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27/05/2024 | FRANCE | N°21/02509

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 3, 27 mai 2024, 21/02509


Arrêt n° 24/00225



27 Mai 2024

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N° RG 21/02509 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FTFT

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Tribunal Judiciaire de Metz - Pôle social



24 Septembre 2021

18/02104

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ



CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale





ARRÊT DU



vingt sept Mai deux mille vingt quatre



APPELANT et INTIME dans la procédure 21/2534



F

ONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représenté par Me Sabrina BONHOMME, avocat au barreau de METZ



INTIMÉ et APPELANT dans la procédure 21/2534



Monsieur...

Arrêt n° 24/00225

27 Mai 2024

---------------

N° RG 21/02509 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FTFT

------------------

Tribunal Judiciaire de Metz - Pôle social

24 Septembre 2021

18/02104

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt sept Mai deux mille vingt quatre

APPELANT et INTIME dans la procédure 21/2534

FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représenté par Me Sabrina BONHOMME, avocat au barreau de METZ

INTIMÉ et APPELANT dans la procédure 21/2534

Monsieur [N] [W]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représenté par Me Frédéric QUINQUIS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

AGENCE NATIONALE POUR LA GARANTIE DES DROITS DES

M INEURS

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Laure HELLENBRAND, avocat au barreau de METZ

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par M. [Z], muni d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Mars 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Anne FABERT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Mathilde TOLUSSO,

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Mme MATHIS Sylvie, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [N] [W], né le 6 février 1958, a travaillé pour le compte des Houillères du Bassin de Lorraine (HBL) devenues l'établissement public Charbonnages de France (CdF) du 5 octobre 1981 au 31 août 2003 aux postes suivants :

Au Puits II :

Apprenti-mineur du 05/10/1981 au 01/11/1981,

Au Puits Sainte-Fontaine :

Apprenti mineur compagnonnage du 02/11/1981 au 30/11/1981,

Piqueur montage du 01/12/1981 au 31/03/1982,

Piqueur traçage du 01/04/1982 au 03/11/1985,

A l'Unité d'exploitation Vouters :

Piqueur d'élevage en PRH du 04/11/1985 au 30/11/1985,

Abatteur boiseur du 01/12/1985 au 31/03/1995,

Conducteur machine d'abattage du 01/04/1995 au 31/07/1996,

Chef de taille du 01/08/1996 au 31/12/1998,

A l'Unité d'exploitation Merlebach :

Chef de taille du 01/01/1999 au 31/08/2003,

Chef de taille du 01/09/2003 au 31/08/2004 (personnel en CET).

Il a bénéficié d'un congé charbonnier fin de carrière du 1er septembre 2004 au 30 septembre 2010.

Par formulaire du 1er août 2016, Monsieur [N] [W] a déclaré à l'Assurance Maladie des Mines (ci-après la Caisse ou AMM) une maladie au titre du tableau n°30B des maladies professionnelles, transmettant avec ladite demande de reconnaissance un certificat médical initial du Docteur [B] du 21 juillet 2016 faisant état de « petites plaques pleurales bilatérales ».

Par décision du 20 mars 2017, la Caisse a pris en charge la maladie de Monsieur [N] [W] au titre du tableau n°30B des maladies professionnelles, relatif aux affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante.

Le 21 juillet 2017, la Caisse a notifié à Monsieur [N] [W] un taux d'incapacité permanente partielle de 5% à la date du 22 juillet 2016 (soit au lendemain de la date de consolidation), et l'attribution d'une indemnité en capital de 1.952,33 euros.

En parallèle, Monsieur [N] [W] a accepté l'offre du Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA) fixant l'indemnisation de ses préjudices comme suit :

préjudice moral : 16.600 euros,

préjudice physique : 300 euros,

préjudice d'agrément : 1.300 euros.

Après échec de la tentative de conciliation introduite devant l'Assurance Maladie des Mines, Monsieur [N] [W], par courrier recommandé expédié le 19 décembre 2018, a saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Moselle (devenu Pôle social du tribunal de grande instance de Metz le 1er janvier 2019, puis Pôle social du tribunal judiciaire de Metz au 1er janvier 2020) d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur dans la survenance de sa maladie professionnelle et de bénéficier des conséquences indemnitaires en découlant.

L'Agence Nationale pour la Garantie des Droits des Mineurs (ANGDM) intervenant pour le compte des Charbonnages de France définitivement liquidés le 31 décembre 2017 et dont les droits et obligations ont été transférés à l'État est intervenue à l'instance.

Par ailleurs, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle (CPAM ou Caisse) qui agit pour le compte de la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité Sociale dans les Mines (CANSSM) depuis le 1er juillet 2015, a également été mise en cause.

Par jugement du 24 septembre 2021, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz a :

déclaré le jugement commun à la CPAM de Moselle,

déclaré recevable en la forme le recours de Monsieur [N] [W],

déclaré le FIVA, subrogé dans les droits de Monsieur [N] [W], recevable en ses demandes,

dit que l'existence d'une faute inexcusable des HBL devenues CDF, aux droits desquels vient l'ANGDM, dans la survenance de la maladie professionnelle de Monsieur [N] [W] inscrite au tableau n°30B, n'est pas établie,

débouté Monsieur [N] [W] et le FIVA de leur demandes de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et de leurs demandes subséquentes,

déclaré en conséquence sans objet les demandes de la CPAM de la Moselle,

débouté Monsieur [N] [W] et le FIVA de leurs demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné in solidum Monsieur [N] [W] et le FIVA aux entiers frais et dépens de l'instance,

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration remise au greffe le 05 octobre 2021, le FIVA a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR réceptionnée le 29 septembre 2021. Cette procédure a été enregistrée sous le RG n°21/02509.

Par déclaration déposée par voie électronique le 18 octobre 2021, Monsieur [N] [W] a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR réceptionnée le 29 septembre 2021. Cette procédure a été enregistrée sous le RG n°21/02534.

Par conclusions récapitulatives datées du 7 novembre 2023, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son conseil, le FIVA demande à la cour de :

déclarer le FIVA recevable et bien fondé en son appel,

ordonner la jonction des affaires n°21/02509 et n°21/02534 sous la référence unique n°21/02534,

Y faisant droit,

infirmer le jugement en ce qu'il a :

dit que l'existence d'une faute inexcusable des HBL devenues CDF aux droits desquels vient l'ANGDM, dans la survenance de la maladie professionnelle de Monsieur [N] [W] inscrite au tableau n°30B n'était pas établie,

débouté Monsieur [N] [W] et le FIVA de leur demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et de leurs demandes subséquentes,

débouté Monsieur [N] [W] et le FIVA de leurs demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Et statuant à nouveau sur ce point :

dire que la maladie professionnelle dont est atteint Monsieur [N] [W] est la conséquence de la faute inexcusable de l'ancien EPIC CDF pris en la personne de l'ANGDM,

fixer à son maximum la majoration de l'indemnité en capital prévue à l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale, soit 1.952,33 euros et dire que la CPAM de Metz devra verser cette majoration de capital à Monsieur [N] [W],

dire que cette majoration devra suivre l'évolution du TIPP de Monsieur [N] [W] en cas d'aggravation de son état de santé,

dire qu'en cas de décès de la victime imputable à sa maladie professionnelle due à l'amiante, le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant,

fixer l'indemnisation des préjudices personnels de Monsieur [N] [W] comme suit :

souffrances morales : 16.600 euros

souffrances physiques : 300 euros

préjudice d'agrément : 1.300 euros

dire que la CPAM de Moselle devra verser cette somme au FIVA , créancier subrogé en application de l'article L.452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale,

Y ajoutant,

condamner l'ANGDM venant aux droits de CDF à payer au FIVA une somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la partie succombante aux dépens, en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.

Par conclusions datées du 20 décembre 2023, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son conseil, Monsieur [N] [W] demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

En conséquence :

déclarer recevable et bien fondé le recours de Monsieur [N] [W],

rejeter toutes les exceptions et fins de non-recevoir invoquées par l'ANGDM, la CPAM et le FIVA,

dire et juger que la maladie professionnelle dont est atteint Monsieur [N] [W] est due à une faute inexcusable de son ancien employeur, la société CDF dont les obligations d'employeur sont reprises par l'ANGDM, conformément à l'article 2-11 du décret n°2004-1466 du 23 décembre 2004 tel que modifié par le décret n°2017-1800 du 28 décembre 2017,

fixer au maximum la majoration des indemnités dont bénéficie Monsieur [N] [W] aux termes des dispositions du code de la sécurité sociale,

dire et juger qu'en cas d'aggravation de son état de santé, la majoration maximum de la rente suivra l'évolution du taux d'IPP de la victime,

dire et juger qu'en cas de décès de Monsieur [N] [W] imputable à sa maladie professionnelle liée à l'amiante, le principe de la majoration maximum de la rente restera acquis au conjoint survivant,

dire et juger qu'en vertu de l'article 1153-1 du code civil, l'ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

condamner en cause d'appel l'ANGDM au paiement d'une somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner l'ANGDM au paiement des dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Par conclusions d'intimé datées du 18 mars 2024, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son conseil, l'ANGDM demande à la cour de :

A TITRE D'APPEL INCIDENT ET A TITRE PRINCIPAL :

confirmer le jugement du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz en date du 24 septembre 2021 en toutes ses dispositions,

EN CONSEQUENCE :

débouter Monsieur [N] [W], le FIVA et la CPAM de Moselle de toutes leurs demandes formées à l'encontre de l'ANGDM,

A TITRE SUBSIDIAIRE : si par extraordinaire la faute inexcusable était confirmée :

réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires,

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

rejeter les demandes formulées au titre de l'article 700 du CPC,

dire n'y avoir lieu à dépens.

Par conclusions datées du 17 janvier 2023, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son représentant, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM demande à la cour de :

donner acte à la Caisse qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à l'ANGDM,

Le cas échéant,

donner acte à la Caisse qu'elle s'en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de l'indemnité en capital réclamée par Monsieur [N] [W] et le FIVA,

en tout état de cause, de fixer la majoration de l'indemnité en capital dans la limite de 1.952,33 euros,

prendre acte que la Caisse ne s'oppose pas à ce que la majoration de l'indemnité en capital suive l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle de Monsieur [N] [W],

constater que la Caisse ne s'oppose pas à ce que le principe de la majoration de l'indemnité en capital reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès de Monsieur [N] [W] consécutivement à sa maladie professionnelle,

donner acte à la Caisse qu'elle s'en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant des préjudices extrapatrimoniaux subis par Monsieur [N] [W],

le cas échéant, de rejeter toute éventuelle demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle n°30B de Monsieur [N] [W],

de condamner l'ANGDM à rembourser à la Caisse les sommes qu'elle sera tenue de verser au titre de la majoration de l'indemnité en capital et de l'intégralité des préjudices ainsi que des intérêts légaux subséquents en application des dispositions de l'article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale.

De rejeter la demande d'exécution provisoire.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.

SUR CE

SUR LA JONCTION DES PROCEDURES RG n°21/02509 et 21/02534 :

Aux termes de l'article 367 du code de procédure civile, le juge peut, à la demande des parties, ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.

En l'espèce, le FIVA, ainsi que Monsieur [N] [W] ont tous deux interjeté appel du jugement rendu le 24 septembre 2021 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz.

Il convient de faire droit à la demande du FIVA et de prononcer la jonction des deux instances susvisées, sous le numéro 21/2509 dans le cadre d'une bonne administration de la justice.

SUR L'EXPOSITION PROFESSIONNELLE AU RISQUE :

Monsieur [N] [W] sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur. Il indique qu'au regard de son parcours professionnel, il a nécessairement été exposé aux poussières d'amiante, ceci pendant plus de 23 ans. Il ajoute que son exposition est confirmée par les témoignages produits aux débats.

Le FIVA soutient les arguments de Monsieur [N] [W] et confirme que l'exposition de ce dernier à l'inhalation de poussières d'amiante est incontestable.

L'ANGDM conteste l'exposition habituelle de Monsieur [N] [W] au risque du tableau n°30B des maladies professionnelles et critique les attestations produites par ce dernier. Elle considère que les nombreuses pièces générales versés aux débats remettent en cause les attestations du salarié.

La Caisse s'en remet à l'appréciation de la cour.

***********************

Aux termes de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions désignées dans ce tableau. Pour renverser cette présomption, il appartient à l'employeur de démontrer que la maladie est due à une cause totalement étrangère au travail.

Le tableau n°30B désigne les plaques pleurales confirmées par un examen tomodensitométrique comme maladie provoquée par l'inhalation de poussières d'amiante. Ce tableau prévoit un délai de prise en charge de 40 ans et une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer cette affection.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la maladie dont se trouve atteint Monsieur [N] [W] répond aux conditions médicales du tableau n°30B. Seule est discutée l'exposition professionnelle du salarié au risque d'inhalation de poussières d'amiante.

Il convient de rappeler que les plaques pleurales sont une maladie caractéristique de l'inhalation de poussières d'amiante, et que la liste des travaux prévue au tableau n°30B des maladies professionnelles est simplement indicative des travaux susceptibles d'entraîner les affections consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante, de sorte que ce tableau n'impose pas que le salarié ait directement manipulé des produits amiantés, seul important le fait qu'il ait effectué des travaux l'ayant conduit à inhaler habituellement des poussières d'amiante.

Il ressort du relevé de périodes et d'emplois que Monsieur [N] [W] a travaillé dans les chantiers des Houillères du Bassin de Lorraine, devenues les Charbonnages de France, exclusivement au fond du 5 octobre 1981 au 31 août 2003 aux postes suivants : apprenti-mineur, apprenti-mineur compagnonnage, piqueur montage, piqueur traçage charbon, piqueur d'élevage en PRH dressant, abatteur-boiseur, conducteur machine d'abattage dressant et chef de taille.

Monsieur [N] [W] produit aux débats les témoignages établis par quatre anciens collègues de travail, à savoir Messieurs [G] [Y], [C] [V], [A] [X] et [J] [E] (pièces n°10 à 12 et 16 du salarié). Messieurs [A] [X] et [C] [V] ont complété leurs attestations initiales à hauteur d'appel (pièces n°15 et 17 du salarié). L'ANGDM entend remettre en cause l'authenticité de ces témoignages au motif qu'il n'est pas possible d'établir que les témoins ont bien travaillé aux côtés de Monsieur [N] [W].

Si l'ANGDM soutient que les témoignages produits sont stéréotypés, il est rappelé qu'ils ne sauraient être écartés pour ce seul motif et, qu'en tout état de cause, les attestations comportent des passages qui leur sont propres.

La cour relève que les témoins allèguent tous avoir travaillé avec Monsieur [N] [W] :

Monsieur [G] [Y] déclare qu'il était collègue de travail de Monsieur [N] [W] et qu'ils occupaient tous deux le poste de piqueur charbon (pièce n°10 du salarié). Cependant, le témoin ne précise pas la période commune d'activité, ni le puits dans lequel il travaillait avec Monsieur [N] [W], ainsi il ne peut être établi que les deux mineurs ont bien travaillé ensemble.

Monsieur [C] [F] a apporté des précisions dans son attestation complémentaire en indiquant qu'il a travaillé avec Monsieur [N] [W] « plusieurs années à Vouters au secteur Sud-Est plus précisément de 1987 à 1992 en chantier dressant et le plus souvent en attaques multiples en tant que piqueur/boiseur » (pièces n°11 et 17 du salarié). Ces informations sont suffisamment précises et sont corroborées par le relevé de carrière de Monsieur [N] [W], de sorte que le témoin et le salarié ont bien été des collègues de travail directs.

Monsieur [A] [X] a également complété son témoignage initial en précisant qu'il a travaillé avec Monsieur [N] [W] « au Puits Sainte-Fontaine de 1981 à 1986 en tant que piqueur traçage » (pièces n°12 et 15 du salarié). Le relevé de carrière de Monsieur [N] [W] montre que ce dernier a quitté le Puits Sainte-Fontaine à compter du 4 novembre 1985, cependant les informations du témoin confirment que les deux salariés ont travaillé ensemble de 1981 à 1985 dans le même puits.

Monsieur [E] [J] expose qu'il a travaillé avec Monsieur [N] [W] au Puits Sainte-Fontaine de 1981 à 1986 en tant que piqueur traçage aux creusements traçage classiques et machines (pièce n°16 du salarié). La cour formule la même remarque que pour le précédent témoignage, et il est constant que le témoin et l'appelant se sont côtoyés de 1981 à novembre 1985.

Les témoignages de Messieurs [C] [F], [A] [X] et [E] [J] seront dès lors retenus, l'ANGDM ne produisant pas d'éléments pour remettre en cause la qualité de collègues de travail directs du témoin et de l'appelant.

Monsieur [C] [F] explique que dans les chantiers, lui-même et Monsieur [N] [W] devaient utiliser des treuils et palans amiantés (pièces n°11 et 17 du salarié).

Monsieur [A] [X] confirme que l'exposition aux poussières d'amiante provient de l'utilisation quotidienne, et sans arrêt, de machines et d'équipements amiantés qui dégageaient des poussières et des fibres d'amiante lorsqu'ils fonctionnaient (pièces n°12 et 15 du salarié). Il précise que les poussières d'amiante restaient en suspension dans l'air environnant et se mélangeaient aux poussières de charbon et de silice de pierre.

Monsieur [E] [J] explique que les poussières d'amiante étaient générées par les outils employés au fond, les garnitures de frein en amiante se trouvant à l'air libre, ce qui libérait directement les particules d'amiante dans l'air respiré (pièce n°16 du salarié).

Par ailleurs, il est relevé que l'ANGDM indique elle-même dans ses écritures que « Les chaînes des convoyeurs blindés ainsi que le blindé lui-même étaient métalliques et ne contenaient pas d'amiante. Il est vrai que l'opération nécessitait des freinages ; néanmoins, l'analyse réalisée par le Service Sécurité Générale montre que même dans des conditions sévères lors du raccourcissement de la chaîne la libération de fibres au voisinage des convoyeurs blindés était infinitésimale ». Or, il est établi que Monsieur [N] [W] a travaillé directement aux côtés des convoyeurs blindés, particulièrement lorsqu'il occupait le poste de conducteur de machine d'abattage.

Ainsi, il résulte des éléments précités que l'exposition habituelle de Monsieur [N] [W] est établie, au moins jusqu'en 1996, date d'interdiction d'usage de l'amiante. Il convient de relever que la présence d'amiante dans les équipements utilisés au fond résulte du rapport annuel de la Commission d'Hygiène et de sécurité du Bassin du 3 septembre 1996 annexé au compte-rendu de la réunion du Comité de Bassin du 12 septembre 1996, alors que l'exploitant minier y a indiqué rechercher « les lieux potentiels où de l'amiante pourrait être présente ainsi que des matériaux contenant de l'amiante » (pièce n°72 de l'ANGDM).

Dès lors, la présomption d'imputabilité de la maladie au travail trouve à s'appliquer, et l'ANGDM n'apportant pas la preuve contraire que le travail n'a joué aucun rôle dans le développement de la maladie, le caractère professionnel de la maladie dont se trouve atteint Monsieur [N] [W] est établi à l'égard de l'établissement public Charbonnage de France auquel l'ANGDM est substituée. Le jugement entrepris est infirmé.

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR :

Monsieur [N] [W] fait valoir que la réglementation antérieure à 1977 imposait déjà aux employeurs de fournir une protection au personnel contre les poussières, ces dernières incluant nécessairement les poussières d'amiante, et qu'aux termes des articles 212 et suivants du Code Minier, l'exploitant minier est tenu à une obligation générale de sécurité.

Ainsi, compte tenu de l'inscription des affections respiratoires liées à l'amiante dans un tableau des maladies professionnelles à partir de 1945, des connaissances scientifiques raisonnablement accessibles à l'époque, de la réglementation applicable relative à la protection contre les poussières et de l'importance de l'organisation et de l'activité de cet employeur, celui-ci aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié ; que ni l'information, ni les moyens nécessaires à sa protection n'ont été mis en 'uvre par Charbonnages de France.

Le FIVA soutient les arguments de Monsieur [N] [W].

L'ANGDM sollicite la confirmation du jugement entrepris et soutient, outre la contestation de l'exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante, que les Houillères du Bassin de Lorraine ne pouvaient avoir conscience avant 1996 du risque et qu'elles ont mis en 'uvre tous les moyens nécessaires pour protéger les salariés des risques connus à chacune des époques de l'exploitation, avec les données connues et les mesures de protection qui existaient ; qu'elles ont parfaitement satisfait à leur obligation de prévention et de sécurité et qu'aucun défaut d'information ne peut leur être reproché. Elle ajoute que très tôt les Houillères se sont préoccupées des masques et de leur efficacité et ont 'uvré contre l'empoussièrement par la mise en place et l'amélioration constante des systèmes, d'abattage des poussières, d'aérage et de capotage. Il fait également valoir que ce n'est qu'en 1996 qu'ont été introduits dans la liste du tableau n°30 des maladies professionnelles, les travaux d'équipement, d'entretien ou de maintenance effectués sur des matériels ou dans des locaux revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante de sorte que les HBL ne pouvaient pas, dans ce contexte, avoir conscience du danger du risque amiante.

La Caisse s'en remet à l'appréciation de la cour concernant l'établissement de la faute inexcusable.

***********************

L'article L.452-1 du code de la sécurité sociale dispose que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise.

Les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l'employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.

Dans le cadre de son obligation générale de sécurité, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Le manquement à son obligation de sécurité et de protection de la santé de son salarié a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve de ce que celui-ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et de ce qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Sur la conscience du danger par l'employeur :

La dangerosité de l'amiante est connue en France depuis le début du XXème siècle au moins, notamment grâce au Bulletin de l'inspection du travail de 1906 faisant état de très nombreux cas de fibroses chez les ouvriers de filatures et tissage.

Dans les années 1930, plusieurs publications ont également alerté sur l'exposition professionnelle à l'amiante et le développement de certaines pathologies. Ainsi, en 1930, une publication du Docteur Dhers dans la revue La médecine du travail établissait déjà un lien de causalité entre l'asbestose et le travail des ouvriers de l'amiante, et comprenait déjà des recommandations précises en direction des industriels sur les mesures à prendre afin de réduire l'empoussièrement. A partir de 1935 d'autres publications ont fait un lien entre l'exposition professionnelle à l'amiante et le cancer broncho-pulmonaire.

Les maladies engendrées par les poussières d'amiante ont été inscrites pour la première fois au tableau des maladies professionnelles en 1945, et un tableau spécifique aux pathologies consécutives à l'inhalation des poussières d'amiante (asbestose) a été créé en 1950, avec inscription des travaux de calorifugeage au moyen d'amiante dès 1951. La liste des travaux susceptibles d'entraîner les maladies inscrites au tableau n°30A est devenue simplement indicative par décret n°55-1212 du 13 septembre 1955.

Dès lors, les éventuelles carences des pouvoirs publics s'agissant de la protection des travailleurs exposés à l'amiante ne peuvent tenir lieu de fait justificatif et exonérer l'employeur de sa propre responsabilité.

Ainsi, dès le début des années 1950, tout employeur avisé était tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de la fibre d'amiante.

Un décret du 17 août 1977 a fixé des limites de concentration moyenne de fibres d'amiante dans les locaux de travail ainsi que les règles de protection générale ou à défaut individuelle à appliquer. Si ce décret n'était pas applicable aux mines, il ne pouvait qu'alerter à nouveau les Charbonnages de France sur la nocivité de l'amiante. D'ailleurs, il résulte des pièces même produites par l'ANGDM que les Charbonnages de France disposaient d'un service médical interne conséquent et performant dont faisait partie le docteur [O], entré dans l'entreprise en 1977, l'intéressé ayant rédigé sa thèse de docteur en médecine sur l'amiante, ses risques et son utilisation sur les lieux de travail. Sans compter l'existence au sein des Charbonnages de France d'un centre d'études et de recherche (le CERCHAR) à la compétence internationale reconnue en la matière.

Compte tenu de sa dimension et des moyens corrélatifs dont il disposait pour exploiter les informations et les données scientifiques déjà connues à cette époque, sur les dangers liés à l'exposition habituelle à l'inhalation de poussières d'amiante, l'employeur ne pouvait pas ne pas avoir conscience, à l'époque de la période d'emploi de Monsieur [N] [W], des risques sanitaires graves, d'ores et déjà révélés par de nombreuses publications, auxquels se trouvaient exposés son salarié.

Ainsi, au vu de ce qui vient d'être développé et compte tenu des emplois exercés par Monsieur [N] [W] au fond des mines, il en résulte que les HBL puis les Charbonnages de France ne pouvaient ignorer le risque encouru par l'intéressé.

Sur les mesures prises par l'employeur pour préserver le salarié :

S'agissant des mesures de protection mises en 'uvre, une réglementation en matière de protection contre l'empoussiérage a existé très tôt et a connu une évolution particulière à partir de 1951, date du décret n°51-508 du 04 mai 1951 portant règlement général sur l'exploitation des mines dont l'article 314 énonce : 'Des mesures sont prises pour protéger les ouvriers contre les poussières dont l'inhalation est dangereuse'. Également, une instruction du 15 décembre 1975 relative aux mesures de prévention médicales dans les mines de houille a introduit la notion de pneumoconiose autre que la silicose, et a préconisé des mesures de prévention telles que des mesures d'empoussiérage, de classement des chantiers empoussiérés, de détermination de l'aptitude des travailleurs aux différents chantiers et de leur affectation dans les chantiers empoussiérés.

Monsieur [C] [F] déclare que lui-même et Monsieur [N] [W] n'avaient pas été informés des dangers de l'amiante et que personne ne se protégeait des poussières d'amiante (pièces n°11 et 17 du salarié).

Monsieur [A] [X] indique qu'ils ne disposaient d'aucune protection individuelle et collective, et n'ont pas été mis en garde contre les dangers de l'amiante par leur hiérarchie ou la médecine du travail (pièces n°12 et 15 du salarié).

Monsieur [E] [J] explique qu'ils n'ont eu aucune information sur les dangers que représentait l'inhalation d'amiante pour leurs poumons et, qu'à défaut de consigne particulières, ils ne se protégeaient pas (pièce n°16 du salarié).

Force est de constater que le contenu des attestations est trop lapidaire pour attester des manquements reprochés à l'employeur, dès lors notamment qu'aucune précision n'est apportée sur la portée exacte des manquements reprochés à l'employeur, notamment sur la nature précise des protections dont l'absence est reprochée aux Charbonnages de France.

Ainsi, à défaut de faire état et de justifier de carences précises de l'employeur quant à la mise en place de mesures de protection destinées à protéger la santé de Monsieur [N] [W], il convient de constater que les appelants ne démontrent pas suffisamment l'existence de la faute inexcusable de l'employeur comme étant à l'origine de sa maladie professionnelle déclarée par Monsieur [N] [W] et inscrite au tableau n°30B des maladies professionnelles.

Dès lors, en l'absence de caractère probant des attestations versées par Monsieur [N] [W], et en l'absence d'autres éléments, la preuve d'une faute inexcusable des Charbonnages de France n'est pas suffisamment rapportée.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris, pour les motifs du présent arrêt.

SUR L'ACTION RECURSOIRE DE LA CAISSE

Cette demande est sans objet dès lors que la faute inexcusable de l'employeur n'est pas établie.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

L'issue du litige conduit la cour à condamner Monsieur [N] [W] et le FIVA, in solidum, aux dépens d'appel, ceux de première instance étant confirmés.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

ORDONNE la jonction des procédures RG n°21/02509 et 21/02534 sous la procédure n°21/02509,

CONFIRME le jugement entrepris du 24 septembre 2021 du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz,

Y ajoutant,

CONDAMNE Monsieur [N] [W] et le FIVA, in solidum, aux dépens d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 3
Numéro d'arrêt : 21/02509
Date de la décision : 27/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-27;21.02509 ?
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