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08/09/2022 | FRANCE | N°20/01985

France | France, Cour d'appel de Metz, 3ème chambre, 08 septembre 2022, 20/01985


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS













RG 20/01985 - N° Portalis DBVS-V-B7E-FLXH

Minute n° 22/00305





[U]

C/

[A], [A], [B]-[E], [B]-[E], [B]-[E], [B]-[E]









Jugement Au fond, origine Tribunal paritaire des baux ruraux de METZ, décision attaquée en date du 22 Septembre 2020, enregistrée sous le n° 5119000002





COUR D'APPEL DE METZ

3ème CHAMBRE - Baux Ruraux

ARRÊT DU 08 SEPTEMBRE 2022

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APPELANT :



Monsieur [T] [U]

[Adresse 7]

[Localité 11]



Comparant, représenté par Me Jean-charles SEYVE, avocat au barreau de METZ



INTIMÉS :



Monsieur [S] [A]

[Adresse 8]

[Localité 4]



Non compar...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

RG 20/01985 - N° Portalis DBVS-V-B7E-FLXH

Minute n° 22/00305

[U]

C/

[A], [A], [B]-[E], [B]-[E], [B]-[E], [B]-[E]

Jugement Au fond, origine Tribunal paritaire des baux ruraux de METZ, décision attaquée en date du 22 Septembre 2020, enregistrée sous le n° 5119000002

COUR D'APPEL DE METZ

3ème CHAMBRE - Baux Ruraux

ARRÊT DU 08 SEPTEMBRE 2022

APPELANT :

Monsieur [T] [U]

[Adresse 7]

[Localité 11]

Comparant, représenté par Me Jean-charles SEYVE, avocat au barreau de METZ

INTIMÉS :

Monsieur [S] [A]

[Adresse 8]

[Localité 4]

Non comparant, représenté par Me Xavier IOCHUM, avocat au barreau de METZ

Monsieur [O] [A]

[Adresse 8]

[Localité 4]

Non comparant, représenté par Me Xavier IOCHUM, avocat au barreau de METZ

Madame [R] [Z] veuve [B]-[E]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Non comparante, représentée par Me Marie SOYER, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [I] [B]-[E]

[Adresse 10]

[Localité 6]

Non comparant, représenté par Me Marie SOYER, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [W] [B]-[E]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Non comparant, représenté par Me Marie SOYER, avocat au barreau de PARIS

Madame [H] [B]-[E] épouse [Y]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Non comparante,représentée par Me Marie SOYER, avocat au barreau de PARIS

DATE DES DÉBATS : A l'audience publique du 12 Mai 2022 tenue par M. MICHEL, Magistrat Rapporteur qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés et en a rendu compte à la Cour dans son délibéré pour l'arrêt être rendu le 08 Septembre 2022.

GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Sophie GUIMARAES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

PRÉSIDENT : Madame GUIOT-MLYNARCZYK, Président de Chambre

ASSESSEURS : Madame BASTIDE, Conseiller

Monsieur MICHEL, Conseiller

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Mme GUIOT-MLYNARCZYK, Présidente de Chambre, et par Mme GUIMARAES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte authentique du 5 novembre 1980, M. [F] [E] a consenti un bail à ferme à M. [V] [U] et Mme [X] [C] épouse [U], sur un ensemble de parcelles situées sur les communes de [Localité 11] et [Localité 9] (Moselle), d'une superficie totale de 74 hectares, 55 ares et 81 centiares. Par acte sous seing privé du 16 juin 1984, il a consenti à M. et Mme [U] un bail à ferme sur un ensemble de parcelles situées sur les mêmes communes d'une superficie totale de 20 hectares, 40 ares et 62 centiares.

Le 26 février 2001, M. [E] a fait donation à MM. [S] et [O] [A] de la nue propriété de 5% indivis (2,5% chacun) de l'ensemble des terres louées. M. et Mme [U] ont sollicité l'annulation judiciaire de cette donation au motif qu'elle avait été faite en fraude de leurs droits et par arrêt de la cour d'appel de Metz du 24 novembre 2011, ils ont été déboutés de leur demande.

Le 23 janvier 2006, M. [E] a fait donation à son fils, M. [F] [B]-[E], de la nue propriété des 95% restant des parcelles.

Par arrêt de la cour d'appel de Metz du 7 mai 2015, Mme [U] a été autorisée à céder à son fils, M. [T] [U] les baux des 5 novembre 1980 et 16 juin 1984.

A la suite du décès de [F] [B]-[E] (4 janvier 2016) et de [F] [E] (22 novembre 2017), Mme [R] [Z] veuve [B]-[E] est devenue pleine propriétaire de 95% des droits indivis des terres louées. Par acte authentique du 24 octobre 2018, elle a vendu à M. [S] [A] les 38/40ème des parcelles situées à [Localité 11] et les 190/200ème des parcelles situées à [Localité 9]..

Par requête enregistrée au greffe le 26 mars 2019, M. [U] a fait convoquer devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Metz, MM. [S] et [O] [A], Mme [R] [B]-[E] et ses trois enfants, Mme [H] [B]-[E] épouse [Y] et MM. [I] et [W] [B]-[E]. Au dernier état de la procédure, il a demandé au tribunal de :

- prononcer l'annulation de l'acte de donation du 26 février 2001

- lui donner acte de son désistement à l'égard de Mme [H] [B]-[E] épouse [Y] et MM. [I] et [E] [B]-[E]

- débouter les défendeurs de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles

- condamner solidairement les défendeurs à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts et 3.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

MM. [A] ont demandé au tribunal de déclarer les demandes irrecevables, subsidiairement les rejeter et condamner le demandeur à leur verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les consorts [B]-[E] ont demandé au tribunal de prononcer la mise hors de cause de Mme [H] [Y] et de MM. [B]-[E], déclarer M. [U] irrecevable en ses prétentions, subsidiairement les rejeter et le condamner au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 20 septembre 2020, le tribunal paritaire des baux ruraux de Metz a :

- constaté le désistement partiel de M. [U] s'agissant de ses demandes dirigées à l'encontre de Mme [H] [Y] et de MM. [B]-[E]

- déclaré M. [U] irrecevable en sa demande d'annulation de l'acte de donation en date du 26 février 2001 comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée

- débouté M. [U] de sa demande d'annulation de la vente du 24 octobre 2018

- condamné M. [U] à payer aux consorts [B]-[E] la somme de 3.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné M. [U] à payer à MM. [A] la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné M. [U] aux dépens.

Sur la demande de nullité de l'acte de donation du 26 février 2001, le tribunal a observé que le demandeur remet en cause l'arrêt de la cour d'appel de Metz du 24 novembre 2011 ayant débouté ses parents de la même demande, que cet arrêt a définitivement mis fin au litige en jugeant que M. et Mme [U] ne rapportaient la preuve ni d'une cause illicite, ni d'une fausse cause pour la donation querellée, ni d'une fraude, que la vente du 24 octobre 2018 invoquée par le demandeur, survenue 17 ans après la donation dans le cadre de successions successives, ne démontre pas à elle seule l'absence d'intention libérale initiale et a conséquence déclaré M. [U] irrecevable en son action.

Sur la demande de nullité de la vente du 24 octobre 2018, au visa de l'alinéa 1er de l'article L.412-1 du code rural et de la pêche maritime, le tribunal a rappelé que la cession des droits indivis entre co-indivisaires constitue une forme de partage et non une aliénation à titre onéreux, de sorte qu'elle n'ouvre pas de droit de préemption au fermier en place, que Mme [R] [B]-[E] et M. [S] [A] ont la qualité de co-indivisaires, que M. [U] ne rapporte pas la preuve que la cession des droits indivis avait permis de frauder ses droits à préemption. Il a ajouté que la cession permettait de conserver dans le patrimoine familial des terres agricoles, que Mme [R] [B]-[E] n'a jamais été exploitante agricole, ni même liée à cette activité de sorte qu'elle n'a aucun intérêt à garder des droits indivis portant sur un fonds rural dans son patrimoine et a débouté M. [U] de sa demande de nullité, en l'absence de preuve d'une fraude.

Par déclaration déposée au greffe de la cour le 20 octobre 2020, M. [U] a formé appel de chacune des dispositions de ce jugement à l'exception de celle ayant constaté son désistement partiel des demandes dirigées à l'encontre de Mme [Y] et MM. [I] et [W] [B]-[E].

Il demande à la cour d'infirmer le jugement et de :

- annuler l'acte de donation du 26 février 2001 et la vente conclue le 24 octobre 2018

- débouter les consorts [B]-[E] de leur demande de dommages et intérêts et leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner solidairement MM. [S] et [O] [A] et Mme [R] [B]-[E] à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'appelant expose que [F] [E] a utilisé pendant des années l'ensemble des moyens juridiques et judiciaires à sa disposition pour éliminer ses parents puis lui-même du fond loué et que faute d'y parvenir, les intimés ont conclu une vente le 24 octobre 2018 pour le priver de son droit de préemption. Il prétend que cette vente constitue un fait nouveau qui modifie la situation juridique de la cause de sorte que l'autorité de la chose jugée ne peut lui être opposée, que la cause de la première procédure en annulation n'est pas la même que celle de la présente instance qui vise également l'annulation de la vente du 24 octobre 2018, que les parties au procès ne sont pas identiques, lui même n'agissant pas uniquement en tant qu'ayant droit de ses parents mais également en vertu d'un doit qu'il lui est personnel né postérieurement à la donation. Il soutient que le laps de temps (17 ans) qui s'est écoulé entre les deux actes, pris en considération à tort par le premier juge pour estimer que la vente ne pouvait remettre en cause la donation, correspond au long temps judiciaire résultant des multiples procédures judiciaires entreprises en vain par le bailleur.

M. [U] soutient qu'il ne peut être déclaré forclos dans l'exercice de son action en annulation aux motifs que c'est la vente du 24 octobre 2018 qui permet, par sa combinaison avec la donation antérieure, de caractériser la fraude et fixer le point de départ de la prescription en application de l'article 2224 du code civil et que la forclusion n'est pas non plus encourue en raison du principe selon lequel la fraude corrompt l'ensemble des parties qui y ont contribué.

Il ajoute que le législateur a déclaré le droit de préemption d'ordre public et incontournable, que les intimés ont dévoyé le statut du fermage en organisant une fraude de ses droits en effectuant d'abord une donation d'une quote-part infime des biens du futur acquéreur afin de créer une indivision entre les parties, puis en cédant les biens au profit du donataire de manière à évincer le fermier de l'opération considérée comme un partage et que ces éléments suffisent à démontrer l'absence d'intention libérale dans l'acte de donation ou de volonté de procéder dans le cadre de la vente à un simple partage amiable pour mettre fin à une situation d'indivision. Il indique que contrairement à ce que soutiennent les intimés, Mme [B]-[E] a eu des contacts avec le monde rural, une attestation délivrée le 18 novembre 1995 précisant qu'elle avait vécu à la ferme de Champel lorsque son beau-père était encore exploitant, et que la vente n'avait pas pour objet un maintien des terres dans le patrimoine familial, celle-ci ayant été initialement envisagée à l'égard de tiers en la personne des consorts [M].

L'appelant conteste sa condamnation au paiement de dommages et intérêts eu égard aux arguments précédemment développés et à la légitimité du combat qu'il mène de longue date pour défendre son outil de travail et la pérennité de son exploitation, précisant s'être désisté de sa demande à l'encontre des enfants [B]-[E] dès qu'il a su que ceux-ci n'étaient pas parties à la vente du 24 juin 2018 mais qu'il a dû les intimer en raison de sa condamnation à leur payer des dommages et intérêts.

Mme [R] [B]-[E], Mme [H] [B]-[E] épouse [Y] et MM. [I] et [W] [B]-[E] demandent à la cour de dire et juger M. [U] irrecevable en toutes ses prétentions, confirmer le jugement en toutes ses dispositions, débouter M. [U] de toutes ses prétentions et le condamner à leur verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Ils soutiennent que les demandes de l'appelant à l'encontre de Mme [Y] et MM. [I] et [W] [B]-[E] sont irrecevables dans la mesure où d'une part, M. [U] s'est désisté de son action à leur égard et d'autre part, ils ne sont pas partie aux actes incriminés.

Ils font valoir que l'arrêt de la cour d'appel de Metz du 24 novembre 2011 a définitivement débouté M. et Mme [V] [U] de leur demande d'annulation de la donation du 26 février 2001 et que les prétentions de l'appelant se heurtent au principe de l'autorité de la chose jugé qui s'impose aux ayants-droits des parties, que ce principe ne peut être écarté que s'il existe un véritable événement nouveau et que tel n'est pas le cas de la vente du 24 octobre 2018 qui n'a aucun impact sur la donation réalisée plus de 17 ans auparavant par M. [E] au profit de M. [S] [A]. Ils soulignent que M. [U], ayant-droit de ses parents, agit comme eux dans le cadre de la procédure ayant conduit à l'arrêt du 24 novembre 2011,en qualité de preneur en place.

Les intimés ajoutent que l'action engagée par l'appelant relève d'une action personnelle à laquelle la prescription extinctive de 5 ans est applicable et que par l'effet de la réforme de la prescription, elle s'est trouvée prescrite le 19 juin 2013, de sorte qu'elle est également irrecevable de ce chef.

Sur le fond, ils exposent qu'à la date de la donation litigieuse M. [U] n'était pas preneur en place, qu'il ne disposait donc pas de la qualité lui permettant de revendiquer le bénéfice du droit de préemption prévu à l'article L.412-1 du code rural et que de ce seul chef, sa demande d'annulation doit être rejetée. Ils ajoutent qu'il ne rapporte pas la preuve de la fraude qu'il allègue et qu'il ne peut valablement revendiquer le bénéfice du principe 'fraus omnia corrumpit' alors que la donation réalisée au bénéfice du filleul du défunt et de son frère s'explique parfaitement par l'intuitu personae existant entre les parties, rappelant que la vente des terres est intervenue 17 ans après la donation et qu'elle ne peut révéler une fraude au droit de préemption du fermier. Ils font valoir que le donateur d'une part et le cédant d'autre part ne sont pas les mêmes personnes et qu'il ne peut être prêté une intention frauduleuse au donateur alors qu'il n'est pas partie à la vente de 2018 intervenue après son décès. Ils soulignent enfin que l'existence d'une fraude s'analyse à la date de la donation et que dès lors, l'existence de procédures intentées postérieurement à cette donation est inopérante.

En ce qui concerne l'acte de vente du 24 octobre 2018, les intimés exposent que selon la cour de cassation, la cession de droits indivis entre co-indivisaires ne constitue pas une aliénation à titre onéreux mais une forme de partage n'ouvrant pas droit de préemption au fermier en place et que Mme [B]-[E] et M. [S] [A] avaient tous deux la qualité de co-indivisaires, de sorte que l'appelant ne peut exercer un quelconque droit de préemption à l'occasion de l'opération de vente et qu'il ne rapporte pas la preuve d'une fraude à son droit.

Les intimés expliquent enfin que le désistement de M. [U] à l'égard des enfants de Mme Mme [B]-[E] est intervenu à l'audience de première instance après le dépôt de leurs écritures, de sorte que sa condamnation à des dommages et intérêts pour procédure abusive est justifiée.

MM. [S] et [O] [A] demandent à la cour de confirmer le jugement du 20 septembre 2020, déclarer M. [U] irrecevable en toutes ses demandes, subsidiairement l'en débouter et en tout état de cause le condamner à leur payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils font valoir que la vente du 24 octobre 2018 ne constitue pas un élément nouveau qui seul peut faire échec au principe de l'autorité de la chose jugée, que l'existence d'un mécanisme frauduleux et d'un lien de connexité entre la donation effectuée en 2001 dans un esprit de libéralité et la vente du 24 octobre 2018 n'existe que dans l'esprit de l'appelant et que par voie de conséquence son action en annulation de la donation est irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la cour d'appel de Metz du 24 novembre 2011. Ils soutiennent également que l'action personnelle en annulation de la donation du 26 février 2001 est prescrite depuis le 19 juin 2013 en application des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 réduisant la durée des actions personnelles à cinq ans.

Sur le fond, pour l'acte du 26 février 2001, ils rappellent que conformément à l'article L.412-1 du code rural et de la pêche maritime, l'exercice du droit de préemption par le preneur est lié à une aliénation à titre onéreux et ne s'applique pas à la donation qui est un acte à titre gratuit. Les intimés prétendent que M. [U] ne rapporte pas la preuve de la fraude alléguée à l'acte de donation du 26 février 2001, que cette donation réalisée au bénéfice du filleul de M. [F] [E] (M. [S] [A]) et de son frère était légitime compte tenu des liens existant entre eux et que le seul fait que Mme [B]-[E] a cédé à M. [S] [A] le 24 octobre 2018 ses droits indivis ne suffit pas à prouver l'existence d'une fraude au droit de préemption.

Pour la vente du 24 octobre 2018, ils font valoir qu'elle ne constitue pas un acte à titre onéreux ouvrant un droit de préemption dès lors que le vendeur et l'acquéreur sont co-indivisaires et que l'appelant ne démontre pas le mécanisme frauduleux ayant abouti à la méconnaissance de ses droits qu'il invoque.

A l'audience du 12 mai 2022, les parties représentées par leur conseil, ont repris oralement leurs écritures déposées le 30 novembre 2021 par M. [U], le 12 janvier 2022 par les consorts [B]-[E] et le 9 février 2022 par MM. [A].

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur demandes présentées à l'encontre de Mme [Y] et MM. [B]-[E]

M. [U] n'a pas formé appel du jugement déféré en ce qu'il a constaté son désistement partiel s'agissant de ses demandes dirigées à l'encontre de Mme [Y] et MM. [B]-[E], et les intimés n'ont pas interjeté appel incident. La cour n'est donc pas saisie de cette disposition de la décision.

Il est relevé par ailleurs qu'à hauteur de cour, M. [U] ne formule aucune prétention à l'encontre de Mme [Y] et MM. [B]-[E] de sorte que la demande tendant à voir dire et juger que ses prétentions sont irrecevables doit être rejetée comme étant sans objet.

Sur la demande d'annulation de l'acte de donation du 26 février 2001

Il résulte de l'article 480 du code civil que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal a autorité de la chose jugée. Selon l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet du jugement et il faut que la chose jugée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elle et contre elles en la même qualité.

Il n'y a pas autorité de la chose jugée lorsque lorsqu'un fait ou un acte postérieur à la décision dont l'autorité est invoquée modifie la situation antérieurement reconnue en justice.

En l'espèce, par arrêt rendu le 24 novembre 2011, la cour d'appel de Metz a confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Metz du 27 mai 2009 ayant débouté M. et Mme [V] [U] de leur demande d'annulation de la donation consentie par M. [E] à MM. [A] le 26 novembre 2001, en l'absence de preuve de l'existence d'une cause illicite, une fausse cause ou une absence de cause de cette donation, ou d'une fraude.

C'est en vain que M. [U] soutient que l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt ne peut lui être opposée au motif que la cause de cette première procédure n'est pas la même que celle de la présente instance. Le fait qu'il sollicite en outre l'annulation de la vente du 24 octobre 2018 n'est pas de nature à remettre en cause le fait qu'il demande à nouveau à titre principal, comme dans la précédente procédure, l'annulation de la donation du 26 novembre 2001. Cette demande qui seule est susceptible de se heurter au principe de la chose jugée indépendamment des prétentions additionnelles, est fondée exactement sur la même cause consistant en une fraude dont se seraient rendus coupables le donateur et les donataires au détriment du droit de préemption du preneur des parcelles.

L'appelant ne peut pas davantage tirer argument de l'absence d'identité des parties aux deux procédures. L'identité des parties doit s'apprécier au regard de la demande d'annulation de la donation à l'encontre de laquelle est invoquée l'autorité de la chose jugée. Pour ce chef de prétentions, Mme [B]-[E] vient aux droits de M. [E] auquel elle succède et M. [U], cessionnaire des baux consentis à ses parents qui seuls à l'époque de la donation disposaient d'un droit de préemption en leur qualité de preneurs, agit en qualité d'ayant droit de M. et Mme [V] [U] et non en vertu d'un 'droit nouveau' qui lui serait propre comme il le soutient. Il s'ensuit que l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 24 novembre 2011 auquel M. et Mme [V] [U] étaient parties, lui est opposable.

C'est par ailleurs à juste titre et pour des motifs pertinents que le premier juge a estimé que la vente conclue le 24 octobre 2018 n'est pas constitutive d'un élément nouveau susceptible de remettre en cause la situation antérieurement reconnue par cet arrêt. Il est rappelé à cet égard que l'existence d'une fraude s'apprécie à la date de l'acte critiqué lequel est intervenu le 26 février 2001 et le fait que par la suite divers moyens juridiques et judiciaires ont été mis en oeuvre 'pour éliminer' les preneurs selon l'appelant, ne démontre pas en soi que la donation consentie par le bailleur des années auparavant à son filleul et son frère, était dépourvue d'intention libérale ou procédait d'une fraude. S'agissant plus précisément de la vente des parcelles, celle-ci est intervenue plus de 17 ans après la donation et l'acte est d'autant moins de nature à modifier la situation antérieurement reconnue en justice, qu'il n'a pas été conclu par le donateur, décédé à l'époque, mais par Mme [B]-[E] qui n'est devenue propriétaire des parcelles qu'au terme d'une double succession. Il n'est en rien démontré que la vente qu'elle a consentie à M. [A] a été au préalable initiée d'une quelconque manière par le donateur et il s'ensuit que la combinaison entre les deux actes qui n'ont pas le même auteur, n'est objectivée par aucun élément tangible.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée, la demande de M. [U] aux fins d'annulation de l'acte de donation du 26 novembre 2001.

Sur la demande d'annulation de l'acte de vente du 24 octobre 2018

L'article L.412-1 du code rural et de la pêche maritime dispose que le propriétaire bailleur d'un fonds de terre ou d'un bien rural qui décide ou qui est contraint de l'aliéner à titre onéreux, sauf le cas d'expropriation pour cause d'utilité publique, ne peut procéder à cette aliénation qu'en tenant compte d'un droit de préemption au bénéfice de l'exploitant preneur en place.

Cependant, une cession entre co-indivisaires d'une partie des droits indivis sur un fonds de terre ou un bien rural ne constitue pas une aliénation à titre onéreux ouvrant droit de préemption au preneur en place.

Il résulte de ce qui précède que l'appelant ne peut se prévaloir de la nullité de l'acte de donation par lequel M. [A] est devenu co-indivisaire. En cette qualité la cession que lui a consentie Mme [B]-[E] le 24 octobre 2018 de ses propres droits indivis, n'a donc pas ouvert droit de préemption au profit de M. [U], preneur en place. La preuve d'une fraude entachant la vente ayant pour objet de faire échec à ce droit, n'est pas rapportée. Ainsi, il ne ressort d'aucune pièce que Mme [B]-[E] aurait initié ou se serait associée d'une quelconque manière aux différents moyens juridiques et procédures antérieurs à la vente qui selon l'appelant étaient destinés à l'évincer définitivement. Il n'est par ailleurs nullement démontré que la vente procède de la volonté d'évincer le preneur comme il le soutient. Mme [B]-[E] est retraitée et le premier juge a pertinemment relevé qu'elle n'a jamais été exploitante agricole, ni même liée à cette activité étant observé que son mari exerçait la profession de directeur selon les mentions de l'acte de donation du 23 janvier 2006 et elle-même d'employée commerciale, et le fait qu'elle a vécu un temps à la ferme de son beau-père en 1979 (pièce n°20 de l'appelant) ne démontre aucunement un ancrage quelconque dans le monde rural. Enfin, le choix de l'acheteur en la personne de M. [S] [A] n'induit à lui seul aucune fraude dès lors que celui-ci était le filleul de son beau-père et appartenait ainsi au cercle familial et qu'il était co-indivisaire depuis de nombreuses années.

Faute pour l'appelant de démontrer la preuve la fraude qu'il allègue, le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de l'acte.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

L'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.

C'est à tort que le premier juge a dit qu'il résulte des pièces versées aux débats que M. [U] a multiplié les procédures tendant à tout prix à soit à se maintenir dans les lieux soit à en devenir propriétaire. Hormis la présente instance, les deux seules procédures introduites par M. [U] qui figurent au dossier, tendaient à l'annulation de congés délivrés par le bailleur (17 octobre 2013 et 27 juin 2014) et par jugements du 18 décembre 2015, le tribunal paritaire de baux ruraux a fait droit à ses demandes d'annulation, les consorts [E] et [B]-[E] s'étant désistés de l'appel interjeté à l'encontre de ces décisions. L'introduction de ces deux procédures ne caractérise donc aucun excès.

Il ne peut valablement être reproché à l'appelant d'avoir initié la présente instance à l'encontre des enfants [B]-[E] et ne s'être désisté de ses demandes à leur encontre qu'après le dépôt de leurs conclusions, alors qu'il ressort des actes des procédures précédentes que devant la cour, les enfants [B]-[E] étaient partie à l'instance en qualité d'héritiers de [F] [B]-[E] et l'appelant pouvait légitimement en déduire qu'ils avaient vocation à devenir propriétaires des parcelles litigieuses dans le cadre de la succession de leur père. Ni la lettre par laquelle MM. [A] l'ont ensuite avisé de la vente de ces parcelles, ni l'attestation notariée qui lui a été transmise ne précisait l'identité du vendeur et aucun élément du dossier ne permet de considérer que M. [U] a su que Mme [Y] et MM. [B]-[E] n'étaient pas partie à cette vente avant le dépôt de leurs conclusions en première instance dans la cadre de la présente procédure.

Par ailleurs, le rejet de la demande de M. [U] est en soi insuffisant à établir que sa démarche procédurale procède d'un abus et il n'est rapporté la preuve ni de sa mauvaise foi, ni d'une légèreté blâmable de l'appelant.

Le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné M. [U] au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et les consorts [B]-[E] sont déboutés de leur demande.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles et les dépens sont confirmées.

L'appelant, partie perdante, est condamné aux dépens d'appel. Pour des raisons d'équité, il est également condamné à payer à MM. [A] d'une part et aux consort [B]-[E] d'autre part la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, en plus de la somme allouée en première instance. Il est en outre débouté de sa demande présentée sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

DÉBOUTE Mme [R] [Z] épouse [B]-[E], Mme [H] [B]-[E] épouse [Y] et MM. [I] et [W] [B]-[E] de leur fin de non recevoir ;

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :

- déclaré M. [T] [U] irrecevable en sa demande d'annulation de l'acte de donation en date du 26 février 2001, comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée

- débouté M. [T] [U] de sa demande d'annulation de la vente en date du 24 octobre 2018

- condamné M. [T] [U] à payer à Mme [R] [Z] épouse [B]-[E], Mme [H] [B]-[E] épouse [Y] et MM. [I] et [W] [B]-[E], la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné M. [T] [U] à payer à MM. [S] et [O] [A] la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné M. [T] [U] aux dépens ;

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. [T] [U] à payer à Mme [R] [Z] épouse [B]-[E], Mme [H] [B]-[E] épouse [Y] et MM. [I] et [W] [B]-[E] la somme de 3.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, et statuant à nouveau,

DÉBOUTE Mme [R] [Z] épouse [B]-[E], Mme [H] [B]-[E] épouse [Y] et MM. [I] et [W] [B]-[E] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [T] [U] à payer à Mme [R] [Z] épouse [B]-[E], Mme [H] [B]-[E] épouse [Y] et MM. [I] et [W] [B]-[E], la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE M. [T] [U] à payer à MM. [S] et [O] [A] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [T] [U] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20/01985
Date de la décision : 08/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-08;20.01985 ?
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