La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/05/2024 | FRANCE | N°22/01702

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 3, 27 mai 2024, 22/01702


Arrêt n° 24/00261



27 Mai 2024

---------------

N° RG 22/01702 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FYUL

------------------

Pole social du TJ de METZ

20 Mai 2022

19/01968

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ



CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale





ARRÊT DU



vingt sept Mai deux mille vingt quatre







APPELANTE :



Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [

Localité 6]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par M. [H], muni d'un pouvoir spécial



INTIMÉE :



S.A.S. [3] VENANT AUX DROITS D'[2]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par Me Frédéric BEAUPRE, avocat au...

Arrêt n° 24/00261

27 Mai 2024

---------------

N° RG 22/01702 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FYUL

------------------

Pole social du TJ de METZ

20 Mai 2022

19/01968

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt sept Mai deux mille vingt quatre

APPELANTE :

Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 6]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par M. [H], muni d'un pouvoir spécial

INTIMÉE :

S.A.S. [3] VENANT AUX DROITS D'[2]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par Me Frédéric BEAUPRE, avocat au barreau de METZ substitué par Me SALQUE , avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Mars 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Anne FABERT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Mathilde TOLUSSO,

ARRÊT : contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Mme Sylvie MATHIS, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [P] [T], né le 5 septembre 1944, a travaillé dans le domaine de la sidérurgie du 10 décembre 1969 au 5 septembre 1999, en occupant les postes suivants :

du 10 décembre 1969 au 31 mars 1988 : fondeur (société [11]) ;

du 1er avril 1988 au 31 décembre 1988 : premier fondeur (société [4]) ;

du 1er janvier 1989 au 31 décembre 1989 : premier fondeur (société [7]) ;

du 1er janvier 1990 au 30 juin 1996 : premier fondeur (société [7]) ;

du 1er juillet 1996 au 5 septembre 1999 : agent de parc (société [10] à [Localité 9]).

Le 5 juin 2018, Monsieur [P] [T] a demandé à la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6] (ci-après la Caisse ou CPAM) la reconnaissance de sa maladie « cancer de la vessie » comme maladie professionnelle, en joignant à sa demande un certificat médical établi le 18 juin 2018 par le docteur [E] [Z].

Après instruction de la demande de reconnaissance et avis du CRRMP (Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles) de [Localité 8] du 11 juin 2019, la Caisse a, par décision du 15 juillet 2019, admis le caractère professionnel de la pathologie de maladie de Monsieur [P] [T] inscrite au tableau 16 bis des maladies professionnelles.

La société [2] (ci-après la société [2]) a saisi la Commission de recours amiable (CRA) de la caisse pour contester l'opposabilité de cette décision de prise en charge, qui par décision du 21 novembre 2019 a rejeté sa demande.

La société [2] a, suivant requêtes des 28 novembre 2019 et 16 janvier 2020, saisi le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz d'un recours contentieux contre cette décision.

Par jugement prononcé le 20 mai 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz a :

déclaré inopposable à la société [2] la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur [P] [T] rendue par la CPAM de [Localité 6] en date du 15 juillet 2019,

infirmé la décision de la Commission de recours amiable de la Caisse du 21 novembre 2019,

condamné la CPAM de [Localité 6] aux frais et dépens engagés à compter du 1er janvier 2019.

Par courrier recommandé expédié le 14 juin 2022, la CPAM de [Localité 6], a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 24 mai 2022.

Par conclusions datées du 23 février 2024 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de [Localité 6] demande à la cour de :

déclarer son recours recevable et bien fondé ;

infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

déclarer opposable à la société [3] la décision de la CPAM reconnaissant le caractère professionnel de la maladie de Monsieur [P] [T],

Le cas échéant

déclarer irrecevable la demande de la société [3] tendant à voir imputées au compte spécial les conséquences financières de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur [P] [T],

En tout état de cause

débouter la société [3] de l'ensemble de ses demandes.

Par conclusions datées du 5 mars 2024 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son conseil, la société [3] (ci-après la société [3]) venant aux droits d'[2] demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

dire la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de Monsieur [P] [T] inopposable à la société [3] venant aux droits de la société [2].

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.

SUR CE,

SUR LE RESPECT DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE :

La société [3], venant aux droits de la société [2], sollicite la confirmation du jugement entrepris. Elle indique que la CPAM de [Localité 6] ne lui a pas transmis la copie du certificat médical initial et qu'aucune information concernant le tableau de maladie professionnelle ne lui a été transmise durant l'instruction. Elle souligne qu'en l'absence du numéro du tableau des maladies professionnelles visé, elle n'avait pas connaissance des produits, ainsi que des travaux qui auraient causé la maladie professionnelle de Monsieur [P] [T] et n'a pas été en mesure de faire valoir ses arguments. Par conséquent, la Caisse a violé le principe du contradictoire et la décision de prise en charge doit lui être déclarée inopposable.

Elle ajoute que le principe du contradictoire a également été bafoué par le CRRMP, alors que ce dernier a délivré son avis sur base des seuls éléments fournis par le salarié.

La CPAM de [Localité 6] soutient que c'est à tort que les premiers juges ont fait droit à la demande d'inopposabilité de prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur [P] [T]. Elle précise qu'elle a transmis la déclaration de maladie professionnelle remplie par Monsieur [P] [T], ainsi que le certificat médical initial du 18 juin 2018 à la société [3], venant aux droits de la société [2], dès le 20 août 2018. Elle déclare que la pathologie « cancer de la vessie » est visée par deux tableaux de maladies professionnelles : 15 ter et 16 bis, mais que le tableau n°16 bis est plus restrictif, prévoit une liste limitative de travaux susceptibles d'être à l'origine de l'affection professionnelle et concerne des pathologies dont souffrent principalement les personnes employées dans les domaines de la fonderie et des cokeries. Elle expose qu'elle a interrogé la Caisse régionale d'assurance maladie par rapport aux conditions du tableau n°16 bis des maladies professionnelles et que l'enquête administrative a été menée sur base dudit tableau.

Concernant les reproches formulés à l'encontre du CRRMP, la Caisse rétorque que l'employeur ne justifie pas des éléments qu'il aurait souhaité transmettre, alors qu'il avait été invité à participer à l'enquête, sans réponse.

**********

L'article R 441-11 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que « II.- La victime adresse à la caisse la déclaration de maladie professionnelle. Un double est envoyé par la caisse à l'employeur à qui la décision est susceptible de faire grief par tout moyen permettant de déterminer sa date de réception. L'employeur peut émettre des réserves motivées. La caisse adresse également un double de cette déclaration au médecin du travail.

III.- En cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés. Une enquête est obligatoire en cas de décès ».

Afin de respecter le principe du contradictoire dans l'instruction de la demande, si l'organisme social instruit la demande de prise de prise en charge d'une maladie professionnelle sans être tenu par le tableau visé par la déclaration, il lui appartient cependant d'informer l'employeur d'un changement de qualification de la maladie.

Par ailleurs, il résulte de la combinaison des articles L.461-1, D.461-29 et D.461-30 du code de la sécurité sociale, qu'en cas de saisine d'un CRRMP dont l'avis s'impose à la Caisse, l'information du salarié, de ses ayants droit et de l'employeur sur la procédure d'instruction et sur les points susceptibles de faire grief s'effectue avant la transmission du dossier audit comité.

Ainsi, le caractère contradictoire de la procédure prévue par l'article D.461-29 du code de la sécurité sociale est respecté lorsque l'employeur a été préalablement avisé de la saisine du CRRMP, qu'il a pu faire connaître ses observations en temps utiles et que ces dernières ont été transmises avec le dossier audit comité afin que celui-ci puisse émettre un avis.

En l'espèce, Monsieur [P] [T] a adressé une déclaration de maladie professionnelle pour un « cancer de la vessie » le 5 juin 2018, en y joignant un certificat médical établi le 18 juin 2018 mentionnant un « cancer de la vessie découvert suite saignement le 21/11/2017 opération prévue probable origine professionnelle ».

La Caisse a transmis la déclaration à la société [2] le 20 août 2019, avec le certificat médical initial, sans mentionner le tableau à partir duquel elle entendait instruire le dossier. Il est établi que l'employeur a eu connaissance du certificat médical initial du 18 juin 2018 contrairement à ses allégations, ce dernier respectant les dispositions de l'article L.461-5 du code de la sécurité sociale.

Par la suite, selon courrier du 3 janvier 2019, la Caisse a informé l'employeur de la possibilité de consulter le dossier d'instruction et de formuler des observations avant qu'il ne soit transmis au CRRMP (pièce n°9 de la Caisse). Le courrier est rédigé comme suit :

« J'ai procédé à l'étude de la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie (cancer de la vessie) déclarée par votre salarié(e) [P] [T] le 18 juin 2018.

Je vous précise que cette demande a été examinée dans le cadre des tableaux de maladies professionnelles (articles L.461-1 et L.461-2 du code de la sécurité sociale).

La reconnaissance n'a pu aboutir, la condition relative à la liste limitative des travaux fixée au tableau n'étant pas remplie.

Le dossier va désormais être soumis à l'avis des experts du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).

Avant la transmission au CRRMP, vous avez la possibilité de venir consulter les pièces constitutives du dossier jusqu'au 23 janvier 2019.

Pendant cette période, vous pouvez également formuler des observations qui seront annexées au dossier ['] ».

L'employeur a ainsi bénéficié de la possibilité d'accéder au dossier d'instruction de la Caisse avant qu'il ne soit transmis au CRRMP.

L'enquête administrative menée par la Caisse relève que cette dernière a instruit le dossier en vérifiant si la pathologie de Monsieur [P] [T] remplissait bien les conditions posées par le tableau n°16 bis des maladies professionnelles (pièces n°5 à 8 de la Caisse).

Par ailleurs, même si la Caisse n'a pas fait usage de la terminologie des tableaux de maladies professionnelles pour désigner la pathologie dont est atteint Monsieur [P] [T], soit le cancer de la vessie, il n'en demeure pas moins qu'en faisant référence à la liste limitative des travaux fixée au tableau des maladies professionnelles, la Caisse a dès lors clairement désigné le tableau n°16 bis.

Ainsi, les termes employés dans la lettre d'information de saisine du CRRMP permettaient à l'employeur de se convaincre de la nature de la pathologie et du tableau sur la base duquel la prise en charge était susceptible d'intervenir.

Les décisions citées par la société [3], venant aux droits de la société [2], ne sont pas transposables en l'espèce, dès lors qu'elles concernent des cas dans lesquels la Caisse commence l'instruction du dossier en vertu d'un tableau avant de changer le tableau désigné.

Or, en l'espèce, aucun tableau n'était désigné dans la déclaration de maladie professionnelle et l'instruction menée par la Caisse avait pour but de déterminer si la maladie pouvait correspondre aux critères d'un tableau de maladies professionnelles.

Concernant l'instruction menée au sein du CRRMP, il est constant que la Caisse a invité l'employeur à consulter le dossier d'instruction et, le cas échéant, à transmettre ses observations, avant sa transmission au CRRMP (pièce n°9 de la Caisse).

Par courrier du 7 janvier 2019, la société [2] a d'ailleurs répondu à la correspondance de la Caisse en fournissant certaines informations sur la carrière de Monsieur [P] [T], et en émettant des réserves sur le lien de causalité entre les conditions de travail au sein de l'établissement et la pathologie déclarée par le salarié (pièce n°7 de l'employeur).

Ainsi, l'employeur ne saurait reprocher au CRRMP de ne pas avoir pris en compte ses éléments, alors qu'il n'a pas transmis de documents, autres que des réserves libellées en termes généraux à la Caisse.

Par conséquent, au regard des éléments qui précèdent, la CPAM de [Localité 6] a respecté le principe du contradictoire et le jugement entrepris est infirmé.

SUR LE RESPECT DES DELAIS D'INSTRUCTION :

La société [3], venant aux droits de la société [2], soulève l'absence de justification du délai complémentaire auquel a eu recours la caisse, ainsi que le non-respect du délai d'instruction, dès lors notamment que la décision finale de prise en charge a été prise le 15 juillet 2019 en dehors des délais fixés par l'article R. 441-10 du code de la sécurité sociale, et en l'absence de justification d'un motif rendant nécessaire la prolongation de trois mois du délai d'instruction telle que prévue à l'article R. 441-14 du même code.

La caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6] indique qu'elle s'est bien prononcée dans les délais impartis puisqu'elle a notifié une décision de refus provisoire le 24 janvier 2019.

**********************

Il résulte des dispositions du premier alinéa de l'article R.441-10 du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur du 10 juin 2016 au 1er décembre 2019 que :

« La caisse dispose d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration d'accident et le certificat médical initial ou de trois mois à compter de la date à laquelle elle a reçu le dossier complet comprenant la déclaration de la maladie professionnelle intégrant le certificat médical initial et le résultat des examens médicaux complémentaires le cas échéant prescrits par les tableaux de maladies professionnelles pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie ».

L'article R.441-14 du même code, dans sa version applicable aux faits, ajoute dans son premier alinéa que :

« Lorsqu'il y a nécessité d'examen ou d'enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l'employeur avant l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article R. 441-10 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. A l'expiration d'un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d'accidents du travail ou trois mois en matière de maladies professionnelles à compter de la date de cette notification et en l'absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu ».

En l'espèce, il n'est pas contesté que le premier délai de trois mois imparti à la CPAM de [Localité 6] pour statuer a commencé à courir le 31 juillet 2018.

Il ressort des pièces produites aux débats par les parties que pendant le délai susvisé, et en l'occurrence par courrier du 29 octobre 2018 (pièce n°4 de la Caisse), la Caisse a notifié à la société [2], un délai complémentaire d'instruction, lequel apparaissait totalement justifié, ceci alors que l'instruction était toujours en cours et que la Caisse n'avait pas réceptionné plusieurs documents essentiels, notamment la réponse de l'ingénieur-conseil de la CARSAT.

Ainsi, il est constant qu'avant l'expiration du délai complémentaire imparti pour statuer, soit le 29 janvier 2019, la Caisse a notifié le 24 janvier 2019 une décision de refus conservatoire de prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur [P] [T], dans l'attente de l'avis du CRRMP (pièce n°12 de la Caisse).

En tout état de cause, la cour se permet de rappeler qu'aux termes des articles susvisés, l'employeur ne peut se prévaloir de l'inobservation, par la Caisse, du délai de trois mois dans la limite duquel elle est supposée statuer, alors que cette inobservation n'est sanctionnée que par la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie à l'égard de la victime.

Ainsi, la société [3], venant aux droits de la société [2], n'est pas fondée à soulever l'éventuelle inobservation du délai d'instruction par la Caisse au soutien de sa demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle prise par cette dernière.

Au regard des éléments qui précèdent, il est constant que la Caisse a bien statué dans les délais prescrits par les articles R.441-10 et R.441-14 du code de la sécurité sociale précités. Partant, le moyen tiré du non-respect des délais d'instruction est rejeté.

SUR L'EXPOSITION PROFESSIONNELLE AU RISQUE :

La CPAM de [Localité 6] estime avoir apporté la preuve que les conditions légales pour établir l'origine professionnelle de la maladie de Monsieur [P] [T] sont réunies.

Elle précise que la présomption d'imputabilité ne s'applique pas alors que les conditions de travail de Monsieur [P] [T], telles qu'elles résultent de l'enquête, ne correspondent pas aux travaux limitativement énumérés au tableau n°16 bis. Elle ajoute que c'est pour ce motif que le CRRMP a été saisi, ce dernier ayant émis un avis favorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie dont est atteint Monsieur [P] [T].

La société [3], venant aux droits de la société [2], souligne que la Caisse n'apporte pas la preuve de l'exposition de Monsieur [P] [T] au risque du tableau n°16 bis C, et que les seules déclarations de la victime ne sont pas suffisantes pour démontrer cette exposition.

Elle indique que le CRRMP a retenu l'existence d'un lien direct et certain entre la pathologie déclarée par Monsieur [P] [T] et son activité professionnelle, alors qu'elle a retenu une exposition habituelle aux hydrocarbures aromatiques polycycliques issus de la dégradation thermique de dérivés de houille, alors qu'il ne s'agit pas du risque visé par le tableau n°16 bis. En effet, le tableau n°16 bis ne vise que les goudrons de houille, les huiles de houille, les brais et houille et les suies de combustion du charbon et qu'aucune pièce ne démontre que Monsieur [P] [T] a été exposé aux produits susvisés.

**********************

Aux termes des articles L. 461-1 et R.461-8 du code de la sécurité sociale, dans leur version applicable au litige, « est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.

Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L 434-2 et au moins égal à 25%.

Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L 315-1 ».

Le tableau 16 bis des maladies professionnelles vise les affections cancéreuses provoquées par les goudrons de houille, les huiles de houille, les brais de houille et les suies de combustion du charbon, dont la maladie désignée en C : tumeur primitive de l'épithélium urinaire confirmée par examen histopathologique ou cytopathologique.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la maladie dont se trouve atteint Monsieur [P] [T] répond aux conditions médicales du tableau n°16 bis. Seule est contestée l'exposition du salarié aux risques dudit tableau, soit les goudrons de houille, les huiles de houille, les brais de houille et les suies de combustion du charbon.

S'agissant de l'exposition au risque, il appartient à l'assuré, ou à la CPAM en sa qualité de subrogé dans les droits de son assuré, de rapporter la preuve d'une exposition effective, habituelle au risque prévu par le tableau, en l'occurrence l'exposition aux goudrons de houille, huiles de houille, brais de houille et suies de combustion du charbon.

Il ressort des éléments du dossier que Monsieur [P] [T] a occupé les postes suivants : fondeur, premier fondeur, puis agent de parc (pièce n°7 de la Caisse) et que la société [3], venant aux droits de la société [2], reconnaît avoir la qualité d'employeur du salarié.

Dans le cadre de l'instruction de sa demande de reconnaissance, Monsieur [P] [T] a décrit les tâches exécutées dans le cadre de son activité professionnelle :

« Je décrassais les rigoles de coulée à l'aide d'une barre d'acier, je débarrassais le trou de coulée de tout ce qui pouvait gêner l'écoulement de la fonte. Il fallait surveiller l'écoulement. ['] J'ai été exposé aux émanations de vapeur de goudron ['] L'environnement était pollué par l'émanation de vapeurs de goudron et fuel utilisés pour la mise en température pour nettoyer les rigoles ».

La CARSAT, interrogé par la Caisse, a confirmé dans un courrier électronique du 13 décembre 2018 que « Monsieur [P] [T] a pu être exposé aux facteurs de risques énumérés au tableau 16 bis des maladies professionnelles » (pièce n°6 de la Caisse).

Monsieur [P] [T] ne remplissant pas les conditions de travaux limitativement énumérées au tableau n°16 bis, le CRRMP de [Localité 8], amené à se prononcer sur le caractère professionnel de la maladie a rendu un avis motivé comme suit :

« Monsieur [T] a exercé en tant que fondeur de 1969 à 1994.

Les éléments de l'enquête administrative sont en faveur, tout au long de cette période, d'une exposition habituelle aux hydrocarbures aromatiques polycycliques issus de la dégradation thermique de dérivés de houille (travaux de coulée, pose de « masse à boucher », nettoyage et réfection des rigoles de coulée').

En conséquence les membres du CRRMP estiment qu'un lien direct peut être établi entre la pathologie présentée et l'activité professionnelle exercée ».

La société [3], venant aux droits de la société [2], si elle conteste l'exposition de Monsieur [P] [T], ne fournit aucun élément pour contredire les travaux exécutés par le salarié tels qu'ils résultent de son audition. Elle ne sollicite d'ailleurs pas la désignation d'un second CRRMP dans ses écritures.

En conséquence, et en l'absence d'éléments remettant en cause le lien direct retenu par le CRRMP entre le travail habituel du salarié et son activité professionnelle, il y a lieu de déclarer la décision de prise en charge de la maladie de Monsieur [P] [T] rendue le 15 juillet 2019 par la Caisse opposable à la société [3], venant aux droits de la société [2].

SUR L'INSCRIPTION AU COMPTE SPECIAL :

La demande de l'employeur tendant à l'inscription des conséquences pécuniaires de la maladie professionnelle de Monsieur [P] [T] au compte spécial, en raison de la pluralité d'employeurs, relève de la seule compétence de la juridiction du contentieux de la tarification de l'assurance des accidents du travail et des maladies professionnelles désignée par l'article D. 311-12 du code de l'organisation judiciaire.

La cour n'étant pas compétente pour trancher la demande de la société [3], venant aux droits de la société [2], sa demande est rejetée.

SUR LES DEPENS :

Le jugement entrepris est infirmé en ce qu'il a condamné la CPAM de [Localité 6] aux dépens de première instance engagés à compter du 1er janvier 2019.

L'issue du litige conduit la cour à condamner la société [3], venant aux droits de la société [2], aux dépens de première instance, ainsi qu'aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement entrepris du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz du 20 mai 2022,

Statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés,

DEBOUTE la société [3], venant aux droits de la société [2] de sa demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la pathologie inscrite au tableau n°16 bis dont est atteint Monsieur [P] [T] rendue le 15 juillet 2019,

DECLARE opposable à la société [3], venant aux droits de la société [2] ladite décision de l'organisme de sécurité sociale,

DEBOUTE la société [3], venant aux droits de la société [2] de sa demande d'inscription des conséquences financières de la maladie dont est atteint Monsieur [P] [T] au compte spécial,

CONDAMNE la société [3], venant aux droits de la société [2] aux dépens de première instance et à ceux d'appel.

La Greffière, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 3
Numéro d'arrêt : 22/01702
Date de la décision : 27/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-27;22.01702 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award