Arrêt n° 23/00026
19 Janvier 2023
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N° RG 21/01693 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FREN
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Tribunal Judiciaire de Metz - Pôle social
21 Mai 2021
19/01294
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
Section 3 - Sécurité Sociale
ARRÊT DU
dix neuf Janvier deux mille vingt trois
APPELANTE :
L'ETAT représenté par l'Agence Nationale pour la garantie des droits des mineurs ANGDM-
Établissement public à caractère administratif
[Adresse 9]
ayant siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Laure HELLENBRAND, avocat au barreau de METZ
INTIMÉE :
CAISSE AUTONOME NATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE DANS LES MINES - CANSSM
ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur
et pour adresse postale
L'Assurance Maladie des Mines
[Adresse 10]
[Localité 2]
représentée par Mme [T], munie d'un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Novembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Carole PAUTREL, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre
Mme Carole PAUTREL, Conseillère
Mme Anne FABERT, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Né le 4 mars 1949, Monsieur [R] [P] a été salarié des [Localité 6] du bassin de Lorraine devenues l'établissement public [4] de 1975 à 2004.
Le 5 janvier 2018, il a déclaré à l'Assurance Maladie des Mines (ci-après la caisse) une maladie professionnelle inscrite au tableau 30B, accompagnée d'un certificat médical établi par le Docteur [I] du 16 août 2017, faisant état de plaques pleurales.
Le 23 août 2018, la caisse a reconnu le caractère professionnel de la maladie déclarée.
L'Agence Nationale pour la Garantie des Droits des Mineurs (ci-après l'ANGDM) représente l'Etat auquel elle prête son concours, suite à la clôture de la liquidation de [4], dans les procédures qui ne sont pas de la compétence de l'Agent Judiciaire de l'Etat en application de l'article 38 de la loi du 3 avril 1955, ce qui est le cas dans les contentieux de reconnaissance d'une maladie professionnelle puisque ces contentieux n'ont pas pour objet de faire déclarer l'Etat créancier ou débiteur.
Contestant cette décision de reconnaissance, l'ANGDM a saisi la commission de recours amiable près l'Assurance Maladie des mines en inopposabilité de la décision de prise en charge.
Par décision du 28 mars 2019, le conseil d'administration de l'Assurance Maladie des mines a rejeté le recours.
Par requête reçue au greffe le 13 août 2019, l'Etat, représenté par l'ANGDM, a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Metz pour contester cette décision.
Par jugement du 21 mai 2021, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz (anciennement tribunal de grande instance) a :
- déclaré l'Etat, représenté par l'ANGDM, recevable en son recours ;
- déclaré opposable à l'Etat, représenté par l'ANGDM, la décision de prise en charge rendue le 23 août 2018 par l'Assurance Maladie des Mines, portant reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par Monsieur [R] [P] au titre du tableau 30B ;
- condamné l'Etat, représenté par l'ANGDM, aux entiers frais et dépens de la procédure.
Par acte remis au greffe le 29 juin 2021, l'ANGDM a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR reçue le 4 juin 2021.
Par conclusions datées du 22 juillet 2022 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son conseil, l'ANGDM demande à la cour de :
A titre principal :
- infirmer le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau :
- déclarer inopposable à l'Etat la décision de prise en charge du 23 août 2018, notamment parce que l'exposition au risque n'est pas établie.
- priver l'Assurance maladie des mines de son action récursoire;
- déclarer infondée toute demande présentée par l'Assurance maladie des mines au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'en débouter.
Par conclusions datées du 17 novembre 2022 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son représentant, l'Assurance maladie des mines demande à la cour de :
- déclarer l'appel de l'Etat représenté par l'ANGDM recevable mais mal fondé, et l'en débouter;
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris;
- condamner l'Etat représenté par l'ANGDM aux entiers frais et dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.
SUR CE,
SUR L'EXPOSITION PROFESSIONNELLE AU RISQUE
L'ANGDM fait valoir que les conditions de fond du tableau n°30B ne sont pas remplies, en l'absence de preuve de l'exposition au risque et partant, elle soutient que la décision de prise en charge de la maladie lui est inopposable.
Elle relève que l'existence d'une maladie professionnelle inscrite à un tableau ne vaut pas en soi preuve de l'exposition au risque, que le questionnaire assuré n'est pas suffisamment précis car il ne ne contient aucune mention des activités exercées par l'intéressé durant sa carrière au sein des [4], et que le dossier d'instruction de la caisse ne contient aucun témoignage de nature à démontrer que Monsieur [P] aurait été exposé de façon habituelle à l'inhalation de poussières d'amiante. Elle reproche ainsi à la Caisse d'être défaillante dans l'instruction des demandes d'anciens mineurs, au mépris des dispositions de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme.
Elle fait enfin grief aux premiers juges d'avoir motivé leur décision sur des éléments généraux, en l'absence de données objectives et circonstanciées sur le cas spécifique de Monsieur [P].
La caisse sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu que l'exposition au risque était démontrée. Elle estime que celle-ci est avérée compte tenu de l'environnement de travail et des tâches accomplies telles que décrites dans le questionnaire d'enquête par Monsieur [P] en cohésion avec les postes occupés selon le relevé de carrière, ainsi que le confirme l'avis de la DREAL, le questionnaire employeur n'étant pas de nature à détruire la présomption d'origine professionnelle de la maladie.
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Aux termes de l'article L.461-1 du Code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions désignées dans ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Dans ce cas, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Le tableau n°30B désigne les plaques pleurales confirmées par un examen tomodensitométrique comme maladie provoquée par l'inhalation de poussières d'amiante. Ce tableau prévoit un délai de prise en charge de 40 ans et une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer cette affection.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la maladie dont se trouve atteint Monsieur [P] répond aux conditions médicales du tableau n°30B. Seule est contestée l'exposition professionnelle de Monsieur [P] au risque d'inhalation de poussières d'amiante.
Il convient de rappeler que les plaques pleurales sont une maladie caractéristique de l'inhalation de poussières d'amiante.
Il est constant que Monsieur [P] a travaillé pour le compte des [4], exclusivement au fond, pendant 23 ans et 8 mois, du 13 janvier 1975 au 15 septembre 1976, du 16 décembre 1976 au 29 février 1980 et du 4 juin 1980 au 31 mars 1999 , notamment aux différents postes suivants : apprenti-mineur, abatteur boiseur, aide abatteur, boiseur chantiers -machines dressant, piqueur d'élevage, conducteur machine abattage dressant, préparateur extrémité taille, installateur taille ou traçage et voies, boiseur foudroyeur, élargisseur galeries, transporteur et aide installateur taille. (pièce n°3 de l'intimée)
Dans ses réponses au questionnaire que lui a adressé la caisse au cours de l'instruction de sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle , Monsieur [P] a ainsi confirmé avoir exercé des activités d'abattage du charbon, de piqueur, d'installateur taille avec utilisation de différents outils et machines : marteaux piqueur, marteaux perforateur, haveuses, palans.(pièce n°5 de l'intimée)
L'ANGDM, quant à elle, dans le questionnaire employeur (ses pièces n°4), retrace les activités variées de Monsieur [P] tout au long de sa carrière dans les chantiers du fond, au [Localité 8], de [Localité 5] et de [Localité 7], entre 1975 et 1999, à savoir sa participation aux travaux d'abattage du charbon, de dépose et mise en place des soutènements, d'évacuation des matériaux, de transport du matériel ainsi qu'aux opérations de préparation du remblayage hydraulique, et de nettoyage du chantier.
Ainsi, bien que l'ANGDM conteste l'exposition à l'amiante de Monsieur [P] dans les chantiers au fond, la description qu'il fait des postes occupés par l'intéressé ne contredit pas les tâches et conditions de travail décrites par ce dernier, et l'ANGDM y relate également la diversité des matériels utilisés habituellement par Monsieur [P] (marteau piqueur, marteau perforateur, manipulation soutènement, pelle, perforatrice, matériel de levage et de manutention...).
De même, l'ANGDM ne conteste pas un travail effectué par Monsieur [P] dans une atmosphère confinée, un milieu empoussiéré et bruyant empreint de chaleur humide.
Surtout, l'ANGDM admet que de l'amiante était présente au fond à minima dans certains joints, même si elle précise que tous les joints n'étaient pas amiantés, mais également dans le système de freinage des convoyeurs blindés même si elle fait état d'une quantité infinitésimale de fibres libérées, ainsi que dans les freins de certains treuils, lesquels étaient enfermés dans un carter solidaire du châssis (cf conclusions de première instance de l'ANGDM du 10 décembre 2020).
Si l'ANGDM fait ainsi état d'une pollution minime, cette affirmation ne saurait écarter la présomption d'imputabilité qui découle de l'établissement de l'exposition habituelle à l'inhalation de poussières d'amiante, indépendamment de la question de la nocivité, le tableau 30 ne fixant pas de seuil d'exposition.
De plus, aux périodes où Monsieur [P] a travaillé au sein des [4], l'ANGDM admet habituellement l'exposition au risque d'inhalation des poussières d'amiante des électromécaniciens travaillant en taille avant 1996, de sorte que les mineurs travaillant dans leur entourage, mais à d'autres fonctions, subissaient nécessairement cette contamination.
Il apparaît ainsi que Monsieur [P] a exercé au fond pendant plus de 23 ans, et ce essentiellement avant 1996, date d'interdiction de l'utilisation de l'amiante.
Par ailleurs, l'avis des services de la DREAL émis le 6 juillet 2018 (pièce n°6 de la caisse) mentionne que « d'après les états de service décrits dans le dossier, Monsieur [P] [R] a été occupé pendant environ 24 ans dans les travaux du fond, période au cours de laquelle l'intéressé a pu être exposé à l'inhalation de fibres d'amiante contenues, par exemple, dans les pièces de friction des organes de frein des installations et machines utilisées au fond, installations électriques...».
Compte tenu de ce faisceau d'éléments, il y a lieu d'admettre que la nature des postes et les travaux exécutés par Monsieur [P] le faisaient intervenir sur des matériels dont certains contenaient de l'amiante, dans les chantiers du fond dans un contexte de confinement propre au travail accompli au fond de la mine.
A supposer que Monsieur [P] n'ait pas utilisé lui-même des outils ou matériels contenant de l'amiante, il est établi qu'il a travaillé quotidiennement dans des sites dans lesquels il est constant qu'étaient utilisées des installations et machines contenant de l'amiante qui en fonctionnant libéraient des fibres d'amiante.
Les conditions de fond du tableau 30B étant remplies, c'est en vain que l'ANGDM prétend que la caisse a été défaillante dans son instruction. En effet, préalablement à sa prise de décision, la caisse a diligenté une enquête, interrogeant les intéressés et recueillant l'avis de la DREAL, conformément aux dispositions de l'article R.441-11 du Code de la sécurité sociale.
Par conséquent, la présomption d'imputabilité de la maladie au travail trouve à s'appliquer et à défaut pour l'ANGDM d'apporter la preuve contraire que le travail n'a joué aucun rôle dans la survenance de la maladie, il convient de confirmer le jugement intervenu et de déclarer opposable à l'employeur la décision de prise en charge du 23 août 2018.
SUR LES DEPENS
Partie succombante en son recours, l'ANGDM sera condamnée aux dépens d'appel, ceux de première instance étant confirmés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement entrepris du 21 mai 2021 du Pôle social du Tribunal judiciaire de Metz.
CONDAMNE l'Etat, représenté par l'ANGDM, aux dépens d'appel.
Le greffier Le Président