Arrêt n°23/00214
07 Mars 2023
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N° RG 21/00118 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FNEU
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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ
11 Décembre 2020
19/00870
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
sept mars deux mille vingt trois
APPELANTE :
Mme [P] [L]
[Adresse 1]
Représentée par Me Marie VOGIN, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Dominique LE GUILLOU-RODRIGUES, avocat plaidant au barreau de QUIMPER
INTIMÉE :
S.A.S. UMICORE AUTOCAT FRANCE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
Représentée par Me Sandrine ANDRET, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Octobre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE, Greffier
ARRÊT :
Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme [P] [L] a été embauchée à compter du 1er juin 2013 par la SAS Umicore Autocat France en qualité de responsable de laboratoire, et ce par contrat à durée indéterminée.
La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective des ingénieurs et cadres des industries des métaux.
En dernier lieu, Mme [L] percevait une rémunération brute mensuelle de 4 270 euros (hors prime).
Mme [L] indique avoir été membre du comité d'entreprise jusqu'en février 2019.
Mme [L] a été placée en arrêt maladie à compter du 17 septembre 2018, arrêt renouvelé sans interruption jusqu'à la rupture de la relation de travail.
Par lettre datée du 26 février 2019, Mme [L] a pris acte de la rupture de son contrat de travail en invoquant des manquements de la part de son employeur.
Par lettre datée du 1er mars 2019, la SAS Umicore Autocat France contestait ces manquements.
Par demande introductive d'instance enregistrée au greffe du conseil de prud'hommes de Thionville, section encadrement, le 15 avril 2019, Mme [L] a fait citer la SAS Umicore Autocat France, prise en la personne de son président aux fins de voir, aux termes de ses dernières conclusions :
Dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail la liant à la SAS Umicore Autocat France doit s'interpréter comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
Condamner la SAS Umicore Autocat France à lui payer les montants suivants :
. 5 455,33 euros bruts au titre du non-respect de la procédure de licenciement ;
. 7 728,38 euros bruts au titre des indemnités de licenciement ;
. 16 366 euros bruts au titre des indemnités de préavis, outre 1 636,60 euros bruts au titre des congés payés sur préavis ;
. 38 187,31 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
. 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
. 8 000 euros au titre de la prime participations/intéressement.
Dire que ces sommes porteront de plein droit intérêts au taux légal, à titre principal à compter de la prise d'acte de la rupture, subsidiairement à compter de l'introduction de l'instance et à titre infiniment subsidiaire à compter du jugement à intervenir ;
Dire le jugement à intervenir exécutoire par provision dans son intégralité ;
Condamner la SAS Umicore Autocat France en tous les frais et dépens et au paiement d'une indemnité de 4 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS Umicore Autocat France, à titre principal, s'opposait à toutes les demandes formées par Mme [L], estimant que la prise d'acte notifiée par Mme [L] s'analysait comme une démission, et sollicitait la condamnation de la requérante à lui verser 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance prononcée le 13 novembre 2019, la première présidente de la cour d'appel de Metz a constaté que la section encadrement du conseil de prud'hommes de Thionville ne pouvait pas se constituer et a désigné la section encadrement du conseil de prud'hommes de Metz pour connaître des affaires inscrites au rôle de la section encadrement du conseil de prud'hommes de Thionville.
Par jugement du 11 décembre 2020, le conseil de prud'hommes de Metz, section encadrement, a statué ainsi qu'il suit :
« Dit que la rupture du contrat de travail est intervenue en date du 26 février 2018 en suite de la prise d'acte, produit les effets d'une démission ;
En conséquence,
Déboute Mme [L] de ses demandes au titre de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ainsi que des demandes indemnitaires formées y afférant ;
Déboute Mme [L] de sa demande en paiement d'une prime participation/intéressement plus bonus de 8 000 euros ;
Condamne Mme [L] à verser à la SAS Umicore Autocat France une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Condamne Mme [L] aux éventuels frais et dépens de l'instance ».
Par déclaration formée par voie électronique le 15 janvier 2021, Mme [L] a régulièrement interjeté appel du jugement qui lui a été notifié le 16 décembre 2020.
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 octobre 2021, Mme [L] demande à la cour de :
Débouter la SAS Umicore Autocat France de toutes ses conclusions fins et prétentions ;
Dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail liant Mme [L] à la SAS Umicore Autocat France doit s'analyser comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
Condamner la SAS Umicore Autocat France à payer à Mme [L] les montants suivants :
. 5 455,33 euros net au titre du non-respect de la procédure de licenciement ;
. 7 728,38 euros net au titre des indemnités de licenciement ;
. 16 366 euros bruts au titre des indemnités de préavis, outre 1 636,60 euros bruts au titre des congés payés sur préavis ;
. 38 187,31 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
. 30 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
. 8 000 euros brut au titre de la prime participations/intéressement.
Dire que ces sommes porteront de plein droit intérêts au taux légal, à titre principal à compter de la prise d'acte de la rupture, subsidiairement à compter de l'introduction de l'instance et à titre infiniment subsidiaire à compter du jugement à intervenir ;
Condamner la SAS Umicore Autocat France au paiement d'une indemnité de 4 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la SAS Umicore Autocat France aux entiers dépens.
Par ses dernières conclusions datées du 7 juillet 2021 et notifiées par voie électronique le 8 juillet 2021, la SAS Umicore Autocat France demande à la cour de :
A titre principal, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
A titre subsidiaire, si la cour considérait que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail liant Mme [L] et la SAS Umicore Autocat France devait s'interpréter comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse :
. déterminer la valeur d'un mois de salaire à la somme de 4 113,23 euros pour l'indemnisation de Mme [L] ;
. constater l'absence de préjudice actuel ;
. limiter l'indemnisation de Mme [L] à trois mois de salaire toute cause de préjudice confondue ;
En tout état de cause, condamner Mme [L] au paiement d'une indemnité d'un montant de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles à hauteur de cour, ainsi qu'aux frais et dépens de l'instance d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 avril 2022.
Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS
SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL :
Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par lui constituent des manquements d'une importance telle qu'ils empêchaient la poursuite des relations contractuelles, soit d'une démission dans le cas contraire.
Il appartient donc au juge de vérifier si les faits invoqués par le salarié sont établis et, dans l'affirmative, s'ils caractérisent des manquements d'une importance telle qu'ils empêchaient la poursuite des relations contractuelles, la rupture étant alors imputable à l'employeur et produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
C'est au salarié qui prend l'initiative de la rupture qu'il appartient d'établir la réalité de ces manquements, à charge pour le juge d'en apprécier la gravité, et si un doute subsiste la rupture produit les effets d'une démission.
Le juge se doit enfin d'examiner l'ensemble des griefs invoqués par le salarié, sans se limiter aux reproches mentionnés dans la lettre de rupture.
Mme [L] invoque des manquements de l'employeur caractérisant un harcèlement moral à son encontre et une violation de l'obligation de sécurité de celui-ci justifiant la prise d'acte et l'impossibilité de poursuivre le contrat de travail.
S'agissant du harcèlement moral, l'article L 1152-1 du code du travail stipule qu' « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
Le harcèlement moral s'entend en l'occurrence selon sa définition commune d'agissements malveillants envers un subordonné ou un collègue en vue de le déstabiliser, le tourmenter ou l'humilier.
Concernant la preuve du harcèlement, l'article L1154-1 du même code précise que lorsque survient un litige relatif notamment à l'application de l'article L 1152-1, « le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement » et « au vu de ces éléments il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. »
Pour étayer sa demande tendant à voir constater qu'elle est victime de harcèlement moral, Mme [L] invoque, dans sa lettre de rupture du 26 février 2019 puis dans le cadre de la présente procédure, les comportements suivants :
- des reproches publics qu'elle a subis lors de réunion de travail quotidiennes, des demandes contradictoires de réalisation de tâches ;
- des retraits de taches mentionnés dans sa fiche de poste ;
- une humiliation par la demande de passage de tests psychotechniques ;
- un retrait complet de la réception de ses mails pendant une période d'arrêt maladie ;
- des reproches de sa hiérarchie pour avoir participé en tant que membre du CE à une réunion non officielle le 25 mai 2018 ;
- un comportement brutal de sa directrice de site vis-à-vis des membres du CE ;
- des demandes contradictoires de réalisation de taches et une pression constante de sa directrice de site ;
- une demande de réalisation de tache pendant son arrêt maladie ;
- des reproches par SMS de sa directrice de site pour ne pas avoir mis de message d'absence pendant son arrêt maladie, et pour ne pas avoir averti de son absence ;
une blague douteuse à caractère raciste qu'elle a subie de la part d'une de ses collègues ;
- des évaluations professionnelles sous estimées ;
- l'absence de prise en compte de ses alertes en matière de sécurité ;
- les exigences de prises en charge de son véhicule professionnel lorsqu'il est tombé en panne ;
- le refus d'un jour de congé (habituellement accordé) ;
- le changement de serrure de son bureau pendant son arrêt maladie.
Mme [L] verse aux débats :
- différents mails et SMS échangés entre Mme [L] et elle ainsi que d'autres collègues montrant que Mme [L] a reçu des demandes de modification de ses pratiques et des demandes de renseignements de la part de sa supérieure hiérarchique, qu'elle s'est vu également demander par celle-ci pendant un arrêt maladie de mettre un message d'absence et d'expliquer une absence, qu'il lui a été également demandé de se soumettre à des tests psychotechniques par un cabinet extérieur, que l'accès à ces (sa messagerie informatique) mails lui a été retiré pendant un arrêt maladie, que la serrure de son bureau a été changée pendant un de ses arrêts maladie, que Mme [L] se questionnait sur l'attribution de certaines taches à des collègues, qu'il lui a été demandé de récupérer pendant son temps de travail son véhicule professionnel tombé en panne sur son lieu de vacances, qu'un jour de congé sans solde n'a pas été accepté par Mme [O], et qu'elle a procédé à plusieurs reprises à des alertes sur la qualité de l'air et le danger occasionné par celle-ci pour les salariés des laboratoires ;
- un mail adressé par Mme [W] à Mme [L] le 9 janvier 2015 dans lequel elle plaisante avec le nom de sa collègue ;
- un compte rendu d'entretien d'évaluation établi par Mme [O] le 11 septembre 2018, formulant des reproches à Mme [L], et la réponse de la salariée qui les conteste ;
- des certificats médicaux la concernant montrant qu'elle rapporte à ses médecins que ses difficultés de santé depuis 2017 sont en rapport avec son activité professionnelle ;
- trois attestations de ses proches faisant état de la dégradation de son humeur de Mme [L] qu'elle met en relation avec ses problèmes au travail ;
- un courrier adressé le 12 décembre 2018 à l'inspecteur du travail ;
- un compte rendu de la réunion du CHSCT du 5 janvier 2017 dans lequel apparaît la problématique de la qualité de l'air ;
- un compte rendu de la réunion du CE du 21 novembre 2018 faisant état d'une altercation entre Mme [O] et un membre du CE.
Ces pièces démontrent la réalité des éléments présentés par la salariée, à l'exception des brimades et reproches proférés en public par Mme [O] contre Mme [L] et du reproche d'avoir participé à la réunion non officielle du 25 mai 2018 qui ne sont corroborés par aucun élément.
Les autres faits présentés par la salariée et dont l'existence est démontrée, pris dans leur ensemble, sont suffisamment précis et concordants pour laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral dont elle aurait été victime sur son lieu de travail principalement à compter de 2018.
Pour s'opposer à l'existence de harcèlement moral invoqué par Mme [L], l'employeur indique :
- que les reproches ou demandes d'informations adressés à Mme [L] reposaient toujours sur des causes objectives et professionnelles, et étaient formulés de façon courtoise,
- qu'aucun reproche en public n'était adressé à Mme [L] lors des réunions de travail,
- que les mails produits montrent que les propos étaient courtois, dépourvus d'agressivité et ne comportaient aucune contradiction,
- que le 13 juin 2018, suite à des dysfonctionnements, une réunion urgente est organisée pour créer une cellule de coordination pour laquelle Mme [L] ne s'est pas portée candidate de sorte que cette mission ne lui a pas été confiée,
- que l'attitude de Mme [L], qui ne reconnaît pas ses erreurs ou ses comportements inappropriés, justifiait le recours par l'employeur au cabinet de coaching Moreno, pour proposer des solutions à Mme [L] dans le but d'améliorer ses relations avec son équipe ou avec les membres des autres services ;
- que la demande formée par Mme [O], responsable de site et supérieure de Mme [L], à la salariée afin qu'elle mette un message d'absence sur sa messagerie professionnelle pendant son absence est justifiée par la nécessité de faire fonctionner le service pendant son absence, et a été formulée sans aucune agressivité ; que le transfert de sa messagerie professionnelle pendant son arrêt maladie est justifié par le même objectif de continuité du service et de la nécessité de gérer les urgences, la messagerie lui ayant été réattribuée à son retour d'arrêt maladie ;
- que Mme [L] n'a été sollicitée qu'une seule fois par Mme [O] pendant qu'elle était en arrêt maladie pour un renseignement professionnel, compte tenu de l'urgence du dossier, et qu'il lui a été laissé la possibilité de répondre à son retour d'arrêt maladie ;
- que la blague douteuse sur le nom de famille de Mme [L] est ancienne, antérieure à l'arrivée de Mme [O] ;
- que s'agissant du problème d'air toxique et de poussières cancérigènes dénoncé par Mme [L] il s'agissait en réalité d'un problème technique sur les nouvelles installations d'extraction après l'inauguration du nouveau laboratoire, signalé par Mme [L], et pris en charge par la SAS Umicore Autocat France qui a fait appel à une société extérieure pour expertiser les installations et faire un rapport ;
- que les évaluations de Mme [L] montrent que la salariée remplissait les attentes jusqu'en 2016, de sorte qu'il n'y avait pas de sous-évaluation de son activité, et que les reproches sont objectivement justifiés en 2018 ; que la société n'est pas tenue d'accorder des jours de congés sans solde à Mme [L] et que le refus s'expliquait par le fait que celle-ci en avait déjà bénéficié, le service était tendu à ce moment-là et la société ne s'opposant pas pour ce jour à un congé-payé ;
- que s'agissant du changement de barillet du bureau de Mme [L] pendant son arrêtmaladie, celui-ci a été rendu nécessaire par l'obligation d'attribuer les fonctions PCR à un autre salarié, en l'absence de Mme [L], tenu d'effectuer des mesures mensuelles en matière de radioactivité, et rendant obligatoire l'accès au bureau de Mme [L] qui était un des seuls bureaux non accessibles avec le pass-usine ; que Mme [L] en a été informée ;
- que Mme [L] ne produit aucun courrier ou mail du médecin du travail et de l'inspecteur du travail de sorte qu'elle ne justifie pas de leurs propos, aucune suite n'ayant été constatée par ailleurs dans l'entreprise ;
- que les pièces médicales produites par Mme [L] ne font que rapporter ses dires et ne démontrent pas que son état de santé peut être imputé à la SAS Umicore Autocat France.
La SAS Umicore Autocat France justifie :
- d'une attestation de M. [G], technicien de laboratoire ayant travaillé sous la responsabilité de Mme [L] entre 2013 et 2018, indiquant que Mme [L] avait coupé les ponts entre le laboratoire et les services centraux allemands, de par sa non-participation aux réunions rassemblant tous les laboratoires des usines de leur division ; qu'elle prenait des décisions injustes et dictées par ses humeurs, notamment en matière d'attribution des formations et d'évaluation des salariés placés sous sa responsabilité ;
- d'une attestation de Mme [S], responsable plannings et clients de la société, rapportant que lors de réunions de travail quotidiennes (groupe de release) à laquelle participaient habituellement Mme [L] et Mme [O], de nombreux dysfonctionnements apparaissaient au niveau du laboratoire, obligeant le service de Mme [S] à prendre le relais sur la gestion des échantillons avec les laboratoires externes ; que Mme [L] claquait souvent la porte de ces réunions quand elle était questionnée sur les dysfonctionnements ; qu'elle redescendait souvent aux membres de son équipe des informations erronées sur des urgences et des expéditions ajoutées « pour créer une sorte de stress qui parfois n'avait pas lieu d'être », les obligeant à vérifier auprès de Mme [S] le contenu de ces informations ;
- d'une attestation de M. [T], responsable de production au sein de la SAS Umicore Autocat France, précisant qu'en 2018, Mme [L] la relançait souvent par mail de façon inutile au sujet d'échantillons qui ne seraient pas parvenus au laboratoire alors qu'il n'étaient pas encore produits ; que s'il entretenaitde bonnes relations de travail avec Mme [L], celle-ci avait « une lecture défaitiste voire alarmiste des remarques aux propos émanant des réunions. Parfois la simple demande d'un « statu » d'un problème se traduisait par une réaction hyper défensive et accusatrice notamment envers ses collègues des services logistiques ou qualité » ; qu'il tentait alors de dédramatiser sa perception des choses en la rencontrant en aparté ;
- d'un SMS adressé par Mme [O] à Mme [L] le 28 juin dans lequel elle lui demande en anglais de mettre un message d'absence sur sa boîte mail pou prévenir ses correspondants de s'adresser à d'autres personnes en son absence, et ce en la remerciant et après lui avoir souhaité d'aller mieux ;
- d'un rapport par mail daté du 10 février 2017 adressé par le gérant de la société Larbre-Ingéniérie suite à son intervention destinée à identifier l'origine des dysfonctionnements constatés ;
- d'un formulaire d'entretien de Mme [L] pour l'année 2016, réalisé le 25 août 2017, montrant que Mme [L] fait l'objet d'une bonne appréciation par Mme [O] qui constate un excellent travail et une performance solide (« [P] delivered a solid performance in 2016 ; her work this year with lab transfer was excellent. Work to develop an expanded vision of plant ») ;
- d'un tableau des absences de Mme [L] sur l'année 2018 montrant que celle-ci a déjà bénéficié de 4 jours de congés sans solde avant l'été 2018.
Il ressort de ces données que la teneur des échanges, tant entre Mme [L] et sa supérieure hiérarchique qu'entre la salariée et ses collègues, ne relève que d'instructions et de demandes de renseignements compatibles avec l'exercice normal du pouvoir de direction et d'organisation de l'employeur. Par ailleurs, la « blague raciste » effectuée par la collègue de Mme [L] le 9 janvier 2015 constitue un fait isolé et ancien, traduisant une maladresse plus qu'une intention de nuire, Mme [L] et sa collègue ayant par ailleurs conservé d'excellentes relations au vu de leurs différents échanges (mails) versés au dossier.
En outre, le fait de demander à Mme [L] d'aller récupérer en Bretagne, sur un jour travaillé, son véhicule de fonction tombé en panne pendant ses congés est une mesure plutôt favorable à la salariée qui n'a pas eu besoin de poser un jour de congé.
L'altercation entre Mme [O] et un membre du CE ne concerne pas directement Mme [L] de sorte qu'il ne peut être retenu à la charge de l'employeur dans le cadre de la demande formée par Mme [L] aux fins de voir constater l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.
Pour le reste, l'employeur produit des pièces caractérisant des éléments objectifs extérieurs, justifiés par la nécessité pour celui-ci d'organiser et de diriger l'entreprise, et qui sont étrangers à tout comportement de harcèlement moral.
Enfin, il est constant que des certificats médicaux ne peuvent à eux seuls caractériser le harcèlement moral invoqué par la salariée qui s'en estime victime, de sorte que celui-ci n'est pas caractérisé.
Les demandes formées par Mme [L] tendant à faire constater l'existence d'un harcèlement moral qu'elle aurait subi dans l'entreprise, et à se voir allouer des dommages et intérêts à ce titre ne sont donc pas fondées et doivent être rejetées.
La décision des premiers juges doit être confirmée sur ces points.
A l'appui de sa demande de prise d'acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur, Mme [L] invoque également les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité.
Elle reproche à la SAS Umicore Autocat France, informée des relations conflictuelles existant entre Mme [L] et Mme [O], de n'avoir pris aucune mesure efficace pour enrayer le mal-être de Mme [L], alors qu'elle est tenue de prévoir des actions préventives des risques psycho-sociaux et du harcèlement moral en application des dispositions des articles L 4121-1 et suivants du code du travail.
La SAS Umicore Autocat France estime que le manquement à son obligation de sécurité n'est pas démontré par Mme [L].
Il est rappelé qu'aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés et l'employeur devant veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Cette obligation est actuellement considérée par la jurisprudence comme une obligation de moyens renforcée et non plus de résultat, de sorte qu'il appartient à l'employeur de démontrer qu'il a pris les mesures nécessaires pour éviter les situations de souffrances au travail de ses salariés.
En l'espèce, Mme [L] justifie avoir adressé un courrier reçu le 13 décembre 2018 à Mme [O], sa supérieure hiérarchique et responsable de site, suite à l'entretien d'évaluation de mi-année dont elle avait reçu le compte rendu daté du 11 septembre 2018, dans lequel, si elle conteste principalement les reproches d'ordre professionnel effectués par sa supérieure, elle fait état également qu'elle « ressens ces allégations gratuites comme des intimidations visant à provoquer mon départ. Je vous ai dit et redit précédemment que ces agressions impactent ma santé et je considère ceci comme inadmissible. Je vous rappelle que le harcèlement moral est passible de poursuites civiles et pénales ».
Si le harcèlement moral invoqué par Mme [L] n'est pas établi au vu des développements qui précèdent, il appartenait cependant à l'employeur, alerté du ressenti de sa salariée qui s'estimait harcelée moralement et mentionnait des impacts sur son état de santé, de mettre en 'uvre des mesures préventives destinées à éviter toute situation de harcèlement ou à y remédier, et ce au titre de son obligation légale de sécurité et de prévention.
La SAS Umicore Autocat France n'allègue ni ne justifie d'aucune démarche effectuée suite au signalement par Mme [L] en décembre de sa situation de souffrance au travail.
En ne justifiant pas avoir engagé ces mesures, la SAS Umicore Autocat France a manqué à son obligation de sécurité.
La violation par l'employeur de son obligation de sécurité n'est cependant pas suffisamment importante, compte tenu du peu de temps séparant le signalement de cette souffrance par la salariée à son employeur (13 décembre 2018) et la date à laquelle elle a pris acte de la rupture du contrat de travail (26 février 2019), mais aussi compte tenu de l'attitude de l'employeur qui, s'il n'a pas engagé de mesures de prévention contre le harcèlement, a cherché dès septembre 2018 à trouver une solution aux problèmes relationnels existant entre Mme [L] et ses collègues en faisant appel à un cabinet extérieur.
Dès lors, la demande de prise d'acte de la rupture du contrat de travail, formée par Mme [L] par lettre recommandée du 26 février 2019, s'analyse comme une démission.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande aux fins de constater que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
SUR LES DEMANDES FINANCIERES FORMEES PAR MME [L] :
Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail :
La rupture du contrat de travail s'analysant comme une démission, il convient de débouter Mme [L] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité de licenciement, d'indemnité de préavis et de congés payés y afférents, et de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement.
Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral et non respect de l'obligation de sécurité :
Il convient de rappeler que la demande au titre du harcèlement moral a été rejetée par les dispositions qui précèdent.
S'agissant de l'obligation de sécurité et de prévention, compte tenu des souffrances subies par Mme [L], corroborées par son entourage et par les pièces médicales, il convient de fixer à 3 000 euros le montant du préjudice subi par Mme [L] résultant de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité.
La SAS Umicore Autocat France doit être condamnée à verser cette somme à Mme [L], et ce avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.
Sur la demande au titre de la prime participations/intéressement
Mme [L] sollicite le versement de la somme de 8 000 euros brut au titre de la prime de bilan pour l'année 2018 qui devait lui être versée en mars 2019 mais qu'elle n'a pas perçue, le solde de tout compte ne faisant apparaître aucune somme à ce titre. Elle invoque les dispositions de son contrat de travail qui prévoient une part variable de rémunération et précise que la prime correspond à la somme des participations/intéressement plus bonus.
La SAS Umicore Autocat France s'oppose à cette prétention, indiquant que la salariée ne justifie pas du fondement de sa demande. Elle précise qu'elle ne dégage pas de participation depuis plusieurs années et que le versement d'une prime d'intéressement n'est jamais garanti puisqu'il dépend d'une formule de calcul devant nécessairement présenter un caractère aléatoire.
Il résulte des pièces produites par Mme [L] que celle-ci a perçu entre 2014 et 2018 inclus une part variable de rémunération sur la base de ses résultats obtenus pour les années précédentes.
Un accord d'intéressement a également été appliqué dans l'entreprise, accord conclu le 6 juin 2014 prenant effet le 1er avril 2014 mais cessant de plein droit le 31 mars 2017.
Le contrat de travail liant les parties prévoit quant à lui, outre une rémunération brute globale comprenant un 13ème mois, un système de bonus variable annuel.
Mme [L] ne précisant pas sur quel fondement contractuel ou légal elle fonde sa demande et ne justifiant pas des modalités et conditions éventuelles de fixation et de versement de cette prime, il convient de constater que cette prétention n'est pas suffisamment justifiée.
La décision des premiers juges sera confirmée en ce qu'elle a débouté Mme [L] de sa demande en paiement au titre de la prime participations/intéressement.
SUR LES DEPENS ET L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCEDURE CIVILE :
La SAS Umicore Autocat France succombant partiellement au litige, elle sera condamnée aux dépens d'appel et de première instance.
L'équité commande en revanche de laisser à chacune des parties la charge des frais non compris dans les dépens qu'elles ont engagés dans la présente procédure.
Il convient en conséquence de dire qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant contradictoirement, en dernier ressort,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :
- Débouté Mme [P] [L] de sa demande de dommages et intérêts pour violation par l'employeur de son obligation de sécurité ;
- Condamné Mme [P] [L] à verser à la SAS Umicore Autocat France 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné Mme [P] [L] aux dépens de première instance ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
- Condamne la SAS Umicore Autocat France à payer à Mme [P] [L] la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de son obligation de sécurité, et ce avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la SAS Umicore Autocat France aux dépens d'appel et de première instance.
LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE