Arrêt n° 22/00637
11 Octobre 2022
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N° RG 21/00213 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FNLZ
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Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de FORBACH
04 Décembre 2020
F 19/57
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
onze octobre deux mille vingt deux
APPELANT :
M. [N] [W]
[Adresse 4]
Représenté par Me Sarah SCHIFFERLING-ZINGRAFF, avocat au barreau de SARREGUEMINES
INTIMÉS :
Mme [R] [L] exploitant sous l'enseigne Entreprise de bâtiment SFB
[Adresse 3]
Non représentée
Mme [H] [E] exploitant sous l'enseigne Entreprise de Bâtiment SCB
[Adresse 1]
Non représenté
Me [N] [O] ès qualités de mandataire liquidateur de la SASU DECO S
[Adresse 2]
Non représenté
Association UNEDIC Délégation CGEA AGS de [Localité 6]
[Adresse 5]
Représentée par Me Yaël CYTRYNBLUM, avocat au barreau de SARREGUEMINES
Me [N] [O], mandataire judiciaire, ès qualités d'administrateur ad'hoc de M. [U] [L]
[Adresse 2]
Non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Septembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
;
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Hélène BAJEUX
ARRÊT :
Réputé contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Hélène BAJEUX, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS
M. [N] [W] a été embauché en qualité d'ouvrier d'exécution par l'entreprise SCB de mai 2005 à août 2012 moyennant une rémunération de 1 480,30 € brut par mois et avec application de la convention collective du Bâtiment.
M. [W] a également travaillé au sein de l'entreprise SFB jusqu'au 30 juin 2016, au sein de l'entreprise EBC jusqu'au 30 juin 2017, puis à compter du 1er juillet 2017 au sein de la SASU Deco S.
M. [N] [W] a été placé à compter du 9 novembre 2017 jusqu'au 19 décembre 2018 en arrêt maladie en lien avec une affection longue durée et n'a plus jamais réintégré la société DECO S, qui lui a adressé un certificat de travail daté du 31 décembre 2017 ainsi qu'une indemnité de fin de contrat.
Le 15 mars 2019 le conseil de prud'hommes de Forbach a été saisi par M. [W] de demandes à l'encontre de ses employeurs successifs, notamment au titre de la rupture de son contrat de travail et au titre d'un travail dissimulé.
Par jugement rendu en formation de départage le 4 décembre 2020, le conseil de prud'hommes de Forbach a statué comme suit :
'Dit que la rupture du contrat de travail entre [N] [W] et la SASU Deco S est imputable à un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne à Maître [N] [O], en sa qualité de liquidateur de la SASU Deco S, de remettre à [N] [W] l'attestation Pôle Emploi ;
Dit n'y avoir lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte ;
Fixe la créance de [N] [W] au passif de la SASU Deco S à la somme de 1 519,38 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif au licenciement ;
Dit que le jugement d'ouverture de la procédure collective a arrêté le cours des intérêts légaux et conventionnels conformément aux dispositions de l'article L 622-28 du code de commerce ;
Déboute [N] [W] du surplus de ses demandes à l'encontre de la Sasu Deco S, représentée par Maître [N] [O], en sa qualité de liquidateur, y compris la demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;
Déclare irrecevables comme prescrites les demandes de dommages et intérêts pour travail dissimulé formées à l'encontre de [H] [E] et [R] [L] ;
Déboute [N] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé dirigée à l'encontre de [U] [L] ;
Déclare le présent jugement opposable au CGEA-AGS de [Localité 6] et dit qu'il ne sera tenu à garantie que dans les limites et plafonds définis aux articles L 3253-8 à L 3253-17, D 3253-2 et D 3253-5 du code du travail ;
Condamne la SASU Deco S, représentée par Maître [N] [O], en sa qualité de liquidateur, aux dépens de l'action engagée à son encontre ;
Dit que les dépens afférents aux actions engagées à l'encontre de [H] [E], [R] [L] et [U] [L], représenté par Maître [N] [O] en qualité d'administrateur ad hoc, resteront à la charge de [N] [W],
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire.''
M. [N] [W] a régulièrement interjeté appel, par déclaration électronique du 26 janvier 2021, de cette décision en ce qu'elle l'a débouté de ses prétentions à l'encontre de ses employeurs successifs formulées au titre de la rupture de son contrat de travail, au titre d'un travail dissimulé, et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions datées du 8 février 2021, M. [N] [W] demande à la cour de statuer comme suit :
' Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Forbach en ce qu'il a :
- considéré comme abusif le licenciement de M. [W] par la Société Deco S et ordonné l'indemnisation de M. [W] à ce titre
- ordonné la délivrance à M. [W] de son attestation Pôle Emploi
L'infirmer sur le surplus,
Et, statuant à nouveau,
Ordonner la délivrance à M. [W] de son certificat de travail, de son attestation Pôle Emploi, et ce sous astreinte de 150 € par jour de retard
Ordonner la délivrance à M. [W] de ses fiches de paie de janvier à décembre 2018
Fixer la créance de M. [W] au passif de la Société Deco S aux sommes suivantes :
- 1 000,00 € à titre de dommages-intérêts pour retard dans la délivrance des documents légaux de licenciement et des fiches de paie
- 4 558,14 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- 455,81 € brut au titre des congés payés sur préavis
- 5 657,16 € net au titre de l'indemnité de licenciement
- 1 519,38 € nets à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement
- 27 500,00 € nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 9 116,28 € net à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé
Condamner Mme [L] [R], exploitant sous l'enseigne Entreprise De Bâtiment SFB à verser à M. [W] une somme de 9 116,28 € net à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé
Ordonner la fixation au passif de M. [L] [U], exploitant sous l'enseigne Entreprise Bâtiment [L] ' EBC une somme de 9 116,28 € net à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé
Condamner Mme [E] [H], exploitant sous l'enseigne Entreprise Bâtiment Scb à verser à M. [W] une somme de 9 116,28 € net à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé
Déclarer la décision à intervenir opposable au CGEA-AGS de [Localité 6]
Condamner solidairement les intimés à verser à M. [W] une somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du CPC
Fixer le salaire mensuel moyen de Monsieur [W] à la somme de 1 519,38 € brut
Condamner les intimés en tous les frais et dépens, d'instance et d'appel''.
Sur la poursuite du contrat de travail auprès des quatre employeurs successifs, M. [W] explique qu'il a toujours travaillé pour la même famille, que le contrat a été transféré, d'entité en entité, sans qu'aucune rupture ne soit intervenue et sans qu'aucun nouveau contrat de travail ne soit conclu avec la nouvelle entité. Il ajoute qu'il a toujours occupé le même poste et travaillé sur les chantiers fournis par la famille [E]-[L], et affirme qu'il n'a jamais vu que sur ses fiches de paie que l'employeur avait changé.
M. [W] fait notamment valoir qu'aucune des entités n'a prouvé son licenciement et son embauche subséquente, et soutient que son contrat s'est poursuivi au sein des différentes entités. Il revendique une ancienneté à compter du 2 mai 2005.
Sur la rupture abusive de son contrat de travail, M. [W] fait valoir que la Société Deco S a rompu le contrat le 31 décembre 2018 ; le certificat de travail comporte une fausse date du 31 décembre 2017, sans quoi il n'aurait plus touché d'indemnités journalières en 2018. M. [W] retient que l'absence de lettre de licenciement rend en effet le licenciement sans cause réelle et sérieuse comme l'a justement considéré le conseil de prud'hommes, que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En ce qui concerne ses demandes, M. [N] [W] les chiffre en tenant compte d'une ancienneté à compter du 2 mai 2005 jusqu'au 31 décembre 2018.
Sur le travail dissimulé, M. [W] fait valoir qu'aucun de ses employeurs ne l'a déclaré à l'URSSAF, ni aux caisses de retraite. Plusieurs de ses employeurs se sont par ailleurs soustraits intentionnellement à leur obligation de remises de bulletin de paie.
Dans des conclusions datées du 30 avril 2021 l'AGS CGEA de [Localité 6] demande à la cour de statuer comme suit :
'Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- fixé la date d'ancienneté de M. [W] à l'égard de la SASU Deco S au 1er juillet 2017.
- débouté M. [W] de sa demande de sa demande de délivrance des documents de fin de contrat sous astreinte, de ses dommages et intérêts pour retard dans la délivrance des documents légaux de licenciement et fiches de payes, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement
- débouté Monsieur [W] de sa demande au titre du travail dissimulé.
Infirmer le jugement rendu en ce qu'il a fixé la créance de M. [W] à la somme de 1 519,38 € net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif au licenciement.
Statuant à nouveau,
Vu l'absence de rupture aux torts de l'employeur,
Vu l'absence de préjudice subi et démontré,
Débouter M. [W] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires.
A titre subsidiaire, réduire sa créance indemnitaire en réparation du préjudice consécutif à son licenciement à de plus justes proportions.
En tout état de cause,
Dire et juger que la garantie de l'AGS n'a vocation à s'appliquer que dans les limites des dispositions des articles L 3253-8 et suivants du code du travail.
Dire et juger qu'au regard du principe de subsidiarité, le CGEA AGS ne doit sa garantie qu'autant qu'il n'existe pas de fonds disponibles dans la procédure collective.
Dire et juger que le CGEA AGS ne garantit que les montants dus au titre de l'exécution du contrat de travail.
Dire et juger que le CGEA AGS ne garantit pas les montants alloués au titre de l'article 700 Du Code De Procédure Civile ni même les astreintes.
Dire et juger qu'en application des dispositions de l'article L 621-48 du code de commerce, les intérêts cessent de courir à compter du jour de l'ouverture de la procédure collective.
Dire et juger que la garantie de l'AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l'article D 3253-5 du Code du Travail.
Mettre les entiers frais et dépens à la charge de M. [W]''.
Sur le calcul de l'ancienneté de M. [W] au sein de l'entreprise SASU Deco S, le CGEA considère que l'appelant développe une version contredite par les mentions figurant sur ses bulletins de salaires, et souligne qu'il a été destinataire de plusieurs certificats de travail établissant la fin de la période d'embauche.
Le CGEA rappelle les conditions du transfert du contrat de travail en l'absence de convention de transfert ; il observe que le fait que les employeurs successifs n'aient pas établi en fin de période contractuelle les documents de fin de contrat et qu'ils n'aient pas procédé à la rédaction de contrats de travail écrits ne sont pas de nature à justifier d'un changement juridique dans la situation de l'entreprise, permettant au salarié de revendiquer le transfert de son contrat de travail. Le CGEA souligne que l'entité et l'adresse des employeurs sont différentes, et observe que le relevé de carrière produit par M. [W] a été édité le 27 octobre 2015 ; la période d'emploi au sein de l'entreprise Deco S à compter du 1er juillet 2017 ne peut y figurer puisqu'elle est postérieure à la rédaction du document émanant de l'assurance retraite et dont la période référencée débute en 1982 et se termine en 2014.
Sur la date de la rupture, le CGEA précise que dans une correspondance datée du 12 mars 2019 le salarié fait référence à une rupture de son contrat de travail qui serait intervenue à l'initiative de son employeur de manière verbale sans qu'aucune procédure de licenciement ne soit respectée, sans préciser la date à laquelle cet évènement serait intervenu. Il se rapporte aux indications mentionnées sur le bulletin de paie du mois de décembre 2017 qui mentionne une sortie des effectifs au 31 décembre 2017, et le versement d'une indemnité de fin de contrat d'un montant de 673,39 € représentant 10% des salaires perçus au cours des mois de juillet 2017 à décembre 2017 ; M. [W] n'a jamais contesté les mentions figurant sur ces fiches de paye, et il n'est pas exclu que les parties aient procédé à la signature d'un CDD de 6 mois lequel a pris fin au 31 décembre 2017.
Sur la rupture le CGEA considère que la relation de travail a pris fin d'un commun accord sans que Monsieur [W] ne puisse justifier d'une faute de l'employeur. Le certificat de travail établi par l'employeur fait état d'une période d'emploi au sein de l'entreprise Deco S du 1er juillet 2017 au 31 décembre 2017 sans qu'aucune conclusion ne puisse en découler s'agissant de la fin de la relation contractuelle.
Sur le travail dissimulé, le CGEA observe que M. [W] a été destinataire de ses bulletins de salaire qui mentionnent de manière explicite les heures de travail effectuées ainsi que la rémunération à laquelle il est en droit de prétendre tout comme le montant des charges sociales dont l'employeur est redevable. L'indemnité forfaitaire de travail dissimulé suppose la démonstration de la réalité de la rupture du contrat de travail et la volonté intentionnelle de l'employeur de dissimuler l'emploi ; le salarié est défaillant dans la démonstration des critères afférents à la matérialisation de la notion de travail dissimulé, car son relevé de carrière a été édité avant son embauche au sein de la SASU Deco S, de sorte qu'aucune conséquence ne saurait en découler concernant sa déclaration auprès des instances administratives, et le juge départiteur a relevé à juste titre que les fiches de paye avaient été établies de manière à mettre en exergue les différentes cotisations salariales et patronales dont l'employeur était redevable.
Sur les dommages et intérêts pour retard dans la délivrance des documents de fin de contrat, le CGEA considère que M. [W] ne justifie pas du préjudice enduré, de sorte qu'en application de la jurisprudence de la Cour de Cassation, laquelle a mis fin au préjudice automatique, aucune indemnité n'est due. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la garantie de l'AGS le CGEA rappelle que le présent litige s'inscrit dans le cadre des dispositions de l'article L 6251 du Code du Commerce. Après vérification, le mandataire judiciaire établit, dans les délais prévus à l'article L. 143-11-7 du code du travail, les relevés des créances résultant d'un contrat de travail, le débiteur entendu ou dûment appelé. Les relevés des créances sont soumis au représentant des salariés dans les conditions prévues à l'article L. 625-2. Ils sont visés par le juge-commissaire, déposés au greffe du tribunal et font l'objet d'une mesure de publicité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. La garantie de l'AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l'article D 3253-5 du Code Travail.
La déclaration d'appel et les conclusions d'appel de M. [N] [W] ont été signifiées le 18 février 2021 à la société SFB représentée par Mme [L] [R] ainsi qu'à Mme [E] [H], exploitant sous l'enseigne Entreprise Bâtiment SCB, et les deux parties intimées n'ont pas constitué avocat.
Maître [N], en sa qualité de mandataire liquidateur de la SASU Deco S et d'administrateur ad hoc de M. [U] [L], n'a pas déposé d'écritures à hauteur de cour.
L'ordonnance de clôture de la procédure de mise en état a été rendue le 7 décembre 2021.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
SUR CE, LA COUR,
Sur le transfert du contrat de travail de M. [N] [W]
M. [N] [W] soutient dans ses écritures qu'il a travaillé à compter du 2 mai 2005 « pour la même famille et que le contrat a été transféré, d'entité en entité, sans qu'aucune rupture ne soit intervenue et aucun nouveau contrat de travail ne soit conclu avec la nouvelle entité », et qu'il a ainsi « toujours occupé le même poste et travaillé sur les chantiers fournis par la famille [E]-[L] et n'a jamais vu que sur ses fiches de paie, l'employeur avait changé ».
M. [W] détaille ses modalités d'embauche en mentionnant qu'il a tout d'abord été employé par Mme [H] [E] exploitant sous l'enseigne SCB de mai 2005 à août 2012, que son contrat s'est poursuivi avec Mme [R] [L] exploitant sous l'enseigne SFB du 5 août 2012 au 30 juin 2016, puis que du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017 la relation contractuelle s'est poursuivie avec l'entreprise EBC exploitée par M. [U] [L] [U], et qu'à compter du 1er juillet 2017 son contrat s'est poursuivi au sein de la société Deco S.
Le transfert du contrat de travail suppose, en application des dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail, une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise.
Or les données dont se prévaut M. [W], soit, outre qu'il a toujours travaillé pour « la même famille » en effectuant le même travail, l'absence de rédaction de contrats de travail avec ses employeurs successifs et l'absence de délivrance des documents de fin de contrats ne sont pas de nature à démontrer une modification de la situation juridique de l'employeur à l'origine de sa première embauche qu'il situe au mois de mai 2005, et par là-même le transfert de son contrat de travail dès lors qu'il a changé d'employeur.
Le CGEA de [Localité 6] mentionne en ce sens, sans être efficacement contredit par M. [W], que la société Deco S a été créée le 10 février 2017, sans qu'il s'agisse d'une transformation du fonds exploité par M. [U] [L] exploitant sous l'enseigne EBC. M. [N] [W] a d'ailleurs introduit son action en formulant des demandes à l'encontre de ses quatre employeurs successifs de dommages-intérêts pour travail dissimulé, qui ne peuvent être sollicités que lors de la rupture du contrat de travail.
Il ressort des documents produits par l'appelant que :
- M. [N] [W] a travaillé au sein de l'entreprise SCB (enseigne exploitée par Mme [H] [E]) en qualité de maçon chef de chantier employé à temps plein avec un salaire mensuel de base de 2 088 euros ; si M. [W] prétend dans ses écritures avoir été embauché à compter de mai 2005 jusqu'à août 2012 il ne produit toutefois au titre de la relation contractuelle qu'un seul bulletin de paie du mois d'avril 2009.
- M. [N] [W] a été embauché par l'entreprise SFB (enseigne exploitée par Mme [R] [L]) en exécution d'un CDI à temps plein à compter du 1er mai 2013 jusqu'au 15 juin 2016 en qualité de plâtrier avec un salaire mensuel de base de 2 622,37 euros, étant observé que M. [W] prétend toutefois dans ses écritures ainsi que dans un courrier adressé le 18 décembre 2018 au parquet de Metz qu'il a été embauché à compter du 5 août 2012. Les bulletins de paie produits par l'appelant (seuls les bulletins de paie de janvier à juin 2016 sont versés aux débats) mentionnent pourtant une ancienneté à compter du 1er mai 2013, et si M. [W] a fait état dans un courrier adressé au parquet d'un arrêt maladie du 18 septembre 2013 au 10 mai 2014 il apparaît que le salarié a été également placé en congé maladie à compter du 7 janvier 2016 jusqu'au 1er avril 2016.
- M. [N] [W] a été embauché par l'entreprise Bâtiment [L] à compter du 1er juillet 2016 en exécution d'un CDI à temps plein jusqu'au 31 mai 2017 en qualité de plâtrier avec un salaire mensuel de base de 2 622,37 euros ; il produit les bulletins de paie à compter de son embauche, soit du mois de juillet 2016 jusqu'à la date du 31 mai 2017, date à laquelle il a perçu outre son salaire une indemnité compensatrice de congés payés soit une rémunération totale mensuelle de 3 423 euros.
- M. [N] [W] a été embauché à compter du 1er juillet 2017 jusqu'au 31 décembre 2017 en qualité d'ouvrier d'exécution à temps plein par la société Deco S avec un salaire mensuel de base de 1 480,30 euros ; il produit les bulletins de paie des mois de juillet 2017 à décembre 2017 desquels il ressort qu'il a été placé en arrêt maladie à compter du 1er novembre 2017 et est sorti des effectifs le 31 décembre 2017, ainsi qu'un certificat de travail daté du 31 janvier 2018 mentionnant son embauche du 1er juillet au 31 décembre 2017.
Aussi les documents produits par M. [W] font état de périodes d'emplois successifs auprès d'entités juridiques distinctes, pour des fonctions et des rémunérations qui n'ont pas été constantes. Ces documents sont donc inopérants pour démontrer la réalité d'un transfert d'un contrat de travail exécuté par M. [W] à compter de mai 2005.
Comme l'a relevé le jugement déféré, le seul fait que l'attestation de paiement des indemnités journalières pour la période du 1er janvier au 17 décembre 2018 comporte également le numéro de siret de la société Deco S ne démontre pas que les relations contractuelles entre M. [W] et cet employeur ont perduré jusqu'au 31 décembre 2018, le salarié ayant d'ailleurs expliqué au mois de février 2019 qu'il avait été placé en arrêt maladie pour un problème cardiaque de façon continue du 9 novembre 2017 au 21 janvier 2018, date à partir de laquelle il a placé en affection longue durée et pris en charge à ce titre par les organismes sociaux.
Si M. [W] se prévaut de la perception des indemnités journalières comme preuve du maintien du lien contractuel au cours de l'année 2018, il convient de relever l'attestation de salaires produite par l'appelant et qui a été rédigée par l'employeur Deco S correspond à la période d'embauche du mois de juillet au mois d'octobre 2017 (pièce 12 de M. [W]).
En outre M. [W] produit à hauteur de cour des attestations de paiement des indemnités journalières postérieures à la date qu'il revendique comme étant celle de la fin des relations contractuelles (décembre 2018), soit les indemnités journalières perçues par l'appelant pour les années 2019, 2020 et jusqu'au 16 février 2021, qui mentionnent les mêmes indications concernant l'employeur (numéro de siret de la société Deco S - pièce 14 de l'appelant), étant observé que la société Deco S a fait l'objet d'une ouverture de procédure de liquidation judiciaire simplifiée le 22 janvier 2019.
En conséquence le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté les prétentions de M. [N] [W] au titre d'un transfert de son contrat de travail, en ce qu'il a retenu une période d'embauche de M [N] [W] au sein de la société Deco S du 1er juillet 2017 au 31 décembre 2017, et en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [W] de production d'un certificat de travail rectifié et de communication des bulletins de paie pour la période courant du mois de janvier à décembre 2018.
Sur les demandes de M. [N] [W] au titre de la rupture du contrat de travail
M. [N] [W] soutient que son contrat de travail a été rompu à l'initiative de l'employeur, et que l'absence de courrier de rupture rend le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse.
Conformément aux dispositions de l'article L1242-12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.
En l'espèce, si le bulletin de salaire du mois de décembre 2017 mentionne le paiement d'une indemnité de fin de contrat de 10 % de la rémunération perçue par M. [N] [W], à défaut d'écrit le contrat de travail est réputé à durée indéterminée. La rupture du contrat de travail est donc sans cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré sera confirmé en ce sens.
Si M. [W] réclame une somme de 4 558,14 euros à titre d'indemnité de préavis augmentée des congés payés afférents, c'est en se prévalant d'une ancienneté à compter du mois de mai 2005 à laquelle il ne peut valablement prétendre, et en se prévalant du statut de travailleur handicapé qui lui a été reconnu postérieurement à la rupture intervenue le 31 décembre 2017, soit une reconnaissance à effet à compter du 1er mai 2018.
En outre comme l'ont relevé les premiers juges, en l'absence de dispositions conventionnelles contraires la période de suspension du contrat de travail pour maladie n'entre pas en compte pour la détermination de la durée d'ancienneté exigée pour bénéficier de ces dispositions.
En l'espèce l'ancienneté de M. [N] [W] étant inférieure à six mois, l'appelant ne peut prétendre à une indemnité de préavis. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande de M. [W].
M. [N] [W] réclame une indemnité de licenciement de 5 657,16 euros en se prévalant là encore d'une ancienneté à compter du mois de mai 2005 à laquelle il ne peut valablement prétendre.
Comme l'ont rappelé les premiers juges, l'article L1234-9 du code du travail édicte que le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
Faute pour M. [W] de bénéficier d'une ancienneté suffisante, sa demande d'indemnité de licenciement sera rejetée. Le jugement déféré sera confirmé sur point.
M. [N] [W] sollicite une somme de 27 500 euros à titre de dommages-intérêts correspondant à 18 mois de salaire.
En vertu de l'article L 1235-3 du code du travail, l'indemnité allouée au salarié mise à la charge de l'employeur, est égale à un mois de salaire brut lorsque le salarié a moins d'un an d'ancienneté.
Si M. [W] soutient « l'inconventionnalité » de ces dispositions légales, la cour reprend pour sienne la motivation des premiers juges qui ont rappelé le contenu des avis formulés par la formation plénière de la Cour de Cassation le 17 juillet 2019.
En conséquence le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a alloué à M. [W] une indemnité de 1 519,38 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. [N] [W] réclame une indemnité pour non-respect de la procédure à hauteur d'un mois de salaire. Or les dispositions de l'article L 1235-2 du code du travail auxquelles se rapporte l'appelant au soutien de ses prétentions prévoient une telle indemnité en cas de licenciement pour une cause réelle et sérieuse. Cette prétention rejetée en premier ressort le sera également à hauteur de cour.
M. [N] [W] réclame une somme de 1 000 euros de dommages-intérêts pour retard dans la délivrance des documents administratifs, en faisant valoir que ce retard lui cause nécessairement un préjudice.
L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond ; en l'espèce M. [N] [W] n'évoque même pas la réalité d'un préjudice, étant au surplus observé qu'il a été bénéficiaire d'indemnités journalières au titre d'une affection longue durée durant l'année 2018.
En conséquence le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette prétention de M. [W].
Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a ordonné la remise par le liquidateur de la SASU Deco S de l'attestation Pôle Emploi sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte, et en ce qu'il a dit que les intérêts cessent de courir à compter du jour de l'ouverture de la procédure collective.
Sur les demandes de M. [N] [W] au titre du travail dissimulé
Aux termes de l'article L 8221-5 3° du code du travail est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.
M. [N] [W] réclame une indemnité pour travail dissimulé à hauteur de six mois de salaire en application des dispositions de l'article L 8223-1 du code du travail, et ce à l'encontre de chacun de ses employeurs. Il soutient que ses demandes dirigées contre ses premiers employeurs exploitant les enseignes SCB et SFB ne sont pas prescrites contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, car il n'a su qu'il n'avait pas été déclaré aux organismes sociaux et de retraite qu'à la date à laquelle il a obtenu son relevé de carrière, soit le 27 octobre 2015.
En vertu des dispositions de l'article 2224 les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Pour retenir la prescription des actions dirigées par M. [W] contre les employeurs Mme [H] [E] exploitant sous l'enseigne SFB et Mme [R] [L] exploitant sous l'enseigne SBC, les premiers juges ont relevé que s'agissant du premier employeur Mme [E], il n'est pas établi une poursuite du contrat de travail postérieurement à avril 2009, et que le délai de prescription de cinq ans applicable antérieurement à la loi du 14 juin 2013 était écoulé. Les premiers juges ont retenu s'agissant du second employeur Mme [L] que le délai de prescription a été réduit à deux ans à compter du 24 septembre 2017 en vertu de l'article L. 1471-1 du code du travail.
Or en vertu de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. L'action en indemnisation pour travail dissimulé est soumise non pas aux délais de prescription applicables en matière d'exécution ou de rupture du contrat de travail, mais au délai de droit commun de cinq ans en application des dispositions de l'article 2224 du code civil ci-avant rappelées.
Si l'indemnité pour travail dissimulé n'est exigible qu'en cas de rupture de la relation de travail, la date de la rupture des relations contractuelles ne constitue pas le point de départ de la prescription extinctive de cinq ans.
En l'espèce M. [N] [W] indique, sans être efficacement contredit par les parties intimées, qu'il a eu connaissance de la défaillance de ses employeurs dans les déclarations aux organismes de protection sociale qu'à la date à laquelle il a obtenu son relevé de carrière soit le 27 octobre 2015 (sa pièce 8).
Il ressort en effet du relevé de carrière produit par M. [N] [W] et établi le 27 octobre 2015, ainsi que d'un récapitulatif des éléments de carrière en date du 12 octobre 2020 produit par M. [W] au cours de la procédure d'appel, et qui a été établi dans le cadre de la fixation de droits à pension d'invalidité de M. [N] [W], qu'aucune rémunération n'a été déclarée aux organismes de protection sociale durant une période courant de 2005 à 2017 inclus, qui couvre les périodes d'embauche du salarié auprès des quatre employeurs attraits en la cause.
L'existence de la volonté frauduleuse, qui est une question de fait laissée à l'appréciation souveraine des juges du fond, ressort non seulement de la durée et l'importance des omissions, mais aussi du fait que les employeurs successifs de M. [W] ont mentionné les déclarations aux organismes de protection sociales sur les fiches de paie remises au salarié, qui listent les différentes cotisations patronales et salariales venant en déduction de la rémunération brute du salarié, qui n'ont fait qu'entretenir l'apparence d'une situation régulière alors que dans les faits ces cotisations n'ont pas été versées.
En conséquence le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a rejeté les prétentions de M. [N] [W] au titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé à l'encontre des quatre parties intimées. Il sera fait droit aux prétentions de M. [N] [W] formées à hauteur de 9 116,28 euros à l'encontre de chacun de ses employeurs.
Le présent arrêt sera déclaré opposable à l'AGS CGEA de [Localité 6], qui sera tenu à garantie dans les limites des dispositions des articles L 3253-8 et suivants du code du travail.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [N] [W] ses frais irrépétibles. Les parties intimées seront condamnées à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens seront confirmées.
Les parties intimées seront condamnées aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, chambre sociale, statuant en dernier ressort publiquement, par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare l'appel interjeté par Monsieur [N] [W] recevable et partiellement fondé,
Confirme le jugement rendu le 4 décembre 2020 par le conseil de prud'hommes de Forbach statuant en formation de départage dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté les prétentions de M. [N] [W] au titre du travail dissimulé, et sauf dans ses dispositions relatives aux dépens ;
Statuant à nouveau sur les points infirmés :
Condamne Mme [R] [L] exploitant sous l'enseigne Entreprise De Bâtiment SFB à payer la somme de 9 116,28 euros à M. [N] [W] à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;
Condamne Mme [H] [E] exploitant sous l'enseigne Entreprise De Bâtiment SCB à payer la somme de 9 116,28 euros à M. [N] [W] à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé;
Fixe la créance de M. [N] [W] au passif de M. [U] [L] exploitant sous l'enseigne Entreprise Bâtiment [L] ' EBC représenté par Maître [N] [O] en qualité d'administrateur ad hoc à la somme de 9 116,28 euros à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;
Fixe la créance de M. [N] [W] au passif de la liquidation judiciaire de SASU Deco S représentée par Maître [N] [O] en sa qualité de mandataire liquidateur à la somme de
9 116,28 euros à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;
Déclare le présent arrêt opposable au CGEA-AGS de [Localité 6] qui sera tenu à garantie dans les limites et plafonds prévus par les articles L 3253-8 et suivants du code du travail ;
Condamne Mme [R] [L], Mme [H] [E], M. [U] [L] exploitant sous l'enseigne Entreprise Bâtiment [L] ' EBC représenté par Maître [N] [O] en qualité d'administrateur ad hoc, et la liquidation judiciaire de la Sasu Deco S représentée par Maître [N] [O] en sa qualité de mandataire liquidateur à payer à M. [N] [W] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [R] [L], Mme [H] [E], M. [U] [L] exploitant sous l'enseigne Entreprise Bâtiment [L] ' EBC représentée par Maître [N] [O] en sa qualité d'administrateur ad hoc, et la liquidation judiciaire de la Sasu Deco S aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier,La Présidente de chambre,