RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 21/01288 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FQBU
Minute n° 23/00144
[N], [N]
C/
[D]
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de METZ, décision attaquée en date du 06 Mai 2021, enregistrée sous le n° 19/001247
COUR D'APPEL DE METZ
1ère CHAMBRE CIVILE
ARRÊT AVANT DIRE DROIT
DU 20 JUIN 2023
APPELANTS :
Madame [Y] [T] épouse [N]
[Adresse 3]
[Localité 25]
Représentée par Me Agnès BIVER-PATE, avocat au barreau de METZ
Monsieur [K] [N]
[Adresse 3]
[Localité 25]
Représenté par Me Agnès BIVER-PATE, avocat au barreau de METZ
INTIMÉ :
Monsieur [W] [D]
[Adresse 1]
[Localité 19]
Représenté par Me Philippe KAZMIERCZAK, avocat au barreau de METZ
DATE DES DÉBATS : A l'audience publique du 23 Mars 2023 tenue par Mme Anne-Yvonne FLORES, Magistrat rapporteur, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés et en a rendu compte à la cour dans son délibéré, pour l'arrêt être rendu le 20 Juin 2023.
GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Cindy NONDIER
COMPOSITION DE LA COUR:
PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre
ASSESSEURS : Mme FOURNEL,Conseillère
Mme BIRONNEAU, Conseillère
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme FLORES, Présidente de Chambre et par Mme NONDIER, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
M. [W] [D] est propriétaire à [Localité 25] (57) des parcelles cadastrées sous les numéros [Cadastre 10] et [Cadastre 11] section n° 1, exploitées sous forme de vergers principalement de mirabelliers.
M. [K] [N] et Mme [Y] [N] née [T] sont propriétaires indivis à [Localité 25] des parcelles cadastrées sous les numéros [Cadastre 4], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] section n° 1, ainsi que des parcelles [Cadastre 7] à [Cadastre 8] sur lesquelles ils font paître leurs moutons. Dans le cadre de cet élevage, ils louent également aux fins de pâture plusieurs parcelles à proximité de celles de M. [D].
Par courrier du 9 mai 2019, M. [D] a sollicité auprès des époux [N] un droit de passage sur leurs parcelles numérotées [Cadastre 15] et [Cadastre 16], lesquelles donnent sur une voie publique, afin de pouvoir accéder à ses propres parcelles numérotées [Cadastre 10] et [Cadastre 11]. Il leur a également demandé de clôturer ses deux vergers afin que les moutons ne viennent pas souiller et manger l'herbe.
Les époux [N] ont rejeté cette demande d'accès, en faisant valoir que M. [D] pouvait accéder à ses propres parcelles grâce à un sentier communal (sentier dit [Adresse 27]).
Aucun accord n'est intervenu entre les parties au regard du procès-verbal de non-conciliation du 5 août 2019.
Par requête enregistrée au greffe le 19 août 2019, M. [D] a fait citer Mme [N] devant le tribunal d'instance de Metz aux fins d'obtenir judiciairement un droit de passage et la cessation de la divagation des brebis.
Eu égard à la suppression du tribunal d'instance à la date du 31 décembre 2019, l'affaire a été appelée à l'audience du juge du tribunal judiciaire du 06 février 2020.
Par acte d'huissier du 24 novembre 2020, M. [D] a fait assigner en intervention forcée M. [N].
Les époux [N] ont constitué avocat et ont contesté tant l'état d'enclave que la divagation de leurs animaux.
Par jugement du 6 mai 2021, le tribunal judiciaire de Metz a :
Dit que les parcelles situées commune de [Localité 25] cadastrées section 1 n° [Cadastre 10] et [Cadastre 11] sont en état d'enclave ;
Fixé la servitude légale de passage au profit de ces parcelles à travers les parcelles situées commune de [Localité 25] cadastrées section 1 n° [Cadastre 15] et [Cadastre 16], qui appartiennent aux époux [N], sur toute sa largeur de la voie carrossable jusqu'au débouché sur le [Adresse 28] qui longe la parcelle située commune de [Localité 25] cadastrée section 1 n° [Cadastre 17] pour arriver sur le [Adresse 29] ;
Dit qu'à toutes fins utiles la servitude de passage ainsi instituée n'emporte pas droit de stationnement des véhicules des propriétaires ou occupants des fonds dominants sur l'assiette de ladite servitude ;
Rappelle que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende en diminuer l'usage ou à la rendre plus incommode ;
Déboute M. [D] de sa demande de fixation d'une astreinte et de sa demande de condamnation des époux [N] à clôturer les parcelles sur lesquels se trouvent leurs brebis ;
Déboute les époux [N] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée contre M. [D];
Condamne les époux [N] aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'à verser à M. [D] une indemnité de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Débouté les époux [N] de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
Au visa des articles 682 et 683 du code civil, le tribunal a considéré que l'analyse des procès-verbaux de constat d'huissiers produits de part et d'autre met en évidence l'impossibilité, compte tenu de la présence de végétation, d'accéder aux parcelles n° [Cadastre 10] et [Cadastre 11] en empruntant le [Adresse 27] à partir de la rue principale. Il a relevé que le demandeur ne dispose d'aucun droit réel sur ce sentier communal et que d'éventuels travaux de défrichement auraient un coût nécessairement supérieur au prix du fonds de M. [D], fonds que les époux [N] avaient proposé d'acheter pour 800 euros.
Le tribunal a considéré que le procès-verbal de constat complété par les époux [N] établit la possibilité d'accéder aux fonds du demandeur en empruntant à partir de la [Adresse 26] le [Adresse 28], qui longe les parcelles n°[Cadastre 15] et n°[Cadastre 16] des époux [N], puis le [Adresse 29] qui dessert les parcelles n°[Cadastre 10] et n°[Cadastre 11], mais il a relevé que le [Adresse 28], au moins dans sa première portion longeant les parcelles des défendeurs au départ de la [Adresse 26], est constituée d'une bande d'herbe, entravée dès le début par un empilement d'agglomérés.
Il en a déduit qu'il existe un sous-dimensionnement de l'accès à la voie publique empêchant au demandeur de circuler en automobile pour accéder à son fonds, alors que l'entretien de ce dernier suppose des travaux de taille et d'élagage de nature à engendrer des déchets volumineux difficiles à évacuer sans disposer d'un véhicule motorisé pouvant effectuer le trajet jusqu'à la voie publique.
Le tribunal a donc considéré qu'il y avait lieu de fixer la servitude légale demandée par M. [D], sans qu'une astreinte n'apparaisse nécessaire.
Sur la divagation des animaux, la juridiction de première instance a indiqué que d'une part, le procès-verbal de constat produit par les défendeurs établit que les parcelles n° [Cadastre 5] et n° [Cadastre 6], contenant leurs parcs à moutons, sont clôturées et que d'autre part, M. [D] n'établit ni la récurrence de la présence de moutons en-dehors de leur parc ni le moindre dommage.
Par déclaration reçue au greffe le 20 mai 2021, M. et Mme [N] ont interjeté appel aux fins d'infirmation et d'annulation du jugement entrepris, en ce qu'il a dit que les parcelles situées commune de [Localité 25] cadastrées section 1 n° [Cadastre 10] et [Cadastre 11] sont en état d'enclave, fixé la servitude légale de passage au profit de ces parcelles à travers les parcelles situées commune de [Localité 25] cadastrées section 1 n° [Cadastre 15] et [Cadastre 16], qui appartiennent aux époux [N], sur toute sa largeur de la voie carrossable jusqu'au débouché sur le [Adresse 28] qui longe la parcelle située commune de [Localité 25] cadastrée section 1 n° [Cadastre 17] pour arriver sur le [Adresse 29], ordonné la publication du jugement au service de la publicité foncière pour la partie qui y a intérêt et à ses frais, dit qu'à toutes fins utiles la servitude de passage ainsi instituée n'emporte pas droit de stationnement des véhicules des propriétaires ou occupants des fonds dominants sur l'assiette de ladite servitude, rappelé que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende en diminuer l'usage ou à la rendre plus incommode, débouté les époux [N] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée contre M. [D], condamné les époux [N] aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'à verser à M. [D] une indemnité de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, débouté les époux [N] de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [D] a formé appel incident par conclusions déposées le 12 novembre 2021.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans leurs dernières conclusions déposées le 9 février 2023, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, les époux [N] demandent à la cour, au visa de l'article 682 du code de procédure civile, de :
Juger recevable leur appel ;
Débouter M. [D] de son appel incident ;
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que les parcelles situées commune de [Localité 25] cadastrées section 1 n° [Cadastre 10] et [Cadastre 11] sont en état d'enclave, fixé la servitude légale de passage au profit de ces parcelles à travers les parcelles situées commune de [Localité 25] cadastrées section 1 n° [Cadastre 15] et [Cadastre 16], qui appartiennent aux époux [N], sur toute sa largeur de la voie carrossable jusqu'au débouché sur le [Adresse 28] qui longe la parcelle située commune de [Localité 25] cadastrée section 1 n° [Cadastre 17] pour arriver sur le [Adresse 29], ordonné la publication du jugement au service de la publicité foncière pour la partie qui y a intérêt et à ses frais, dit qu'à toutes fins utiles la servitude de passage ainsi instituée n'emporte pas droit de stationnement des véhicules des propriétaires ou occupants des fonds dominants sur l'assiette de ladite servitude, rappelé que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende en diminuer l'usage ou à la rendre plus incommode, débouté les époux [N] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée contre M. [D], condamné les époux [N] aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'à verser à M. [D] une indemnité de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, débouté les époux [N] de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
débouter M. [D] de l'intégralité de ses demandes ;
Subsidiairement,
le condamner à leur payer une indemnité correspondant au dommage occasionné par la servitude de passage d'un montant de 2000 euros ;
condamner M. [D] aux entiers dépens d'instance et d'appel ainsi qu'à payer aux époux [N] une indemnité de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Selon les époux [N], il existe en réalité trois voies d'accès permettant à M. [D] de rejoindre ses parcelles sans traverser leur propre fonds : soit par le sentier communal de la tuilerie en enlevant les agglos déposés par un autre voisin M. [P], que M. [D] n'a pas sollicité ni assigné, soit par la rue principale puis un sentier communal entre les parcelles [Cadastre 2],[Cadastre 23],[Cadastre 22],[Cadastre 21] qui rejoint le [Adresse 29] ou enfin par la rue principale puis par le [Adresse 27].
Ils versent aux débats un plan matérialisant ces différentes solutions.
Ils en déduisent que les terrains de M. [D] ne sont pas enclavés pour l'usage qu'il veut en faire, que M. [D] ne vient pas ramasser les fruits qui pourrissent au sol et ils assurent qu'eux-mêmes déplacent leurs animaux à la période de mûrissement et de cueillette car les mirabelles sont toxiques pour les brebis.
Ils versent aux débats une attestation du maire de la commune selon laquelle le [Adresse 27] est bien praticable et ils ajoutent que si M. [D] estime que ce n'est pas le cas, il lui appartient de solliciter la municipalité pour qu'elle assure l'accès à ses parcelles.
Les époux [N] communiquent également deux attestations confirmant le caractère praticable du sentier longeant les parcelles [Cadastre 21], [Cadastre 22], [Cadastre 23] et [Cadastre 2], y compris avec une tondeuse.
Ils en déduisent qu'il ne leur incombe pas d'assurer un passage à M. [D] sur leurs parcelles au motif que la commune n'entretiendrait pas les sentiers communaux, dont l'un est obstrué par des agglos posés par une tierce personne.
Selon M. et Mme [N], le premier juge a commis une erreur d'appréciation en leur imposant une servitude de passage au motif d'un sous-dimensionnement de l'accès à la voie publique empêchant M. [D] de circuler en automobile pour accéder à son fonds, car même si l'intimé bénéficiait d'un droit de passage sur les parcelles n°[Cadastre 15] et [Cadastre 16], il ne pourrait de toute façon pas rejoindre ses terrains avec un quelconque véhicule motorisé, car après les parcelles n°[Cadastre 15] et [Cadastre 16], le chemin des tuileries, puis le [Adresse 29] qui le prolonge, ne permettent en aucun cas la circulation de ce type de véhicule.
Les époux [N] sollicitent à titre subsidiaire une indemnité au regard de la gêne occasionnée à Mme [N] dans son activité professionnelle et précisent qu'ils avaient demandé à la commune il y a quelques années de participer à l'entretien de leur voie carrossable en contrepartie d'une autorisation d'utilisation par tous les piétons et véhicules, mais que cela leur avait été refusé.
Sur la divagation des animaux, ils soulignent les contradictions de M. [D] qui leur demande de clôturer leurs parcelles mais se plaint aussi du fait que la clôture électrique qu'ils ont installée fait obstacle à la servitude admise par le premier juge.
Ils s'en rapportent à la motivation du premier juge pour considérer que la partie adverse ne rapporte la preuve, ni de la divagation des brebis, ni du fait que ces dernières mangeraient les fruits des arbres par ailleurs très âgés.
Ils indiquent que c'est M. [D] qui cause la divagation des moutons en ne remettant pas en place les poignées de la clôture qu'il ouvre lui-même et ils soutiennent qu'ils n'entravent en rien l'accès au chemin.
Dans ses dernières conclusions déposées le 14 mars 2023, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, M. [D] demande à la cour de :
rejeter l'appel des époux [N] ;
les déclarer mal fondés en leur demande d'indemnité d'un montant de 2 000 euros au titre d'un prétendu dommage occasionné ;
les débouter de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
faire droit en revanche à l'appel incident de M. [D] ;
infirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [D] de sa demande de fixation d'une astreinte et de sa demande de condamnation des époux [N] à clôturer les parcelles sur lesquelles se trouvent leurs brebis ;
Et statuant à nouveau sur ces points et y ajoutant,
condamner les époux [N] à libérer, afin de permettre l'usage de la servitude, l'accès à leur propriété mais également à ne rien faire qui tende à diminuer l'usage de la servitude ou à la rendre plus incommode, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
condamner les époux [N] à supprimer les clôtures électriques installées en bordure et en travers du chemin des Bitons, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
ordonner aux époux [N] de clôturer leurs parcelles afin d'éviter toute divagation intempestive de leurs brebis et moutons, et ce sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard ;
à tout le moins, condamner les époux [N] à ne plus laisser leurs brebis et moutons divaguer sur les parcelles n° [Cadastre 10] et [Cadastre 11] appartenant à M. [D], et ce sous peine d'une astreinte de 100 euros par infraction constatée ;
condamner les époux [N] à lui payer une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des divagations des brebis et moutons leur appartenant ;
condamner les époux [N] aux dépens d'appel ainsi qu'au règlement d'une somme globale de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant pour la procédure de première instance que d'appel.
A titre liminaire, M. [D] expose qu'il existe deux voies d'accès à ses parcelles, soit le [Adresse 27], soit le [Adresse 29] via celui de la Tuilerie, que le [Adresse 27] est impraticable et que l'accès au [Adresse 28] est entravé par une construction et un empilement d'agglomérés, ce qui nécessite d'emprunter sur une dizaine de mètres un chemin de pierres situé sur les parcelles de M. et Mme [N], raison pour laquelle il a sollicité auprès d'eux un droit de passage.
L'intimé estime qu'il démontre le caractère impraticable du [Adresse 27], grâce à une attestation du maire et aux procès-verbaux de constats d'huissier établis par deux études différentes.
Il s'étonne du revirement du maire de la commune qui a finalement attesté au profit des époux [N] pour confirmer que le [Adresse 27] est praticable à pied avec une tondeuse.
En ce qui concerne la desserte constituée par le sentier situé entre la parcelle n°[Cadastre 2] d'une part et les parcelles n° [Cadastre 24],[Cadastre 22] et [Cadastre 23] d'autre part, et mentionnée par les époux [N] dans leurs conclusions, il indique que les appelants ne l'avaient pas évoquée auparavant et qu'en tout état de cause, le constat d'huissier du 13 juillet 2022 démontre que ce chemin présente non seulement de nombreux trous rendant la manutention de la tondeuse extrêmement difficile, mais un fort dénivelé, en particulier sur les derniers mètres.
Il soutient que compte tenu d'une pente qualifiée de très forte en première partie et de l'humidité rendant la mousse et l'herbe glissantes, il serait dangereux de passer par ce chemin avec une tondeuse, a fortiori pour une personne âgée de 74 ans et il ajoute que l'attestation complétée sur ce point par Mme [G] au soutien des époux [N] relève du « copinage ».
Selon M. [D], des vergers, qui supposent des travaux de taille et d'élagage, justifient parfaitement le droit de passage revendiqué compte tenu du sous-dimensionnement existant de l'accès à la voie publique.
Il admet que l'accès par le sentier communal de la Tuilerie est théoriquement possible à pied, mais pas avec un véhicule motorisé dans la mesure où sa première portion est constituée d'une bande d'herbes, qui plus est entravée dès le début par un empilement d'agglomérés.
Il précise que l'entrée du sentier a été murée à l'aide de parpaings au niveau des parcelles n°[Cadastre 14] et n°[Cadastre 13], que toute tentative de rapprochement a été vaine avec le voisin concerné, le maire ayant refusé d'intervenir.
M. [D] verse aux débats la lettre adressée à l'origine au maire pour lui demander de libérer l'entrée du [Adresse 28], lui seul ayant l'autorité et le pouvoir de le faire, mais il indique que l'édile n'y a pas donné suite, ce qui a selon l'intimé rendu la présente procédure inéluctable.
M. [D] estime que les époux [N] avaient reconnu l'état d'enclave dans leur réponse à la proposition de vente des deux parcelles litigieuses, quand ils ont justifié leur proposition de prix minoré par le fait que ces parcelles « sont enclavées et accessibles uniquement par des sentiers ».
Selon l'intimé, le procès-verbal de constat du 15 septembre 2021 démontre, photographies à l'appui, que la largeur et le devers du [Adresse 29] permet bien l'acheminement de petit matériel et d'une tondeuse sans risque, y compris dans sa partie Ouest qui borde un sous-bois présentant un fort devers.
Il affirme que pour compliquer le passage, M. et Mme [N] n'ont pas hésité à poser en toute illégalité, à hauteur de la parcelle n°[Cadastre 4], une clôture électrifiée en bordure d'un terrain pour rendre plus étroit le chemin communal et, à hauteur de la parcelle n°[Cadastre 6], une clôture électrifiée en travers du chemin pour carrément en barrer l'accès.
Sur la demande d'indemnité présentée par les parties adverses, l'intimé estime qu'aucun dommage n'est susceptible d'être occasionné par les quelques passages de M. [D] sur une longueur d'une dizaine de mètres sur la partie empierrée des parcelles des époux [N].
Sur son appel incident, M. [D] indique qu'une astreinte est indispensable dans la mesure où les époux [N] ont posé une clôture pour faire obstacle à son passage.
Il affirme qu'il ne peut pas remettre les poignées en place car la barrière est électrifiée.
S'agissant du problème des animaux, il reproche au tribunal d'avoir retenu que les parcelles n°[Cadastre 5] et [Cadastre 6], contenant les parcs à moutons, sont clôturées, alors qu'il est question des parcelles n°[Cadastre 12],[Cadastre 11],[Cadastre 9] et [Cadastre 10], sur lesquelles les moutons sont en liberté.
Il s'en réfère au constat du 13 juillet 2022 dans lequel l'huissier mentionne que le troupeau est retourné sur les parcelles n°[Cadastre 18] et [Cadastre 20] par une ouverture dans la clôture.
Il considère également que les époux [N], en se prévalant d'une énième attestation du maire confirmant que la commune ne voit aucun inconvénient à ce que leurs moutons paissent sur les sentiers communaux, admettent implicitement mais nécessairement que leurs bêtes ne sont pas enfermées.
M. [D] soutient que la récurrence de cette difficulté est établie ainsi que les dommages occasionnés, car les constats d'huissier démontrent la présence sur ses parcelles de nombreux excréments de moutons, ce qui empêche le ramassage des fruits, ainsi que l'absence de branchages et feuillages jusqu'à une hauteur d'environ 1,50 m sur les arbres du verger.
Il fait valoir que selon l'article 1243 du Code civil, le propriétaire d'un animal, ou celui qui s'en sert, pendant qu'il est à son usage, est responsable du dommage que l'animal a causé, soit que l'animal fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé et qu'il a été jugé que cet article était applicable à des dégâts causés aux récoltes par un colombier voisin. (Cass.Civ.2ème 24 mai 1991, n° 90-12.912).
Il indique demander la clôture des parcelles des époux [N] afin de faire cesser ces nuisances.
MOTIFS DE LA DECISION
Il résulte des articles 12 et 16 du code de procédure civile que lorsqu'une juridiction décide de relever d'office un moyen, elle est tenue en toute circonstance de respecter le principe de la contradiction en invitant les parties à s'expliquer sur celui-ci.
M. [D] demande à la cour d'ordonner aux époux [N] de clôturer leurs parcelles afin d'éviter toute divagation intempestive de leurs brebis et moutons, et ce sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard et à tout le moins, de condamner les époux [N] à ne plus laisser leurs brebis et moutons divaguer sur les parcelles n° [Cadastre 10] et [Cadastre 11] appartenant à M. [D], et ce sous peine d'une astreinte de 100 euros par infraction constatée.
M. [D] fonde ces réclamations sur l'article 1243 du code civil (anciennement 1385 du code civil) mais ce texte permet seulement la réparation des dommages passés causés par les animaux et non la prévention d'éventuels dommages ultérieurs.
En réalité et puisque M. [D] demande « la cessation de ces nuisances », les prétentions précitées s'analysent comme étant des demandes fondées sur la théorie des troubles anormaux de voisinage (sur ce point, voir par exemple Cass. 2e civ., 11 sept. 2014, n° 13-23.049).
Ce fondement est le seul sur lequel pourraient être envisagées les mesures propres à mettre un terme à ce trouble, étant observé par ailleurs que la clôture forcée prévue à l'article 663 du code civil n'est pas applicable aux parcelles situées en milieu rural.
Les débats seront réouverts afin de permettre aux parties de s'expliquer sur le fondement juridique ainsi soulevé par la cour, sur le caractère anormal du trouble de voisinage invoqué par M. [D] et sur les mesures propres à mettre un terme à ce trouble si son caractère anormal est établi.
Les demandes ainsi que les dépens seront réservés.
PAR CES MOTIFS
La cour, avant dire droit,
Ordonne le rabat de l'ordonnance de clôture ;
Ordonne la réouverture des débats, tout droit et moyens des parties réservés ;
Invite les parties à faire toute observation utile sur le fondement juridique des prétentions de M. [D] au titre de la divagation des troupeaux, sur le caractère anormal du trouble de voisinage invoqué par M. [D] et sur les mesures propres à mettre un terme à ce trouble si son caractère anormal est établi et ce selon le calendrier suivant :
les observations de M. [D] sont attendues avant le 15 octobre 2023 et celles de M. et Mme [N] avant le 15 février 2024 ;
Dit que l'affaire sera renvoyée à la mise en état du 14 mars 2024, pour fixation d'un calendrier ou clôture de l'affaire ;
Réserve les demandes ainsi que les dépens.
La Greffière La Présidente de chambre