Arrêt n° 23/00015
11 janvier 2023
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N° RG 21/00450 -
N° Portalis DBVS-V-B7F-FN6J
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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Metz
28 janvier 2021
19/00658
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
Onze janvier deux mille vingt trois
APPELANT :
M. [N] [T]
[Adresse 3]
Représenté par Me Paul HERHARD, avocat au barreau de METZ
INTIMÉES :
S.C.P. [U] [E] ET [G] [O] ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL PRIZMA BTP
[Adresse 2]
Représentée par Me Cécile CABAILLOT, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Lucie DESENLIS, avocat plaidant au barreau de MEAUX
UNEDIC DELEGATION AGS CGEA ILE DE FRANCE EST, Association déclarée prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
Représentée par Me Adrien PERROT, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 septembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Selon contrat de travail à durée déterminée et à temps partiel, la SARL Prizma BTP a engagé M. [N] [T] pour la période allant du 2 juillet 2012 au 31 décembre 2013, en qualité d'ouvrier aide-maçon.
A compter du 1er mars 2013, la relation de travail s'est poursuivie à durée indéterminée et à temps complet, moyennant une rémunération de base de 1 434,80 euros brut par mois.
Par courrier du 8 mars 2018, M. [T] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Par ordonnance du 7 juin 2018, la formation de référé du conseil de prud'hommes de Metz a notamment condamné la société Prizma BTP à payer à M. [T] la somme de 2 044,44 euros net au titre du salaire du mois de décembre 2017 et la somme de 2 086,07 euros net au titre du salaire du mois de janvier 2018.
Estimant que la rupture devait s'analyser comme un licenciement infondé et que l'employeur restait lui devoir un arriéré de salaire pour la période du 1er février 2018 au 13 mars 2018, M. [T] a saisi au fond le 13 juin 2018 la juridiction prud'homale.
Par jugement du 15 octobre 2018, le tribunal de commerce de Meaux a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la société Prizma BTP et désigné la SCP [U] [E] et [G] [O] « mission conduite par Maître [O] » en qualité de mandataire judiciaire. Puis, le 3 décembre 2018, la même juridiction a converti la procédure en liquidation judiciaire simplifiée.
Par requête du 11 janvier 2019, M. [T] a sollicité du conseil de prud'hommes la réouverture des débats pour mise en cause des organes de la procédure collective de la société Prizma BTP et de l'AGS-CGEA.
Par jugement du 25 avril 2019 assorti de l'exécution provisoire, la formation paritaire de la section industrie du conseil de prud'hommes de Metz a notamment :
- rejeté la demande de réouverture des débats ;
- dit que la prise d'acte produirait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- condamné, en conséquence, la société Prizma BTP, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [T] les sommes de :
* 4 612 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
* 461,20 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;
* 3 170,75 euros net à titre d'indemnité légale de licenciement ;
* 3 305,26 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période allant du 1er février 2018 au 13 mars 2018 ;
* 5 264,04 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;
- dit que ces sommes produiraient des intérêts de retard au taux légal à compter de la demande ;
- condamné la société Prizma BTP, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [T] la somme de 11 350 euros net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- dit que cette somme produirait des intérêts de retard au taux légal à compter de la date du prononcé du jugement ;
- ordonné à la société Prizma BTP, prise en la personne de son représentant légal, à délivrer à M. [T], sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard à compter du 15è jour suivant la notification du jugement, l'attestation Pôle emploi et le certificat de travail, le conseil se réservant la liquidation de l'astreinte ;
- condamné la société Prizma BTP, prise en la personne de son représentant légal, outre à la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, aux « entiers frais et dépens », ainsi qu'au remboursement des frais de citation et dit qu'elle supporterait les frais de signification et d'exécution du jugement.
Par courrier du 17 juin 2019, la société [E] et [O], ès qualités de liquidateur, a opposé à M. [T] que les termes du jugement du 25 avril 2019 ne permettaient pas « d'envisager une prise en charge ».
Par courrier du 4 juillet 2019, l'AGS-CGEA a refusé sa garantie aux créances détenues par M. [T] sur le fondement de ce jugement.
Estimant que l'AGS-CGEA était tenue de garantir sa créance salariale, M. [T] a saisi à nouveau la juridiction prud'homale le 14 août 2019.
Par jugement mixte contradictoire du 28 janvier 2021, la formation paritaire de la section industrie du conseil de prud'hommes de Metz a :
- débouté M. [T] de l'ensemble de ses demandes ;
- s'agissant de l'article 700 du code de procédure civile, renvoyé l'affaire devant le bureau de jugement présidé par le juge départiteur ;
- réservé les dépens.
Le 23 février 2021, M. [T] a interjeté appel du jugement du 28 janvier 2021.
Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 4 avril 2022, M. [T] requiert la cour d'infirmer le jugement, puis, statuant à nouveau, de :
- déclarer sa demande recevable et bien fondée ;
- dire le jugement du « 29 » avril 2019 commun et opposable tant à Maître [E], ès qualités, qu'au CGEA ;
- dire que le CGEA sera tenu de garantir sa créance salariale résultant du jugement du « 29 » avril 2019 ;
- condamner Maître [E], ès qualités de liquidateur de la société Prizma BTP, à établir l'attestation Pôle emploi conformément aux dispositions du jugement du 25 avril 2019 s'agissant de l'imputabilité de la rupture, ainsi que le certificat de travail, et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 15è jour suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
- débouter tant le CGEA Île-de-France Est que Maître [E], ès qualités de liquidateur de la société Prizma BTP, de l'ensemble de leurs demandes.
À l'appui de ses prétentions, M. [T] expose :
- que la procédure n'est soumise à aucune forclusion ;
- que Maître [E], ès qualités, a été avisé dès le 1er mars 2019 de la procédure prud'homale au fond ;
- que Me [E] n'a, pour autant, pas respecté l'obligation à sa charge d'informer la juridiction saisie de l'ouverture du redressement judiciaire de la société Prizma BTP ;
- avoir lui-même sollicité la réouverture des débats pour mise en cause des organes de la procédure ;
- que le liquidateur a attendu le 17 juin 2019 pour décliner la prise en charge du jugement du 25 avril 2019, devenu définitif ;
- que le salarié dont la créance n'a pas été incluse dans celle de l'AGS admise au passif peut agir par voie de réclamation.
Il ajoute qu'il appartenait au liquidateur de lui remettre les deux documents de fin de contrat, sans pouvoir opposer la présente procédure.
Dans ses conclusions déposées par voie électronique le 15 juillet 2021, l'AGS-CGEA Île-de-France Est sollicite que la cour confirme le jugement et déboute M. [T] puis, en tout état de cause :
- dise que les sommes dues en application de l'article 700 du code de procédure civile ne relèvent pas de sa garantie ;
- dise que sa garantie est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l'article D. 3253-5 du code du travail ;
- dise qu'elle ne peut être tenue que dans les limites de sa garantie fixées aux articles L. 3253-6 et suivants du code du travail ;
- dise que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-6 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-19 et suivants du code du travail ;
- dise que son obligation de faire l'avance des créances garanties ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé établi par le mandataire judiciaire et justification par ce dernier de l'absence de fonds disponibles entre ses mains ;
- dise qu'en application de l'article L. 622-28 du code de commerce, les intérêts cessent de courir à compter de l'ouverture de la procédure collective.
L'AGS-CGEA Île-de-France Est réplique :
- qu'elle ignore si le liquidateur a informé le conseil de prud'hommes de l'ouverture d'une procédure collective dans les dix jours de l'ouverture ;
- que le conseil de prud'hommes était parfaitement informé de la liquidation judiciaire de la société Prizma BTP quand le jugement a été rendu le 25 avril 2019 ;
- que M. [T] a fait le choix de ne pas interjeter appel du jugement du 25 avril 2019 ;
- que les montants dus en application de l'article 700 du code de procédure civile naissent d'une procédure judiciaire et ne sont pas dus en exécution du contrat de travail ;
- que sa garantie est limitée et plafonnée ;
- qu'elle doit être mise hors de cause.
Dans ses conclusions déposées par voie électronique le 22 juin 2021, la société [E] et [O], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Prizma BTP, sollicite que la cour confirme le jugement, déboute M. [T] de l'intégralité de ses demandes et condamne M. [T] au paiement de la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle affirme :
- que, si une décision intervient sans mise en cause du mandataire judiciaire, elle devra être tenue pour non avenue, ce qui obligera le salarié à saisir le conseil de prud'hommes s'il ne figure pas sur le relevé des créances salariales, et ce dans les deux mois de la publicité du relevé ;
- qu'il appartenait au salarié d'interjeter appel du jugement du 25 avril 2019 afin de demander la fixation de sa créance au passif et l'opposabilité à l'AGS ;
- que le salarié ayant laissé devenir définitif le jugement condamnant la société liquidée, il ne pouvait plus saisir le conseil de prud'hommes afin de solliciter l'opposabilité tant au liquidateur qu'à l'AGS ;
- qu'elle n'a jamais été mise en cause lors de la première procédure prud'homale ;
- qu'elle ne peut pas délivrer les documents de fin de contrat, en raison de la procédure en cours.
Par ordonnance du 6 avril 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction.
MOTIVATION
Sur la recevabilité
La société [E] et [O], ès qualités de liquidateur, ne peut pas valablement opposer à l'appelant le fait qu'en cas d'omission en tout ou partie de sa créance sur le relevé des créances, il devait saisir le conseil de prud'hommes dans les deux mois de la publication de l'avis de dépôt au greffe.
En effet, le délai de forclusion ne court pas lorsque le mandataire judiciaire ou liquidateur n'a pas informé le salarié sur ce délai et sur son point de départ, formalité que la société [E] et [O] ne justifie pas avoir accomplie en l'espèce.
La demande présentée par M. [T] est donc recevable.
Sur l'opposabilité du jugement du 25 avril 2019 au liquidateur et à l'AGS-CGEA
Conformément à l'article L. 625-3 du code de commerce, les instances en cours devant la juridiction prud'homale à la date du jugement d'ouverture sont poursuivies : elles ne sont ni suspendues ni interrompues par l'ouverture de la procédure collective.
L'alinéa 2 du même article dispose que le mandataire judiciaire informe dans les dix jours la juridiction saisie et les salariés parties à l'instance de l'ouverture de la procédure.
À défaut d'information du conseil de prud'hommes et du salarié de la part du mandataire judiciaire ou du liquidateur, sur l'intervention du jugement d'ouverture, l'instance prud'homale se poursuit valablement et la décision rendue est opposable à ces organes et à l'AGS.
En l'espèce, la société [E] et [O], ès qualités, ne justifie pas avoir informé, dans les dix jours, la juridiction prud'homale de l'ouverture le 15 octobre 2018 du redressement judiciaire de l'employeur.
En conséquence, le jugement du 25 avril 2019 est opposable tant à la société [E] et [O], ès qualités de liquidateur de la société Prizma BTP, qu'à l'AGS-CGEA.
Sur la garantie de l'AGS-CGEA
Le jugement du 25 avril 2019 étant opposable à l'AGS-CGEA, cet organisme est tenu à garantie à l'égard de M. [T].
Toutefois, il convient de rappeler que :
- restent exclues certaines sommes liées à la demande en justice, notamment la somme allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ou les frais d'huissier ;
- la garantie est plafonnée, en application des articles L. 3253-17, D. 3253-2 et D. 3253-5 du code du travail ;
- la garantie de l'AGS-CGEA n'étant que subsidiaire, son obligation de procéder à l'avance des créances garanties ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé établi par le liquidateur et justification de l'absence de fonds disponibles entre ses mains ;
- en application de l'article L. 622-28 du code de commerce, les intérêts cessent de courir à compter du jour de l'ouverture de la procédure collective, soit le 15 octobre 2018.
En définitive, le jugement du 28 janvier 2021 est infirmé en ses dispositions soumises à la cour (qui n'incluent pas la réserve des dépens de première instance et, s'agissant de l'article 700 du code de procédure civile, le renvoi de l'affaire devant le bureau de jugement présidé par le juge départiteur).
Sur la remise sous astreinte de documents de fin de contrat
Les premiers juges ont omis de statuer sur la demande de remise sous astreinte de documents de fin de contrat.
L'article L. 1234-19 du code du travail dispose qu'à l'expiration du contrat de travail, l'employeur délivre au salarié un certificat dont le contenu est déterminé par voie réglementaire.
Selon l'article R. 1234-9 du code du travail, l'employeur délivre au salarié, au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d'exercer ses droits aux prestations mentionnées à l'article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à Pôle emploi.
En l'espèce, il convient de condamner la société [E] et [O], ès qualités, à remettre à M. [T] une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes au jugement du 25 avril 2019.
Aucun élément particulier du dossier ne laissant craindre que le liquidateur ne cherche à se soustraire à la bonne exécution de la présente décision, il n'y a pas lieu en l'état d'assortir la condamnation ci-dessus d'une astreinte.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Déclare M. [N] [T] recevable en sa demande ;
Infirme le jugement du 28 janvier 2021 en ses dispositions soumises à la cour ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le jugement du 25 avril 2019 est opposable tant à la société [E] et [O], ès qualités de liquidateur de la société Prizma BTP, qu'à l'AGS-CGEA Île-de-France Est ;
Dit que l'AGS-CGEA Île-de-France Est est tenue à garantie à l'égard de M. [N] [T], sous les réserves suivantes :
- restent exclues certaines sommes liées à la demande en justice, notamment la somme allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ou les frais d'huissier ;
- la garantie est plafonnée, en application des articles L. 3253-17, D. 3253-2 et D. 3253-5 du code du travail ;
- l'obligation à la charge de l'AGS-CGEA de procéder à l'avance des créances garanties ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé établi par le liquidateur et justification de l'absence de fonds disponibles entre ses mains ;
- en application de l'article L. 622-28 du code de commerce, les intérêts cessent de courir à compter du jour de l'ouverture de la procédure collective, soit le 15 octobre 2018 ;
Condamne la SCP [E] et [O], ès qualités de liquidateur de la SARL Prizma BTP, à remettre à M. [N] [T] une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes au jugement du 25 avril 2019 ;
Rejette la demande d'astreinte ;
Fixe au passif de la procédure collective de la SARL Prizma BTP les dépens d'appel ;
Rejette la demande présentée par la SCP [E] et [O], ès qualités, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel.
La Greffière, La Présidente de chambre,