Arrêt n° 22/00619
11 octobre 2022
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N° RG 20/01972 -
N° Portalis DBVS-V-B7E-FLWD
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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de THIONVILLE
05 octobre 2020
19/00198
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
Onze octobre deux mille vingt deux
APPELANTE :
S.A.R.L. CASTEL LOGISTIC prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
Représentée par Me Emmanuelle SABATINI-GOEURIOT, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Lionel HOUPERT, avocat au barreau de THIONVILLE, avocat plaidant
INTIMÉ :
M. [B] [P]
[Adresse 2]
Représenté par Me Cécile CABAILLOT, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 septembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Hélène BAJEUX
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Hélène BAJEUX, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS
M. [B] [P] né en 1970 a été embauché par la société Micrologistics en exécution d'un contrat de travail à durée indéterminée avec effet au 1er octobre 2006 en qualité de cariste en prestations logistiques avec application de la convention collective nationale des transports routiers. M. [P] ayant préalablement occupé le même emploi dans le cadre de missions intérim, le point de départ de son ancienneté a été fixé au 1er juillet 2006.
Selon avenant en date du 5 janvier 2015, le contrat de travail de l'intimé a été transféré à compter du 1er janvier 2015 à la société Castel Logistic, venant aux droits de la société Micrologistics.
M. [B] [P] a été affecté sur le [Adresse 5] à [Localité 6], client de la société Castel Logistic.
M. [B] [P] a été victime d'un accident de travail le 20 avril 2016 (et non 2015 comme indiqué dans la déclaration d'accident du travail et dans les écritures de la société Castel Logistic). Alors qu'il effectuait une prestation de nettoyage d'une machine-outil sur son lieu habituel de travail au sein de la société Pierburg et que la machine-outil était signalée en maintenance, celle-ci a remise en service et M. [B] [P] a été blessé au niveau de la tête lors d'un choc avec le robot de la machine.
Une première visite auprès du médecin du travail du travail a été organisée le 2 mai 2017': M. [P] a été déclaré « apte ' à l'essai ' A revoir dans un mois - travail uniquement de cariste ' pas de travail sur machine-outil ». Suite au prononcé de cet avis, M. [B] [P] a été placé en congés payés.
Une deuxième visite a été organisée le 12 juin 2017 par le médecin du travail, qui a conclu en indiquant qu'il ne pouvait se prononcer sur l'aptitude du salarié à occuper un tel poste, faute pour le salarié d'avoir réalisé l'essai du fait d'un arrêt de travail. Le médecin du travail a préconisé la réalisation de l'essai, et a prévu de revoir le salarié dans un délai d'un mois.
A l'occasion d'une troisième visite de reprise organisée par le médecin du travail le 10 juillet 2017 après accident du travail, M. [P] a été déclaré « Inapte à tout emploi se situant dans les locaux de KSKF ou Pierburg. Tout maintien du salarié dans son emploi serait grandement préjudiciable à sa santé ».
La société Castel Logistic a par courrier daté du 13 juillet 2017 proposé à M. [P] un poste de reclassement sur le site de travaux de logistique et nettoyage à l'entrepôt de [Localité 4]. La Société Castel Logistic a également transmis un courrier à la médecine du travail, en émettant des observations sur l'avis d'inaptitude et en lui communiquant la copie du courrier d'offre d'un poste de reclassement proposé à M. [P]. Le médecin du travail a confirmé l'inaptitude de M. [P] par courrier en date du 19 juillet 2017 dans les termes suivants : « Inapte à tout emploi se situant dans les locaux de KSKF ou Pierburg. ».
L'avis des délégués du personnel a été sollicité par la société Castel Logistic lors d'une réunion exceptionnelle organisée le 17 juillet 2017, au cours de laquelle la fiche du poste de reclassement proposé à M. [P] a été communiquée aux délégués du personnel qui ont émis un avis favorable pour cet éventuel reclassement.
Par courrier daté du 18 juillet 2017, M. [P] a refusé le poste de reclassement proposé.
La société Castel Logistic a saisi le conseil de prud'hommes de Thionville le 19 juillet 2017 en référé aux fins de contester l'avis d'inaptitude, et a également, de la même manière, transmis et communiqué sa contestation à la médecine du travail, en l'informant du poste proposé à M. [P] en sous-traitance de logistique et nettoyage de thermoformes situé à Hagondange.
M. [B] [P] a été convoqué par courrier daté du 3 août 2017 à un entretien préalable fixé au 14 août 2017.
M. [B] [P] a également été destinataire d'un courrier de convocation à la médecine du travail daté du 4 août 2017 pour une visite fixée au 10 août 2017 auprès du médecin du travail.
A l'issue d'une quatrième visite organisée le 10 août 2017, le médecin du travail a conclu à un avis d'aptitude du salarié au poste d'agent de nettoyage d'emballage prestations annexes logistiques basé à [Localité 4]. M. [P] a contesté cet avis du médecin du travail le 23 août 2017.
Par courrier daté du 23 août 2017, M. [B] [P] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Les deux procédures de contestations des avis d'inaptitude et d'aptitude du médecin du travail qui ont été engagées par chaque partie ont été jointes en une seule et même procédure, à la demande des deux parties, et le conseil de prud'hommes de Thionville a, par ordonnance de référé en date du 22 novembre 2017, ordonné une expertise médicale confiée au docteur [I] [W], qui a déposé son rapport médical daté du 18 juin 2018.
Le rapport d'expertise daté du 16 juin 2018 rédigé par le docteur [I] [W] a conclu : « Compte-tenu de l'absence de déficit fonctionnel organique, de l'absence de suivi psychiatrique ou de traitement à visée psychiatrique, l'état de santé constaté ce jour à l'examen de M. [P] [B] nous paraît à ce jour compatible tant sur le plan physique que psychologique avec le poste de travail proposé sur le site de [Localité 4] consistant au déplacement de palettes à l'aide d'un transpalette manuel avec réalisation du nettoyage, séchage de plaques thermo formés ainsi que leur manutention, sous réserve d'un aménagement de poste de travail consistant en une proximité des sanitaires.'».
Par ordonnance de référé datée du 13 novembre 2019, la juridiction prud'homale a tiré 'parfaite conséquence du rapport du docteur [I] [W]' qu'elle a substitué aux avis des 10 juillet 2017 et 10 août 2017.
Le 21 octobre 2019 M. [B] [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Thionville en réclamant des dommages-intérêts et indemnités de rupture pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Selon jugement en date du 5 octobre 2020 le conseil de prud'hommes de Thionville a retenu que l'employeur n'a pas manqué à son obligation de reclassement, et a':
- dit que la demande de M. [B] [P] est recevable et bien fondée,
- dit que le licenciement de M. [B] [P] est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse,
- condamné la société Castel Logistic à verser à M. [B] [P] les sommes suivantes :
* 20 300 euros de dommages et intérêts en raison du préjudice subi du fait de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,
* 3 382,14 euros de dommages et intérêts en raison de l'absence de notification par écrit des motifs s'opposant au reclassement,
* 3 964,66 euros nets au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,
- dit que ces sommes porteront intérêts de droit au taux légal à compter du jour du jugement,
- ordonné l'exécution provisoire sur l'intégralité de la condamnation du jugement, conformément aux dispositions de l'article 515 du CPC,
- condamné la société Castel Logistic à verser à M. [B] [P] la somme de 1 466,67 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- dit que cette somme portera intérêts de droit à compter du jour de la demande,
- ordonné l'exécution provisoire par application de l'article R 1454-28 du code du travail,
- condamné la société Castel Logistic à verser à M. [B] [P] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du CPC,
- débouté la société Castel Logistic de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Castel Logistic aux entiers frais et dépens de l'instance, y compris les éventuels frais d'exécution du jugement.
Par déclaration électronique datée du 2 novembre 2020, la société Castel Logistic a interjeté appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.
Dans ses conclusions justificatives d'appel datées du 1er février 2021, la société Castel Logistic demande à la cour de statuer comme suit':
''Infirmer la décision du conseil de prud'hommes de Thionville du 5 octobre 2020,
Dire et juger que le licenciement de M. [P] repose sur une cause réelle et sérieuse,
En conséquence':
Débouter M. [P] de ses fins et prétentions contraires,
En tout état de cause':
Condamner M. [P] en tous les frais et dépens de la procédure,
Le condamner à verser à la société Castel Logistic la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile''.
La société Castel Logistic se prévaut de la prescription de l'action du salarié, en relevant que le licenciement a été prononcé avant l'introduction des nouvelles dispositions légales applicables en matière de prescription, et que l'ancien délai de deux ans reste applicable aux faits de l'espèce.
Elle fait valoir que si M. [P] soutient qu'en ayant introduit un recours devant le conseil de prud'hommes, la prescription de l'action a été interrompue, les causes et objets des saisines et des demandes judiciaires sont manifestement distincts. Chaque procédure constitue une instance distincte, et qui n'a donc ni la même cause ni le même objet ni le même but quand bien même elle porte sur l'exécution du même contrat de travail. En l'état, il existe en réalité deux instances distinctes, d'une part la procédure de référé et d'autre part la procédure de contestation du licenciement'; c'est à la date du 14 octobre 2019 que, pour la première fois M. [P] a entendu remettre en cause les termes de sa procédure de licenciement. Antérieurement, en saisissant le juge des référés, il entendait au contraire solliciter une mesure d'expertise.
La société Castel Logistic retient qu'aucune mention n'a été faite sur la difficulté d'un éventuel licenciement'; la date de rupture du contrat, soit le 23 août 2017, est la date qui marque le point de départ du délai de contestation d'une année.
Le juge des référés a été saisi le 22 août 2017, alors que le délai pour contester le licenciement n'avait pas commencé à courir lors de la saisine par M. [P] du juge des référés. Or, le licenciement a été prononcé et notifié le 23 août 2017, l'ancien délai biennal était applicable, de sorte que la juridiction ne pourra que dire et juger, à titre principal, que l'ensemble des demandes présentées par M. [P] sont couvertes par la prescription, la saisine antérieure au licenciement du juge des référés ne pouvant en aucune façon interrompre un délai qui, par principe, n'a pas commencé à courir.
Sur la procédure, la société Castel Logistic fait valoir qu'une réunion des délégués du personnel s'est tenue le 12 juillet 2017'; le cas de M. [P] a été évoqué lors de celle-ci, et une nouvelle réunion a été fixée au 17 juillet 2017 pour obtenir l'avis des délégués du personnel qui ont émis un avis favorable. Ainsi, les dispositions de l'article L 1226-10 du code du travail ont été respectées. L'argument soulevé à ce titre sera donc totalement rejeté.
A titre éminemment subsidiaire, sur le fond, la société Castel Logistic soutient qu'elle a proposé et formé une offre de reclassement qui a été refusée par le salarié'; ce refus est d'autant plus incompréhensible que, après expertise médicale, il apparaît que l'état de santé de M. [P] est parfaitement compatible avec le poste qui lui a été proposé. La société Castel Logistic considère qu'elle a respecté l'intégralité de ses obligations du fait de l'état de santé du salarié.
Sur les dommages et intérêts du fait d'un manquement par l'employeur à son obligation de sécurité, la société Castel Logistic rappelle que M. [P] intervenait sur le site d'une entreprise utilisatrice, et qu'elle-même est donc considérée comme entreprise extérieure. La responsabilité dans le débat de l'accident ne saurait en aucune manière lui être imputable, et dans le cas d'interventions sur un site d'entreprises extérieures c'est à l'entreprise titulaire du site d'organiser l'ensemble des man'uvres et mesures de sécurité impératives.
En tout état de cause, le manquement à l'obligation de sécurité en l'espèce ne saurait en aucune manière venir se confondre avec la contestation du licenciement, ce d'autant plus que la procédure fondée sur la faute inexcusable n'a manifestement pas encore été introduite et que, en l'état, une procédure pénale est en cours, avec toutes les conséquences de droit qui y seraient attachées. Ainsi, la société Castel Logistic soutient qu'elle a parfaitement rempli ses obligations de sécurité à l'égard de l'intégralité de ses salariés.
Dans ses conclusions d'intimé datées du 28 avril 2021, M. [B] [P] demande à la cour'de statuer comme suit':
''Débouter la Sarl Castel Logistic de toutes ses demandes, fins et prétentions
Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Thionville en date du 5 octobre 2020 en ce qu'il a :
- dit que la demande de M. [B] [P] est recevable et bien fondée
- dit que le licenciement de M. [B] [P] est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse
- condamné la société Castel Logistic à verser à M. [B] [P] les sommes suivantes :
* 20 300 euros nets au titre de dommages et intérêts en raison du préjudice subi du fait de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement
* 3 382,14 euros nets au titre de dommages et intérêts en raison de l'absence de notification par écrit des motifs s'opposant au reclassement
*3 964,66 euros nets au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement
- dit que ces sommes porteront intérêts de droit au taux légal à compter du jour du jugement
- condamné la société Castel Logistic à verser à M. [B] [P] la somme de 1 466,67 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- dit que cette somme portera intérêts de droit à compter du jour de la demande
- condamné la société Castel Logistic à verser à M. [B] [P] la somme de 1 500 euros nets au titre de l'article 700 du CPC
- débouté la société Castel Logistic de l'ensemble de ses demandes
- condamné la société Castel Logistic aux entiers frais et dépens de l'instance, y compris les éventuels frais d'exécution du présent jugement
- condamner la Sarl Castel Logistic à payer à M. [B] [P] la somme de 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du cpc
- condamner la Sarl Castel Logistic aux entiers frais et dépens''.
Sur la prescription de l'action, M. [B] [P] rappelle qu'il a introduit une procédure de référé ainsi qu'une procédure en formation ordinaire, et qu'il s'agit donc de deux actions et de deux instances différentes. Il rappelle qu'en vertu de l'article R 1452-1 du code du travail « la saisine du conseil de prud'hommes, même incompétent, interrompt la prescription », et qu'aux termes de l'article 2241 du code civil « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure ».
M. [P] précise qu'il a saisi la formation de référé en contestation de l'avis rendu par le médecin du travail le 23 août 2017, soit le jour de la notification de son licenciement ; la procédure en contestation de l'avis d'inaptitude n'étant pas suspensive, l'employeur avait fait le choix d'engager une procédure de licenciement à l'encontre du salarié, puis de le licencier pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
M. [P] retient que par l'action introduite par lui-même devant la formation de référé du conseil de prud'hommes, le délai de prescription de l'action en contestation de son licenciement était interrompu, et que l'action en contestation de son licenciement est donc recevable. A titre superfétatoire, M. [P] se prévaut de ce que le conseil de prud'hommes de Thionville a admis la recevabilité de l'action en contestation d'un licenciement en retenant que la prescription avait été interrompue par la première action engagée par le demandeur pour demandes indemnitaires au titre de l'exécution de son contrat de travail.
Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, M. [P] conteste la motivation de la lettre de licenciement, et soutient l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement en raison des manquements de l'employeur d'une part à l'obligation de sécurité et d'autre part à l'obligation de reclassement.
Sur le manquement à l'obligation de sécurité M. [P] rappelle que des conclusions de l'expert il ressort qu'il a été déclaré inapte à occuper son poste de travail initial, mais qu'il a été déclaré apte à occuper le poste de reclassement proposé par l'employeur. M. [P] retient que le manquement à l'obligation de sécurité conduisant au prononcé d'un avis d'inaptitude permet de contester le licenciement.
Sur l'obligation de sécurité, M. [P] note que l'employeur invoque d'une part une transmission de son obligation de sécurité à la société utilisatrice, et d'autre part le fait que la responsabilité de l'accident ne lui est pas imputable. M. [P] observe que le fait que la société Pierburg soit une société cliente de son employeur ne donne pas droit à ce dernier de faire travailler ses salariés dans les locaux de son client'; il mentionne qu'aucun avenant au contrat de travail n'a été signé entre les parties. Dans la mesure où aucun document ne semble réglementer l'intervention de M. [P] au sein de la société Pierburg, la société Castel Logistic ne peut invoquer l'existence d'une transmission de son obligation de sécurité qui est inhérente au contrat de travail, et de facto de sa responsabilité au profit de la Société Pierbrug.
M. [P] fait valoir qu'à compter du mois d'avril 2016, la société appelante a décidé de procéder à la modification de ses fonctions ; il lui a été demandé de procéder au nettoyage des machines à commande numérique sur le centre d'usinage, poste totalement différent de celui pour lequel il avait donc été embauché. Alors même qu'il s'agissait manifestement d'une modification de ses fonctions, le consentement du salarié n'a pas été sollicité, et aucun avenant à son contrat de travail n'a été signé. Aucune formation ne lui a été dispensée, contrairement à ce que soutient la partie adverse sans en apporter la preuve. Aucun protocole d'intervention ne lui a été indiqué, et il ne disposait pas d'agrément ou d'habilitation pour réaliser le nettoyage de cette machine.
En pareilles circonstances, l'employeur a manqué à son obligation de sécurité'; M. [P] indique qu'une procédure pénale est même actuellement en cours. Il ajoute qu'il a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Metz en vue d'obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Sur le poste de reclassement, M. [P] rappelle les dispositions de l'article L 1226-10 du code du travail dans sa version applicable au litige.
M. [P] mentionne qu'il a été vu par le médecin du travail le 10 juillet 2017, et qu'il a été déclaré inapte à tout emploi se situant dans les locaux de KSKF ou Pierburg. Deux jours après le prononcé de cet avis, les délégués du personnel se sont réunis le 12 juillet 2017, et n'ont donc donné aucun avis sur le reclassement du salarié. Dès le lendemain, un poste de reclassement lui a été proposé par l'employeur, sans même avoir obtenu l'avis des délégués du personnel, et ce par un courrier daté du 13 juillet 2017.
M. [P] retient qu'il ne saurait être considéré que les délégués du personnel ont effectivement été consultés sur la recherche de reclassement'; il observe que la réunion des délégués du personnel du 17 juillet 2017 n'avait pour seul objet que d'acter la proposition de reclassement déjà adressée plus de quatre jours auparavant au salarié. De plus, il a été relevé très justement par le conseil de prud'hommes que ce poste lui a été proposé sans que le médecin du travail ne se soit prononcé sur son aptitude à l'occuper.
M. [P] mentionne qu'il a été convoqué par courrier daté du 3 août 2017 à un entretien préalable fixé au 14 août 2017, alors que le médecin du travail ne s'était encore même pas prononcé sur sa compatibilité à occuper le poste proposé au titre du reclassement.
M. [P] retient d'une part que les délégués du personnel n'ont pas été consultés sur la proposition de reclassement, et d'autre part qu'il ne s'agissait nullement d'une recherche sérieuse de reclassement.
Sur les montants sollicités au titre de son licenciement, M. [B] [P] demande la confirmation du jugement entrepris.
Sur la demande de dommages et intérêts en raison de l'absence de notification par écrit des motifs s'opposant au reclassement, M. [P] indique que préalablement au prononcé de son licenciement il n'a nullement été destinataire d'un courrier l'informant des motifs s'opposant à son reclassement. M. [C] sollicite la confirmation du jugement entrepris'qui est conforme à la jurisprudence.
Sur l'indemnité spéciale de licenciement, M. [P] rappelle qu'il a été licencié sur la base d'une inaptitude d'origine professionnelle. En conséquence, il est en droit de solliciter l'indemnité spéciale de licenciement sur le fondement des dispositions de l'article L1226-14 du code du travail. Il demande la confirmation du jugement entrepris et sollicite le solde de son indemnité de licenciement, soit la somme de 3 964,66 euros.
En réponse à l'argumentation de l'employeur, qui soutient que cette demande ne saurait prospérer en raison du fait que le salarié a refusé la seule proposition de reclassement qui lui a été adressée, M. [P] fait valoir que seule la reconnaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude conditionne le versement de l'indemnité spéciale de licenciement et non la recherche de reclassement du salarié, qui au demeurant a été considérée comme étant non sérieuse en première instance.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis, M. [P] indique que sur le fondement des dispositions de l'article L1226-14 du code du travail, il est en droit de prétendre à une indemnité compensatrice de préavis, soit la somme de 1466,67 euros bruts.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 décembre 2021.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
SUR CE, LA COUR,
Sur la prescription
La société Castel Logistic soutient, dans le corps de ses écritures, la prescription de l'action en contestation de son licenciement par M. [B] [P], en mentionnant que ce n'est qu' «'à titre éminemment subsidiaire'» qu'elle sollicite le rejet des prétentions au fond du salarié.
Or la cour n'est saisie que des prétentions qui sont visées dans le dispositif des dernières écritures de la société Castel Logistic, qui tendent à l'infirmation de la décision du conseil de prud'hommes de Thionville du 5 octobre 2020 et à dire et juger que le licenciement de M. [P] repose sur une cause réelle et sérieuse.
Le dispositif des écritures de la société Castel Logistic ne formule aucune prétention au titre de la prescription de l'action de M. [P], et la cour ne peut que constater qu'elle n'est pas saisie d'une fin de non-recevoir tirée de la prescription.
Sur le licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle
La lettre de licenciement datée du 23 août 2017 adressée par la société Castel Logistic à M. [B] [P] est rédigée comme suit':
«'Nous vous avons reçu pour un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement qui s'est déroulé le 14 août 2017.
Lors de cet entretien, nous avons évoqué la difficulté qui vous occupe actuellement, à savoir, l'avis d'inaptitude dont vous avez fait l'objet, dans un premier temps, daté du 10 juillet 2017.
En effet, cet avis d'inaptitude est intervenu suite à un accident du travail dont vous avez fait l'objet.
Nous vous rappelons que nous avons émis une contestation sur l'avis d'inaptitude et que dans ces conditions ce dossier a été amené à être à nouveau réexaminé par la médecine du travail après que nous avons saisi le Conseil de prud'hommes conformément aux dispositions légales applicables. Suite à cette saisine, et tenant compte des différents éléments que nous avons transmis à la médecine du travail, cette dernière a revu sa position, et a dès lors émis un avis le 10 août 2017 qui confirme votre aptitude à un poste d'agent nettoyage d'emballage et prestations annexes logistiques sur un poste basé à [Localité 4] à une dizaine de kilomètres de [Localité 3] où avait eu lieu l'accident du travail du 23 avril 2016.
Dans ces conditions, nous vous avons confirmé les caractéristiques du poste :
Il s'agit de procéder à des prestations annexes de logistique, de réception et de nettoyage de pièces thermoformées.
Au titre de ce poste, et sous le contrôle du responsable, vous effectueriez la réception, le nettoyage et le séchage de plaques thermoformées ainsi que, chaque semaine, le chargement et le déchargement vers le client.
Bien que ce poste soit conforme d'une part à votre contrat de travail et d'autre part aux exigences de la médecine du travail, vous n'avez pas entendu accepter celui-ci et l'avez refusé.
Il s'agissait du seul poste disponible au sein de la société qui soit conforme, tant à votre contrat de travail qu'à l'avis de la médecine du travail concernant votre état de santé.
Ainsi, il s'avère manifestement, tenant compte de votre refus, et de la situation de la société, qu'il est manifestement impossible de maintenir votre contrat de travail.
En conséquence, nous nous voyons contraints de vous notifier par la présente votre licenciement du fait de votre inaptitude, tenant également compte de votre refus d'accepter la proposition de reclassement qui vous a été faite et de l'impossibilité manifeste de pouvoir assurer celui-ci.
Tenant compte de votre état de santé, aucun préavis ne vus sera dû.
Votre reçu pour solde de tout compte, les sommes correspondantes, indemnités, certificat de travail, attestation destinée à Pôle Emploi vous seront adressés prochainement par pli séparé'».
Aux termes de l'article L 1226-10 du code du travail dans sa version applicable au présent litige « Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.».
A l'appui de la contestation du bien-fondé de son licenciement pour inaptitude M. [B] [P] soutient de première part que la société Castel Logistic a manqué à son obligation de sécurité, et que ce manquement est à l'origine de son inaptitude à son poste de travail. Il soutient de seconde part que dans le cadre de l'accomplissement de son obligation de reclassement l'employeur n'a pas consulté les délégués du personnel avant de lui proposer un poste de reclassement sans que le médecin du travail se soit prononcé sur son aptitude à l'occuper.
Au soutien d'un accomplissement de son obligation de reclassement conformément aux dispositions légales, la société Castel Logistic fait valoir qu'elle a proposé une offre de reclassement à M. [B] [P] qui seul l'a refusée.
La société Castel Logistic soutient en outre que les dispositions légales relatives à la consultation des organisations représentatives du personnel ont été respectées par l'évocation, lors d'une réunion du 12 juillet 2017 des délégués du personnel, de la situation de M. [P], puis par la tenue d'une réunion organisée le 17 juillet 2017 à l'issue de laquelle les délégués du personnel «'ont émis un avis favorable'» (sic).
Il ressort des données constantes du débat que lors d'une visite de reprise avec étude de poste en date du 10 juillet 2017 le médecin du travail a déclaré M. [B] [P] dans les termes suivants': «'Inapte à tout emploi se situant dans les locaux de KSKF ou Pierburg. Tout maintien du salarié dans son emploi serait préjudiciable à sa santé'».
Par un courrier en date du 13 juillet 2017 la société Castel Logistic a adressé à M. [B] [P] une offre de reclassement à un poste en sous-traitance de logistique et nettoyage de thermo formes sur le site d'[Localité 4].
Par un courrier du même jour du 13 juillet 2017 la société Castel Logistic a transmis au médecin du travail, le docteur [U] [G], ses observations sur l'avis d'inaptitude émis le 10 juillet 2017 en sollicitant une expertise de la situation de M. [P], et a informé le médecin du travail qu''«'il nous est possible de proposer à M. [P] un poste en sous-traitance de logistique et nettoyage de thermo formes situé à [Localité 4] et vous trouverez ci-joint la copie du courrier que nous lui adressons ce jour'».
Par une lettre en date du 19 juillet 2017 le médecin du travail [U] [G] a répondu à ce courrier qu'une expertise ne permettrait que de confirmer l'inaptitude du salarié à son poste de travail, et a ajouté': «'vous me parlez d'un autre poste en sous-traitance logistique sur un site à [Localité 4]. Bien entendu, ce poste peut être proposé à M. [P] mais seul le médecin du travail de l'entreprise pourra se prononcer sur l'aptitude de M. [P]'».
Il ressort de la lecture du procès-verbal de réunion des délégués du personnel du 12 juillet 2017 que la situation de M. [P] a été évoquée, et que les représentants du personnel ont notamment été informés de l'avis d'inaptitude rendu le 10 juillet 2017 par le médecin du travail. Il a été acté qu'«'une réflexion doit être menée concernant cette situation et les solutions envisageables permettant de maintenir un emploi dans l'entreprise à M. [P]. Compte tenu de la situation nécessitant cette réflexion, il est proposé une réunion exceptionnelle des DP pour consultation le 17 juillet 2017 à 10 heures.'».
Lors de la réunion organisée le 17 juillet 2017 les délégués du personnel ont été informés par le représentant de la société Castel Logistic de la possibilité d'assurer le reclassement de M. [P] sur un site extérieur, à [Localité 4], à un poste répondant aux exigences d'éloignement géographique dans un environnement sans machine à outils ni activité à risque particulier, avec transmission de la fiche de poste'; il a été mentionné que «'ce reclassement serait soumis au médecin du travail pour avis avant toute reprise du travail par M. [P]'». Les délégués du personnel ont alors émis un avis favorable «'pour cet éventuel reclassement'» (sic).
Il ressort de ces données chronologiques que la société Castel Logistic a le 13 juillet 2017 proposé à M. [B] [P] un poste de reclassement sans que le médecin du travail se soit prononcé sur l'aptitude du salarié à l'occuper, et sans avoir préalablement recueilli l'avis des délégués du personnel.
Il s'avère en outre que suite au refus exprimé par M. [P] le 18 juillet 2017 d'un reclassement au poste proposé, la société Castel Logistic a décidé d'engager une procédure de licenciement en adressant à M. [P] une convocation par un courrier daté du 3 août 2017 à un entretien préalable fixé au 14 août 2017, et ce alors que le médecin du travail du site concerné par l'offre de reclassement ne s'était même pas encore prononcé sur l'aptitude du salarié pour ce poste.
La cour retient de ces données constantes que la société Castel Logistic n'a pas respecté les dispositions de l'article L 1226-10 du code du travail et n'a pas accompli sérieusement son obligation de reclassement.
En conséquence, sans qu'il soit besoin de statuer sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, et étant observé que contrairement à ce qui est soutenu par la société Castel Logistic dans ses écritures, M. [P] ne formule que des demandes qui se rattachent à la rupture du contrat de travail qui relèvent de la compétence exclusive de la juridiction prud'homale, la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a dit que le licenciement de M. [B] [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les montants alloués à M. [P]
Les premiers juges ont alloué à M. [B] [P] les sommes suivantes :
- 20 300 euros de dommages et intérêts en raison du préjudice subi du fait de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement';
- 3 382,14 euros de dommages et intérêts en raison de l'absence de notification par écrit des motifs s'opposant au reclassement';
- 3 964,66 euros nets au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement';
- 1 466,67 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.
La société Castel Logistic conteste l'octroi des indemnités spéciales, conséquence de l'inaptitude d'origine professionnelle, en faisant état du refus du salarié de la proposition de reclassement.
M. [B] [P] sollicite quant à lui la confirmation de la décision déférée.
Comme le fait justement valoir l'intimé, seule la reconnaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude conditionne l'octroi de l'indemnité spéciale de licenciement.
En conséquence les dispositions du jugement déféré seront également confirmées dans leur intégralité en ce qui concerne les montants alloués à M. [B] [P].
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [P] ses frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel. Il lui sera alloué une somme de 2 000 € à ce titre.
Les dispositions du jugement déféré relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et relatives aux dépens seront confirmées.
La société Castel Logistic qui succombe assumera ses frais irrépétibles et sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant contradictoirement, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Constate que la cour n'est pas saisie d'une fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action engagée par M. [B] [P]'en contestation de son licenciement pour inaptitude;
Confirme le jugement rendu le 5 octobre 2020 par le conseil de prud'hommes de Thionville dans toutes ses dispositions ;
Condamne la société Castel Logistic à payer à M. [B] [P]'la somme de 2'000 € (deux mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile';
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de la société Castel Logistic';
Condamne la société Castel Logistic aux dépens d'appel.
Le GreffierLa Présidente