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21/06/2022 | FRANCE | N°19/01722

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 21 juin 2022, 19/01722


Arrêt n° 22/00414



21 juin 2022

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N° RG 19/01722 -

N° Portalis DBVS-V-B7D-FCEG

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

05 juin 2019

17/00686

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1







ARRÊT DU



Vingt et un juin deux mille vingt deux





APPELANT :



M. [N] [P]


[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Hanane BEN CHIKH, avocat au barreau de METZ





INTIMÉE :



SARL AMBULANCES ET TAXIS FACE prise en la personne de son gérant

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me ...

Arrêt n° 22/00414

21 juin 2022

---------------------

N° RG 19/01722 -

N° Portalis DBVS-V-B7D-FCEG

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

05 juin 2019

17/00686

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Vingt et un juin deux mille vingt deux

APPELANT :

M. [N] [P]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Hanane BEN CHIKH, avocat au barreau de METZ

INTIMÉE :

SARL AMBULANCES ET TAXIS FACE prise en la personne de son gérant

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Christine SALANAVE, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Anne CAPELLE, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Laëtitia WELTER, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

Mme Laëtitia WELTER, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Hélène BAJEUX

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Anne FABERT, Conseillère, substituant la Présidente de Chambre régulièrement empêchée et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS

M. [P] a été embauché par la SARL Ambulances et Taxis Face, selon contrat à durée indéterminée, à compter du 14 novembre 2008, en qualité de chauffeur ambulancier.

M. [P] percevait une rémunération mensuelle brute 1 596,00 euros pour 152 heures mensuelles.

M. [P] a démissionné de la SARL Ambulances et Taxis Face, son contrat prenant fin le 03 août 2016.

Par acte introductif enregistré au greffe le 07 août 2017, M. [P] a saisi le Conseil de prud'hommes de Metz aux fins de :

Condamner la SARL Ambulances et Taxis Face à lui payer les sommes de :

'1.990,14 euros brut au titre de rappel de salaire, primes et indemnités pour la période du 01/07/2013 au 31/12/2013 auquel s'ajoute la somme de 199,01 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

'3.848,30 euros brut au titre de rappel de salaire, primes et indemnités pour la période allant du 01/01/2014 au 31/12/2014 auquel s'ajoute la somme de 384,83 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

'3.720,46 euro brut au titre de rappel de salaire, primes et indemnités pour la période allant du 01/01/2015 au 31/12/2015 auquel s'ajoute la somme de 372,05 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

'2.313,50 euros brut au titre de rappel de salaire, primes et indemnités pour la période allant du 01/01/2016 au 03/08/2016 auquel s'ajoute la somme de 231,35 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

'168,96 euros brut au titre de ses congés payés supplémentaires dus au titre du fractionnement pour l'année 201 3 ;

'164,44 euros brut au titre de ses congés payés supplémentaires dus au titre du fractionnement pour l'année 2014 ;

'186,32 euros brut au titre des congés payés supplémentaires dus au titre du fractionnement pour l'année 2015 ;

Avec intérêts de droit à compter du jugement à intervenir et exécution provisoire par application des dispositions de l'article R.1454-28 du code du Travail.

Condamner la SARL Ambulances et Taxis Face à lui payer la somme de 1.500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir pour le tout, en application de Article 51 5 du Code de Procédure Civile ;

Condamner la SARL Ambulances et Taxis Face aux entiers et frais dépens.

Par jugement du 05 juin 2019, le Conseil de prud'hommes de Metz, section activités diverses, a statué ainsi qu'il suit :

- Déclare les demandes et l'acte de saisine de M. [N] [P] recevables mais mal fondées,

- Déboute M. [N] [P] de 1'intégralité de ses demandes,

- Déboute la SARL Ambulances et Taxis Face, prise en la personne de son représentant légal, de l'intégralité de sa demande reconventionnelle,

- Dit que chaque partie supportera la charge de se frais et dépens.

Par déclaration formée par voie électronique le 04 juillet 2019 et enregistrée au greffe le jour même, M. [P] a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par ses dernières conclusions datées du 08 avril 2021, M. [P] demande à la Cour de:

Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de METZ en date du 05 juin 2019 en ce qu'il a déclaré l'acte de saisine et ses demandes recevables et en ce qu'il a débouté la SARL Ambulances et Taxis Face de ses demandes reconventionnelles.

Débouter la SARL Ambulances et Taxis Face de ses demandes reconventionnelles et donner acte à celle-ci de ce qu'elle reconnaît être redevable à son égard de la somme de 7.519,03 euros bruts au titre du rappel d'heures supplémentaires pour les années 2013 à 2016.

Infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de METZ en date du 05 juin 2019 pour le surplus.

Statuant à nouveau,

Condamner la SARL Ambulances et Taxis Face à lui payer les sommes suivantes :

'1.990,14 euros brut, au titre du rappel de salaire, primes et indemnités pour la période allant du 01.07.2013 au 31.12.2013 auquel s'ajoute la somme de 199.01 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

'3.848,30, euros brut au titre du rappel de salaire, primes et indemnités pour la période allant du 01.01.2014 au 31.12.2014 auquel s'ajoute la somme de 384,83 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

'3.720,46 euros brut au titre du rappel de salaire, primes et indemnités pour la période allant du 01.01.2015 au 31.12.2015 auquel s'ajoute la somme de 372,05 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

'2.313,50 euros brut au titre du rappel de salaire, primes et indemnités pour la période allant du 01.01.2016 au 03.08.2016 auquel s'ajoute la somme de 231,35 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

'168,96 euros brut, au titre des congés payés supplémentaires dus au titre du fractionnement pour l'année 2013 ;

'164,44 euros brut, au titre des congés payés supplémentaires dus au titre du fractionnement pour l'année 2014 ;

'186.32 euros brut, au titre des congés payés supplémentaires dus au titre du fractionnement pour l'année 2015 ;

Le tout avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement du première

instance.

Condamner la SARL Ambulances et Taxis Face à lui payer la somme de 1.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais irrépétibles de première instance.

Condamner la SARL Ambulances et Taxis Face à lui payer la somme de 1.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais irrépétibles d'appel.

Condamner la SARL Ambulances et Taxis Face aux entier frais et dépens de procédure, en ce compris les éventuels frais d'exécution forcée.

Par ses dernières conclusions datées du 05 août 2021 ,enregistrées au greffe le jour même, la SARL Ambulances et Taxis Face demande à la Cour de :

Infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Metz du 05 juin 2019 en ce qu'il a déclaré l'acte de saisine de M. [P] recevable,

Pour le surplus

Confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Metz du 5 juin 2019 en ce qu'il a débouté M. [P] de l'intégralité de ses demandes,

Infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Metz du 05 juin 2019 en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles,

Statuant à nouveau,

À titre principal :

Dire et juger que la requête de M. [N] [P] est nulle.

Déclarer par conséquent irrecevable la requête présentée par M. [N] [P].

A titre subsidiaire :

Débouter M. [N] [P] de l'ensemble de ses demandes.

A titre infiniment subsidiaire :

Constater que les demandes formulées par M. [N] [P] ont été mal évaluées et, compte tenu des erreurs manifestes de décompte, la condamnation au titre du rappel d'heures supplémentaires ne pourra excéder 7.519,03 euros bruts pour les années 2013 a 2016.

En tout état de cause :

Constater le versement d'une majoration indue de 10 % à M. [N] [P],

Condamner M. [N] [P] à lui rembourser par conséquent la somme de 4.453,11 euros nets au titre de cette prime indûment versée, ainsi que les 445,31 euros de congés payés y afférents.

Ordonner le cas échéant, une compensation entre les condamnations éventuelles et le remboursement de l'indu.

Condamner M. [N] [P] à lui payer la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le condamner aux entiers frais et dépens de la procédure.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 05 janvier 2022.

Il convient en application de l'article 455 du Code de procédure civile de se référer aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS

Sur la nullité de la requête introductive d'instance

La SARL Ambulances et Taxis Face soutient à titre principal que la requête doit mentionner les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige mais que cette indication faisait incontestablement défaut au cas d'espèce.

La SARL Ambulances et Taxis Face ajoute que la transmission des pièces était incomplète, non numérotée, ni tamponnée, ce qui ne permettait pas de s'assurer d'une transmission exhaustive des éléments du dossier en demande.

La société ne conteste pas que la communication de pièces ait été régularisée par la suite mais souligne que les dispositions de l'article R.1452-2 du Code du Travail en vigueur n'ont pas été observées au moment des faits et estime que la requête introductive d'instance est nulle.

M. [P] réplique qu'il n'y a aucun grief subi par la SARL Ambulances et Taxis Face du fait de l'absence d'indication dans la requête des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige et qu'il a été établi de nouvelles écritures en cours de procédure qui ont été communiquées avec un bordereau de pièces.

L'article R.1452-2 du code du travail, en sa version issue du décret n° 2017-1008 du 10 mai 2017 applicable aux instances introduites devant les conseils de prud'hommes à compter du 12 mai 2017, dispose que : « La requête est faite, remise ou adressée au greffe du conseil de prud'hommes. Elle comporte les mentions prescrites à peine de nullité à l'article 58 du code de procédure civile. En outre, elle contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci. Elle est accompagnée des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l'appui de ses prétentions. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé. (') »

Quant à l'article 58 du code de procédure civile, applicable au litige dans sa rédaction issue du décret n° 2015- 282 du 11 mars 2015, il prévoit :

« La requête ou la déclaration est l'acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire n'ait été préalablement informé.

Elle contient à peine de nullité :

1° Pour les personnes physiques : l'indication des nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du demandeur;

Pour les personnes morales : l'indication de leur forme, leur dénomination, leur siège social et de l'organe qui les représente légalement ;

2° L'indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée, ou, s'il s'agit d'une personne morale, de sa dénomination et de son siège social;

3° L'objet de la demande.

Sauf justification d'un motif légitime tenant à l'urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu'elle intéresse l'ordre public, la requête ou la déclaration qui saisit la juridiction de première instance précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige. Elle est datée et signée. »

Enfin, l'article 127 du code de procédure civile précise que « s'il n'est pas justifié, lors de l'introduction de l'instance et conformément aux dispositions des articles 56 et 58, des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation ».

En l'espèce, il résulte de la combinaison de ces textes que l'absence d'indication relative à la tentative de résolution amiable du litige ne constitue pas une cause de nullité de la saisine par M. [P] puisque seul le défaut des trois premières mentions relatives à l'identification des parties au litige et à l'objet de la demande est sanctionné par la nullité de la requête.

Le défaut de mention des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable n'a par ailleurs causé aucun grief à la SARL Ambulances et Taxis Face.

De surcroît, outre que selon l'article R.1452-2 du code du travail susvisé, le fait pour le demandeur de ne pas verser à l'appui de sa requête l'intégralité des pièces dont il entend se prévaloir n'est pas sanctionné par la nullité de l'acte, la cour observe que la requête de M. [P] devant le conseil de prud'hommes était accompagnée d'un certain nombre de pièces, que cette requête exposait précisément les demandes du salarié et les motifs développés au soutien de celles-ci et que la SARL Ambulances et Taxis Face reconnaît elle-même que l'ensemble des pièces ont été transmises au cours de la procédure de sorte que cette dernière avait connaissance de la nature des demandes et de leur étendue et qu'aucun grief ne peut ainsi être caractérisé.

Aussi, dès lors qu'aucune nullité n'est encourue, la cour confirme le rejet par la juridiction prud'homale de l'exception de nullité de l'acte introductif d'instance soulevée par la SARL Ambulances et Taxis Face.

Sur la demande de rappel de salaire

M. [P] demande un rappel de salaire global au titre des heures supplémentaires, de la majoration pour heures de nuit, des indemnités de dépassement de l'amplitude journalière, des indemnités pour travail le dimanche et de la majoration des jours fériés.

M. [P] affirme que ses feuilles de route constituent des pièces susceptibles d'étayer de manière irréfutable les horaires de travail qu'il invoque et conteste les décomptes réalisés par la société puisqu'ils ne reprenaient pas dans leur intégralité les heures de travail figurant sur feuilles de route hebdomadaires.

M. [P] souligne qu'aucun accord d'entreprise n'a été adopté au sein de la SARL Ambulances et Taxis Face concernant la modulation du temps de travail et qu'aucune modulation du temps de travail ne pouvait s'appliquer.

La SARL Ambulances et Taxis Face, outre qu'elle conteste l'irrégularité de la modulation du temps de travail, soutient que les éléments versés au débat par M. [P] sont imprécis et conclut que M. [P] n'étaye pas sa demande de rappel de salaire.

La SARL Ambulances et Taxis Face face souligne que les éléments de calculs sont erronés dans la mesure où le salarié n'a pas pris en considération les heures supplémentaires mentionnées sur les bulletins de paie et que tous les mois la société a joint aux bulletins de paie remis aux salariés un décompte des temps de travail auquel elle estime qu'il convient de se référer.

La société ajoute que M. [P] ne justifie pas d'une demande de réalisation d'heures supplémentaires émanant de l'employeur ou de l'autorisation de la Direction suite à sa propre demande d'effectuer d'heures supplémentaires.

Il résulte de l'article L.3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties, que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié et que le juge doit se déterminer au vu de ces éléments et de ceux produits par le salarié.

Le salarié étant en demande, il lui appartient néanmoins de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande, tant sur l'existence des heures dont il revendique le paiement que sur leur quantum, à charge pour l'employeur de les contester ensuite en produisant ses propres éléments.

Ces éléments doivent être suffisamment sérieux et précis quant aux heures effectivement réalisées pour permettre à l'employeur d'y répondre.

La cour rappelle qu'en application de l'article 2 de l'avenant n °3 du 16 janvier 2008 modifiant l'article 3 de l'accord-cadre du 4 mai 2000, afin de tenir compte des périodes d'inaction (notamment au cours de services de permanence), de repos, repas, coupures et de la variation de l'intensité de leur activité, le temps de travail effectif des personnels ambulanciers roulants est décompté, dans les conditions visées ci-dessous, sur la base du cumul hebdomadaire de leurs amplitudes journalières d'activité prises en compte :

1. Services de permanence : Pour 75% de leurs durées

2. En dehors des services de permanence : Pour 90% de leurs durées.


En l'espèce, la cour constate d'abord que les bulletins de salaire de M. [P] mentionnent une « modulation » pour le décompte des heures de travail qui est contestée par ce dernier.

L'avenant n°3 du 16 janvier 2008 à l'accord du 4 mai 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans les activités de transports routiers et activité auxiliaires prévoit à son article 6.4 intitulé « Mise en 'uvre d'un dispositif de modulation du temps de travail » que « la mise en place d'un régime de modulation du temps travail doit obligatoirement faire l'objet d'un accord d'entreprise ».

Or, la SARL Ambulances et Taxis Face se limite à souligner la régularité du mécanisme de modulation du temps de travail sans produire d'élément de justification, notamment un accord d'entreprise, alors que la mise en place d'un tel régime devait obligatoirement faire l'objet d'un accord d'entreprise d'après les dispositions conventionnelles précitées.

Ensuite, les parties s'accordent sur le fait que les demandes de rappel de salaire antérieures à juillet 2013 sont prescrites.

Pour étayer sa demande en paiement des heures supplémentaires qu'il déclare avoir accomplies entre 1er juillet 2013 et le 3 août 2016, M. [P] produit aux débats des feuilles de route hebdomadaires, lesquelles indiquent l'heure de prise de service, l'heure de fin de service et l'amplitude journalière et sont signées par le salarié et l'employeur, ainsi que des tableaux récapitulatifs détaillant les heures supplémentaires mises en évidence par les feuilles de route et pondérées en fonction des périodes de permanence (75% de l'amplitude de travail) et hors permanence (90% de l'amplitude de travail).

Ces éléments, suffisamment précis pour étayer la demande de M. [P] et permettant à l'employeur d'y répondre utilement, ne peuvent être considérés comme efficacement contredits par les décomptes des heures de travail annexés aux bulletins de paie dans la mesure où les feuilles de route signées chaque jour par le salarié et l'employeur sont manifestement plus fiables que les décomptes établis par l'employeur lui-même dans le cadre du régime de modulation dont il a été au demeurant jugé qu'il était inopposable à M. [P].

Par ailleurs, la SARL Ambulances et Taxis Face ne démontre aucune erreur dans le décompte du salarié qui a précisément repris l'ensemble des données des feuilles de route et les a comparées avec ce qui a été payé pour la période litigieuse du 1er juillet 2013 au 3 août 2016.

Il sera également relevé que l'employeur, qui signait tous les jours les feuilles de route de M. [P], avait manifestement connaissance que le travail confié imposait des heures supplémentaires mais n'a pas réagit, donnant ainsi son accord implicite à l'accomplissement de ces heures supplémentaires qu'il devait payer dans son intégralité.

De plus, s'agissant des heures de nuit, l'article 18 de l'accord cadre du 4 mai 2000 susvisé dispose que « pour les autres personnels ambulanciers, les heures d'amplitude entre 22 heures et 5 heures ouvrent droit à un repos de 5%. Sur demande du salarié, une partie de cette compensation peut être transformée en compensation pécuniaire, sans que cette transformation puisse avoir pour effet de réduire le temps de repos acquis à moins de 5% ».

Le détail des feuilles de route et des tableaux récapitulatifs de M. [P] justifie des heures de nuit effectuées entre 22 heures et 5 heures en 2014 et 2015 qui doivent être majorées à 5% si bien qu'il convient de faire droit à la demande du salarié à ce titre.

En outre, M. [P] fait valoir à juste titre que les dispositions applicables de l'article 2 de l'accord cadre sur l'aménagement et la réduction du temps de travail des personnels des entreprises de transport sanitaire, prévoient que l'amplitude de la journée de travail est limitée à 12 heures et qu'en cas de dépassement à la demande de l'employeur, soit il est versé une indemnité de dépassement d'amplitude journalière correspondant à la durée du dépassement constaté prise en compte pour 75 % de 12 heures à 13 heures puis de 100 % au-delà, multipliée par le taux horaire du salaire concerné, soit il est attribué un repos équivalent.

Eu égard des horaires indiqués dans les feuilles de route et des heures supplémentaires réalisées, M. [P] démontre avoir dépassé à plusieurs reprises la durée de travail de 12 heures par jour et l'employeur ne justifie pas avoir payé l'ensemble des indemnités de dépassement de l'amplitude journalière demandées par le salarié de sorte qu'il y a lieu de lui allouer la somme sollicitée sur ce point.

S'agissant des jours de travail le dimanche, en application des règles fixées par l'accord-cadre du 4 mai 2000 et de l'accord du 2 décembre 2004, le montant des indemnités pour travail le dimanche et jours fériés des personnels ambulanciers est fixé à :

18,67 euros à compter du 1er juillet 2009 ;

18,85 euros à compter de la date du 1er anniversaire de l'extension de l'avenant n° 3;

19,23 euros à compter de la date du 2e anniversaire de l'extension de l'avenant n° 3 ;

19,61 euros à compter de la date du 3e anniversaire de l'extension de l'avenant n° 3.

La SARL Ambulances et Taxis Face ne démontre pas qu'elle a bien payé les indemnités de l'ensemble des dimanches travaillés en 2013, 2014, 2015 et 2016 tels qu'ils figurent sur les feuilles de route. Il convient donc de faire aussi droit à la demande de M. [P] à ce titre.

En revanche M. [P], qui allègue que « lorsqu'ils sont travaillés, en Alsace Moselle, les jours fériés sont payés double », ne cite aucune disposition du droit local ou conventionnelle qui prévoit un paiement double des jours fériés travaillés, excepté le 1er mai, de sorte qu'il faut écarter de ses décomptes les montants de 39,78 euros en 2013, 78,75 euros en 2014 et 42,21 euros en 2016 pris en compte à ce titre.

En définitive, au regard des éléments d'appréciation mis à sa disposition, la cour fait droit à la demande en paiement d'un rappel de salaire à hauteur de 1 950,36 euros bruts, outre 195,04 euros bruts de congés payés afférents, pour la période du 1er juillet 2013 au 31 décembre 2013, de 3 769,55 euros, outre 376,96 euros bruts de congés payés afférents, pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014, 3 720,46 euros bruts, outre 372,05 euros bruts de congés payés afférents, pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 et de 2 271,29 euros bruts, outre 227,13 euros bruts de congés payés afférents, pour la période du 1er janvier 2016 au 3 août 2016, comprenant les heures supplémentaires, la majoration pour heures de nuit, les indemnités pour dépassement de l'amplitude journalière et les indemnités pour travail le dimanche, ce après déduction des heures supplémentaires et des indemnités déjà payées par l'employeur.

Le jugement déféré sera par conséquent infirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de rappel de salaire mais confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de majoration des jours fériés.

Sur les congés payés de fractionnement

M. [P] sollicite un rappel de congés payés pour fractionnement pour les années 2013, 2014 et 2015 dans la mesure où l'employeur ne lui permettait pas de prendre tous ses congés payés du 1er mai au 31 octobre.

Selon les articles L.3141-19 et L.3141-23 du code du travail, en cas de fractionnement des congés payés, le salarié a droit à deux jours ouvrables de congé supplémentaire lorsque le nombre de jours de congé pris en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre est au moins égal à six et un seul lorsque ce nombre est compris entre trois et cinq jours.

En l'espèce, M. [P] se contente de préciser le nombre de jours revendiqués sans démontrer qu'il satisfait aux conditions posées par le code du travail. En effet, il ne justifie pas de jours de congés pris donnant lieu à des congés payés supplémentaires alors qu'il ressort de ses bulletins de paie qu'il a pris les congés payés suivants, tous inclus dans la période du 1er mai au 31 octobre, à savoir :

Du 1er au 5 mai 2013

Les 5 et 6 juin 2013

Du 1er au 21 juillet 2013

Du 16 au 22 juin 2014

Du 4 au 24 août 2014

Le 2 septembre 2014

Du 2 au 3 mai 2015

Le 8 juin 2015

Du 3 au 23 août 2015.

L'employeur n'ayant pas pris les mesures propres à assurer au salarié la possibilité de prendre l'ensemble de ses congés payés, il lui revenait de payer à M. [P] une indemnité compensatrice de congés payés correspondant aux congés payés restants, ce qu'il a fait lors de la rupture du contrat de travail, sans qu'il y ait toutefois un droit automatique aux congés payés supplémentaires pour fractionnement en dehors de tout congés payés pris pendant la période du 31 octobre au 1er mai.

M. [P] sera dès lors débouté de sa demande de congés payés pour fractionnement et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a statué en ce sens.

Sur le remboursement de l'indu

La SARL Ambulances et Taxis Face demande à titre reconventionnel le remboursement de la somme de 4 453,11 euros nets au motif qu'elle a payé à tort à M. [P] une majoration de salaire de type 3 de 10 % alors que le salarié n'avait pas à réaliser de tâches complémentaires.

L'article 12.5 de la Convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 dispose que « lorsqu'en raison des activités annexes habituelles de l'entreprise, et dès lors que son contrat de travail ou un avenant à celui-ci le prévoit, un salarié est amené à effectuer les tâches définies au paragraphe a ci-dessous, qui peuvent nécessiter la possession d'attestation et/ou de diplôme ou le suivi de formations spécifiques, les montants du SMPG du mois considéré sont majorés conformément aux dispositions du paragraphe b ci-dessous.

a) Liste des tâches complémentaires

Personnel ambulancier

(')

Type 3 :

- régulation telle que définie dans la nomenclature des tâches ;

- autre activité funéraire (activité spécialisée) ;

- mécanique, réparation automobile.

(...)

b) Taux des majorations

Personnel ambulancier

Type 1 ... 2 %

Type 2 ... 5 %

Type 3 ... 10 % ».

En l'espèce, aucun élément ne met en évidence que M. [P] a effectivement assuré la régulation, à savoir coordonner l'ensemble des mouvements des véhicules et des personnels en fonction de l'organisation du planning et des impératifs de l'exploitation, ou la mécanique et réparation automobile, ce qu'il n'évoque d'ailleurs pas dans ses conclusions, sachant qu'il a été embauché en qualité de chauffeur ambulancier et que ses missions habituelles étaient la conduite des véhicules sanitaires, le relevage, le brancardage, le portage et l'assistance et le transport des patients de sorte que la majoration de 10% n'aurait pas dû s'appliquer au profit de l'appelant qui devra rembourser à la SARL Ambulances et Taxis Face la somme réclamée de 4 453,11 euros nets ainsi que 445,31 euros nets au titre des congés payés afférents.

Cette somme viendra en compensation des rappels de salaire dus au salarié et le jugement entrepris sera infirmé sur ce point en ce sens.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront également infirmées.

La SARL Ambulances et Taxis Face face qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Conformément aux prescriptions de l'article 700 du code de procédure civile, la SARL Ambulances et Taxis Face sera condamnée à verser à M. [N] [P] la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par ce dernier en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit que l'acte de saisine de M. [N] [P] était recevable et en ce qu'il a débouté M. [N] [P] de sa demande de majoration des jours fériés et de sa demande de congés payés supplémentaires au titre du fractionnement.

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Condamne la SARL Ambulances et Taxis Face à payer à M. [N] [P] les sommes suivantes :

1 950,36 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période du 1er juillet 2013 au 31 décembre 2013, heures supplémentaires, majorations pour heures de nuit, indemnités de dépassement de l'amplitude journalière et indemnités de travail le dimanche compris,

195,04 euros bruts au titre des congés payés afférent,

3 769,55 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014, heures supplémentaires, majorations pour heures de nuit, indemnités de dépassement de l'amplitude journalière et indemnités de travail le dimanche compris,

376,96 euros bruts au titre des congés payés y afférent,

3 720,46 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015, heures supplémentaires, majorations pour heures de nuit, indemnités de dépassement de l'amplitude journalière et indemnités de travail le dimanche compris,

372,05 euros bruts au titre des congés payés y afférent,

2 271,29 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période du 1er janvier 2016 au 3 août 2016, heures supplémentaires, majorations pour heures de nuit, indemnités de dépassement de l'amplitude journalière et indemnités de travail le dimanche compris,

227,13 euros bruts au titre des congés payés y afférent,

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [N] [P] à payer à la SARL Ambulances et Taxis Face la somme de 4 453,11 euros nets au titre la majoration de salaire pour tâches complémentaires ainsi que 445,31 euros nets au titre des congés payés y afférent.

Ordonne la compensation entre les créances respectives des parties.

Condamne la SARL Ambulances et Taxis Face face aux dépens de première instance et d'appel.

La GreffièreP/La Présidente régulièrement empêchée

La Conseillère


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 19/01722
Date de la décision : 21/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-21;19.01722 ?
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