justifiée.

L'URSSAF Lorraine sollicite la confirmation du jugement. Elle fait valoir que les conditions de la reconnaissance d'un accord tacite ne sont pas réunies et que la société [5] ne rapporte aucunement ni preuve que seul son gérant est concerné par les contraventions en cause, ni la preuve que les contraventions ont été commises à l'occasion de l'activité professionnelle.

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Sur l'accord tacite :

Comme déjà rappelé, quand l'employeur invoque l'existence d'un accord tacite de l'URSSAF, il lui incombe de préciser les éléments et les circonstances du contrôle de nature à caractériser la décision implicite de l'URSSAF, et notamment de rapporter la preuve d'une décision non équivoque de l'URSSAF approuvant la pratique litigieuse.

En l'espèce, il ressort des deux précédentes lettres d'observations en date des 2 septembre 2004 et 13 avril 2007 (pièce n°10 de l'intimée) que la société [5] n'avait alors fait l'objet d'aucune observation. Il apparait surtout que la lecture des documents consultés à l'occasion de ces deux contrôles ne permet aucunement d'établir que l'URSSAF avait eu l'occasion d'étudier précisément la pratique de la société concernant les condamnations au paiement d'une amende.

De même, la seule lecture du grand livre ' comptes généraux (sa pièce n°11), contrairement aux dires de l'intimée, est insuffisante à établir que l'URSSAF Lorraine s'est prononcée en connaissance de cause sur ce point, en l'absence d'éléments plus précis sur l'identité du contrevenant et les circonstances de la seule contravention qui figure sur cette pièce pour l'année 2006.

Ainsi, la société [5] ne rapportant aucun autre élément permettant d'établir avec certitude que l'URSSAF avait, lors des précédents contrôles, approuvé la pratique litigieuse sur ce point, ce moyen est rejeté.

Sur le bien-fondé du redressement :

Il est constant que la prise en charge par l'employeur des amendes réprimant une contravention au code de la route commise par un salarié de l'entreprise hors du cadre de son activité professionnelle constitue un avantage soumis à cotisations. L'amende infligée à l'occasion de la conduite d'un véhicule dans le cadre des activités et déplacements professionnels, et prise en charge par l'employeur, constitue en revanche une charge d'exploitation de l'entreprise, et sa prise en charge par l'employeur ne constitue pas un avantage soumis à contribution, à condition que soit démontrée l'utilisation du véhicule à l'occasion de l'activité professionnelle.

En l'espèce, il ressort de la lecture du dossier, qu'en dehors des affirmations de la société [5], aucune pièce du dossier ne vient démontrer que les amendes concernées par le redressement ont été commises par son gérant à l'occasion de son activité professionnelle.

D'abord, la seule circonstance que la société ait pour règle de ne pas prendre en charge les contraventions de ses salariés ne constitue pas une preuve suffisante que les amendes en cause ont nécessairement été commises par son gérant.

Ensuite, la liste des amendes prises en compte par l'URSSAF, telle que versée au dossier par l'intimée (sa pièce n°15), n'établit nullement, en l'absence notamment du nom du contrevenant et des circonstances précises des contraventions, que ces dernières ont été commises à l'occasion de déplacements professionnels par le gérant de la société.

Il s'ensuit que, faute pour l'intimée d'établir l'identité du contrevenant et le contexte professionnel des amendes prises en compte par l'URSSAF lors des opérations de contrôle, ce chef de redressement est validé et le jugement confirmé sur ce point.

SUR L'ANNULATION DE LA CONTRAINTE

L'URSSAF Lorraine fait grief aux premiers juges d'avoir annulé la contrainte délivrée à l'encontre de la société [5] au regard de l'infirmation d'un seul des chefs de redressement, et ce alors même qu'il leur appartenait de corriger ladite contrainte, en réduisant à hauteur du redressement annulé le montant total de la créance.

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La cour ayant infirmé le jugement entrepris qui avait annulé le chef de redressement n°3 relatif aux frais de restauration/frais d'entreprise pour un montant de 4115€, il en résulte que, aucun moyen de nullité n'étant par ailleurs soulevé contre la contrainte délivrée par l'URSSAF le 16 mai 2017, celle-ci doit être validée pour son entier montant initial, soit la somme de 13 828 euros en cotisations et majorations de retard, sans préjudice des majorations de retard complémentaires qui seront décomptées au jour du règlement intégral du rappel de cotisations.

Il apparaît également, compte tenu de l'issue du litige, que la SARL [5] doit être condamnée aux frais de signification de la contrainte.

SUR LES AUTRES DEMANDES

La société [5] succombant en cause d'appel, elle sera déboutée de sa demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et condamnée à payer à l'URSSAF Lorraine la somme de 1500€ au titre dudit article.

L'issue du litige conduit enfin la cour à condamner la société [5] aux dépens de première instance nés à compter du 1er janvier 2019, ainsi qu'aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

INFIRME le jugement entrepris du pôle social du tribunal judiciaire de Metz en date du 19 juillet 2019 en ce qu'il a :

- Annulé le chef de redressement n°3 relatif aux frais de restauration/frais d'entreprise pour un montant de 4115€,

- Annulé la contrainte délivrée le 16 mai 2017 par l'URSSAF Lorraine pour un montant de 13 828 euros,

- Débouté l'URSSAF Lorraine de sa demande de condamnation aux frais d'huissier,

- Laissé à la charge de chacune des parties les dépens engagés par elles ;

CONFIRME le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur les points infirmés :

VALIDE le chef de redressement n°3 relatif aux frais de restauration/frais d'entreprise pour un montant de 4115€,

VALIDE la contrainte n°40857245 délivrée le 16 mai 2017 par l'URSSAF Lorraine à l'encontre de la société [5] pour un montant de 13 828 euros en cotisations et majorations de retard, sans préjudice des majorations de retard complémentaires qui seront décomptées au jour du règlement intégral du rappel de cotisations,

CONDAMNE la société [5] aux frais de signification de la contrainte n°40857245 délivrée le 16 mai 2017,

DEBOUTE la société [5] de sa demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [5] à payer à l'URSSAF Lorraine la somme de 1500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [5] aux dépens de première instance nés à compter du 1er janvier 2019, ainsi qu'aux dépens d'appel.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 3
Numéro d'arrêt : 23/01471
Date de la décision : 27/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-27;23.01471 ?
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