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27/05/2024 | FRANCE | N°22/01192

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 3, 27 mai 2024, 22/01192


Arrêt n° 24/00242



27 Mai 2024

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N° RG 22/01192 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FXPU

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Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social



06 Avril 2022

18/01301

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ



CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale



ARRÊT DU



vingt sept Mai deux mille vingt quatre





APPELANTE :



CAISSE AUTONOME NATIONALE DE LA SECURITE

SOCIALE DANS LES MINES - CANSSM

ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur

et pour adresse postale

L'Assurance Maladie des Mines

[Adresse 7]

[Localité 2]

...

Arrêt n° 24/00242

27 Mai 2024

---------------

N° RG 22/01192 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FXPU

------------------

Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social

06 Avril 2022

18/01301

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt sept Mai deux mille vingt quatre

APPELANTE :

CAISSE AUTONOME NATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE DANS LES MINES - CANSSM

ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur

et pour adresse postale

L'Assurance Maladie des Mines

[Adresse 7]

[Localité 2]

représentée par Mme [M], munie d'un pouvoir général

INTIMÉE :

L'ETAT représenté par l'Agence Nationale pour la garantie des droits des mineurs ANGDM-

Établissement public à caractère administratif

service AT/MP [Localité 4]

ayant siège social

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Laure HELLENBRAND, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Janvier 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Anne FABERT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [C] [V], né le 5 août 1959, a travaillé pour le compte des [5] ([5]), devenues par la suite l'établissement public Charbonnages de France (CDF), du 10 décembre 1979 au 11 décembre 1979, puis du 18 avril 1983 au 19 août 2004.

Durant cette période, il a occupé les postes suivants :

du 10/12/1979 au 11/12/1979 et du 18/04/1983 au15/05/1983 : apprenti-mineur (fond),

du 16/05/1983 au 30/08/1983 : apprenti-mineur compagnonnage (fond),

du 01/07/1983 au 30/09/1983 : bowetteur ouvrages spéciaux rocher travaux rocher (fond),

du 01/10/1983 au 31/01/1985 : bowetteur galerie horizontale travaux rocher (fond),

du 01/02/1985 au 31/07/1985 : bowetteur plan montant descenderie travaux rocher (fond),

du 01/08/1985 au 31/01/1987 : bowetteur galerie horizontale travaux rocher (fond),

du 01/02/1987 au 31/05/1987 : bowetteur plan montant descenderie travaux rocher (fond),

du 01/08/1987 au 30/04/1988 : bowetteur galerie horizontale travaux rocher (fond),

du 01/05/1988 au 31/12/1995 : bowetteur plan montant descenderie travaux rocher (fond),

du 01/01/1996 au 31/10/2001 : bowetteur tous ouvrages (fond),

du 01/11/2001 au 19/08/2004 : laveur (jour),

du 20/08/2004 au 31/03/2005 : laveur (personnel en CET).

Il a bénéficié d'un congé charbonnier fin de carrière du 1er avril 2005 au 30 avril 2012.

En date du 1er janvier 2008, l'établissement des CDF a été dissous et mis en liquidation. Ses biens, droits et obligations ont été transférés à l'État, représenté par l'Agence Nationale pour la Garantie des Droits des Mineurs (ci-après ANGDM), qui intervient au nom et pour le compte du liquidateur des CDF.

Le 2 mars 2015, M. [V] a déclaré à l'Assurance Maladie des Mines (ci-après la Caisse ou CANSSM) une maladie professionnelle inscrite au tableau n°30B des maladies professionnelles, en joignant à sa demande de reconnaissance un certificat médical initial établi par le Docteur [D] le 14 janvier 2015, faisant état d'une « atteinte pleurale bénigne ' plaques ».

La Caisse a diligenté une instruction et interrogé l'assuré, ainsi que l'État, représenté par l'ANGDM, sur les risques d'exposition professionnelle à l'inhalation de poussières d'amiante.

Par décision du 3 juillet 2015, la Caisse a admis le caractère professionnel de la pathologie de M. [V] au titre du tableau n°30B des maladies professionnelles.

Contestant cette décision, l'État, représenté par l'ANGDM, a saisi la Commission de recours amiable en inopposabilité de la décision de prise en charge par lettre recommandée datée du 8 juillet 2015. Le Conseil d'administration de la Caisse, statuant sur renvoi de la Commission de recours amiable en raison d'un partage des voix, a rejeté sa requête par décision n°2575 du 21 décembre 2017, tout en précisant que les conséquences financières de cette maladie professionnelle seraient imputées au compte spécial, le Puits [Localité 6] étant fermé (arrêté du 16 novembre 1995, pris en application de l'article D.242-6-3 du code de la sécurité sociale).

Selon courrier recommandé expédié le 3 août 2018, l'État, représenté par l'ANGDM, a saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale de la Moselle (devenu Pôle social du tribunal de grande instance de Metz le 1er janvier 2019, puis Pôle social du tribunal judiciaire de Metz au 1er janvier 2020) afin de contester cette décision.

La CPAM de Moselle est intervenue pour le compte de la CANSSM, l'Assurance Maladie des Mines.

Par jugement du 6 avril 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz a :

reçu l'État, représenté par l'ANGDM, en son intervention volontaire suite à la clôture de la liquidation des Charbonnages de France venant aux droits des [5],

infirmé la décision du Conseil d'administration de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle du 21 décembre 2017,

rappelé le principe d'indépendance des rapports Caisse/victime et Caisse/employeur,

déclaré inopposable à l'État, représenté par l'ANGDM, la décision rendue le 3 juillet 2015, par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle, portant prise en charge de l'affection dont souffre M. [V] au titre du tableau n°30B des maladies professionnelles,

condamné l'État, représenté par l'ANGDM, aux frais et dépens engagés à compter du 1er janvier 2019.

Par courrier recommandé expédié le 3 mai 2022, la CPAM de Moselle, intervenant pour le compte de la CANSSM, a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR réceptionnée le 14 avril 2022.

Par conclusions datées du 29 décembre 2023, soutenues oralement lors de l'audience de plaidoiries par son représentant, la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, demande à la cour de :

déclarer recevable et bien fondé l'appel formé par la Caisse,

infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 6 avril 2022 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz,

Et statuant à nouveau :

déclarer opposable à l'ANGDM la décision de prise en charge de la maladie professionnelle au titre du tableau n°30B de M. [V],

en conséquence, de confirmer la décision du 21 décembre 2017 du Conseil d'administration de la Caisse,

le condamner aux entiers frais et dépens.

Par conclusions datées du 11 janvier 2024, soutenues oralement lors de l'audience de plaidoiries par son conseil, l'État, représenté par l'ANGDM, demande à la cour de :

A TITRE PRINCIPAL :

confirmer dans son intégralité le jugement du 6 avril 2022,

déclarer inopposable à l'ANGDM, la décision de prise en charge du 3 juillet 2015 notamment parce que l'exposition n'est pas établie et priver l'Assurance Maladie des Mines de son action récursoire,

A TITRE SUBSIDIAIRE :

désigner un Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles pour donner son avis sur la question de savoir s'il existe un lien direct entre la pathologie de M. [V] et son activité professionnelle au sein des [5] et CDF.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties, en application de l'article 455 du code de procédure civile, et à la décision entreprise.

SUR CE,

SUR L'EXPOSITION PROFESSIONNELLE AU RISQUE :

La CPAM de Moselle, intervenant pour le compte de la CANSSM, sollicite l'infirmation du jugement entrepris, estimant avoir apporté la preuve que les conditions légales pour établir l'origine professionnelle de la maladie de M. [V] se trouvent réunies à l'égard de l'ANGDM. Elle relève que cette exposition au risque est établie par les éléments du dossier, et notamment par la description du matériel utilisé par M. [V] dans le cadre de son activité au fond, conforme à son relevé de carrière, ainsi que par sa durée d'emploi au fond de la mine. La Caisse énonce enfin que l'ANGDM n'apporte aucun élément de preuve de nature à faire tomber la présomption d'origine professionnelle de la maladie dont est atteint M. [V]. Elle souligne, au contraire, qu'en première instance, l'ANGDM a reconnu, a minima, la présence d'amiante dans les joints des conduites, dans le système de freinage des convoyeurs blindés, ainsi que dans les joints des palans et les freins des treuils. Elle précise avoir procédé aux investigations nécessaires au traitement de la demande d'indemnisation de M. [V] en ayant rassemblé un faisceau d'indices permettant de démontrer que le salarié a été exposé au risque durant ses 18 années d'activité au fond, notamment en raison de l'utilisation de machines, et outils contenant tous des éléments ou pièces comportant de l'amiante et dégageant des fibres d'amiante lors de leur utilisation.

L'ANGDM sollicite la confirmation du jugement entrepris. Elle soutient que la Caisse a pris en charge la maladie déclarée sans que les conditions de fond du tableau n°30B ne soient remplies dès lors que la Caisse ne rapporte pas la preuve d'une exposition du salarié au risque d'inhalation des poussières d'amiante durant l'exercice de ses emplois successifs auprès des [5], devenues Charbonnages de France. L'ANGDM souligne le caractère incomplet de l'enquête administrative menée par la Caisse, au mépris de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et sans tenir compte de ses réserves, la Caisse se contentant de la déclaration de M. [V] et considérant automatiquement l'exposition au risque établie dès lors que le salarié présente des signes pathologiques. Elle reproche également à la Caisse de ne pas avoir sollicité l'avis d'un Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP).

L'ANGDM fait valoir qu'il ne résulte ni du questionnaire lapidaire rempli par M. [V], ni des autres éléments du dossier, notamment en l'absence de témoignage, la moindre preuve d'une exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante de l'intéressé, ni aucune preuve de la présence de poussières d'amiante dans les outils utilisés, ceci d'autant que le salarié n'a pas décrit les emplois occupés.

**********************

Aux termes de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions désignées dans ce tableau.

En cas de recours de l'employeur, il incombe à l'organisme de sécurité sociale qui a décidé d'une prise en charge de rapporter la preuve de la réunion des conditions exigées par le tableau.

Pour renverser cette présomption, il appartient à l'employeur de démontrer que la maladie est due à une cause totalement étrangère au travail.

Il convient de rappeler que le tableau n°30B désigne les plaques pleurales confirmées par un examen tomodensitométrique comme maladie provoquée par l'inhalation de poussières d'amiante. Ce tableau prévoit un délai de prise en charge de 40 ans et une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer cette affection, de sorte que ce tableau n'impose pas que le salarié ait directement manipulé des produits amiantés, seul important le fait qu'il ait effectué des travaux l'ayant conduit à inhaler habituellement des poussières d'amiante.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la maladie dont se trouve atteint M. [V] répond aux conditions médicales du tableau n°30B. Seule est contestée l'exposition professionnelle du salarié au risque d'inhalation de poussières d'amiante.

Selon le relevé de carrière (pièce n°1 de l'appelante), M. [V] a travaillé au fond dans les chantiers du bassin des [5], du 10 décembre 1979 au 11 décembre 1979 puis du 18 avril 1983 au 31 octobre 2001, aux postes suivants : apprenti-mineur, apprenti-mineur compagnonnage, bowetteur ouvrages spéciaux rocher travaux rocher, bowetteur galerie horizontale travaux rocher, bowetteur plan montant descenderie travaux rocher, et bowetteur tous ouvrages, avant d'être affecté au jour du 1er novembre 2001 au 31 mars 2005 en qualité de laveur.

En ce qui concerne les travaux effectués par M. [V], dans les réponses apportées le 2 mars 2015 au questionnaire que lui a adressé la Caisse dans le cadre de l'instruction de sa maladie professionnelle (pièce n°4 de l'appelante), l'intéressé expose avoir été exposé aux fibres et aux poussières d'amiante durant sa carrière. Il indique qu'il se trouvait tous les jours en contact avec l'amiante lorsqu'il forait la pierre mais également lors de l'utilisation des machines, ainsi que du nettoyage des équipements amiantés à l'air comprimé. Il cite ensuite une liste d'outils utilisés de manière habituelle dans le cadre des travaux du fond, à savoir les palans Victory 1T et 2T, les équipements de manutention « Pull lift », la chargeuse M412-M612, les pics, les marteaux piqueurs, les scrapeurs, les treuils équipés de freins amiantés, les outils pneumatiques de foration et de boulonnage fonctionnant à l'air comprimé, ainsi que tous les outils et outillages que devait posséder un conducteur de machine. Il indique également avoir été directement en contact avec certains produits et/ou substances, notamment les poussières de charbon et de pierre, les fibres d'amiante, ainsi que les fumées de tirs et les vapeurs irritantes.

Il y a lieu de relever que les activités mentionnées par M. [V] ne sont pas contredites par le questionnaire rempli par l'employeur (pièce n°5 de l'appelante), ce dernier étant seulement beaucoup plus détaillé sur les fonctions principales occupées par le salarié qui sont décrites de la façon suivante, pour ce qui concerne sa période au fond :

« Apprenti-mineur du 10/12/1979 au 11/12/1979 et du 18/04/1983 au 15/05/1983 : jeune embauché qui a d'abord suivi des cours théoriques (en salle) et des cours pratiques dans une mine image (c'est-à-dire un chantier de fond reconstitué au jour). Il s'est ensuite perfectionné aux différentes techniques et méthodes d'exploitation dans les quartiers écoles réservés aux apprentis.

Apprenti-mineur compagnonnage du 16/05/1983 au 30/06/1983 : ouvrier mineur en apprentissage en doublon avec un ancien.

Bowetteur ouvrages spéciaux du 01/07/11983 au 30/09/1983 : ouvrier mineur faisant partie d'une équipe, participant aux travaux de creusement d'un ouvrage spécial au rocher (dans la pierre), et notamment niche, magasin, élargissement de galerie. Il effectue les travaux de foration, minage (consiste à mettre les cartouches dans les trous percés auparavant), chargement, mise en place du soutènement.

Bowetteur galerie horizontale du 01/10/1983 au 31/01/1985 : ouvrier mineur participant aux travaux de creusement d'une galerie au rocher (dans la pierre) ; purgeage des terrains, foration, minage (consiste à mettre les cartouches dans les trous percés auparavant), chargement des produits, mise en place du soutènement, garnissage.

Bowetteur de plan montant ou descenderie du 01/02/1985 au 31/07/1985 : ouvrier qui participe à tous les travaux de creusement d'une galerie au rocher ; purgeage des terrains, foration, minage chargement des produits, mise en place du soutènement.

Bowetteur galerie horizontale et Bowetteur de plan montant ou descenderie du 01/08/1985 au 31/12/1995.

Bowetteur tous ouvrages du 01/01/1996 au 31/10/2001 : ouvrier mineur chargé de participer aux travaux de creusement d'une galerie au rocher (dans la pierre) ; purgeage des terrains, foration, minage (consiste à mettre des cartouches dans les trous percés auparavant), chargement des produits, mise en place du soutènement ».

L'ANGDM précise en outre que, dans le cadre de ses activités, l'intéressé a été amené à utiliser habituellement des outils et machines tels que « marteau piqueur, marteau perforateur, manipulation soutènement, pelle, perforatrice, matériel de levage et manutention ».

L'ANGDM décrit ainsi elle-même les différentes activités et matériels utilisés par M. [V] tout au long de sa carrière dans les chantiers du fond, sans que ces précisions ne contredisent les mentions plus laconiques indiquées par le salarié.

Ainsi, M. [V] a exercé au fond pendant 18 ans et 6 mois, dont plus de 13 années avant l'interdiction de l'utilisation de l'amiante.

Si l'ANGDM conteste l'exposition de M. [V] aux poussières d'amiante, elle reconnaît un travail dans un milieu chaud, humide et empoussiéré, avec des opérations de manutention lourde.

De plus, aux périodes où M. [V] a travaillé pour le compte des [5], devenues par la suite CDF, l'ANGDM admet habituellement que de l'amiante était présente au fond à minima dans certains joints, le système de freinage de certains éléments d'équipement et les installations électriques, tel étant notamment le cas de certains engins de levage de type treuils et palans. Cette reconnaissance de présence d'amiante ressort à suffisance des conclusions déposées en première instance par l'ANGDM (pièce n°10 de l'appelante), cette dernière écrivant notamment : « Les chaînes des convoyeurs blindés ainsi que le blindé lui-même étaient métalliques et ne contenaient pas d'amiante. Il est vrai que l'opération nécessitait des freinages ; néanmoins, l'analyse réalisée par le Service Sécurité Générale montre que même dans des conditions sévères lors du raccourcissement de la chaîne la libération de fibres au voisinage des convoyeurs blindés était infinitésimale ».

En l'espèce, il ne paraît pas inutile de rappeler que M. [V] a nécessairement travaillé aux côtés des convoyeurs blindés employés au fond de la mine, lorsqu'il participait aux travaux de creusement des ouvrages spéciaux et des galeries, mais également lors des travaux de foration, élargissement des galeries, chargement des produits et mise en place du soutènement, ceci alors que l'employeur a admis que ces engins libéraient de l'amiante lors du freinage. Enfin, le salarié a utilisé régulièrement des engins de levage de type treuils et palans, dont le système de freinage était amianté.

En outre, si l'ANGDM a fait état d'une pollution minime en première instance, cette affirmation ne saurait écarter la présomption d'imputabilité qui découle de l'établissement de l'exposition habituelle à l'inhalation de poussières d'amiante, indépendamment de la nocivité, le tableau n°30B ne fixant pas de seuil d'exposition.

De plus, elle reconnaît aussi de manière habituelle l'exposition au risque d'inhalation des poussières d'amiante des électromécaniciens travaillant en taille avant 1996, de sorte que les mineurs travaillant dans leur entourage, mais à d'autres fonctions, subissaient nécessairement cette contamination.

Ainsi, les descriptions effectuées par l'employeur quant à la nature des fonctions occupées par le salarié, ainsi que des outils habituellement utilisés par celui-ci, et notamment la précision que ce dernier utilisait de manière habituelle des engins de levage, et travaillait aux côtés de convoyeurs blindés, dans un contexte de confinement propre aux travaux effectués dans les chantiers au fond, exposent ainsi parfaitement comment les travaux réalisés ont nécessairement impliqué, jusqu'en 1996, date à laquelle l'utilisation de l'amiante a été interdite, une exposition de la victime aux poussières d'amiante, en raison de l'usage ou du travail à proximité d'engins et de véhicules dont les pièces de friction des organes de frein libéraient des fibres d'amiante en fonctionnant (treuils et palans constituant du matériel de levage).

Il est ajouté qu'à supposer même que M. [V] n'ait pas utilisé lui-même les outils ou matériels contenant de l'amiante, il est établi qu'il a travaillé quotidiennement dans des sites dans lesquels il est constant qu'étaient utilisées des installations et machines contenant des matériaux amiantés qui en fonctionnant libéraient des fibres d'amiante.

Il résulte de ce faisceau d'éléments que l'exposition habituelle de M. [V] au risque amiante est démontrée.

Les conditions médico-administratives du tableau n°30B étant remplies, c'est en vain que l'ANGDM prétend que la Caisse a été défaillante dans son instruction. En interrogeant les intéressés, la Caisse a, préalablement à sa prise de décision, diligenté une enquête au sens de l'article R.441-11 du code de la sécurité sociale, de sorte qu'il n'y avait pas lieu pour la Caisse de saisir un CRRMP.

Il sera également relevé que, si une circulaire du 24 juin 2013 de la direction des assurances maladies de la caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines enjoint aux directeurs régionaux de prendre systématiquement des décisions de prise en charge favorables aux anciens mineurs lorsqu'ils demandent la reconnaissance de l'origine professionnelle de leur pathologie, ce texte ne saurait avoir de portée dans la présente procédure, qui a précisément pour objet de vérifier que les conditions relatives au caractère professionnel de la maladie de M. [V] sont remplies.

Dès lors, en l'absence de toute preuve contraire que le travail n'a joué aucun rôle dans le développement de la maladie, il convient de considérer que le caractère professionnel de la maladie dont s'est trouvé atteint M. [V] est établi à l'égard de l'employeur auquel se substitue l'ANGDM.

Le jugement entrepris est donc infirmé en ce qu'il a déclaré inopposable à l'État, représenté par l'ANGDM la décision de prise en charge rendue le 3 juillet 2015 par l'Assurance Maladie des Mines portant reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée le 2 mars 2015 par M. [V] au titre du tableau n°30B.

SUR LES DEPENS :

Le jugement est confirmé en ce qu'il a condamné l'ANGDM aux dépens de première instance.

Partie succombante, l'ANGDM sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DECLARE l'appel formé par la CPAM de Moselle, intervenant pour le compte de la CANSSM, l'Assurance Maladie des Mines, recevable,

INFIRME le jugement entrepris du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz du 6 avril 2022, sauf en ce qu'il a condamné l'État, représenté par l'ANGDM, aux dépens de la première instance engagés à compter du 1er janvier 2019,

Statuant à nouveau,

DEBOUTE l'État, représenté par l'ANGDM, de sa demande en inopposabilité de la décision de prise en charge rendue le 3 juillet 2015 par l'Assurance Maladie des Mines portant reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée le 2 mars 2015 par M. [C] [V] au titre du tableau n°30B des maladies professionnelles,

DEBOUTE l'État, représenté par l'ANGDM, de sa demande en désignation d'un CRRMP,

DECLARE opposable à l'État, représenté par l'ANGDM, ladite décision de l'organisme de sécurité sociale,

CONDAMNE l'État, représenté par l'ANGDM, aux dépens d'appel.

La Greffière, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 3
Numéro d'arrêt : 22/01192
Date de la décision : 27/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-27;22.01192 ?
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