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16/05/2023 | FRANCE | N°19/02175

France | France, Cour d'appel de Metz, 1ère chambre, 16 mai 2023, 19/02175


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS













N° RG 19/02175 - N° Portalis DBVS-V-B7D-FDKK

Minute n° 23/00119





[P], [I], S.A. AXA FRANCE IARD

C/

[P], [I], S.A. AXA FRANCE IARD, S.A. ENEDIS









Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance de METZ, décision attaquée en date du 27 Juin 2019, enregistrée sous le n° 2017/01090





COUR D'APPEL DE METZ



1ère CHAMBRE CIIVLE



ARRÊT DU

16 MAI 2023









APPELANTS :



Monsieur [O] [U]

[Adresse 7]

[Localité 4]



Représenté par Me Elise SEBBAN, avocat au barreau de METZ





Madame [F] [I] épouse [U]

[Adresse 7]

[Localité 4]



Représentée par Me ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 19/02175 - N° Portalis DBVS-V-B7D-FDKK

Minute n° 23/00119

[P], [I], S.A. AXA FRANCE IARD

C/

[P], [I], S.A. AXA FRANCE IARD, S.A. ENEDIS

Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance de METZ, décision attaquée en date du 27 Juin 2019, enregistrée sous le n° 2017/01090

COUR D'APPEL DE METZ

1ère CHAMBRE CIIVLE

ARRÊT DU 16 MAI 2023

APPELANTS :

Monsieur [O] [U]

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représenté par Me Elise SEBBAN, avocat au barreau de METZ

Madame [F] [I] épouse [U]

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentée par Me Elise SEBBAN, avocat au barreau de METZ

SA AXA FRANCE IARD , représentée par son représentant légal,

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Hugues MONCHAMPS, avocat au barreau de METZ

INTIMÉS :

Monsieur [O] [U]

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représenté par Me Elise SEBBAN, avocat au barreau de METZ

Madame [F] [I] épouse [U]

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentée par Me Elise SEBBAN, avocat au barreau de METZ

SA AXA FRANCE IARD , représentée par son représentant légal,

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Hugues MONCHAMPS, avocat au barreau de METZ

SA ENEDIS représentée par son représentant légal

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Hervé HAXAIRE, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Claude BOURGAUX, avocat plaidant au barreau de NANCY

DATE DES DÉBATS : A l'audience publique du 11 Octobre 2022 tenue par Madame Laurence FOURNEL, Magistrat rapporteur, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés et en a rendu compte à la cour dans son délibéré, pour l'arrêt être rendu le 16 Mai 2023, en application de l'article 450 alinéa 3 du code de procédure civile.

GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Cindy NONDIER

COMPOSITION DE LA COUR :

PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre

ASSESSEURS : Mme FOURNEL,Conseillère

Mme BIRONNEAU, Conseillère

ARRÊT : Contradictoire

Rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme FLORES, Présidente de Chambre et par Mme NONDIER, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

M. [O] [U] et Mme [F] [U] sont propriétaires d'une maison d'habitation sise [Adresse 1].

Le 27 décembre 2010 vers 3 heures du matin, un incendie s'est déclaré dans la maison. En fuyant les lieux M. et Mme [U] et leur fils ont aperçu des étincelles et des arcs électriques derrière la porte du garage. Le garage a été ravagé par les flammes, et l'ensemble de la maison et de son contenu gravement endommagé, notamment par les fumées dégagées par l'incendie.

M. et Mme [U] ont déclaré le sinistre à leur assureur la compagnie d'assurance AXA. Un procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances du dommage et à l'évaluation des dommages a été établi entre les experts des assureurs respectifs des époux [U] et de Enedis le 12 décembre 2011. Tout en retenant une cause d'ordre électrique les experts n'ont pas déterminé l'origine précise du sinistre, et ont renvoyé à l'expertise judiciaire en cours. Ils ont également procédé à l'évaluation des dommages imputables au sinistre.

Par ordonnance du 14 juin 2011 redue à la requête de M. et Mme [U] et au contradictoire de la SA ERDF, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Metz a ordonné une mesure d'expertise, confiée à M. [T] [E], aux fins de déterminer la cause du sinistre, chiffrer l'étendue des préjudices immobiliers et mobiliers et le coût des remèdes ou réparations nécessaire ainsi que leur durée.

L'expert a effectué plusieurs visites et remis successivement deux notes de synthèse puis un rapport définitif en date du 9 juillet 2013.

Il a conclu que le départ de feu était dû à une défaillance du disjoncteur d'abonné situé dans le garage, disjoncteur appartenant à ERDF.

Compte tenu des constatations faites sur place par l'expert et notamment des traces d'échauffement et de brûlures les plus importantes retrouvées sur le coffret de fusibles situé au-dessus du disjoncteur d'abonné, l'expert en a déduit que le départ d'incendie se situait au niveau de ce disjoncteur.

En outre pour expliquer l'importante élévation de température par effet joule constatée, l'expert a écarté l'hypothèse d'une intensité de courant trop importante car celle-ci aurait fait sauter le disjoncteur d'abonné ou fait fondre le fusible de 60 A ce qui n'était pas le cas, et en a déduit que la seule solution restante pour obtenir une élévation de température suffisante par effet Joule était que la résistance électrique des contacts de puissance interne du disjoncteur était trop grande.

Cette résistance provenait selon l'expert du vieillissement des composants internes au disjoncteur dont l'âge pouvait être estimé à une trentaine d'années voire plus.

L'expert a maintenu ses conclusions malgré les objections qui lui ont été apportées par le biais des dires de ERDF, auxquels il a répondu.

Par acte du 03 avril 2017, M. et Mme [U] ont assigné devant le tribunal de grande instance de Metz la société ENEDIS, ex ERDF, afin de voir homologuer le rapport d'expertise de M. [E] et voir condamner la société Enedis à leur payer diverses sommes en réparation de leurs différents chefs de préjudice.

La société AXA France est intervenue volontairement à l'instance et a également formé une demande à l'encontre de Enedis en sa qualité d'assureur subrogé dans les droits de M. et Mme [U].

Les époux [U] ont fait valoir au cours de la procédure et après avoir fondé leur demande sur la responsabilité du fait des choses, qu'ils fondaient leur action sur la responsabilité contractuelle pour faute de la société Enedis qui n'a pas uniquement manqué à son obligation contractuelle de sécurité en sa qualité de producteur d'électricité, mais a également commis une faute en mettant à leur disposition un disjoncteur abonnés présentant un défaut qui est à l'origine de leur dommage.

Ils ont fait valoir que selon l'article 1245-17 du code civil, les dispositions qui régissent la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle de droit commun ou au titre d'un régime spécial de responsabilité, et en ont conclu que leur action en responsabilité pour faute contractuelle échappait à la prescription de trois ans en matière de produits défectueux, et relevait de la prescription quinquennale de droit commun.

En outre et compte tenu du fait que la société Enedis se prévalait de l'application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux, ils ont également fait valoir que ce régime de responsabilité ne pouvait s'appliquer aux produits mis en circulation avant le 21 mai 1998 date d'entrée en vigueur des dispositions de la loi du 19 mai 1998 ayant transposé la directive européenne du 25 juillet 1985 sur les produits défectueux.

La société AXA a adopté le même raisonnement.

La société Enedis leur a au contraire opposé la prescription de trois ans sur le fondement des dispositions combinées des articles 1245, 1245-2 et 1245-16 du code civil, en considérant que trouvait à s'appliquer en l'espèce le régime de responsabilité propre aux produits défectueux issu de la transposition en droit français de la directive communautaire du 25 juillet 1985.

Elle relevait qu'il lui était bien reproché une défectuosité du branchement permettant la distribution d'électricité, et qu'aux termes de l'article 1245-2 précité l'électricité est considérée comme un produit.

Elle soutenait que ce régime de responsabilité ne pouvait être éludé au profit d'un autre dès lors qu'il présentait un caractère d'ordre public et excluait donc l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle.

Subsidiairement elle contestait entièrement les conclusions de l'expert qu'elle estimait basées sur de simples suppositions ce qui justifiait sa demande de contre-expertise.

Par jugement du 27 juin 2019 le tribunal de grande instance de Metz a :

Donné acte à la SA Axa France IARD prise en la personne de son représentant légal de son intervention volontaire;

Dit et jugé que seules les dispositions légales du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux ont vocation à s'appliquer dans le présent litige et que M. et Mme [U] ne sont pas recevables à agir sur le fondement de l'article 1147 du Code civil (action en responsabilité contractuelle de droit commun) pour inexécution d'une obligation de sécurité du professionnel à laquelle il aurait été tenu pour une fourniture d'électricité prétendument défectueuse ou bien en raison de la fourniture d'un disjoncteur d'abonnés supposé défectueux ;

Déclaré en conséquence irrecevables comme étant prescrites les actions formées par M. et Mme [U] en responsabilité pour inexécution d'une obligation de sécurité du professionnel à laquelle il aurait été tenu pour une fourniture d'électricité prétendue défectueuse ou bien pour inexécution fautive du contrat d'abonnement en raison de la mise à disposition d'un disjoncteur abonné supposé défectueux ;

Déclaré irrecevable l'action subrogatoire exercée par la SA Axa France IARD à l'encontre de la SA Enedis;

Condamné in solidum M. [O] [U] et Mme [F] [U] née [I], d'une part, la SA Axa France IARD, d'autre part, aux dépens;

Condamné M. [O] [U] et Mme [F] [U] née [I] à régler à la SA Enedis prise en la personne de son représentant légal la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :

Condamné la SA Axa France IARD prise en la personne de son représentant légal à régler à la SA Enedis prise en la personne de son représentant légal la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Débouté M. [O] [U] et Mme [F] [U] née [I] de leur demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Débouté la SA Axa France IARD de sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement.

Pour statuer ainsi le Tribunal a distingué le grief tiré de la responsabilité de Enedis en sa qualité de fournisseur d'électricité tenu selon les époux [U] d'une obligation de sécurité et d'autre part le grief tiré de la faute contractuelle de Enedis pour avoir mis à disposition des demandeurs un disjoncteur abonné présentant un défaut qui est à l'origine de leur dommage.

Sur l'action en responsabilité contractuelle fondée sur l'inexécution d'une obligation de sécurité à laquelle serait tenue Enedis par le contrat de fourniture d'électricité passé entre les parties, le tribunal a pris acte de ce que les demandeurs se prévalaient des dispositions de l'article 1245-17 du code civil selon lesquelles les dispositions du chapitre relatives à la responsabilité des produits défectueux « ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité », et de celles de l'article 1231-1 selon lesquelles le débiteur est condamné à des dommages et intérêts en cas d'inexécution de son obligation.

Il a considéré les dispositions relatives aux produits défectueux applicables à la fourniture d'électricité, selon l'article 1245-2.

Cependant il a également considéré qu'il convenait de vérifier la possibilité de faire application de l'article 1147 du code civil à la lumière de la directive européenne du 25 juillet 1985 et s'est fondé sur la décision de la CJUE du 25 avril 2002 de laquelle il ressort que, à la question préjudicielle qui lui était posée, la Cour a dit pour droit que l'article 13 de la directive ( aujourd'hui transcrit sous l'article 1245-17) « ne saurait être interprété comme laissant aux Etats membres la possibilité de maintenir un régime général de responsabilité du fait des produits défectueux différent de celui prévu par la directive » .

Par conséquent selon le tribunal, l'article 13 doit se comprendre comme permettant seulement aux Etats membres de maintenir des régimes de droit commun reposant sur des fondements différents, comme la garantie des vices cachés ou la faute, ce qui s'entend en l'absence de relations contractuelle entre les parties, de la responsabilité du fait personnel ou de la responsabilité du fait des choses, lesquelles ne sont nullement invoquées en l'espèce.

Le tribunal en a déduit que l'article 1245-17 (ou anciennement 1386-18) du code civil ne permettait pas à la victime d'écarter le régime spécial de responsabilité du fait des produits défectueux au bénéfice d'une responsabilité fondée sur l'obligation de sécurité du professionnel.

Il a dès lors considéré que M. et Mme [U] n'étaient pas recevables à agir sur le fondement du manquement par le vendeur ou le prestataire d'énergie à une obligation contractuelle de sécurité et qu'en réalité le seul fondement de leur action était le défaut de l'électricité vendue, fondement qui renvoie bien à la responsabilité du fait des produits défectueux.

Faisant application de l'article 1386-17 ancien alors applicable (avant la réforme de 2016) le Tribunal a jugé que la prescription de 3 ans courant à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, trouvait à s'appliquer en l'espèce et que son point de départ se situait à la date de notification du rapport définitif d'expertise, soit le 9 juillet 2013.

Il en a déduit que l'action était prescrite.

Sur l'action en responsabilité contractuelle pour inexécution fautive du contrat en raison de la mise à disposition d'un disjoncteur d'abonné défectueux, le tribunal a rappelé que, outre les situations relevant de l'application des textes du code civil résultant de la transposition de la directive, et les situations de la période transitoire au cours de laquelle la directive existait mais n'était pas encore transposée, il existait effectivement des situations anciennes dans lesquelles seul l'ancien régime de responsabilité de droit commun était applicable.

Il a cependant observé que l'expert n'avait indiqué aucune date pouvant être prise en compte comme constitutive du moment où la défectuosité du compteur aurait été avérée, qu'en l'espèce, la faute reprochée à Enedis se confondait avec le défaut du produit, et que les demandeurs ne caractérisaient aucune autre faute distincte à l'encontre d'Enedis.

Il a dès lors considéré que le raisonnement des demandeurs et la possibilité d'admettre une action fondée sur le droit commun reviendrait à leur laisser une possibilité d'option entre plusieurs régimes de responsabilité sans se livrer à aucune démonstration technique sur la faute alléguée.

Or dès lors que la seule faute alléguée apparaissait être comme en l'espèce le fait du produit, les demandeurs ne pouvaient se fonder sur le droit commun mais uniquement sur la responsabilité du fait des produits défectueux.

Le tribunal a encore observé que les demandeurs ne s'expliquaient pas sur l'absence de mise en 'uvre des dispositions de l'ancien article 1386-4, alors pourtant qu'en l'espèce la faute alléguée par eux s'entendait d'un produit qui n'offrait pas selon eux la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

Il a de même observé que le raisonnement des demandeurs aboutirait à retarder artificiellement le point de départ du délai de prescription et enfin qu'il n'a jamais été soutenu que, avant l'incendie, le disjoncteur ne fonctionnait pas puisque les époux [U] en avaient un usage continu et qu'il n'était indiqué aucune date à partir de laquelle il serait devenu défectueux de sorte que le défaut ne s'était révélé que le 27 décembre 2010 et qu'il y avait lieu par conséquent de faire application du régime de responsabilité applicable à cette date.

Il a encore remarqué que les époux [U] se prévalaient de la notion de « mise en circulation » alors qu'il s'agit d'une notion propre à une disposition issue de la loi du 19 mai 1998 et étrangère à la responsabilité de droit commun revendiquée.

Il a finalement conclu que la seule faute contractuelle alléguée par les demandeurs, consistait dans la mise à disposition d'un disjoncteur ayant présenté un défaut, que ce défaut ne s'était révélé que le 27 décembre 2010 et qu'il y avait donc lieu de faire application du régime de responsabilité en vigueur à cette date, à savoir le régime de responsabilité du fait des produits défectueux de sorte que l'action était également prescrite sur ce fondement.

Par déclaration du 30 août 2019 M. [O] [U] et Mme [F] [I] épouse [U] ont interjeté appel de ce jugement.

Par déclaration en date du 24 septembre 2019 la SA Axa France IARD a également interjeté appel de cette décision.

Les procédures issues de ces deux appels ont été jointes par ordonnance du 23 mars 2021.

***

Dans leurs dernières conclusions du 06 janvier 2021 M. et Mme [U] ont demandé à la cour d'infirmer le jugement déféré, d'homologuer le rapport d'expertise, et de condamner la société Enedis à leur payer les sommes de :

197.938,29 € au titre de l'indemnisation de leur préjudice immobilier, et 260.391,40 € au titre de leur préjudice mobilier, dont à déduire la somme de 219.235,20 € versée par la société Axa France IARD et pour laquelle celle-ci est subrogée dans leurs droits,

62 695,03 € au titre de l'indemnisation des frais divers attenants au sinistre,

10 217,74 € au titre de l'indemnisation des pertes des denrées alimentaires,

40 842,77 € au titre du remboursement des loyers pour la période de janvier 2011 à décembre 2020.

58 800,00 € au titre de l'indemnisation de la perte de jouissance de la maison pour la période de janvier 2011 à décembre 2017,

4 968,00 € au titre du remboursement des loyers des deux garages pour la période de janvier 2011 à décembre 2017,

349,20 € par mois au titre du remboursement du loyer,à compter du 1er janvier 2021 ,

700,00€ par mois au titre de l'indemnisation de la perte de jouissance de la maison, et 62,00 € par mois au titre du remboursement du loyer des deux garages, à compter du 1er janvier 2018 et jusqu'à la fin des travaux de remise en état de la maison

331,77 € par mois au titre du remboursement des frais de garde meubles à compter du jugement et jusqu'à la fin des travaux de remise en état de la maison, avec intérêts au taux légal à compter de leur exigibilité,

10.000 € à chacun au titre de leur préjudice moral

5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions du 18 novembre 2020 la SA Axa France IARD a demandé à la Cour, en substance, de statuer ce que de droit sur l'appel de M. et Mme [U] en ce que leurs moyens et prétentions ne seraient pas contraires à ceux exposés par Axa, infirmer le jugement entrepris, dire et juger que la directive 85/374/CEE du conseil du 25 juillet 1985 n'était pas applicable aux faits de la cause, que l'action de M. et Mme [U] n'est pas prescrite, qu'ils peuvent fonder leur action sur la responsabilité contractuelle, dire et juger la société Enedis entièrement responsable du préjudice subi, et condamner la société Enedis à lui payer la somme de 221.380,82 € au titre de l'action subrogatoire dont elle est titulaire.

Dans ses dernières écritures du 19 août 2020 la société Enedis a conclu à voir dire et juger que sa responsabilité était recherchée à raison de la prétendue fourniture défectueuse d'électricité, que celle-ci se trouve définie par l'article 1245-2 du code civil comme étant un produit, et à voir confirmer en conséquence le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

A titre subsidiaire, si la cour déclarait les demandes recevables, elle a conclu à en voir débouter les époux [U] et Axa France IARD , à titre subsidiaire à voir ordonner une nouvelle mesure d'expertise judiciaire en prévoyant notamment que l'expert judiciaire fera procéder sous son contrôle à l'analyse des câbles et installation en en confiant la réalisation à un laboratoire tel que IC2000.

A titre infiniment subsidiaire elle a conclu à voir dire que les éléments de préjudice invoqués par M. et Mme [U] sont formellement contestés comme n'ayant pas été établis à la suite d'une expertise diligentée contradictoirement, et en tout état de cause dire que ne saurait être prise en compte que la seule valeur de remplacement.

***

Par arrêt du 22 juin 2021 la cour d'appel de Metz, avant dire droit, a ordonné la réouverture des débats et la révocation de l'ordonnance de clôture, et a invité les parties à se prononcer sur l'existence d'une obligation contractuelle d'entretien et de surveillance à la charge d'Enedis sur le matériel restant sa propriété.

La cour a tout d'abord relevé que, les époux [U] et la société Enedis venant aux droits de ERDF, étant liés par un contrat de fourniture d'électricité, le principe de non cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle trouvait à s'appliquer en l'espèce.

Par ailleurs, dès lors que les époux [U] ainsi que la société Axa, fondaient la responsabilité d'Enedis, non pas sur la fourniture de l'électricité considérée comme un produit au sens de l'article 1386-3 ancien du code civil, mais uniquement sur la défectuosité d'un disjoncteur qui était resté la propriété de Enedis, la cour a estimé que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n'apparaissait pas adapté aux circonstances.

De même, le concept de mise en circulation, qui suppose que le producteur se soit dessaisi du produit selon la définition de l'ancien article 1386-5 du code civil reprise à l'article 1245-4, et qui suppose un usage ou une délivrance instantanés, n'apparaissait pas davantage adapté aux circonstances de l'espèce, dans lesquelles il a été fait un usage continu pendant plus de trente ans d'un bien, resté propriété d'Enedis qui seule avait la possibilité d'intervenir sur ce matériel.

La société Enedis ayant conservé la propriété et la responsabilité d'un bien dont la présence sur l'installation électrique répondait à des objectifs contractuels, la cour a dès lors considéré que la question de l'obligation d'entretien et de surveillance pesant sur Enedis était posée.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de leurs dernières conclusions après arrêt avant dire droit déposées le 13 juin 2022, M. [O] [U] et Mme [F] [U] demandent à la cour, au visa des articles 1242, 2224 et 1231-1du code civil, de :

« « Joindre les deux procédures.

Infirmer le jugement et statuant à nouveau :

Dire et juger la demande de M. et Mme [U] recevable,

Homologuer le rapport d'expertise de M. [T] [E] en date du 9 juillet 2013,

Débouter la Société Enedis de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence,

Condamner la Société Enedis à payer à M. et Mme [U] les sommes de :

197 938,29 € au titre de l'indemnisation de leur préjudice immobilier,

260 391,40 € au titre de l'indemnisation de leur préjudice mobilier,

Déduire de ces sommes, la somme de 219 235,20 € versée par la SA Axa France IARD et pour laquelle elle est à présent subrogée dans les droits de M. et Mme [U],

Condamner la Société Enedis à payer à M. et Mme [U] les sommes de :

62 695,03 € au titre de l'indemnisation des frais divers attenants au sinistre,

10 217,74 € au titre de l'indemnisation des pertes des denrées alimentaires,

40 842,77 € au titre du remboursement des loyers pour la période de janvier 2011 à décembre 2020.

58 800,00 € au titre de l'indemnisation de la perte de jouissance de la maison pour la période de janvier 2011 à décembre 2017,

4 968,00 € au titre du remboursement des loyers des deux garages pour la période de janvier 2011 à décembre 2017,

Dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la demande,

Condamner la Société Enedis à payer à M. et Mme [U], à compter du 1er janvier 2021 et jusqu'à la fin des travaux de remise en état de la maison, les sommes de :

349,20 € par mois au titre du remboursement du loyer,

Condamner la Société Enedis à payer à M. et Mme [U], à compter du 1er janvier 2018 et jusqu'à la fin des travaux de remise en état de la maison, les sommes de :

700,00 € par mois au titre de l'indemnisation de la perte de jouissance de la maison,

62,00 € par mois au titre du remboursement du loyer des deux garages,

Dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de leur exigibilité,

Condamner la Société Enedis à payer à M. et Mme [U] la somme de 331,77 € par mois au titre du remboursement des frais de garde meubles à compter du jugement et jusqu'à la fin des travaux de remise en état de la maison, avec intérêts au taux légal à compter de leur exigibilité,

Condamner la Société Enedis à payer à M. [O] [U] la somme de 10 000 € au titre de l'indemnisation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la demande,

Condamner la Société Enedis à payer à Mme [F] [U] née [I] la somme de 10 000 € au titre de l'indemnisation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la demande.

Condamner la SA Enedis à payer à M. et Mme [U] la somme de 5 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner la SA Enedis aux entiers dépens d'appel, de première instance ainsi que ceux de la procédure de référé n° RG N° I.201/11 dont compris les frais avancés pour l'expertise. »

Sur leur qualité à agir, les époux [U] précisent qu'ils n'ont été indemnisés que partiellement par leur assureur la société Axa, qu'ils ont droit à l'indemnisation intégrale de leur préjudice, et qu'ils conservent donc qualité et intérêt à agir.

Sur le régime de responsabilité applicable les époux [U] exposent qu'ils ont assigné Enedis sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, et font valoir que les conclusions du rapport d'expertise font clairement apparaître que le disjoncteur, à raison de son vieillissement, est à l'origine du départ de feu de sorte que ce n'est pas l'électricité distribuée par Enedis qui a provoqué l'incendie, mais le disjoncteur devenu défaillant.

Ils ajoutent qu'en l'espèce le disjoncteur n'a pas fait l'objet d'une mise en circulation au sens de la législation sur les produits défectueux dès lors que cette mise en circulation doit être unique, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, le disjoncteur étant en outre resté la propriété d'Enedis.

Ils se réfèrent sur ces points aux observations de la cour dans son arrêt avant dire droit et maintiennent que leur action relève du droit commun de la responsabilité.

Ils ajoutent qu'il appartient à Enedis, qui revendique le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, d'apporter la preuve de l'applicabilité de ce régime, et donc la preuve de ce que le disjoncteur défaillant aurait été installé après le 30 juillet 1988, date à compter de laquelle la directive européenne aurait dû être transposée en droit français, preuve que Enedis ne rapporte pas.

Au surplus ils rappellent que selon les termes de l'ancien article 1386-18 du code civil, le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond. Sur ce point ils dénoncent une absence totale d'entretien et de surveillance de la part d'Enedis, ayant abouti à rendre le disjoncteur défaillant et impropre à sa destination.

Ils revendiquent dès lors l'application des règles de prescription de droit commun, soit la prescription quinquennale, et en concluent que leur action n'est pas prescrite.

Ils ajoutent encore, sur la faute d'Enedis, que celle-ci était tenue dans le cadre du contrat de fourniture d'électricité, d'une obligation contractuelle de sécurité qu'elle n'a pas respectée et affirment que l'inexécution de cette obligation résulte de l'existence du défaut, la preuve de la faute du producteur n'étant donc pas nécessaire, mais soutiennent également que la société Enedis a mal exécuté son contrat et engage sa responsabilité contractuelle en raison de cette faute sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil.

En suite de l'arrêt avant dire droit, ils observent que Enedis persiste à se prévaloir du régime de responsabilité du fait des produits défectueux.

Sur l'origine du sinistre, les époux [U] se réfèrent au rapport d'expertise et font valoir que contrairement aux allégations de Enedis l'expert a examiné toutes les causes possibles du sinistre, pour les éliminer et n'en retenir qu'une, liée au vieillissement des composants du disjoncteur resté propriété d'Enedis. Devant les arguments de l'intimée, ils rappellent que l'expert a entièrement répondu à ceux-ci, déjà présentés par des dires, et citent les réponses de l'expert aux arguments techniques qui lui ont été opposés.

Ils estiment que l'expert a entièrement rempli sa mission dans le respect du contradictoire, qu'il n'existe aucune omission dans son rapport, que l'origine du sinistre est établie, ainsi que la preuve de la responsabilité d'Enedis.

Sur leurs différents chefs de préjudice, les époux [U] font valoir, devant les contestations du rapport d'expertise réalisé par le cabinet [C] Expertise, que cette évaluation a été produite au cours des opérations d'expertise judiciaire et a donc pu être discutée contradictoirement, l'expert judiciaire ayant d 'ailleurs considéré que l'estimation des dommages immobiliers faite par ce cabinet était cohérente avec la première estimation du sinistre.

Ils font valoir qu'ils ont droit à la réparation intégrale de leur préjudice et qu'ils sont en droit de prétendre à la valeur de remplacement de leur immeuble, à savoir la dépense qu'il conviendrait d'engager pour substituer au bien endommagé un bien en tous points semblable. Dès lors que leur immeuble n'est pas réparable, la valeur de remplacement est donc constituée par la valeur de reconstruction à neuf, soit 170.126 €, actualisée selon le dernier indice du coût de la construction connue en 2020 soit in fine la somme de 197.938,29 €.

Sur le montant de leurs dommages mobiliers, les époux [U] considèrent qu'ils apportent la preuve du montant de ces dommages par la production de photos, listes de mobilier et rapports d'expertise. Ils indiquent que le montant total des dommages s'élève à 223.803,83 €, soit in fine, après indexation sur le dernier indice connu en 2020 du coût de la construction, une somme totale de 260.391,40 €.

Ils réclament encore remboursement de frais afférents au sinistre (frais de déménagement et d'emménagement, de transport du mobilier, de pressing, d'achat de matériel d'entretien), soit un total de 62.695,03 € après indexation sur l'indice du coût de la construction.

Ils mettent en compte également la perte de denrées alimentaires, qu'ils indexent également sur la variation de l'indice du coût de la construction, à hauteur de 10.217,74 €.

Ils soutiennent être dans l'obligation d'exposer des frais de garde-meuble jusqu'à la fin des travaux de remise en état de leur maison, et indiquent qu'ils continuent à rembourser l'emprunt contracté pour l'achat de leur maison, tout en payant un loyer pour leur relogement, outre le loyer pour deux garages.

Ils mettent encore en compte un préjudice de jouissance, qu'ils évaluent à 700 € par mois dès lors qu'ils sont privés de la jouissance d'une maison de 5 pièces, avec terrasse et dépendance, et se prévalent également d'un important préjudice moral, à raison des circonstances dans lesquelles ils ont dû précipitamment quitter en pleine nuit leur maison, et compte tenu du fait qu'ils ont perdu tout ce qu'ils possédaient puisque la maison a été ravagée par les flammes. Ils versent ainsi aux débats les certificats médicaux consécutifs au traumatisme subi.

Aux termes de ses dernières conclusions du 29 août 2022 la SA Axa France IARD demande à voir :

« vu l'arrêt du 22 juin 2021 ,

Dire et juger recevable et bien fondé l'appel principal et l'appel incident de la SA Axa France IARD,

Statuer ce que de droit sur l'appel de M. [O] [U] et Mme [F] [U] née [I] en ce que leurs moyens et prétentions ne seraient pas contraires à ceux exposés par la S.A. Axa France IARD,

Débouter la S.A. Enedis de l'ensemble de ses prétentions, moyens et fins, même à titre subsidiaire,

Dire et juger la prétention subsidiaire de la S.A. Enedis en nouvelle expertise tardive et mal fondée,

Infirmer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Dire et juger que la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux et la loi de transposition n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux n'étaient pas applicables aux faits de la cause,

Dire et juger que l'action de M. [O] [U] et Mme [F] [U] née [I] à l'encontre de la S.A. Enedis n'était pas prescrite,

Dire et juger que M. [O] [U] et Mme [F] [U] née [I] peuvent invoquer comme la S.A. Axa France IARD l'application du régime de responsabilité contractuelle,

Dire et juger la S.A. Enedis entièrement responsable du préjudice subi par M. [O] [U] et Mme [F] [U] née [I],

Dire et juger que la S.A. Axa France IARD est titulaire d'une action subrogatoire à l'encontre de la S.A. Enedis à concurrence d'une somme de 221.380,82 €,

Condamner en conséquence la S.A. Enedis à payer à la S.A. Axa France IARD la somme de 221.380,82 €, avec intérêts au taux légal à compter de la date du jugement de première instance,

Débouter la S.A. Enedis de sa prétention de première instance en condamnation de la S.A. Axa France IARD sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la S.A. Enedis aux entiers frais et dépens de première instance,

Confirmer sur le surplus des dispositions non contraires,

Condamner la S.A. Enedis à payer à la S.A. Axa France IARD la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la S.A. Enedis aux entiers frais et dépens d'appel des deux procédures. »

La SA Axa France IARD conclut également à l'inapplicabilité du régime de responsabilité du fait des produits défectueux.

Elle estime qu'il appartenait à Enedis d'apporter la preuve de ce que ce régime s'appliquait aux faits de la cause, et notamment de prouver la date à laquelle le disjoncteur dont elle avait la garde avait été mis en circulation, étant rappelé que selon l'expert ce disjoncteur, au moment de l'incendie, avait au moins une trentaine d'années, alors qu'aux termes de l'article 17 de la directive 85/374/CEE du Conseil, cette directive n'est pas applicable aux produits mis en circulation avant la date à laquelle les dispositions visées à l'article 19 entrent en vigueur, et que selon la jurisprudence de la cour de cassation le délai de prescription de trois ans n'est pas non plus applicable à un produit mis en circulation après la date limite de transposition de la directive, mais avant la date d'entrée en vigueur de la loi française de transposition. 

Elle considère que le tribunal s'est mépris sur la notion de mise en circulation, qui ne se confond pas avec la manifestation de la cause du défaut de sécurité du produit et soutient que le disjoncteur, qui a bien été commercialisé et offert au public, a cependant été mis en circulation antérieurement aux dates précitées.

Elle estime que les époux [U] étaient fondés à invoquer les dispositions de l'article 1384 du code civil, le disjoncteur étant l'instrument du dommage et Enedis ayant conservé la garde de celui-ci de sorte qu'il lui appartenait d'assurer toutes les opérations d'entretien ou de réparation sur ce bien.

Subsidiairement, Axa considère que Enedis était tenue d'une obligation de sécurité de résultat, et plus subsidiairement, invoque les dispositions de l'ancien article 1386-18 du code civil rendant Enedis responsable de sa faute.

Elle en conclut que ni l'action des époux [U] ni la sienne, ne sont prescrite, puisque relevant de la prescription quinquennale de droit commun.

Quant aux sommes qu'elle réclame, la société Axa se prévaut de la subrogation dans les droits des époux [U], tant sur le fondement de l'article L. 121-12 alinéa 1er du code des assurances, que de la subrogation conventionnelle manifestée par l'assuré. Elle indique justifier de versements aux époux [U] à hauteur d'une somme totale de 221.380,82 € dont 81.495 € au titre des dommages mobiliers.

Par ses dernières conclusions après réouverture des débats en date du 25 janvier 2022 la SA Enedis demande à la cour de :

« Constater que la responsabilité d'Electricité Réseau Distribution France aux droits de laquelle se trouve actuellement la société Enedis a été recherchée à raison de la prétendue fourniture défectueuse d'électricité, et que celle-ci se trouve définie par I'article 1245-2 du Code Civil comme étant un produit;

Constater que le régime de responsabilité a un caractère d'ordre public ;

Déclarer les appels interjetés par M. et Mme [U], AXA France IARD autant recevables que mal fondés ;

Confirmer le Jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Metz en toutes ses dispositions ;

A titre subsidiaire, si la Cour déclarait recevable les actions initiées par M. et Mme [U] et Axa France IARD elle ne pourrait que débouter M. et Mme [U] et Axa France IARD en déclarant leurs prétentions mal fondées;

Et à titre subsidiaire la Cour dirait qu'une nouvelle mesure d'expertise judiciaire doit être instituée qui serait con'ée à un expert inscrit sur la liste nationale des experts agréés près la Cour de Cassation et le Conseil d'Etat et spécialisé en électricité, et lui impartir la mission suivante :

De dire si l'incendie est d'origine électrique et dans l'affirmative de déterminer si le point de départ de l'incendie se situe au niveau de l'installation privative ou de l'installation sous concession ERDF devenue Enedis;

D'établir le schéma de l'installation électrique privative de l'ensemble immobilier sinistré et établir sa conformité aux normes en vigueur ;

D'inventorier les différentes évolutions de l'installation électrique privative de l'ensemble immobilier en ce compris les changements d'appareillages réalisés par les Consorts [U] et vérifier si ces appareils étaient conformes aux normes en vigueur;

Et dire que l'expert judiciaire fera procéder sous son contrôle à l'analyse des câbles et installation en en confiant la réalisation à un laboratoire tel que lC2000 ;

Dire infiniment subsidiairement que les éléments du préjudice invoqués par M. et Mme [U] sont formellement contestés comme n'ayant pas été établis à la suite d'une expertise diligentée contradictoirement et dire en tout état de cause que ne saurait être prise en compte que la seule valeur de remplacement;

Confirmer le Jugement de première instance en ce qu'il a condamné M. et Mme [U] à payer à Enedis 2.500,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

et a condamné Axa France IARD sur le même fondement à payer à Enedis 2.000,00€;

Mais y ajoutant, `

Condamner M. et Mme [U] et Axa France IARD à devoir payer à la société Enedis par application des dispositions du même article 700 du Code de Procédure Civile une contribution aux frais irrépétibles de défense devant être exposés devant la Cour de Metz qui sera fixée à un montant de 5.000,00 € ;

Et Condamner M. et Mme [U] ainsi qu' Axa France IARD aux entiers dépens tant de première instance que d'appel ; »

La SA Enedis maintient que seul le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux peut être appliqué aux faits de la cause, dès lors que c'est en raison de la fourniture d'électricité et à raison d'une défectuosité alléguée du branchement permettant la distribution de l'énergie, que sa responsabilité est recherchée. Elle s'estime donc mise en cause à raison de sa qualité de fournisseur d'électricité, et fait valoir que selon l'article 1245-2 actuel du code civil, l'électricité est un produit.

Elle souligne que ce régime de responsabilité est d'ordre public et que le juge est tenu de l'appliquer dès lors que ses conditions de mise en 'uvre sont réunies, à l'exclusion de tout autre régime de responsabilité de droit commun fondé sur le défaut d'un produit n'offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence tant de la CJUE que de la cour de cassation.

La SA Enedis se prévaut dès lors des dispositions de l'article 1245-16 du code civil qui prévoient un délai de prescription de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, et en conclut que l'action des époux [U] est prescrite, le rapport d'expertise ayant été déposé le 10 juillet 2013 alors que les époux [U] n'ont assigné au fond que le 3 avril 2017. Elle ajoute que ce raisonnement vaut également pour l'action initiée par voie d'intervention volontaire par la SA Axa France IARD.

En suite de l'arrêt avant dire droit du 22 juin 2021, la SA Enedis conteste formellement l'appréciation selon laquelle le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux ne serait pas adapté aux faits de la cause.

Elle rappelle que selon une jurisprudence unanime, Enedis est chargée d'une mission d'acheminement de l'énergie électrique et que le disjoncteur est un élément incorporé au système de distribution. Elle se prévaut à ce titre des dispositions de l'article 1245-7 du code civil ainsi que du principe général selon lequel l'accessoire suit le sort du principal, et rappelle que la fourniture d'électricité ne peut être déconnectée des installations matérielles nécessaires à son acheminement.

Elle estime donc que, dès l'instant où c'est cette fourniture d'électricité qui se trouve incriminée comme étant susceptible d'être la cause du sinistre, il convient de faire application du régime particulier de responsabilité du fait des produits défectueux, et ajoute que cette responsabilité se trouve attachée de plein droit à la fourniture du produit qu'est l'électricité et dérive des obligations qui lui sont inhérentes d'entretien et de surveillance des installations permettant cette fourniture continue .

Elle maintient par conséquent que l'action des époux [U] comme celle de la SA Axa France IARD est prescrite.

La SA Enedis rappelle en outre qu'elle avait, en première instance, invoqué un autre motif d'irrecevabilité tenant au défaut de qualité à agir de M. et Mme [U] et d'Axa, dès lors que les époux [U] avaient déjà été indemnisé par leur assureur, et que de son côté la SA Axa France IARD ne produisait que le justificatif d'une subrogation partielle à hauteur de 64.000 € de sorte que pour le surplus Axa ne justifiait pas de sa qualité de subrogée dans les droits de ses assurés.

Subsidiairement sur le fond, la SA Enedis, après avoir relevé que les époux [U] ne fondaient plus leurs demandes sur les dispositions de l'ancien article 1384 du code civil, fait valoir que sa responsabilité pour faute n'est nullement démontrée.

Elle soutient ainsi que l'expert judiciaire ne s'est pas prononcé de façon formelle, et a énoncé toute une série de suppositions quant à l'origine de l'incendie, qui ont été écartées au profit d'une simple hypothèse qu'elle conteste.

Elle affirme ainsi que certaines des constatations faites au cours de l'expertise excluent sa responsabilité et rappelle ainsi qu'elle avait déduit de ces constatations l'hypothèse d'une blessure du câble privatif ayant provoqué une réduction de sa section et par suite un échauffement de ce conducteur qui pouvait être à l'origine du départ de l'incendie, hypothèse qui était également confirmée par la coloration rougeâtre présentée par le câble au droit de la cosse de serrage, manifestation d'une surchauffe ayant provoqué le départ d'incendie.

La SA Enedis fait valoir qu'elle avait alors demandé à l'expert des investigations complémentaires qui n'ont pas été effectuées.

D'autre part elle conteste également les conclusions de l'expert, en ce que celui-ci a considéré que les traces de fusion et de perlage constatées sur le câble de départ de l'installation privative avaient été provoquées par la chaleur de l'incendie, alors que la température de fusion du cuivre, soit 1.083 degrés, n'est jamais atteinte dans ce type d'incendie sauf en cas d'amorçage ou de court-circuit entre câbles électriques sous-tension, et de façon très ponctuelle et localisée.

Enfin elle reproche à l'expert de ne pas avoir pris en compte certaines des constatations faites par lui et consignées sur des photos, desquelles la SA Enedis déduit que contrairement à ce qu'affirme l'expert, la température qui a régné dans l'environnement au niveau du point de fusion du câble privatif n'a pas pu atteindre 1.000 degrés et ne peut expliquer les traces de perlage et de fusion constatées par l'expert, de sorte que les explications fournies par celui-ci concernant l'origine de l'incendie ne peuvent être validées. Elle indique en revanche que l'hypothèse d'une blessure du câble était une possibilité pouvant expliquer un échauffement localisé au droit de ce câble.

La société Enedis en conclut que les appelant ne rapportent aucunement la preuve, qui leur incombe, de ce que le sinistre lui serait imputable, et qu'en présence des doutes dont elle fait état, il est nécessaire de procéder à une nouvelle expertise.

A titre infiniment subsidiaire la société Enedis conteste l'évaluation des préjudices des époux [U].

Elle observe que les évaluations immobilières et mobilières ne sont fondées que sur l'évaluation du cabinet [C], expert privé mandaté par les époux [U] dont l'expertise n'est pas contradictoire, et qu'en tout état de cause aucun justificatif recevable n'est produit et notamment aucun justificatif des frais de relogement ou de garde meuble.

Elle conteste par ailleurs les valeurs de remplacement mises en compte par les époux [U], en faisant valoir que si le principe est celui de la réparation intégrale du préjudice subi par la victime qui doit être replacée dans l'état où elle se trouvait avant le dommage, lorsque la remise en état du bien est impossible le montant des dommages et intérêts est égal à la valeur de remplacement du bien, soit le prix de revient total d'un objet de même type et dans un état semblable. Or la société Enedis fait valoir que pour nombre des biens énumérés par les époux [U], un marché de l'occasion existe de sorte que la valeur de remplacement de ces biens ne peut être égale à leur valeur à neuf.

Elle en conclut qu'il appartient aux appelants de justifier des caractéristiques précises des biens au titre desquels une réparation est sollicitée, dès lors qu'à défaut il est impossible de déterminer leur valeur de remplacement sur le marché de l'occasion, alors qu'actuellement l'existence d'un important marché des biens d'occasion est incontestable.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément référé aux conclusions précitées pour un plus ample exposé des moyens et arguments des parties.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 08 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Il est rappelé que les procédures RG 19/02175 et 19/02340 ont déjà fait l'objet d'une jonction par ordonnance du 23 mars 2021 de sorte qu'il n'y a plus lieu de statuer sur ce chef de demande.

La cour observe également à titre liminaire, que si dans ses conclusions la société Enedis rappelle qu'elle avait en première instance invoqué l'irrecevabilité des demandes des époux [U] pour défaut de qualité à agir, cette fin de non-recevoir spécifique n'est plus reprise dans le dispositif de ses dernières conclusions de sorte que, en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statuera pas sur ce point.

De même, aucune fin de non-recevoir n'est expressément soulevée à l'encontre des demandes de la SA Axa France IARD, et la réalité et l'étendue de la subrogation alléguée par Axa seront étudiées dans le cadre de l'examen au fond de sa demande.

La cour n'a donc à se prononcer que sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription alléguée de l'action des époux [U] et de la SA Axa France IARD.

L'éventualité d'une telle fin de non-recevoir nécessite de trancher le régime juridique applicable à l'action des époux [U] et de leur assureur.

I- Sur la recevabilité

Les textes des articles 1386-1 et suivant anciens du code civil, revendiqués par la SA Enedis, sont issus de la transposition de la directive n° 85/374/CEE du conseil des communautés européennes du 25 juillet 1985, par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998. Compte tenu de la date de survenance des faits objet du présent litige, antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ayant, notamment, recodifié ces articles sous les articles 1245 à 1245-17 du code civil, il sera fait référence aux anciens articles.

Aux termes de l'ancien article 1386-1 du code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.

Aux termes de l'article 1386-3, est un produit tout bien meuble, même s'il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l'élevage, de la chasse et de la pêche. L'électricité est considérée comme un produit.

Selon l'article 1386-5 un produit est mis en circulation lorsque le producteur s'en est dessaisi volontairement. Un produit ne fait l'objet que d'une seule mise en circulation.

Selon l'ancien article 1386-17, l'action en réparation fondée sur les dispositions du présent titre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

Enfin, aux termes de l'article 1386-18 alinéa 2, le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

Quant à l'application dans le temps, de la directive puis des articles issus de la loi du 19 mai 1998, il est acquis que le régime issu de cette loi ne s'applique qu'aux produits mis en circulation postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.

Pour la période comprise entre la date prévue pour la transposition de la directive, soit le 30 juillet 1988, et la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998, il convient de faire application du droit interne, qui doit cependant être interprété à la lumière de la directive.

Enfin les produits mis en circulation avant le 30 juillet 1988 ne relèvent que des dispositions du droit interne applicable à l'époque, sans qu'il soit nécessaire de les interpréter à la lumière de la directive.

En l'espèce, il n'est pas contesté que Enedis assure la distribution de l'électricité en tant que produit, et sa qualité de producteur n'est pas non plus contestée.

Cependant aussi bien les époux [U] et la société Axa dans leurs conclusions, que l'expert dans son rapport, n'incriminent pas la qualité de l'électricité fournie par Enedis dans le déclenchement de l'incendie, mais uniquement la défectuosité du disjoncteur. Ainsi, il n'est jamais question d'une surtension sur le réseau électrique qui aurait pu endommager les appareils électriques propriété des époux [U] et provoquer un incendie.

La société Enedis ne peut donc revendiquer l'application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux pour la raison que l'électricité, en tant que produit, serait en cause dans la survenance du sinistre alors que tel n'est pas le cas, et les exemples jurisprudentiels dont elle se prévaut concernent des hypothèses différentes des faits objets du présent litige.

Quant au rôle joué par le disjoncteur, il n'apparaît pas davantage que celui-ci ait altéré la qualité de l'électricité produite et distribuée par Enedis, pour ensuite provoquer des désordres en lien avec cette altération. Il est uniquement allégué qu'il a, à raison de ses caractéristiques propres, provoqué un incendie dans le local où il se trouvait installé, ce qui ne permet pas davantage d'admettre que l'électricité distribuée serait en cause en tant que produit.

La société Enedis revendique également le fait que « l'accessoire » suivrait le sort du principal et se prévaut des dispositions de l'article 1245-7 du code civil, anciennement article 1386-8 aux termes duquel « en cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables ».

Cependant il n'apparaît pas que le disjoncteur litigieux soit « incorporé » dans un quelconque autre produit, et son rôle consiste à recevoir et faire transiter de façon sécurisée l'électricité produite par Enedis, ce qui ne s'assimile pas à une incorporation dans le « produit électricité ».

En tout état de cause l'argumentaire de la société Enedis sur le fondement de l'article 1386-8 précité nécessite de faire preuve de ce que le disjoncteur litigieux peut être considéré comme un produit au sens des textes précités, et qu'il a été mis en circulation.

Or indépendamment du fait que l'installation de ce disjoncteur est, selon les propos de l'expert, particulièrement ancienne (« l'âge peut être estimé à au moins une trentaine d'année » soit une installation avant l'entrée en vigueur de la directive), la cour observe que le concept de « mise en circulation » n'apparaît pas adapté à la situation de ce disjoncteur. Celui-ci reste la propriété d'Enedis et il n'est pas possible aux occupants de l'immeuble ou aux abonnés d'intervenir dessus et de l'ouvrir, l'ensemble étant plomb. (cf. note de synthèse du 3 mars 2012 p.17). L'absence de toute possibilité d'intervention sur ce matériel par une tiers autre que Enedis, n'est pas compatible avec une définition de la mise en circulation qui suppose que le producteur s'en soit dessaisi volontairement, ce qui implique qu'il n'ait plus à lui seul la maîtrise du produit.

En outre il est nécessaire, selon les termes de l'arrêt de la CJUE du 9 février 2006, que le produit soit offert au public aux fins d'être utilisé ou consommé, alors qu'en l'occurrence le public n'a aucune maîtrise de ce bien, qui sert principalement à Enedis pour la distribution de l'électricité.

De même, le droit reconnu au producteur d'être déchargé de toute responsabilité à l'issue d'un délai de 10 ans à compter de la mise en circulation, est incompatible avec la situation née de la présence dans des locaux d'un disjoncteur sur lequel les occupants ou les abonnés n'ont aucun pouvoir, dont ils ne peuvent se défaire quel qu'en soit l'état, et qui a vocation sans limite de temps à participer à la distribution de l'électricité.

La qualité de l'électricité délivrée par Enedis n'étant pas en cause dans la survenance du sinistre, et le compteur installé par celle-ci ne répondant pas à la définition d'un produit mis en circulation au sens de la réglementation relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, il n'y a pas lieu de se référer à cette réglementation pour déterminer le délai de prescription opposable à l'action des époux [U].

Ceux-ci restent donc fondés à se prévaloir de la responsabilité contractuelle de droit commun de la société Enedis, sous réserve au fond de faire la preuve de ce que les éléments de cette responsabilité sont réunis.

Leur action se prescrit dès lors, selon les dispositions de l'article 2224 du code civil, par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

A supposer même que la date de l'incendie ait permis aux époux [U] de disposer de l'ensemble des éléments leur permettant de déterminer contre qui intenter une action, il est constant que la prescription a été interrompue par la demande en justice diligentée par les époux [U] en application de l'article 2241 du code civil, et également suspendue en application des dispositions de l'article 2239 du même code jusqu'au jour où la mesure a été exécutée. Le rapport d'expertise ayant été déposé le 09 juillet 2013, la prescription de l'action n'était pas acquise lors de l'assignation au fond délivrée à la demande des époux [U] le 03 avril 2017.

Au demeurant, et à supposer que le rôle joué par le disjoncteur litigieux dans la distribution de l'électricité, produit fourni par Enedis, ait pour conséquence de rendre applicables aux faits de la cause les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux, il n'en demeure pas moins qu'aux termes de l'article 1386-18 alinéa 2 ancien du code civil, le producteur reste responsable de sa faute.

Or en l'état, et sous réserve d'une appréciation au fond, les époux [U] se prévalent bien d'une faute de la société Enedis, et se réfèrent également et subsidiairement aux dispositions de l'article 1386-18 précité.

Cette faute alléguée, consistant à n'avoir ni surveillé ni entretenu le disjoncteur litigieux ainsi que relaté par les appelants dans leurs conclusions, ne se confond pas avec la faute tirée du simple défaut d'un produit qui n'offrirait pas la sécurité à laquelle on est en droit de s'attendre, dès lors qu'elle est caractérisée avant tout par l'inaction d'Enedis et le non-respect d'une obligation lui incombant. A cet égard il est relevé que la société Enedis, dans ses conclusions admet bien l'existence à sa charge d'une obligation d'entretien et de surveillance des installations.

Dès lors et sur ce fondement également, la prescription de trois ans de l'action en réparation énoncée à l'article 1386-18 ancien du code civil ne peut trouver à s'appliquer, et seule la prescription quinquennale de droit commun peut recevoir application.

Il convient donc de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action, tant des époux [U] que de la SA Axa France IARD, et le jugement dont appel doit donc être infirmé sur ce point.

II-Sur la responsabilité contractuelle d'Enedis

Il est rappelé qu'un rapport d'expertise, qui constitue un élément de preuve soumis à la juridiction n'a pas vocation à être « homologué » comme pourrait l'être un accord ou une transaction. Il n'y aura donc pas lieu de faire droit à cette demande.

Il résulte des termes de la première note de synthèse, du pré-rapport et du rapport définitif d'expertise, que l'expert s'est livré à un examen attentif des locaux incendiés et en particulier du garage. Il a recueilli sur place le plus d'éléments possibles lui ayant permis notamment de reconstituer l'ensemble du tableau de comptage qui se trouvait installé dans le garage, et comprenait le compteur, le boîtier de gestion des plages tarifaires, le boîtier des fusibles et le disjoncteur d'abonné, dont l'expert dans un premier temps ne retrouvera que des restes minimes.

Toutefois dans un second temps les restes de la partie basse du disjoncteur d'abonné seront retrouvés ce qui qui conduira l'expert à modifier ses conclusions provisoires.

Outre ces éléments l'expert a procédé à des constatations sur les câbles, aussi bien le câble d'alimentation ERDF en aluminium arrivant dans l'immeuble que sur le câble cuivre privatif, et a procédé à des prélèvements de divers résidus.

Il a fourni dans son rapport des photos précises des différents éléments et indices recueillis, dont des macrophotos, en particulier des restes du disjoncteur et des câbles, a restitué dans ses rapports de manière claire et complète ses constatations, les déductions qu'il pouvait en tirer, la reconstitution partielle du tableau de comptage à laquelle il a procédé. Il a relevé rapidement au cours de ses investigations que le feu, compte tenu des constatations faites sur le lieu principal de l'incendie et la nature des fumées, grasses et noires, s'étant déposées dans l'ensemble des pièces, était d'origine électrique, la source de l'incendie se trouvant dans le garage.

Il a également déterminé que de façon certaine le départ de feu se situait à l'endroit du tableau de comptage, dans la mesure où un départ de feu nécessite une énergie d'activation, et qu'en dehors de l'installation électrique sous tension, aucun objet dans le garage n'était branché, l'incendie s'étant déclaré de nuit et M. [U] ne faisant fonctionner aucun appareil.

Préalablement l'expert a été amené à éliminer toute autre cause d'incendie, mégot mal éteint, intervention d'une personne extérieure, travaux dangereux qui n'auraient pu avoir d'incidence compte tenu d'un déclenchement de l'incendie vers 3 heures du matin, soit à un moment où aucun point chaud ne pouvait subsister et où aucun appareil électrique ne fonctionnait dans le garage.

A cet égard, la société Enedis ne peut se prévaloir des termes employés par l'expert pour remettre en cause les éliminations auxquelles il a procédé : Bien qu'ayant effectivement mentionné qu'un début d'incendie suite à un mégot de cigarette encore incandescent « semble » pourvoir être écarté, l'expert n'en a pas moins, pour cette hypothèse comme pour d'autre, donné des explications parfaitement cohérentes justifiant qu'il ne les retienne pas comme cause de l'incendie. Ainsi il écarte toute possibilité d'incendie déclenché par le fonctionnement ou le branchement d'un appareil dans le garage après avoir relevé, outre l'heure tardive, le fait que les câbles électriques circulant dans le garage ne présentent pas de traces d'amorçage.

Après avoir écarté diverses causes possibles d'incendie, l'expert a énuméré un certain nombre de constats orientant son diagnostic, à savoir : le tableau de comptage en bois est détruit par combustion sur plus de la moitié droite de sa surface côté disjoncteur d'abonné, le couvercle du coffret de fusibles (en résine thermodurcissable armée de fibres de verre qui donc n'a pas fondu) présente dans sa partie inférieure des traces de brûlure importantes juste au-dessus du disjoncteur d'abonné, la partie inférieure du disjoncteur d'abonné a disparu (25 à 30 %), le reste du disjoncteur est complètement calciné, les plages de raccordement amont et aval sont solidement fixées au câble amont et aval, excluant un défaut de serrage comme source éventuelle de réchauffement.

Il conclut de ces divers constats que ceux-ci concourent à situer le départ d'incendie au niveau du disjoncteur d'abonné où l'échauffement initial s'est produit suite à une défaillance de ce composant.

En particulier l'expert élimine un échauffement par effet Joule qui serait dû à une intensité de courant trop importante, en observant que si cette intensité avait dépassé les 45 Ampères, puissance souscrite, le disjoncteur aurait sauté ce qui n'a pas été le cas. Par ailleurs, l'expert a retrouvé dans la boite à fusibles ERDF un fusible de 60 ampères intact. Il en a déduit que, si l'on peut imaginer une défaillance du disjoncteur qui n'aurait pas réagi à un courant supérieur à 60 A, à tout le moins le fusible de 60 A aurait fondu, ce qui n'a pas été le cas.

Ainsi l'expert a été amené, au terme de ses constatations et par déduction, à éliminer la possibilité d'une pointe anormale de courant, « ce qui écarte de facto un court-circuit franc affectant le disjoncteur d'abonné qui aurait nécessairement généré des courants de court-circuit très supérieurs à 60A ».

Il en déduit finalement que « la seule solution restante pour obtenir une élévation de température suffisante par effet Joule, est que la résistance électrique des contacts de puissance interne du disjoncteur était trop grande. Ainsi, même avec un courant inférieur à 60A, (au voisinage de 45 ampères par exemple) on peut obtenir un échauffement suffisant ».

Selon l'expert « cette résistance électrique anormalement grande provient très probablement du vieillissement des composants internes au disjoncteur, dont l'âge peut être estimé à au moins une trentaine d'année voire plus ».

Sur ce point il convient de relever que l'expert, lorsqu'il a examiné l'installation, a indiqué que « compte tenu des appareillages trouvés sur place (type Mozaïc 45 [H] première génération) on peut estimer que cette installation a été reprise entièrement dans les années 1980/90 ».

L'expert expose ensuite que « au fil des années les parties élastiques (du disjoncteur) destinées à maintenir les contacts pressés l'un sur l'autre en position « marche » ont perdu leur élasticité, et la force de ce contact diminue. Il s'en suit une augmentation anormale de la résistance de contact entre le contact fixe et le contact mobile, et un échauffement anormal se produit, conduisant à une élévation de température suffisante pour entraîner le début de fusion et la combustion des matières plastiques constitutives du disjoncteur d'abonné ».

L'expert relève encore le potentiel calorifique important stocké dans le garage, M. [U] restaurant lui-même du mobilier et disposant dans ce local de beaucoup de matériel, ce dont l'expert a pu se rendre compte. « Cette combustion localisée du disjoncteur a été suffisante comme énergie d'activation, et le feu s'est alors propagé au socle en bois du tableau de comptage puis à l'ensemble des matériaux stockés d'une part en dessous du tableau de comptage(...)et sur les étagères situées à proximité ». Il considère encore que l'aspect carbonisé de la face supérieure du couvercle de la boite à fusible, situé au-dessus du disjoncteur, confirme ce scénario ainsi qu'il l'explique en détail.

Ainsi c'est au terme d'un raisonnement argumenté, et après avoir éliminé toute autre hypothèse pouvant expliquer le sinistre, que l'expert arrive à une conclusion mettant en cause l'état du disjoncteur d'abonné et plus précisément son vieillissement au regard de son ancienneté telle que constatée.

S'agissant des objections formées par la société Enedis, la cour observe que la plupart d'entre elles ont déjà été soumises à l'expert, qui y a répondu.

Ainsi en est-il de l'hypothèse d'une blessure du câble cuivre privatif, émise par Enedis dans un dire à expert, en suite du constat de ce qu'une des extrémités de câble retrouvée présentait une fusion de quatre de ses six brins constituants, blessure qui aurait selon Enedis provoqué une réduction de la section du câble et un échauffement localisé de ce conducteur pouvant être à l'origine de l'incendie. Au soutien de son hypothèse Enedis relevait également la coloration rougeâtre du câble au droit de la cosse de serrage, en considérant que cette coloration ponctuelle serait la preuve de ce qu'elle n'est pas la conséquence de la chaleur générée par l'incendie, mais d'un échauffement du câble.

Cette hypothèse a cependant été explicitement rejetée par l'expert, qui dans sa réponse note que la coloration des cosses aval des deux câbles retrouvée est identique et confirme au contraire l'hypothèse d'un échauffement anormal à l'intérieur du disjoncteur. Il indique de même que les extrémités des brins manquants du câble de phase présentent des traces de fusions consécutives à l'incendie, et non préalables à celui-ci, une des photos montrant d'ailleurs une partie d'un brin s'étant détachée par fusion et recollée un peu plus bas. Quant au perlage constaté sur l'autre partie du câble de phase rompu, l'expert l'explique également par un phénomène de court-circuit survenu au cours de l'incendie, et considère que ce perlage est postérieur au départ de l'incendie, et non l'inverse.

L'expert a ainsi rejeté de façon argumentée l'hypothèse émise par la société Enedis dans son dire, et reprise dans ses conclusions.

La société Enedis conteste cependant cette analyse en soutenant, ainsi qu'elle l'avait fait dans un second « dire », que la température générée par l'incendie ne pouvait atteindre la température de fusion du cuivre soit 1083 degrés, ce qui invaliderait les conclusions de l'expert.

La cour constate cependant que sur ce point l'expert a également répondu, en indiquant au contraire qu'il est fréquent qu'une telle température soit atteinte dans des incendies domestiques, et particulièrement « dans le cas de M. [U], où une quantité importante de matière combustible était entreposée dans le garage qui servait d'atelier ».

Il a en outre écarté l'hypothèse selon laquelle l'incendie aurait pour origine un échauffement anormal du câble d'abonné en cuivre insuffisamment dimensionné, en relevant que les époux [U] avaient souscrit un abonnement de 9 kW correspondant à un calibre du disjoncteur à 45 Ampères, de sorte que le câble observé de 10 mm de section était suffisant et que cette cause d'incendie doit être écartée.

La cour relève que sur ces divers points, la société Enedis ne fournit actuellement aucun argument de nature à contredire les explications de l'expert et les réponses qu'il a apportées aux dires qui lui ont été soumis.

En particulier, il est indéniable que le rapport déposé est particulièrement complet dans ses constatations et explications, et comporte de nombreuses photos et macro-photos précises. La société Enedis avait donc toute latitude pour soumettre ce rapport et ces photos à l'expert de son choix afin d'obtenir un avis sur le raisonnement et les conclusions de l'expert judiciaire, ou sur certaines de ses affirmations, comme la température que peut atteindre un incendie domestique dans les conditions particulières du cas d'espèce.

Or elle ne produit dans ses pièces aucun avis technique émanant d'un spécialiste, de nature à remettre en cause de façon plausible les conclusions de l'expert judiciaire.

La société Enedis énonce en outre actuellement dans ses conclusions de nouveaux arguments destinés à prouver que la température de l'incendie n'a pas pu atteindre les 1083 degrés avancés par l'expert judiciaire et provoquer la fusion du cuivre, et réfute de même certaines des explications données par l'expert quant à l'origine des traces de perlage relevées sur le câble privatif en sortie du disjoncteur, contestant notamment que ces traces puissent avoir été provoquées par un court-circuit.

Or ces différents arguments et objections, particulièrement techniques, n'ont pas été soumis en temps utile à l'expert judiciaire qui n'a donc pu se prononcer à leur sujet de sorte que la cour ne peut en apprécier la pertinence.

En outre, la société Enedis fonde sa démonstration sur les seules photos prises par l'expert et annexées à sa note de synthèse du 3 mai 2012. Outre qu'il lui aurait été loisible d'énoncer dès cette époque les arguments figurant dans ses actuelles conclusions, la cour relève à nouveau qu'il lui était également possible de soumettre, tant le rapport que les photos à un autre expert ou spécialiste disposant des compétences et de l'autorité nécessaires pour invalider ou critiquer les conclusions de l'expert judiciaire et donner du crédit aux hypothèses formées par l'intimée. Tel n'étant pas le cas, la cour constate que l'ensemble de l'argumentaire de la société Enedis n'est étayé par aucun élément de preuve.

Dès lors, au vu des réponses apportées par l'expert aux dires présentés, et en l'absence de tout document technique, avis d'expert, ou autre, étayant les affirmations et raisonnements développés par la société Enedis uniquement dans ses conclusions, rien ne permet à la cour de remettre en cause les conclusions de l'expert judiciaire, ni donc d'ordonner une contre-expertise.

La demande de la société Enedis sur ce point sera rejetée.

Par ailleurs il est constant que le disjoncteur d'abonné à partir duquel est né l'incendie était la propriété d'Enedis, l'installation privative des époux [U] à partir de la sortie du disjoncteur n'étant pas en cause.

La société Enedis admet elle-même dans ses conclusions en réponse à l'arrêt avant dire droit, qu'il existe à sa charge des obligations « inhérentes » à la fourniture d'électricité, à savoir des obligations d'entretien et de surveillance des installations. En l'occurrence, la particulière ancienneté du disjoncteur a été relevée par l'expert, et la vétusté de ses composants est retenue comme étant la cause du départ d'incendie.

Il en résulte par conséquent que la société Enedis, en ne surveillant pas et en n'entretenant pas le compteur litigieux, a commis une faute contractuelle en lien de causalité direct avec le sinistre.

Il convient dès lors de retenir sa responsabilité dans la survenue de l'incendie.

La société Enedis est donc tenue d'indemniser les époux [U] pour les dommages subis, en relation directe et certaine avec la faute imputée à la société Enedis.

III - Sur l'évaluation des préjudices subis par les époux [U]

Sur le dommage immobilier

Il est constant que le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu. Le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour la victime.

En l'espèce, il n'est pas contesté que l'incendie, qui a entièrement détruit le garage de la maison et son contenu, et détruit en partie le plancher situé au-dessus de ce garage, a sinistré l'ensemble du bâtiment, touchant certains endroits du gros 'uvre, l'installation électrique, les murs, plafonds, revêtements intérieurs des diverses pièces, victimes des fumées grasses dégagées par le feu.

Si la société Enedis se prévaut du peu de documents probants versés aux débats pour apprécier le montant des dommages, elle ne conteste pas la nécessité de travaux de reconstruction importants, l'immeuble étant inhabitable en l'état. Le principe de réparation intégrale du préjudice impose donc que soit pris en compte le coût de reconstruction de l'immeuble, aucune autre solution partielle ne permettant de remettre les époux [U] dans la situation antérieure.

Sur les montants, il est produit l'évaluation réalisée par le cabinet [C] Expertise, missionné par les époux [U], qui évaluait le coût de la reconstruction à 170.126 € TTC à une date non déterminée. Ce devis a été soumis à l'expert judiciaire au cours de ses opérations.

Il est également produit par la société Axa le procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l'évaluation des dommages, dressé à l'issue de réunions d'expertise des 1er juin et 12 décembre 2011 auxquelles ont participé les experts de la société Axa et de la SA Enedis. Aux termes de ce document le montant des dommages était évalué, pour les dommages immobiliers à 155.963 € valeur à neuf, non compris le coût du déblaiement évalué à 13.087 € soit un total en valeur à neuf au titre des dommages immobiliers de 167.050 € non compris les honoraires d'architecte évalués à 13.524 €. Cette évaluation, admise par les experts des parties y compris par l'expert mandaté par Enedis, est proche de celle ultérieurement fournie par le Cabinet [C], qui inclut le coût du déblaiement mais non celui des honoraires d'architecte, de sorte que cette valorisation apparaît cohérente, ainsi que l'avait observé l'expert judiciaire.

Dans son rapport d'expertise final, l'expert mandaté par la SA Axa France IARD retient les mêmes chiffres.

Au vu des éléments de preuve produits, notamment les photos et constatations de l'expert judiciaire établissant l'état de l'immeuble et la nécessité d'une reconstruction, et de l'évaluation à laquelle avaient procédé les experts d'assurance, le montant de 170.126 € apparaît justifié et sera retenu.

Les époux [U], qui n'ont pu entreprendre jusqu'à présent la reconstruction, sont fondés à solliciter l'indexation de ce montant sur l'évolution de l'indice du coût de la construction. L'indice à prendre en considération est cependant le dernier indice connu à la date d'évaluation du coût de la reconstruction, et à défaut de plus de précision il sera retenu la date du 12 décembre 2011, date à laquelle le dernier indice connu était celui du 2eme trimestre 2011 soit 1593.

Le coût de la reconstruction actualisé selon le dernier indice connu en 2020 s'élève donc à (170.126 x 1765/1593) = 188.494,90 €.

Sur les dommages mobiliers

A l'appui de leur demande, les époux [U] produisent des listes qu'ils ont établies personnellement pièce par pièce du mobilier détruit par l'incendie, desquelles il résulte qu'à la date du 28 mars 2013, correspondant à la date d'un dire à expert auquel étaient annexées les dernières listes récapitulatives, le montant total de leurs pertes mobilières s'élèverait à 223.803,83 € soit un montant particulièrement considérable.

Les listes établies pour chacune des pièces et en particulier le garage, font ressortir la présence de très nombreux biens d'équipement et d'ameublement. Les éléments justificatifs produits à l'appui de ces listes sont cependant très parcellaires et consistent principalement en une vingtaine de photos qui sont loin de permettre d'appréhender la valeur de la totalité du mobilier présent dans la maison.

La cour relève cependant qu'il n'est pas contestable que les fumées noires et grasses provenant de l'incendie du garage, lui-même amplement rempli d'outils, appareils et matériaux totalement détruits, ont entièrement envahi le logement de sorte qu'elles ont affecté l'ensemble des biens mobiliers s'y trouvant, rendant pour une grande part ceux-ci inutilisables. Les photos du garage établissent à cet égard l'ampleur du sinistre et des dégradations.

Le simple fait que les époux [U] occupaient cet immeuble depuis plusieurs années et l'avaient entièrement investi et meublé ne fait l'objet d'aucune contestation.

Par ailleurs, l'assureur des époux [U] a admis que le garage qui servait d'atelier comportait beaucoup de matériel, et que globalement la maison comportait un « ameublement en massif » et était « très encombrée ».

Enfin les experts d'assureur respectifs des époux [U] et de la société Enedis ont évalué conjointement les dommages mobiliers à la somme de 157.991,30 € valeur à neuf et à 83.737 € vétusté déduite.

L'application d'un coefficient de vétusté n'a pas lieu d'être dans les rapports entre la victime et le responsable du sinistre. Quant à l'argumentaire de la société Enedis relatif à la possibilité de retrouver des biens équivalents sur le marché de l'occasion, celui-ci reste de pure forme, la société Enedis ne fournissant aucun exemple concret à l'appui de ses affirmations.

La réalité d'un préjudice matériel conséquent n'est pas contestable, et au vu des éléments de preuve dont elle dispose et notamment de l'évaluation contradictoire effectuée par les deux experts des compagnies d'assurance, la cour chiffre le montant des dommages matériels à la somme de 157.991 €.

En revanche, s'agissant de l'indemnisation au titre de la perte de biens meubles, il n'est pas justifié de procéder à une indexation basée sur l'évolution de l'indice du coût de la construction.  Seule la somme de 157.991 € sera retenue.

Sur les frais attenants au sinistre

Les époux [U] mettent en compte à ce titre une somme de 57.053,61 € (avant indexation).

Cette somme correspond au montant total des frais récapitulés sur une fiche, soit 73.324,38 €, après déduction des sommes de 3.310,77 € au titre des frais de garde meuble et de 12.960 € au titre des loyers de leur nouveau logement, dont ils exposent qu'elles feront l'objet de demandes distinctes.

Il leur appartient de justifier des sommes qu'ils mettent en compte.

Il est relevé au premier chef qu'il reste dans la liste précitée un poste « perte de jouissance d'une maison F5 contre un appart. F3 » représentant 25.200 €, alors que par ailleurs un préjudice de jouissance est également réclamé de façon distincte. Cette somme n'a donc pas à figurer dans les « frais attenant au sinistre », au même titre que les loyers ou les frais de garde-meuble déjà déduits.

Ne doivent pas davantage figurer dans ces frais, les frais d'expertise judiciaire pour 1.500 € et 2.025 €, dont la prise en charge sera arbitrée lors de l'examen des frais et dépens de procédure, non plus que celle de 1196 € versée au conseil des époux [U] lors de l'assignation en référé expertise, ou celle de 80,76 € au titre des frais d'huissier, ces sommes ayant vocation à être incluses dans les frais irrépétibles.

La somme de 5.472 € réclamée au titre de la participation aux mensualités du prêt maison n'est pas justifiée en l'absence de toute production du contrat justifiant de l'existence de l'emprunt et du montant des remboursements.

Ne sont pas non plus justifiées les factures d'experts d'un montant de 107,64 € et 394,68€.

Enfin, les époux [U] font figurer dans la liste de ces frais, deux montants de 2.181,59 € correspondant à deux devis de transport de leur mobilier vers le garde-meuble, aller et retour.

Il est versé aux débats un devis établi le 17 mai 2011. Toutefois ce devis n'est pas signé, il n'est pas établi qu'il ait été accepté et exécuté, et aucune facture correspondant au transport des meubles n'est produite. Dès lors, les sommes mises en compte ne sont pas justifiées.

Pour le surplus, les sommes restantes sont justifiées par les factures produites, la nécessité d'assurer l'ancienne et la nouvelle habitation des époux [U] étant également admise.

De même il est justifié de mettre en compte le temps passé, par M. et Mme [U], à nettoyer ce qui pouvait être sauvé au titre du mobilier, vaisselle, vêtements et bibelots.

Il sera dès lors alloué sur ce point à M. et Mme [U] une somme de 16.714,35 €.

Rien ne justifie en revanche que les sommes exposées soient indexées sur l'indice du coût de la construction et la demande sera limitée à la somme précitée.

Sur les pertes de denrées alimentaires

Les photos versées aux débats établissent que des denrées alimentaires et notamment des conserves « maison » étaient effectivement stockées et ont été détruites. En revanche ni les quantités ni les valeurs figurant dans la fiche récapitulative produite (100 kg de pommes de terre, 300 kg de pommes, 250 à 300 bouteilles de vin) ne sont justifiées.

La cour retiendra au titre de ce chef de préjudice une somme de 2.500 €, qui ne nécessite pas davantage d'être indexée sur l'indice du coût de la construction.

Sur les frais de garde-meuble

A l'appui de ce chef de demande les époux [U] produisent uniquement un « contrat de garde-meuble proposition contractuelle ». Ce document n'est ni daté ni signé, et les époux [U] ne produisent aucune facture ultérieure faisant preuve de ce qu'ils ont accepté cette proposition contractuelle et qu'elle a été mise en 'uvre.

En l'absence de toute preuve d'un quelconque paiement mensuel au titre de frais de garde-meubles, il n'y a pas lieu de faire droit à ce chef de demande.

Sur les frais de relogement

M. et Mme [U] versent aux débats l'attestation du maire de la commune de [Localité 4], de laquelle il résulte qu'au titre des loyers de l'appartement et du garage qui leur a été loué par la commune les époux [U] ont acquitté, entre 2011 et décembre 2020, une somme totale de 40.842,77 €.

La location du garage s'est apparemment achevée fin mai 2020 à raison d'un arrêté de péril frappant ce garage.

Il est par ailleurs justifié des titres exécutoires émis par la commune et du récapitulatif des règlements effectués.

La nécessité de payer un loyer pour un nouveau domicile étant la conséquence du sinistre, la SA Enedis doit être condamnée à rembourser à M. et Mme [U] la somme de 40.842,77 € au titre des loyers de l'appartement et du garage donnés en location par la commune, arrêtés au 31 décembre 2020.

Il résulte des bordereaux de situation produits que le loyer payé par les époux [U] s'élevait en 2018 à la somme mensuelle de 349,20 €, avance sur charges comprises. Il n'est pas fait état d'une éventuelle augmentation postérieure à cette date.

Les époux [U] sollicitent la condamnation de la société Enedis à leur payer la somme mensuelle de 349,20 € jusqu'à leur retour dans leur habitation.

La cour ne peut cependant indemniser un préjudice éventuel.

En conséquence, et dès lors qu'il n'est pas allégué que M. et Mme [U] auraient déménagé en cours de procédure, il conviendra de les indemniser à hauteur des loyers échus entre le 1er janvier 2021 et la date du présent arrêt soit jusqu'au mois de mai 2023 inclus, ce qui représente une somme de (349,20 x 29) = 10.126,80 €.

La cour ne peut en revanche anticiper sur le préjudice ultérieur des époux [U] sur ce point, et il leur appartiendra de présenter une réclamation à ce titre à la société Enedis.

Le montant total incombant à la société Enedis au titre des frais de relogement arrêtés au mois de mai 2023 inclus s 'élève donc à 50.969,57 €.

Sur la perte de jouissance

Il est constant que les époux [U] ont été privés de la jouissance de l'habitation dont ils étaient propriétaires, comportant selon leur contrat d'assurance 5 pièces ainsi que des dépendances de 168 m², et logent actuellement dans un appartement d'une surface largement moindre, au vu du loyer pratiqué, et qu'ils n'ont pas choisi.

La perte de jouissance de leur lieu de vie doit être indemnisée, sans pour autant faire double emploi avec l'indemnisation des loyers exposés, déjà prise en compte, ni avec l'indemnisation d'un préjudice moral.

Il sera retenu à ce titre un montant mensuel de 400 €, soit pour la période de janvier 2011 à mai 2023 une somme totale de (400 x 149) = 59.600 €.

Sur les frais de garage

En sus du garage qui leur était loué par la commune de [Localité 4], les époux [U] font état de la location de deux autres garages. Aucune pièce probante n'est cependant versée aux débats, seul étant produit une « attestation » manuscrite qui n'est accompagnée d'aucune pièce d'identité permettant d'en vérifier la provenance, ni d'aucune quittance.

Dès lors il ne peut être fait droit à ce chef de demande.

Sur le préjudice moral

M. et Mme [U] ont dû fuir en pleine nuit leur habitation en raison d'un incendie qui a détruit ou gravement endommagé tout leur lieu de vie et les biens meubles dont ils disposaient. Ils ont subi le choc inhérent à un événement dramatique, qui les a incontestablement traumatisés ainsi qu'il résulte des certificats médicaux produits.

La gravité de ce choc justifie l'allocation de 8.000 € de dommages et intérêts pour préjudice moral à chacun d'entre eux.

***

La responsabilité de la SA Enedis étant établie, celle-ci doit être condamnée à dédommager les époux [U] au titre des divers chefs de préjudice retenus.

Toutefois ceux-ci indiquent eux-mêmes avoir été déjà partiellement indemnisés par leur assureur à hauteur de 219.235,20 €, montant qu'ils imputent sur leurs préjudices immobilier et mobilier.

Indemnisés à hauteur de ce montant, ils subrogent l'assureur dans leurs droits en application des dispositions de l'article L.121-12 du code des assurances, et ne disposent plus d'une action à l'encontre du responsable à concurrence des montants pris en charge par l'assureur.

Il en résulte que les dommages et intérêts auxquels peuvent prétendre M. et Mme [U] au titre de leurs préjudices immobilier et mobilier, s'élève à :

( 188.494,90 + 157.991 ) - 219.235,20 = 127.250,70 €.

La cour condamnera donc la SA Enedis à verser aux époux [U] les sommes de :

127.250,70 € au titre du solde sur les préjudices immobilier et mobilier

16.714,35 € au titre des frais attenants au sinistre

2.500 € au titre des pertes alimentaires

50.969,57 € au titre des frais de relogement arrêts au mois de mai 2023 inclus

59.600 € au titre de la perte de jouissance arrêtée au mois de mai 2023 inclus

16.000 € au titre du préjudice moral de chacun des époux [U]

IV ' Sur la demande de la SA Axa France IARD

La société Axa France IARD se prévaut au premier chef des dispositions de l'article L.121-12 alinéa 1 du code des assurances, aux termes desquelles l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.

La mise en 'uvre de cette subrogation légale suppose que soit rapportée la preuve de ce que l'assureur a payé l'indemnité d'assurance à son assuré, et que ce paiement est intervenu en exécution du contrat d'assurance.

La production de l'intégralité des quittances subrogatives, telle que l'invoque la société Enedis, n'est en revanche pas exigée pour bénéficier des dispositions de l'article L.121-12 précité.

En l'occurrence la SA Axa France IARD verse aux débats le contrat d'assurance passé avec les époux [U], duquel il résulte qu'elle assurait bien l'habitation de ces derniers ainsi que son contenu.

Elle réclame une somme de 221.380,82 € qui représente la somme de 219.235,20 € versée aux époux [U] en dédommagement de leur préjudice, majorée d'un montant de 2.145,62 € versé le 24 janvier 2014 au titre de la prise en charge des honoraires d'avocat.

M. et Mme [U] reconnaissent expressément avoir reçu de leur assureur la somme totale de 219.235,20 €, et la réalité du versement de cette somme est également établie par la production de l'accord de règlement signé par M. [U] prévoyant le versement d'une somme de 219.235,20 € au titre de l'immédiat, et par la production des copies de l'ensemble des chèques émis par Axa, outre les copies d'écran relatives à la mise en paiement des chèques et la quittance signée de M. [U] pour 64.000 € correspondant aux cinq premiers versements.

Enfin la SA Axa France IARD produit également copie du chèque de 2.145,62 € émis ultérieurement le 24 janvier 2014 « en règlement des honoraires d'avocat selon barème Axa », ainsi que du courrier d'accompagnement.

Au vu de ces éléments il est suffisamment établi que la société Axa a bien, en exécution du contrat d'assurance passé avec les époux [U], versé à ces derniers la somme totale de 221.380,82 € en dédommagement des différents préjudices pris en charge et résultant du sinistre dont la société Enedis est responsable.

Il sera donc fait droit à la demande de la société Axa à hauteur de la somme réclamée. En application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil, les intérêts moratoires courront à compter du présent arrêt.

V ' Sur les demandes au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement dont appel étant infirmé en ses dispositions au fond, il convient d'infirmer également les dispositions relatives à la charge des dépens et des frais irrépétibles.

La SA Enedis qui succombe, supportera les dépens de première instance, y compris les dépens de la procédure de référé expertise n° RG I 201/11 et les frais d'expertise, et supportera également les dépens de la présente procédure en appel.

L'équité commande d'allouer à M. et Mme [U], en remboursement de leurs frais irrépétibles, une somme de 5.000 €, soit 2.500 au titre des frais de première instance et 2.500 au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

Il est également équitable d'allouer à la SA Axa France IARD une somme de 4.000 € au titre de ses frais irrépétibles, soit 2.000 € au titre de la procédure de première instance et 2.000 € au titre de la procédure en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription des actions de M. [O] [U] et Mme [F] [I] épouse [U] [P] et de la SA Axa France IARD,

Rejette la demande de contre-expertise,

Déclare la SA Enedis entièrement responsable des conséquences dommageables du sinistre survenu le 27 décembre 2010 au domicile de M. [O] [U] et Mme [F] [I] épouse [U], au titre de la violation de son obligation contractuelle d'entretien et de surveillance du disjoncteur,

Condamne la SA Enedis à verser à M. [O] [U] et Mme [F] [I] épouse [U], après déduction des sommes versées par leur assureur, les sommes de :

127.250,70 € au titre du solde sur les préjudices immobilier et mobilier

16.714,35 € au titre des frais attenants au sinistre

2.500 € au titre de la perte de denrées alimentaires

50.969,57 € au titre des frais de relogement arrêtés au mois de mai 2023 inclus

59.600 € au titre de la privation de jouissance arrêtée au mois de mai 2023 inclus

16.000 € au titre du préjudice moral

Condamne la SA Enedis à verser à la SA Axa France IARD la somme de 221.380,82 € outre intérêts légaux à compter du présent arrêt,

Condamne la SA Enedis aux entiers dépens de la procédure de première instance, ainsi qu'aux dépens de la procédure de référé RG I 201/11 et aux frais d'expertise,

Condamne la SA Enedis à verser à M. [O] [U] et Mme [F] [I] épouse [U] la somme de 2.500 € en remboursement des frais irrépétibles exposés à l'occasion de la procédure de première instance,

Condamne la SA Enedis à verser à la SA Axa France IARD la somme de 2.000 € en remboursement des frais irrépétibles exposés à l'occasion de la procédure de première instance,

Ajoutant,

Condamne la SA Enedis aux entiers dépens de la procédure en appel,

Condamne la SA Enedis à verser à M. [O] [U] et Mme [F] [U] la somme de 2.500 € en remboursement des frais irrépétibles exposés à l'occasion de la procédure en appel,

Condamne la SA Enedis à verser à la SA Axa France IARD la somme de 2.000 € en remboursement des frais irrépétibles exposés à l'occasion de la procédure.

La Greffière La Présidente de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19/02175
Date de la décision : 16/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-16;19.02175 ?
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