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09/05/2023 | FRANCE | N°21/01562

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 09 mai 2023, 21/01562


ARRÊT n°23/00288



09 mai 2023



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N° RG 21/01562 -

N° Portalis DBVS-V-B7F-FQY4

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Conseil de Prud'hommes d'EPINAL

Jugement du 31 octobre 2017



Cour d'Appel de NANCY

Arrêt du 05 avril 2019



Cour de cassation

Arrêt du 17 mars 2021



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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1



RENVO

I APRÈS CASSATION





ARRÊT DU



Neuf mai deux mille vingt trois







DEMANDERESSE À LA REPRISE D'INSTANCE - APPELANTE :



Madame [F] [W] épouse [I]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Thom...

ARRÊT n°23/00288

09 mai 2023

------------------------------

N° RG 21/01562 -

N° Portalis DBVS-V-B7F-FQY4

------------------------------

Conseil de Prud'hommes d'EPINAL

Jugement du 31 octobre 2017

Cour d'Appel de NANCY

Arrêt du 05 avril 2019

Cour de cassation

Arrêt du 17 mars 2021

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

RENVOI APRÈS CASSATION

ARRÊT DU

Neuf mai deux mille vingt trois

DEMANDERESSE À LA REPRISE D'INSTANCE - APPELANTE :

Madame [F] [W] épouse [I]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Thomas ROULLEAUX, avocat au barreau de METZ

DÉFENDERESSE À LA REPRISE D'INSTANCE - INTIMÉE :

S.A.S. ACTUA prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Hervé HAXAIRE, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Joël MISSLIN, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 janvier 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [F] [W] épouse [I] a été embauchée à compter du 2 mai 2005 en qualité de directrice d'agence à [Localité 4] par la SAS Actua, dont le siège social est situé en Alsace, à [Localité 5].

Mme [I] a été convoquée par lettre recommandée en date du 2 mars 2015 à un entretien préalable à une mesure de licenciement, et à un entretien auprès du Comité d'Entreprise, avec mise à pied conservatoire.

Le 13 mars 2015 la société Actua a saisi la DIRECCTE Alsace aux fins d'autorisation du licenciement de Mme [I], salariée protégée. La DIRECCTE Alsace a refusé d'autoriser le licenciement par un courrier du 15 mai 2015, et Mme [I] a repris ses fonctions au sein de l'agence d'[Localité 4] aux termes de son arrêt de travail pour cause de maladie.

Le 10 juillet 2015, le Ministre du travail a confirmé la décision de l'inspection du Travail.

Mme [F] [I] a saisi le conseil des prud'hommes d'[Localité 4] par requête en date du 19 janvier 2017, en sollicitant la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, des montants au titre de la rupture de son contrat de travail, un rappel de salaire au titre de sa requalification, ainsi que l'octroi de dommages et intérêts au titre de son absence d'affiliation au régime local d'assurance maladie.

Par jugement en date du 31 octobre 2017, le conseil des prud'hommes d'[Localité 4] a débouté Mme [I] de l'ensemble de ses demandes, et a condamné Mme [I] à payer à la SAS Actua la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par arrêt en date du 5 avril 2019 rendu suite à l'appel interjeté par Mme [I], la cour d'appel de Nancy a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions, hormis en ce qu'il a condamné Mme [I] à payer à la société Actua la somme de 500 euros au titre de ses frais de procédure.

Au cours de la procédure prud'homale, le contrat de travail de Mme [I] a pris fin le 31 octobre 2019, par l'effet du licenciement disciplinaire de la salariée.

Suite au pourvoi en cassation de Mme [I], la chambre sociale de la Cour de cassation a, par arrêt en date du 17 mars 2021, cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Nancy, mais seulement en ce qu'il a débouté Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts au titre de sa non affiliation au régime local d'assurance maladie, et sur ce seul point, a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt en les renvoyant devant la cour d'appel de Metz.

Par acte enregistré au greffe le 22 juin 2021, Mme [F] [I] a sollicité la reprise de l'instance après cassation.

Par ses conclusions récapitulatives datées du 30 août 2022, Mme [F] [I] demande à la cour de statuer comme suit :

''Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts au titre de sa non-affiliation au régime local d'assurance Maladie.

Et statuant à nouveau de ce chef.

A titre principal, condamner la SAS Actua à payer à Mme [I] la somme de 25 000 € au titre de sa non-affiliation au régime local d'assurance maladie.

Subsidiairement,

Condamner la SAS Actua à payer à Mme [I] la somme de 20 066,85 € en raison de sa perte de chance d'avoir été affiliée par son employeur à ce régime et la somme de 4 000 € à titre de préjudice moral.

En tout état de cause,

Condamner la SAS Actua en tous les frais et dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du CPC.''.

Mme [I] observe que la Cour de cassation a justement rappelé que « le Juge ne peut refuser, au prétexte de l'insuffisance d'éléments permettant d'évaluer son montant, d'indemniser un préjudice dont le principe est acquis » ; elle retient que le principe de la réparation étant acquis, le débat se limite maintenant au quantum de la réparation.

Mme [I] réclame à titre principal la somme forfaitaire de 25 000 € à titre de dommages et intérêts, en faisant état de la difficulté de chiffrer avec exactitude son préjudice. Elle argumente cette évaluation en précisant qu'elle représente environ 2 000 € par année d'ancienneté, montant justifié au regard du salaire qui était le sien.

Subsidiairement, Mme [I] se prévaut d'un préjudice de perte de chance ; elle soutient qu'elle n'a jamais bénéficié des deux jours de congés supplémentaires par rapport au reste de la France, ni des conditions plus avantageuses qu'offre l'Assurance maladie alsacienne et mosellane. Elle considère qu'il est faux de prétendre qu'elle ne pourrait exciper de ces dispositions favorables motif pris qu'elle aurait exercé son activité à [Localité 4] dans les Vosges.

Elle soutient que conformément aux dispositions édictées par la loi n° 98-278 du 14 avril 1998 relative au régime local d'assurance maladie des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, le régime local d'assurance maladie était applicable notamment aux salariés d'une entreprise ayant son siège social dans le département du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ; le siège social de la SAS Actua est situé en Alsace, à [Localité 5]. Elle pouvait donc légitimement profiter de l'ensemble de ces mesures.

Elle détaille l'évaluation de son préjudice comme suit :

1. Repos dominical et jours fériés : 3 937,85 €

Mme [I] se prévaut d'un calcul basé sur sa rémunération brute totale perçue en 2018 de

33 947 € brut qui est de (33 947/10) x (29/25) = 3 937,85 €.

2. Assurances maladie, accident, invalidité, et régime complémentaire : 5 000 euros de dommages-intérêts

Mme [I] observe que l'assurance maladie alsacienne et mosellane est plus avantageuse que le régime général, car le taux de couverture de base de la Sécurité Sociale Alsacienne Mosellane est de 90% (avec 80% de prise en charge pour les médicaments remboursés à 25% ailleurs en France) et de 100% pour l'hospitalisation.

Elle fait valoir que le droit social prévoit trois jours de carence en cas d'absence, alors que le droit local est beaucoup plus favorable puisqu'il prévoit qu'en cas d'absence d'un salarié pour cause de maladie, la personne en cause doit pouvoir continuer à toucher son salaire sans délai de carence.

Mme [I] indique qu'elle a notamment absente lors de ses congés maternité en 2005 et 2008, avant d'être arrêtée de mars à avril 2015 pour dépression. Elle a encore connu 3 mois d'arrêt en 2017 pour maladie comme le reconnait la société Actua.

Mme [I] ajoute que son préjudice court encore, puisqu'elle n'a pas repris une autre activité salariée et en l'état, elle et ses ayants droits pourraient parfaitement continuer à bénéficier des avantages du droit local d'Alsace-Moselle (elle est mariée, et a trois enfants encore à charge dont un enfant autiste de haut niveau).

Mme [I] ajoute qu'elle bénéficiait d'une complémentaire frais de santé imposée en mai 2005 pour couverture obligatoire par son employeur avec une prise en charge de l'employeur à hauteur de 51 %. Mais depuis avril 2016, la prise en charge par l'employeur a diminué à 50 %, faisant passer la cotisation complémentaire cadre santé cadre TA de 70,47 € à 86,56 € par mois en moyenne, contre 64,36 € pour un collègue d'Alsace Moselle à salaire identique.

Concernant la mutuelle de groupe, Mme [I] indique qu'elle a demandé à bénéficier de la portabilité de la mutuelle d'entreprise pendant 12 mois, depuis le 1er novembre 2020, cette mutuelle lui est facturée 218,65 euros par mois.

3. Perte sur les droits futurs à la retraite : 11 129 €

Mme [I] soutient que du fait de sa non-affiliation, elle a de fait été privée du droit au prélèvement à la source. Elle est aujourd'hui âgée de 54 ans. Elle se prévaut d'un calcul basé sur une espérance de vie de 85 ans pour les femmes (d'après l'indice INSEE 2015) et un départ à la retraite à 60 ans, soit : 12 mois x 25 ans x 1,5% du salaire brut moyen 2019 (soit 37,3 €) = 11 129 €.

Au soutien de ses prétentions au titre d'un préjudice moral, Mme [I] mentionne que les éléments déclencheurs de la procédure remontent déjà à plus de 7 ans et demi (février 2015), et que la procédure dure depuis déjà plus de cinq ans et demi (assignation initiale du 19 janvier 2017). Elle indique qu'elle a dès 2015 souffert d'une grave dépression.

Par ses conclusions d'appel après cassation datées du 19 octobre 2021, la SAS Actua demande à la cour de statuer comme suit :

''Rejeter l'appel de Mme [F] [I],

Débouter Mme [F] [I] de sa demande d'indemnisation au titre de la non affiliation au régime local d'assurance-maladie, en l'absence de préjudice démontré,

Confirmer le jugement entrepris,

Subsidiairement,

Limiter le montant des dommages-intérêts à une part symbolique de 1 €.

En tout état de cause,

Condamner Mme [F] [I] à régler à la société Actua une indemnité de 3 000 € au titre de l'article 700 du CPC.

Condamner Mme [F] [I] aux entiers frais et dépens de la procédure.''.

Sur l'appréciation des chefs de préjudice invoqués par Mme [I], la société Actua considère que si dans l'arrêt de cassation partielle semble considérer que la non-affiliation au régime local était constitutive en soi d'un préjudice, celui qui s'en prévaut n'est pas pour autant dispensé de justifier de l'étendue du préjudice qu'il invoque à l'appui de sa demande de dommages-intérêts.

La société Actua fait valoir que durant ses années d'activité professionnelle au sein de l'agence d'[Localité 4], Mme [I] ne détaille pas quelles sont les périodes de suspension de son contrat de travail pour cause de maladie, ni la nature et le montant des dépenses pour lesquelles elle aurait bénéficié d'un meilleur taux de couverture et de prise en charge de ses frais de soins de santé au titre du régime local d'assurance maladie.

L'intimée soutient qu'au contraire, Mme [I] n'a pratiquement jamais été en arrêt de travail, à l'exception de l'année 2017 où elle a été en absence pour cause de maladie pendant deux mois et demi, et qu'il lui appartient le cas échéant de démontrer qu'elle aurait subi une couverture moindre au titre de ses dépenses de santé pendant ces absences pour cause de maladie.

La société Actua fait valoir qu'en tout état de cause, le préjudice allégué doit être compensé par le fait que le salaire de Mme [I] n'a nullement été amputé de la cotisation de 1,50 % qui est exclusivement à la charge du salarié, et qui sert à financer le régime local d'assurance maladie ; elle précise qu'ainsi, entre 2005 et 2019, Mme [I] a échappé au prélèvement sur ses salaires de la cotisation salariale de 1,50 %, soit un gain de 5 442,95.

Elle se prévaut de ce que Mme [I] a bénéficié d'un régime complémentaire de prise en charge des frais de santé mis en place par l'entreprise, qui a été financé à hauteur de 50 % par l'employeur, tandis que le régime local d'assurance maladie est exclusivement financé par le salarié.

La société Actua explique que si avant 2016 les garanties complémentaires au titre des frais de santé n'étaient pas obligatoires, elle avait dès 2005 pris l'initiative de souscrire des garanties collectives en matière de frais de santé au profit de tous les salariés, avec une contribution employeur à hauteur de 49 % du financement, soit un taux de prise en charge de 2,11 %. Elle constate que Mme [I] a ainsi bénéficié, pendant toute sa durée d'emploi au sein de l'entreprise, d'un financement employeur au titre de la complémentaire frais de santé pour un montant total de 12 270,72 €.

Elle retient que le préjudice forfaitaire dont se prévaut Mme [I] devra être réduit à son plus strict minimum, à savoir 1 €, en l'absence de toute incidence démontrée quant à la non-affiliation au régime local d'assurance maladie d'Alsace-Moselle et des avantages tirés du bénéfice d'un régime complémentaire frais de santé souscrit par l'entreprise et financé pour moitié par ce dernier.

Sur les différents préjudices allégués à titre subsidiaire, la société Actua émet les observations suivantes :

- Sur les jours fériés en Alsace-Moselle : la détermination du champ d'application territorial du bénéfice du repos dominical de deux jours fériés supplémentaires en Alsace-Moselle n'est pas identique à celui du régime local d'assurance-maladie car la jurisprudence énonce clairement que la localisation du siège social de l'employeur en Alsace-Moselle n'est pas une condition suffisante pour la détermination du droit applicable, et estime que doit être pris en compte le lieu où s'exerce l'activité principale du salarié. Ainsi les dispositions relatives aux jours fériés seront donc applicables aux salariés qui exercent principalement leur activité en Alsace-Moselle (Cass. soc., 9 oct. 1963, [Z] C/ [N]), peu important la localisation du siège social de l'entreprise.

- Sur le prétendu préjudice tiré d'une moindre couverture des frais de santé : si le régime local d'assurance maladie permet effectivement une meilleure prise en charge des frais de soins de santé, Mme [I] omet de rappeler que ce régime est financé par une cotisation sociale égale à 1,50 % de la rémunération brute exclusivement à la charge du salarié. Mme [I] a bénéficié, au sein de l'entreprise, d'une couverture collective complémentaire en matière de frais de santé avec un financement en partie pris en charge par l'employeur, à la différence du régime local d'assurance maladie ; avant 2016, cette couverture complémentaire était facultative pour la société Actua, qui en a fait bénéficier l'ensemble de ses salariés permanents, dont Mme [I], avec une contribution au financement de l'employeur à hauteur de 49 %. Mme [I] a en outre bénéficié de la portabilité à titre gratuit des garanties complémentaires frais de soins de santé pendant 12 mois après la fin de son contrat de travail, à compter du 1er novembre 2019, conformément aux dispositions légales issues de l'article L. 911-8 du code de la sécurité sociale.

- Sur une prétendue perte sur les droits futurs à la retraite : ce préjudice est inexistant, car le régime local en Alsace-Moselle ne concerne que les prestations de frais de santé, à l'exclusion de tout régime spécifique complémentaire ou supplémentaire à la retraite. Le fait d'être assujetti au régime local d'assurance maladie n'ouvre aucun droit en matière de pension de retraite, et l'argument tendant à soutenir que Mme [I] subirait un préjudice du fait de l'absence de prélèvement à la source est incompréhensible, et reviendrait à faire financer par l'employeur une contribution exclusivement à la charge du salarié.

Sur le préjudice moral invoqué par Mme [I], la société Actua évoque un motif tenant au fait que Mme [I] aurait été privée du bénéfice de l'article 616 du code civil local et 63 du code de commerce local, et confond ainsi le champ d'application territorial du régime local d'assurance maladie et celui applicable au bénéfice des dispositions en droit du travail applicables en Alsace-Moselle.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

La cour rappelle qu'elle n'est saisie, dans le cadre d'une procédure de renvoi sur cassation partielle, que du rejet de la demande de dommages-intérêts de Mme [F] [W] épouse [I] au titre de sa non affiliation au régime local d'Alsace-Moselle.

La cour rappelle qu'elle n'est donc saisie que des prétentions indemnitaires de Mme [W] épouse [I] au titre de sa non affiliation au régime local d'Alsace-Moselle, que l'intéressée évalue à titre principal forfaitairement, et à titre subsidiaire en réparation de la perte de chance ainsi que d'un préjudice moral.

L'arrêt de cassation partielle rendu le 17 mars 2021 par la Cour de cassation retient que « Pour débouter la salariée de sa demande en condamnation de l'employeur à lui payer des dommages-intérêts pour omission d'affiliation au régime local d'Alsace-Moselle, l'arrêt retient qu'il n'est pas contesté qu'en droit, la salariée aurait pu bénéficier d'une telle affiliation en dépit d'un lieu de travail situé en dehors de cette région, que la question soulevée par la salariée n'a plus lieu d'être en raison de la modification de l'article L. 325-1 du code de la sécurité sociale issu de la loi du 14 mars 2012, que le choix opéré par l'employeur, qui a opté pour une option conforme à la doctrine adoptée par l'organisme Urssaf, pour une salariée bénéficiant d'un régime complémentaire, localisée professionnellement et personnellement à l'extérieur de la région Alsace-Moselle ne revêt pas un caractère fautif et qu'en tout état de cause, la salariée ne caractérise pas en quoi elle a subi un préjudice à hauteur du montant qu'elle réclame. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la salariée remplissait avant l'entrée en vigueur de la loi du 14 mars 2012 les conditions pour bénéficier de l'affiliation au régime local d'Alsace-Moselle, la cour d'appel qui ne pouvait refuser d'évaluer le préjudice, a violé les textes susvisés. ».

L'article L.325-1 II du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-355 du 14 mars 2012 énonce que le régime local d'assurance maladie complémentaire obligatoire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle est applicable aux catégories d'assurés sociaux du régime général des salariés d'une entreprise ayant son siège social dans le département du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, quel que soit leur lieu de travail en France métropolitaine ou dans les départements d'outre-mer, et salariés travaillant dans l'un de ces trois départements pour une entreprise ayant son siège hors de ces départements.

La société Actua rappelle justement que cette règle, qui avait pour inconvénient de faire relever du régime local des salariés travaillant hors de ces départements et n'ayant souvent aucun lien juridique, social ou personnel avec l'Alsace-Moselle, au seul motif que leur employeur y avait son siège, n'a cependant jamais été appliquée en l'état.

En effet l'instance de gestion du régime local retenait que les salariés travaillant au sein d'établissements implantés à l'extérieur des trois départements d'Alsace-Moselle ne relevaient pas du régime local d'assurance-maladie, et que le régime local ne bénéficiait donc qu'aux salariés relevant directement du siège social de l'entreprise sis en Alsace-Moselle. Cette instance avait proposé d'adapter le texte en conséquence, évolution qui a été consacrée par la loi du 14 mars 2012 relative à la gouvernance de la sécurité sociale et à la mutualité : il résulte de ces nouvelles dispositions que sont désormais exclus du régime local les salariés d'une entreprise ayant son siège social en Alsace-Moselle, lorsque ces salariés exercent leur activité en dehors de ce périmètre, sauf si leur activité est itinérante.

Ainsi la loi n° 2012-355 du 14 mars 2012 a modifié les bénéficiaires, en indiquant que le régime local d'assurance maladie complémentaire obligatoire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle est applicable aux catégories d'assurés sociaux du régime général des salariés exerçant une activité dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, quel que soit le lieu d'implantation du siège de l'entreprise, ainsi qu'aux salariés d'un établissement implanté dans ces départements qui exercent une activité itinérante dans d'autres départements.

L'article 1 de la loi du 14 mars 2012 précise que par dérogation à l'article L. 325-1 du code de la sécurité sociale, les assurés salariés et leurs ayants droit bénéficiaires du régime local d'Alsace-Moselle au 31 mars 2012 conservent le bénéfice de ce régime pour la durée pendant laquelle ils remplissent les conditions d'ouverture des droits prévues par la législation en vigueur à cette même date.

Le principe d'un préjudice subi par Mme [I] de par sa non affiliation au régime local d'Alsace-Moselle, est acquis puisqu'elle a été employée à partir du 2 mai 2005 par la société Actua dont le siège social est situé à [Localité 5] (67), et remplissait donc avant l'entrée en vigueur de la loi du 14 mars 2012 les conditions pour bénéficier de l'affiliation au régime local d'Alsace-Moselle et pour bénéficier ensuite du maintien de cette affiliation.

A l'appui du montant de dommages et intérêts réclamé à titre principal ''à titre forfaitaire'' à hauteur de la somme de 25 000 euros, Mme [I] évoque la difficulté de chiffrer avec exactitude son préjudice, et justifie cette prétention par une évaluation d'environ 2 000 € par année d'ancienneté, en retenant outre son ancienneté le montant de sa rémunération.

La société Actua objecte à juste titre que cette évaluation forfaitaire de Mme [I] n'est pas appuyée par une quelconque démonstration, puisque l'appelante se limite à expliquer l'évaluation de son préjudice en se rapportant à son ancienneté et à son niveau de rémunération, alors qu'il est essentiellement question d'une prise en charge au titre du risque social selon le régime du droit local.

La société Actua soutient avec pertinence que durant ces années, Mme [I] a perçu une rémunération qui n'a nullement été amputée de la cotisation de 1,50 % (qui est exclusivement à la charge du salarié), et qu'elle a également bénéficié d'un régime complémentaire de prise en charge des frais de santé mis en place par l'entreprise, et financé à hauteur de 50 % par l'employeur.

Ces prétentions fondées sur une évaluation forfaitaire seront donc rejetées.

Au soutien de ses prétentions subsidiaires, Mme [I] se prévaut de première part d'un préjudice lié à la perte de chance à hauteur d'un montant total de 20 066 euros.

Mme [I] fait état en premier lieu d'un préjudice lié au repos dominical et jours fériés qu'elle évalue à la somme de 3 937,85 euros, au regard des deux jours de congés supplémentaires dont bénéficient les salariés selon les règles du droit local.

Mme [I] fait état en second lieu d'un préjudice de 5 000 euros au regard de ce que l'assurance maladie alsacienne et mosellane est plus avantageuse que le régime général et le droit local prévoit en cas d'absence d'un salarié pour cause de maladie le maintien de salaire sans délai de carence. Mme [I] indique qu'elle a notamment été absente lors de ses congés maternité en 2005 et 2008, avant d'être arrêtée de mars à avril 2015 pour dépression, qu'elle a encore connu 3 mois d'arrêt en 2017 pour maladie, et que son préjudice court encore car elle n'a pas repris une autre activité salariée et qu'en l'état, elle et ses ayants droits pourraient parfaitement continuer à bénéficier des avantages du droit local d'Alsace-Moselle. Mme [I] fait encore valoir qu'elle bénéficiait d'une complémentaire frais de santé imposée en mai 2005 pour couverture obligatoire par son employeur avec une prise en charge de l'employeur à hauteur de 51 % ; depuis avril 2016, la prise en charge par l'employeur a diminué à 50 %, faisant passer la cotisation complémentaire cadre santé cadre TA de 70,47 € à 86,56 € par mois en moyenne, contre 64,36 € pour un collègue d'Alsace Moselle à salaire identique.

Mme [I] fait état en troisième lieu d'un préjudice résultant d'une perte sur les droits futurs à la retraite qu'elle évalue à 11 129 €, en soutenant que du fait de sa non-affiliation, elle a été privée du droit au prélèvement à la source.

La cour constate que les seuls éléments auxquels Mme [I] se rapporte au soutien de l'évaluation de son préjudice lié à la perte de chance sont ses pièces n° 59 (ses bulletins de paie de janvier 2018 à décembre 2021), et n° 60 (appel à cotisation de sa mutuelle actuelle).

La cour rappelle que la victime d'une chance perdue ne peut obtenir indemnisation que d'une fraction de l'avantage qu'elle aurait procuré si elle s'était réalisée.

En effet l'indemnisation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue. Elle ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, et son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

La cour rappelle qu'en vertu d'une jurisprudence ancienne et constante, en matière de droit du travail (jours fériés, clause de non concurrence, garantie des ressources) le critère de rattachement est déterminé par le lieu d'exécution du contrat, ce qui signifie que le droit local s'applique si l'activité du salarié est principalement exercée dans les trois départements d'Alsace Moselle.

Aussi il est acquis aux débats que Mme [I] a exercé son activité professionnelle au sein de l'agence d'[Localité 4], soit hors Alsace-Moselle. Mme [I] ne peut donc valablement se prévaloir d'une évaluation tenant à la perte de la chance de bénéficier des dispositions du droit du travail qui sont applicables en Alsace Moselle.

S'agissant du préjudice tiré de la perte de chance d'une couverture plus importante des frais de santé, la cour relève que, comme l'objecte avec pertinence la société Actua, il doit être apprécié en tenant compte de ce que l'affiliation au régime local implique le prélèvement d'une cotisation sociale exclusivement à la charge du salarié, et de ce que Mme [I] a bénéficié dès son embauche d'une couverture sociale complémentaire financée à hauteur de 49 % par l'employeur, avant qu'elle ne devienne obligatoire en 2016.

Enfin si Mme [I] fait état d'un préjudice lié à une perte sur les droits futurs à retraite, la cour retient que l'affiliation au régime local d'assurance maladie n'ouvre aucun droit complémentaire ou supplémentaire au titre de l'assurance vieillesse.

Au vu de ces données il y a lieu d'évaluer le préjudice lié à la perte de chance à la somme de 1 000 euros.

Mme [I] se prévaut de seconde part d'un préjudice moral qu'elle évalue à la somme de 4 000 euros, mais elle ne fait état à ce titre que de la durée de la procédure, et de ce qu'elle a souffert d'une grave dépression.

Ces seules données sont inopérantes pour démontrer la réalité d'un préjudice moral, et ces prétentions seront rejetées.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens d'appel

Il est contraire à l'équité de laisser à la charge de Mme [I] ses frais irrépétibles exposés à hauteur de cour. Il lui sera alloué la somme de 1 000 euros à ce titre.

La société Actua assumera ses frais irrépétibles et sera condamnée aux dépens exposés devant les juridictions du fond.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort :

Infirme le jugement rendu le 31 octobre 2017 par le conseil de prud'hommes d'Epinal en ce qu'il a débouté Mme [I] de sa demande de dommages-intérêts pour non-affiliation au régime local d'assurance maladie ;

Statuant à nouveau :

Condamne la SAS Actua à payer à Mme [F] [W] épouse [I] la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice résultant de la perte de chance d'affiliation au régime local d'assurance maladie ;

Condamne la SAS Actua à payer à Mme [F] [W] épouse [I] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Rejette les prétentions autres des parties, y compris celles de la SAS Actua au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Actua aux dépens exposés devant les juridictions du fond.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 21/01562
Date de la décision : 09/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-09;21.01562 ?
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