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27/05/2024 | FRANCE | N°21/02558

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 3, 27 mai 2024, 21/02558


Arrêt n° 24/00234



27 Mai 2024

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N° RG 21/02558 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FTKC

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Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social



22 Septembre 2021

17/00507

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ



CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale





ARRÊT DU



vingt sept Mai deux mille vingt quatre







APPELANTE :



L'UNION DE RECOUVREM

ENT DES COTISATIONS DE SECURIT E SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE LORRAINE

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me François BATTLE, avocat au barreau de METZ



INTIMÉE :



Société [5]

[Adresse 1]

[Locali...

Arrêt n° 24/00234

27 Mai 2024

---------------

N° RG 21/02558 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FTKC

------------------

Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social

22 Septembre 2021

17/00507

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt sept Mai deux mille vingt quatre

APPELANTE :

L'UNION DE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SECURIT E SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE LORRAINE

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me François BATTLE, avocat au barreau de METZ

INTIMÉE :

Société [5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Christine SALANAVE, avocat au barreau de METZ et Me BALMITGERE , avocat au barreau de Strasbourg

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Novembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Carole PAUTREL, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Anne FABERT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par courrier du 23 décembre 2015, la société [2] (ci-après la société) a sollicité auprès de l'URSSAF de Lorraine le remboursement d'une somme d'un montant de 167.111,07 euros, versée au titre des cotisations salariales et patronales de Monsieur [D] [I], dirigeant, du 1er septembre 2011 au 31 décembre 2013 et du 1er mars 2014 au 31 octobre 2015.

Selon courrier du 27 décembre 2016, la société a saisi la Commission de recours amiable près l'URSSAF de Lorraine.

En l'absence de réponse de la Commission de recours amiable dans les délais, la société a, par lettre recommandée expédiée le 24 mars 2017, saisi le Tribunal des affaires de Sécurité sociale de la Moselle, afin d'obtenir le remboursement de la somme de 167.111,07 euros versée au titre des cotisations salariales et patronales de Monsieur [D] [I].

Par jugement du 22 septembre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Metz, nouvellement compétent, a :

- CONDAMNE l'URSSAF de Lorraine à verser la somme de 167.111,07 euros (cent soixante-sept mille cent onze euros et sept centimes) à la société [2] au titre de cotisations sociales indûment versées ;

- DEBOUTE l'URSSAF de Lorraine de l'intégralité de ses demandes ;

- CONDAMNE l'URSSAF de Lorraine aux dépens ;

- CONDAMNE l'URSSAF de Lorraine à verser la somme de 1.000 euros (mille euros) à la société [2] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ORDONNE l'exécution provisoire de la décision.

Par acte déposé au greffe le 20 octobre 2021, l'URSSAF Lorraine a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR du 22 septembre 2021 dont l'accusé de réception ne figure pas dans le dossier de première instance.

Le 28 septembre 2023, la société [2] a fait assigner l'URSSAF Lorraine devant le premier président de la cour d'appel de Metz pour obtenir la radiation de l'affaire du rôle des affaires en cours, au motif que l'URSSAF Lorraine n'avait pas exécuté le jugement du 22 septembre 2021.

Par ordonnance du 9 novembre 2023, cette demande était rejetée.

Par conclusions datées du 27 février 2023 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son conseil, l'URSSAF Lorraine demande à la cour de :

- Déclarer l'URSSAF Lorraine recevable et bien fondée en son appel,

- En conséquence, infirmer en toutes ses dispositions la décision rendue le 22 septembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de Metz,

Et statuant à nouveau

- Confirmer la décision prise par les services de l'URSSAF Lorraine en ce qu'ils ont rejeté la demande de remboursement formulée par la SAS [2],

- Confirmer la décision de rejet implicite prise par la Commission de Recours Amiable de l'URSSAF Lorraine,

- Condamner, à hauteur d'appel, la SAS [2] à payer à l'URSSAF Lorraine la somme de 3.000,00€ au litre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- Condamner la SAS [2] aux entiers frais et dépens,

- A défaut, tenir compte des délais de prescription édictés par l'article L 243-6 du Code de la Sécurité Sociale en limitant la demande de remboursement aux cotisations salariales et patronales de Monsieur [I] versées jusqu'au 15 janvier 2016 et ce, avec un effet rétroactif de trois ans,

- Réserver les droits de l'URSSAF Lorraine afin que soit déterminé avec exactitude et au vu des documents produits par la SAS [2], le montant éventuellement à rembourser.

Par conclusions datées du 17 novembre 2023 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son conseil, la société [2] demande à la cour de :

- CONFIRMER le jugement rendu le 22 septembre 2021 par le Pôle Social du Tribunal Judiciaire de Metz en ce qu'il a :

* Condamné l'URSSAF de Lorraine à verser la somme de 167.111,07 euros (cent soixante-sept mille cent onze euros et sept centimes) à la société [2] au titre de cotisations sociales indûment versées ;

* Débouté l'URSSAF de Lorraine de l'intégralité de ses demandes ;

* Condamné l'URSSAF de Lorraine aux dépens ;

* Condamné l'URSSAF de Lorraine à verser la somme de 1.000 euros (mille euros) à la société [5], anciennement dénommée [2], au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

* Ordonné l'exécution provisoire de ladite décision.

SUBSIDIAIREMENT, si par impossible la fin de non-recevoir tiré de l'article L.243-6 du code de la sécurité sociale devrait être accueillie,

- CONDAMNER l'URSSAF de Lorraine à verser la somme de 160.765,79 euros (cent soixante mille sept cent soixante-cinq euros et soixante-dix-neuf centimes) à la société [5], anciennement [2], au titre de cotisations sociales indues ;

- REPARER le jugement rendu le 22 septembre 2021 par le Pôle Social du Tribunal Judiciaire de Metz en qu'il a omis de statuer sur les demandes formées par la société [5], anciennement dénommée [2], à savoir :

- CONDAMNER l'URSSAF de Lorraine au paiement d'intérêts moratoires sur la somme de 167.111,07 euros, subsidiairement 160.765,79 euros à compter du jour du paiement de l'indu conformément à l'article 1352-7 du Code Civil, subsidiairement à compter du 23 décembre 2015, date de la demande de remboursement de l'indu.

- REJETER les prétentions de l'URSSAF de Lorraine,

- CONDAMNER l'URSSAF de Lorraine au paiement de la somme de 6 345,28 € (six mille trois cent quarante-cinq euros vingt-huit cents) à titre de dommages et intérêts en raison du caractère dilatoire de l'invocation tardive d'une fin de non-recevoir par application de l'article 123 du Code de Procédure Civile,

- CONDAMNER l'URSSAF de Lorraine au paiement d'une somme de 15 000 € (quinze mille euros) pour résistance abusive et déloyauté procédurale en vertu de l'article 1240 du code civil,

- CONDAMNER l'URSSAF de Lorraine au paiement d'une indemnité complémentaire d'un montant de 10 000 € (dix-mille euros) au titre de la procédure d'appel, par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision déférée.

SUR CE,

SUR LA DEMANDE DE REOUVERTURE DES DEBATS

Par courrier du 12 mars 2024, la société [2] sollicite la réouverture des débats. Elle fait valoir notamment que, dans un courrier du 13 décembre 2023, l'URSSAF de Lorraine a reconnu de façon explicite être débitrice de la somme de 167 111,07€ ce qui emporte acquiescement au jugement contesté. Elle entend faire valoir également de nouvelles pièces, et notamment un certificat d'affiliation de Monsieur [I] à la sécurité sociale luxembourgeoise depuis le 1er septembre 2006.

L'URSSAF n'a pas formulé de réponse à cette demande.

***********************

Selon l'article 444 du code de procédure civile, le président peut ordonner la réouverture des débats. Il doit le faire chaque fois que les parties n'ont pas été à même de s'expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés.

Il sera également rappelé que le seul fait d'exécuter une décision exécutoire n'emporte pas acquiescement à ladite décision.

Ainsi, en l'espèce, il apparaît que chaque partie ayant suffisamment exposé ses prétentions, la demande de réouverture des débats n'apparaît justifiée par aucune cause grave.

La cour s'estimant par ailleurs suffisamment éclairée par les conclusions, pièces et moyens des parties débattues contradictoirement à l'audience de plaidoirie, et aucune note en délibéré n'ayant été autorisée, il y a lieu d'écarter les pièces nouvelles produites par la société [2].

Par ailleurs, le fait que l'URSSAF ait, postérieurement à la clôture des débats, adressé un courrier reconnaissant la créance de la société intimée ne permet aucunement d'en déduire un quelconque acquiescement de l'URSSAF Lorraine au jugement, dès lors que celui-ci, assorti de l'exécution provisoire, imposait à l'appelante d'en exécuter le dispositif.

Il convient dès lors de rejeter la demande de réouverture des débats pour les motifs formulés le 12 mars 2024 par la société [2] et d'écarter les pièces n°13 à 15 produites par l'intimée postérieurement à la clôture des débats.

SUR LA RESTITUTION DE L'INDU

La société intimée rappelle le règlement CE n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale qui prévoit que les personnes exerçant une activité salariée ou non salariée dans plusieurs pays européens ne sont couvertes que par la législation d'un seul pays et ne paient de cotisations que dans ce pays.

Elle soutient que Monsieur [I] est, depuis 2006, affilié au système social luxembourgeois du fait de son activité salariée dans ce pays, et que, malgré la fixation de sa résidence en France et l'exercice d'un mandat de dirigeant au sein de la société [2] en France à compter de 2009, il ne relevait que de la seule sécurité sociale luxembourgeoise, tirant la majeure partie de ses revenus de ses activités dans ce pays. Il en résulte donc des cotisations sociales indûment versées en France pour un montant de 167 111,07€.

L'URSSAF de Lorraine soutient que Monsieur [I], en qualité de dirigeant de la société par actions simplifiées [2], relève d'une activité salariée en France, et que, en l'absence de preuve du caractère salarié de ses autres activités au Luxembourg, il devait être soumis à la législation sociale française.

L'URSSAF de Lorraine fait également valoir le principe selon lequel l'affiliation à un régime de protection sociale crée une situation génératrice de droits non susceptible d'être remise en cause rétroactivement par une décision d'affiliation à un autre régime.

********************

Il sera tout d'abord rappelé que l'action en répétition de l'indu, régie par l'article 1302-1 du code civil, impose que le cotisant agissant en répétition doit prouver le caractère indu des paiements effectués pour en obtenir le remboursement, sans que son erreur ou sa négligence ne fassent obstacle à l'exercice par lui de cette action, dès lors que les paiements se trouvent dépourvus de cause.

Par ailleurs, aux termes de l'article 11 du règlement (CE) n° 883/2004, un travailleur auquel le présent règlement est applicable n'est soumis qu'à la législation d'un seul État membre, qu'il exerce une ou plusieurs activités dans plusieurs États.

L'article 13-1 dudit règlement dispose que la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation de l'État membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet État membre, ou à la législation de l'Etat membre dans lequel l'entreprise ou l'employeur qui l'emploie a son siège ou son domicile, si la personne n'exerce pas une partie substantielle de ses activités dans l'Etat membre de résidence.

L'article 14 § 8 du règlement (CE) n° 987/2009 dispose qu'aux fins de l'application des dispositions précitées, une partie substantielle d'une activité salariée ou non salariée exercée dans un État membre signifie qu'une part quantitativement importante de l'ensemble des activités du travailleur salarié ou non salarié y est exercée, sans qu'il s'agisse nécessairement de la majeure partie de ces activités.

Pour déterminer si une partie substantielle des activités est exercée dans un État membre, laquelle est fixée à 25 %, il est tenu compte, dans le cas d'une activité salariée, du temps de travail et/ou de la rémunération.

Il est enfin rappelé que l'exercice d'un mandat de dirigeant d'une société anonyme est assimilé à du salariat dès lors que le dirigeant est rémunéré.

En l'espèce, il n'est pas contesté que Monsieur [I] a exercé en France, à compter du 4 décembre 2009, un mandat de dirigeant rémunéré auprès de la société par actions simplifiées [2].

Par ailleurs, il ressort des éléments du dossier qu'il a, dès 2006, souscrit au système de protection sociale luxembourgeois, et, en parallèle de ses activités en France, déclaré une activité salariée auprès des services fiscaux du Luxembourg, ce dont il est justifié pour les années fiscales 2011 à 2015 (pièces n°2 et 8 de l'intimée).

Il en résulte que Monsieur [I] a ainsi exercé simultanément une activité salariée dans deux États membres, le Luxembourg et la France, où sa résidence était alors établie, peu important l'absence de détail desdites activités salariées luxembourgeoises, dès lors que l'URSSAF Lorraine n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause le contenu des déclarations fiscales luxembourgeoises de Monsieur [I].

Dans ce cadre, afin de déterminer la loi applicable à son affiliation au régime de sécurité sociale, il doit être déterminé si Monsieur [I] a exercé une activité substantielle en France, le caractère substantiel de cette activité devant être établi au sens de l'article 14 paragraphe 8 du règlement (CE) nº987/2009 du 16 septembre 2009 précité, à savoir aux termes d'une évaluation, dans le cas d'une activité salariée, de son temps de travail et/ou de sa rémunération et d'une comparaison avec le taux de 25% prévu par ce texte.

La société intimée produit les bordereaux de déclaration à l'URSSAF de Lorraine de Monsieur [I], ainsi que ses déclarations d'impôts effectuées au Luxembourg (pièces n°4 et 8 de l'intimée).

Ces éléments ne sont pas contredits par l'URSSAF de Lorraine.

Il ressort de ces pièces que, sur les années civiles en cause, il n'est pas caractérisé le dépassement, par Monsieur [I], du seuil de 25% pour son activité en France, si bien que, en l'absence de l'existence d'une activité substantielle en France entre 2011 et 2015, seule une affiliation à la sécurité sociale luxembourgeoise était justifiée.

Il en résulte que l'affiliation au système de sécurité sociale français étant dépourvu de fondement, les sommes versées par la société [2] au titre des cotisations sociales de Monsieur [I] au système social français doivent faire l'objet d'une restitution, l'URSSAF de Lorraine étant mal fondée à invoquer le principe de non-rétroactivité de l'affiliation dès lors que Monsieur [I] était affilié au système de protection luxembourgeois antérieurement à son affiliation au système français.

Le jugement entrepris est donc confirmé sur ce point pour les motifs pris du présent arrêt.

SUR LA FIN DE NON RECEVOIR TIREE DE LA PRESCRIPTION

L'URSSAF de Lorraine sollicite l'application des règles de prescription tirées de l'article L.243-6 du code de la sécurité sociale, et souligne que la restitution des cotisations indûment versées ne peut porter que sur les sommes acquittées jusqu'au 15 janvier 2016 avec un délai rétroactif de 3 ans. Elle sollicite donc que ses droits soient réservés afin que soit déterminé avec exactitude le montant à rembourser.

La société [2] fait valoir que le délai de prescription de 3 ans prévu à l'article L.243-6 du code de la sécurité sociale peut être interrompu par une demande de remboursement complète, explicite et motivée du cotisant, ce qui a été le cas en l'espèce puisqu'il a été adressé aux services de l'URSSAF Lorraine, le 23 décembre 2015, une demande de remboursement explicitant clairement les motifs de ladite demande. La société intimée en conclut qu'il y a lieu de déduire la somme de 6345,28€ correspondant aux cotisations sociales du mois de septembre 2012, seules concernées par la prescription.

La société sollicite le versement de la somme de 6345,28€ à titre de dommages-intérêts en raison du caractère dilatoire de l'invocation tardive de la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

********************

L'article L.243-6 du code de la sécurité sociale énonce que la demande de remboursement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales indûment versées se prescrit par trois ans à compter de la date à laquelle lesdites cotisations ont été acquittées.

Lorsque l'obligation de remboursement desdites cotisations naît d'une décision juridictionnelle qui révèle la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, la demande de remboursement ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue.

Un cotisant ne peut donc pas, par la voie de l'action en répétition de l'indu, obtenir le remboursement de cotisations prescrites.

Le délai de prescription peut être interrompu par une interpellation suffisante du cotisant à l'encontre de l'organisme social invitant celui-ci à restituer les sommes indument acquittées dans des termes permettant d'avoir une connaissance précise des cotisations concernées.

L'article 123 du code de procédure civile dans sa version applicable au présent litige énonce par ailleurs que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

La prescription de la dette peut donc être opposée par le débiteur pour la première fois en appel.

En l'espèce, le caractère indu des cotisations sociales versées en France par Monsieur [I] a été dénoncé le 23 décembre 2015 par la société intimée, et ne résulte aucunement d'une décision juridictionnelle.

Par application du texte susvisé, il s'ensuit que la prescription de l'action intentée par la société [2] se prescrit par trois ans à compter de la date d'acquittement des dernières cotisations concernées, la société intimée ayant opté, ce qui n'est pas contesté par les parties, pour un règlement trimestriel, au plus tard le 15 du mois suivant chaque trimestre civil.

La demande en restitution de l'indu formée par la société intimée concernant les cotisations versées du 1er septembre 2011 au 31 décembre 2013 et du 1er mars 2014 au 31 octobre 2015, avec une dernière date d'acquittement au 15 janvier 2016, il en résulte que les cotisations sociales versées par la société intimée en France antérieurement au 15 janvier 2013 sont concernées par la prescription.

Néanmoins, la lettre du 23 décembre 2015 (pièce n°9 de l'intimée), adressée à l'URSSAF par courriel et par lettre recommandée avec accusé de réception par la société [2], est de nature à constituer une interpellation suffisante de nature à mettre en demeure l'Urssaf de rembourser les cotisations trop-payées et interrompre le délai de prescription.

En effet, ce courrier, auquel sont joints un tableau faisant apparaître mois par mois les cotisations indument versées, les bordereaux de déclaration à l'URSSAF et les bulletins de salaire de Monsieur [I], formule une demande de remboursement qui permettait à l'URSSAF de Lorraine d'avoir une connaissance de la nature de la cause de l'obligation et du montant de l'indu réclamé à son encontre.

Il en résulte donc que les cotisations sociales versées antérieurement à un délai de trois ans à compter de la réception dudit courrier par l'URSSAF sont concernées par la prescription.

En l'absence de date certaine quant à la date de réception de ce courrier, aucun accusé de réception n'ayant été fourni par les parties, il y a lieu de retenir, comme point de départ du délai de prescription de l'action en répétition de l'indu, la date du 23 décembre 2015.

En conséquence, l'action en répétition des sommes versées antérieurement à un délai de trois ans à compter du 23 décembre 2015 est prescrite.

Compte tenu du tableau fourni par l'intimée portant récapitulatif des cotisations versées à l'URSSAF, document non contesté par l'appelante (pièce n°3 de l'intimée), il y a ainsi lieu de considérer que les sommes versées entre le mois de septembre 2011 et le 22 décembre 2012 sont prescrites, le mois de décembre étant calculé au prorata (la somme de 2296,34€ étant prescrite pour ledit mois).

Il en résulte donc, au regard de la demande initiale de restitution de l'indu formulée par la société intimée qui portait sur les périodes du 1er septembre 2011 au 31 décembre 2013, puis du 1er mars 2014 au 31 octobre 2015, que l'action en restitution de l'indu est fondée pour les cotisations versées entre le 23 décembre 2012 et le 31 décembre 2013, puis pour celles versées entre le 1er mars 2014 et le 31 octobre 2015, soit :

- pour l'année 2012 ; la somme de 1503,06€ correspondant à la période du 23 décembre au 31 décembre,

- pour l'année 2013, la somme de 45 518,19€

- pour l'année 2014, la somme 38 129,90€ correspondant à la période du 1er mars au 31 décembre

- pour l'année 2015, la somme de 40 048,81€ correspondant à la période du 1er janvier 2015 au 31 octobre 2015 (pièce n°3 de l'intimée).

Le montant total de l'indu s'élève ainsi à la somme de : 125 199,96€.

En conséquence, l'URSSAF Lorraine est condamnée à payer à la société [2] ladite somme au titre de l'action en restitution de l'indu.

Par ailleurs, conformément à l'article 123 du code civil rappelé ci-dessus, la fin de non-recevoir tirée de la prescription peut être soulevée en tout état de cause, si bien que l'URSSAF était légitime, même à hauteur de cour pour la première fois, à soulever cette prescription.

Il est relevé que la société intimée ne démontre aucune intention dilatoire dans cette démarche de l'URSSAF, le seul caractère tardif de cette fin de non-recevoir étant en soi insuffisant à établir ladite intention exigée par le texte.

Il s'ensuit que la société [2] doit être déboutée de sa demande tendant à voir réparer son préjudice tiré du caractère dilatoire de la fin de non-recevoir soulevée à hauteur d'appel par l'URSSAF de Lorraine.

SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES INTERETS POUR PROCEDURE ABUSIVE

La société [2] sollicite le paiement par l'URSSAF Lorraine de la somme de 15 000€ pour résistance abusive et déloyauté procédurale au titre de l'article 1240 du code civil.

L'URSSAF de Lorraine ne formule aucune observation sur cette demande.

****************

L'article 1240 du code civil énonce que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l'espèce, si la société intimée fait valoir un acharnement de l'URSSAF de Lorraine à son encontre ainsi que le caractère déloyal, mensonger et diffamatoire des propos tenus par l'appelante, il apparaît que l'âpreté du débat judiciaire n'est pas de nature en l'espèce à constituer un fait dommageable et réparable, dès lors que n'est aucunement démontré l'existence d'un abus commis par l'appelante dans son exercice du droit d'ester en justice.

Il s'ensuit que la demande formulée par la société [2] à ce titre est rejetée.

SUR LES INTERETS MORATOIRES

La société [2] sollicite la condamnation de l'URSSAF Lorraine au paiement des intérêts moratoires à compter du jour du paiement de l'indu, ou, subsidiairement, à compter du 23 décembre 2015, date de la demande de remboursement de l'indu.

L'URSSAF de Lorraine ne formule aucune observation sur ce point.

****************

Il résulte de l'article 1352-7 du code civil que celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu'il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu'à compter du jour de la demande.

En l'espèce, en application de l'article susvisé, il y a donc lieu de condamner l'URSSAF Lorraine aux intérêts moratoires à compter du 23 décembre 2015, jour de la demande de restitution de l'indu par la société [2].

SUR LES DEMANDES ANNEXES

L'issue du litige conduit la cour de débouter l'URSSAF Lorraine de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et à la condamner à payer à la société [2] la somme de 5000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'URSSAF Lorraine est également condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

REJETTE la demande de réouverture des débats formulée le 12 mars 2024 par la société [2] ;

ECARTE les pièces n°13 à 15 produites par la société [2] postérieurement à la clôture des débats ;

DEBOUTE la société [2] de sa demande tendant à voir réparer son préjudice tiré du caractère dilatoire de la fin de non-recevoir soulevée à hauteur d'appel par l'URSSAF de Lorraine ;

DEBOUTE la société [2] de sa demande tendant à voir réparer son préjudice tiré du caractère abusif et déloyal de la présente procédure ;

CONFIRME, pour les motifs pris du présent arrêt, le jugement du pôle social du 22 septembre 2021 en ce qu'il a condamné l'URSSAF de Lorraine au remboursement des cotisations sociales indûment versées par la société [2] au titre des cotisations salariales et patronales de Monsieur [D] [I] ;

L'INFIRME en ce qu'il a fixé la restitution de l'indu à la somme de 167 111,07 euros ;

Statuant à nouveau,

DECLARE prescrites les sommes versées antérieurement à un délai de trois ans à compter de la date de la demande en restitution de l'indu formulée par la société [2] le 23 décembre 2015 ;

FIXE à la somme de 125 199,96€ (cent vingt-cinq mille cent quatre-vingt dix neuf euros et quatre-vingt seize centimes) le montant de la restitution de l'indu du par l'URSSAF Lorraine à la société [2] au titre des cotisations salariales et patronales de Monsieur [D] [I] versées entre le 23 décembre 2012 et le 31 décembre 2013 et entre le 1er mars 2014 et le 31 octobre 2015 ;

CONDAMNE en conséquence l'URSSAF Lorraine à payer à la société [2] ladite somme, outre les intérêts moratoires dus à compter du 23 décembre 2015 ;

DEBOUTE l'URSSAF Lorraine de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE l'URSSAF de Lorraine à payer à la société [2] la somme de 5000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE l'URSSAF de Lorraine aux dépens d'appel.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 3
Numéro d'arrêt : 21/02558
Date de la décision : 27/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-27;21.02558 ?
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