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20/06/2022 | FRANCE | N°20/01756

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 3, 20 juin 2022, 20/01756


Arrêt n° 22/00270



20 Juin 2022

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N° RG 20/01756 - N° Portalis DBVS-V-B7E-FLFR

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Pole social du TJ de METZ -

23 Septembre 2020

17/01139

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ



CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale





ARRÊT DU



vingt Juin deux mille vingt deux





APPELANTE ET INTIMEE dans la procédure 20/1930



Madame [T] [N]
<

br>[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par M. Godedroy LOUIS (Délégué syndical ouvrier)

muni d'un pouvoir spécial



INTIMÉ ET APPELANT dans la procédure 20/1930



FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANT...

Arrêt n° 22/00270

20 Juin 2022

---------------

N° RG 20/01756 - N° Portalis DBVS-V-B7E-FLFR

------------------

Pole social du TJ de METZ -

23 Septembre 2020

17/01139

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt Juin deux mille vingt deux

APPELANTE ET INTIMEE dans la procédure 20/1930

Madame [T] [N]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par M. Godedroy LOUIS (Délégué syndical ouvrier)

muni d'un pouvoir spécial

INTIMÉ ET APPELANT dans la procédure 20/1930

FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Sabrina BONHOMME, avocat au barreau de METZ

INTIMEES également dans la procédure 20/1930

ZF Active Safety France S.A.S.

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jean Christophe GENIN, avocat au barreau de NANCY

CAISSE PRIMAIRE D' ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représentée par Mme [F], munie d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Février 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Sophie RECHT, Vice-Présidente placée

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : contradictoire

Prononcé publiquement après prorogation du 03.05.2022

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [T] [N], née le 3 juillet 1960, a travaillé pour la SAS [5] du 5 juillet 1976 au 30 juin 1977 et du 9 janvier 1978 au au 31 décembre 2010, comme agent d'atelier- machiniste et agent d'atelier- opérateur.

Le 21 juillet 2015, Madame [T] [N] a adressé à la Caisse primaire d'assurance maladie de Moselle (ci-après la caisse) une déclaration de maladie professionnelle au titre du tableau 30 B, avec, à l'appui, un certificat médical établi le 30 juin 2015 par le docteur [P] [W], pneumologue, faisant état d'une atteinte pleurale bénigne, plaques pleurales,chez un patient exposé professionnellement à de l'amiante, suite au scanner du 9 juin 2015.

Le 15 décembre 2015, la caisse a reconnu le caractère professionnel de la maladie, plaques pleurales, dont est atteinte Madame [T] [N] au titre du tableau 30B des maladies professionnelles.

Le taux d'IPP a été fixé à 5 % par la caisse et il a été alloué à Madame [T] [N] un capital de 1 948,44 euros à la date du 1er juillet 2015,lendemain de la date de consolidation.

Le 22 janvier 2016, Madame [T] [N] a saisi le FIVA d'une demande d'indemnisation de ses préjudices.

Le 18 février 2016, Madame [T] [N] a accepté l'offre de versement d'un capital de 27997,52 euros au titre des préjudices suivants : incapacité fonctionnelle ( 8297,52 euros), moral ( 18000 euros), physique (300 euros), et d'agrément ( 1400 euros) .

Par requête envoyée le 8 novembre 2017, Madame [T] [N] a saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale de la Moselle aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [5].

Le FIVA est intervenu à l'instance.

Par jugement du 23 septembre 2020, le Pôle social du Tribunal judiciaire de Metz, nouvellement compétent, a :

- déclaré le FIVA recevable en son action, en sa qualité de créancier subrogé ;

- débouté Madame [T] [N] et le FIVA de toutes leurs demandes ;

- condamné Madame [T] [N] et le FIVA à payer à la SAS [5] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Madame [T] [N] et le FIVA aux dépens engagés à compter du 1er janvier 2019 ;

- déclaré le jugement commun à la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle ;

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu que Madame [T] [N] n'avait pas rapporté la preuve que la société [5] n'avait pas pris toutes les mesures nécessaires pour préserver sa santé,au regard des connaissances scientifiques et des moyens techniques disponibles entre 1976 et 2010.

Par lettre recommandée expédiée le 1er octobre 2020, Madame [T] [N], a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR du 25 septembre 2020. Cette procédure a été enregistrée sous le numéro RG 20/1756.

Par déclaration reçue au greffe, le 22 octobre 2020, le FIVA a également interjeté appel total de cette décision qui lui a été notifiée, par LRAR du 25 septembre 2020.Cette procédure a été enregistrée sous le numéro RG 20/1930.

Par conclusions datées du 23 juillet 2021 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son représentant, Madame [T] [N] demande à la Cour de :

- infirmer le jugement du Pôle Social du Tribunal judiciaire de Metz rendu le 23 septembre 2020;

STATUANT A NOUVEAU

- déclarer recevable et bien fondé son appel ;

- dire et juger que la maladie professionnelle de Madame [T] [N] est due à une faute inexcusable de la société [5] ,

- dire et juger qu'il y a lieu de majorer à son taux maximum la rente capitalisée de 5%, sous réserve d'une aggravation de son état de santé modifiant le taux de rente en cours de procédure et allouer l'indemnité forfaitaire si elle est atteinte d'un taux d'IPP de 100% ;

condamner la société [5] à payer à Madame [T] [N] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du CPC.

Par conclusions datées du 7 juillet 2021 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son conseil, le FIVA demande à la Cour de :

- réformer le jugement entrepris, et, statuant à nouveau ;

- juger que la maladie professionnelle dont est atteinte Madame [T] [N] est la conséquence de la faute inexcusable de la Société [5] ,

- fixer à son maximum la majoration de l'indemnité en capital prévue à l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale, soit 1948,44 €,

- juger que la CPAM de Moselle devra verser cette majoration de capital au FIVA en sa qualité de créancier subrogé,

- juger que cette majoration devra suivre l'évolution du taux d'incapacité permanente de Madame [T] [N] , en cas d'aggravation de son état de santé,

- juger qu'en cas de décès de la victime résultant des conséquences de sa maladie professionnelle due à l'amiante, le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant.

- fixer l'indemnisation des préjudices personnels de Madame [T] [N] à la somme totale de 18 300.00 €, se décomposant comme suit :

* Souffrances morales18 000.00 €

* Souffrances physiques300.00 €

- juger que la CPAM de Moselle devra verser cette somme de 18 300.00 € au FIVA, créancier subrogé,

- condamner la Société [5] à payer au FIVA une somme de 1500.00 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- condamner la partie succombante aux dépens.

Par conclusions datées du 30 octobre 2020 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son conseil, la société [5], devenue la société [5], demande à la Cour de :

* A titre principal

- constater l'absence de faute inexcusable de la Société [5]

- confirmer en son intégralité le jugement du Tribunal judiciaire de Metz du 23 septembre 2020

- débouter Madame [N] et le FIVA de l'intégralité de leurs demandes.

* A titre subsidiaire :

- vu l'absence de tout élément probatoire caractérisant un préjudice de souffrances physiques et un préjudice d'agrément de Madame [T] [N] :

olimiter le montant de la majoration de la rente en capital au montant de cette rente,

orapporter l'indemnisation du préjudice moral à de plus justes proportions,

odire et juger n'y avoir lieu à réparation d'un quelconque préjudice personnel de souffrances physiques et d'agrément

* En tout état de cause

- condamner Madame [T] [N] et le FIVA au paiement de la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du CPC.

- les condamner aux entiers frais et dépens.

Par conclusions datées du 28 septembre 2021 soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie par son représentant, la caisse demande à la Cour de :

- donner acte à la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle qu'elle s'en remet à la sagesse de la Cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à la Société [5] ;

Le cas échéant :

- donner acte à la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle qu'elle s'en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de rente réclamée par le FIVA pour le compte de Madame [T] [N];

- dire et juger que la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle versera la majoration de l'indemnité en capital entre les mains du FIVA ;

- fixer la majoration de rente dans la limite de 1.948,44€ ;

- prendre acte que la caisse ne s'oppose pas à ce que la majoration de rente suive l'évolution du taux d'incapacité permanence partielle de Madame [T] [N] ;

- constater que la Caisse ne s'oppose pas à ce que le principe de la majoration de rente reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès de Madame [T] [N] consécutivement à sa maladie professionnelle ;

- dire et juger que la caisse versera entre les mains du FIVA la sommes susceptibles d'être allouées au titre titre de la majoration de l'indemnité en capital et des préjudices extrapatrimoniaux subis par Madame [T] [N] ;

- déclarer irrecevable la demande éventuelle d'inopposabilité de la société [5] ;

- condamner la Société [5], dont la faute inexcusable aura préalablement été reconnue, à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle les sommes (principal et intérêts) qu'elle sera tenue de verser à Madame [T] [N] et au FIVA au titre de la majoration de l'indemnité en capital, et au titre des préjudices extra-patrimoniaux.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.

SUR CE:

Il convient, dans le souci d'une bonne administration de la justice de joindre la procédure RG 20/ 1930 à celle n° RG 20/1756.

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR

Madame [T] [N] et le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA) soutiennent que sont démontrées l'absence de protection suffisante mise en oeuvre par la société [5] et la conscience du danger auquel la société exposait sa salariée. Ils se prévalent de l'absence d'aspiration efficace des poussières contenues dans les cartons des plaquettes de freins, l'absence de bonne aération, ventilation des bâtiments, l'insuffisance des aspirateurs pour empêcher le nettoyage manuel aux balais et soufflettes d'air comprimé, l'absence de consignes écrites pour informer le personnel des risques et des précautions à prendre concernant l'amiante, l'absence de notes de services informant le personnel sur la nocivité de l'amiante sur les tableaux d'affichage.

La société [5] fait valoir qu'elle ne pouvait pas avoir conscience du danger auquel était exposée sa salariée, dès lors que Madame [T] [N] n'a jamais réalisé de travaux sur l'amiante en son état brut, ni ne s'est livrée à des opérations impliquant la désagrégation de matériaux concernant de l'amiante. La société rappelle qu'elle n'utilisait que des produits finis à base d'amiante, à savoir les plaquettes de frein, et que, jusqu'en 1996, aucun des travaux mentionnés au tableau 30 ne ressemblait aux travaux effectués par Madame [T] [N], lequel n'a jamais fait et ne fait toujours pas à ce jour référence à une exposition d'ambiance,de sorte que jusqu'en 1996,l'employeur ne pouvait pas avoir conscience d'exposer sa salarié au risque amiante.

Elle souligne que seuls les ateliers de rivetage et de complétage travaillaient dans une atmosphère susceptible de contenir des poussières d'amiante, qu'elle s'était conformée en tous points à la réglementation en vigueur et a installé des dispositifs de protection individuelle et collective.

La société [5] soutient avoir également mis en oeuvre toutes les mesures de prévention nécessaires, ainsi que toutes les mesures de protection de ses salariés. Elle indique notamment avoir, dès 1979, été attentive à l'empoussièrement, ainsi que le démontrent les rapports sur l'activité du CHSCT et les analyses d'air régulièrement menées. Elle fait également état des suivis par la médecine du travail des personnels susceptibles d'avoir été exposés aux poussières d'amiante.

La Caisse s'en remet à l'appréciation de la cour.

*********

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise.Les articles L4121-1 et 4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l'employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur .Le manquement à son obligation de sécurité et de protection de la santé de son salarié a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L 452-1 du Code de la Sécurité Sociale , lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver .La preuve de la faute inexcusable de l'employeur incombe à la victime.

Sur la conscience du danger

Il est important de rappeler que la liste des travaux prévue au tableau 30B des maladies professionnelles est simplement indicative des travaux susceptibles d'entraîner les affections consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante, de sorte que ce tableau n'impose pas que le salarié ait directement manipulé des produits amiantés, seul important le fait qu'il ait effectué des travaux l'ayant conduit à l'inhalation de poussières d'amiante.

Dans le questionnaire assuré qu'elle a rempli, le 7 septembre 2015 complété du courrier rédigé le même jour, Madame [T] [N] expose avoir été exposée à l'amiante lors de l'usinage des pièces sur les machines outils dont certaines étaient équipées de freins ou d'embrayages moteur dont les garnitures étaient en amiante. Elle précise que lorsqu'elle travaillait à l'assemblage des freins à disques, elle manipulait plus de 300 plaquettes de freins à l'heure, et qu'à chaque assemblage des freins, les poussières des plaquettes contenant de l'amiante se déposaient sur le gabarit qu'elle devait nettoyer en fin de poste à l'aide d'un pinceau ou d'une soufflette.

Ses allégations sont confirmées par les témoignages d'anciens collègues de travail, [O] [S], [U] [J], [I] [Z], lesquels attestent de manière concordante de l'exposition de Madame [T] [N] à l'inhalation de poussières d'amiante lors des travaux effectués d'assemblage des freins et lors des opérations de nettoyage en fin de poste à l'aide d'un pinceau ou d'une soufflette .

Il ressort ainsi de ces attestations, malgré les contestations de la société [5], que Madame [T] [N] a bien été exposée habituellement aux poussières d'amiante dans le cadre de son activité professionnelle .

La conscience du danger de la société [5] doit ensuite être appréciée au moment de l'exposition au risque de sa salariée, soit à compter de 1976.

Il apparaît à cet égard que la dangerosité de l'amiante est connue en France depuis le début du XXème siècle au moins, notamment grâce au Bulletin de l'inspection du travail de 1906 faisant état de très nombreux cas de fibroses chez les ouvriers de filatures et tissage.

Dès 1913, dans les dispositions du décret du 13 juillet 1913 relatif à l'hygiène et à la sécurité des travailleurs, reprises ensuite dans le code du travail, le législateur a imposé à l'employeur de renouveler l'air des ateliers, précisant que les travailleurs devaient bénéficier de masques et de dispositifs de protection appropriés.

Dans les années 1930, plusieurs publications ont également alerté sur l'exposition professionnelle à l'amiante et le développement de certaines pathologies. Ainsi, en 1930, une publication du Docteur [X] dans la revue La médecine du travail établissait déjà un lien de causalité entre l'asbestose et le travail des ouvriers de l'amiante, et comprenait déjà des recommandations précises en direction des industriels sur les mesures à prendre afin de réduire l'empoussièrement. A partir de 1935 d'autres publications ont fait un lien entre l'exposition professionnelle à l'amiante et le cancer brocho-pulmonaire.

La société [5] ne pouvait pas non plus ignorer que le décret du 31 août 1950 a constitué le tableau 30 des maladies professionnelles et a désigné comme étant à l'origine des affections professionnelles d'asbestose, les travaux exposant à l'inhalation de poussières d'amiante, ne précisant qu'à titre indicatif par l'adverbe notamment, les travaux de cardage, de filature et de tissage de l'amiante.

Ensuite, le décret du 3 octobre 1951 a ajouté à cette liste indicative de travaux, ceux de calorifugeage au moyen d'amiante et la manipulation d'amiante à sec dans les industries de fabrication d'amiante ciment, de fabrication de joints en amiante, de fabrication de garnitures de friction et des bandes de freins à l'aide d'amiante.

Ainsi, dès le début des années 50, tout employeur avisé était tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de la fibre d'amiante. Cette obligation de vigilance et de prudence était d'autant plus actuelle pour la société [5] que celle-ci utilisait des plaquettes de frein contenant de l'amiante, notamment dans ses ateliers de rivetage impliquant le perçage desdites plaquettes.

Par ailleurs, le décret du 5 janvier 1976 a ensuite étendu la portée du tableau à d'autres affections professionnelles provoquées par les poussières d'amiante, à savoir les lésions pleurales et le cancer broncho-pulmonaire comme complication de l'asbestose, et le décret du 19 juin 1985 a établi une différenciation entre les diverses pathologies de l'amiante.

Un décret du 17 août 1977 a ensuite fixé des limites de concentration moyenne de fibres d'amiante dans les locaux de travail ainsi que les règles de protection générale ou à défaut individuelle à appliquer. Compte tenu de l'importance de la société [5], la conscience du danger présenté par l'utilisation de ce matériau devait alors être pleine et entière.

S'il a fallu attendre le décret du 22 mai 1996 pour ajouter à la liste indicative de travaux, ceux d'équipement, d'entretien ou de maintenance effectués sur des matériels ou dans les locaux et annexes revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante, travaux correspondant à ceux effectués par [T] [N], l'association du caractère indicatif des travaux concernés et de leur énumération soulignait que l'agent responsable demeurait la poussière d'amiante et non pas uniquement une situation de travail particulière ce qui aurait dû être de nature à attirer l'attention de l'employeur sur les dangers de l'amiante.

Enfin, il sera relevé que la société [5] dans ses écritures et pièces justifie de l'instauration d'un suivi médical de ses salariés dès 1981, ce qui démontre qu'elle avait bien conscience du danger auquel les salariés inhalant des poussières d'amiante étaient exposés.

Ainsi, compte tenu de ce qui vient d'être développé et compte tenu des emplois exercés par Madame [T] [N] , il en résulte que la société [5] ne pouvait ignorer le risque encouru par l'intéressée.

Sur l'absence de mesures prises

Il résulte des attestations précitées que Madame [T] [N] n'a pas bénéficié de protections respiratoires individuelles et collectives efficaces et qu'elle n'était pas informée des dangers de l'inhalation des poussières d'amiante sur sa santé.

Compte tenu des arguments présentés par la société [5] sur son souci de protéger la santé de ses salariés, la carence relatée par les témoins en termes de prévention et d'information des risques encourus ne se justifie pas.

Si la société [5] fait valoir les prescriptions particulières concernant l'amiante des divers CHSCT qui se sont tenus entre 1979 et 2001 (suivi médical par fiches individuelles, achat d'un aspirateur industriel, radiographies préliminaires), les explications d'ordre général qu'elle développe et les pièces qu'elle produit ne sont pas de nature à contredire les témoignages précités, et établissent principalement que la société a procédé aux contrôles des poussières d'amiante exigées par la réglementation et qu'elle a respecté l'interdiction d'utilisation de matériaux à base d'amiante posée par le décret du 24 décembre 1996. Notamment, il sera relevé que la société [5] n'établit aucunement que l'achat d'un aspirateur industriel à compter de 1981 a mis fin à l'utilisation des soufflettes à air comprimé, tel qu'évoquée par les témoins précédemment cités.

En outre, si la société [5] soutient que les actions de la médecine du travail ont nécessairement été portées à la connaissances des salariés concernés, elle ne démontre pas que Madame [T] [N] a bénéficié d'une information particulière concernant l'amiante et ne justifie d'aucune consigne écrite qu'elle a établie à destination des salariés pour les mettre en garde contre le risque amiante.

Il résulte ainsi de ce qui précède que la société [5], ayant conscience du danger auquel était exposée Madame [T] [N] et n'ayant pas pris les mesures de protection individuelle et collective nécessaires pour l'en préserver, a commis une faute inexcusable de sorte que le jugement entrepris doit être infirmé en ce sens.

SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES DE LA FAUTE INEXCUSABLE

Sur la majoration de l'indemnité en capital

Aux termes de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a le droit à une indemnisation complémentaire.

Aux termes de l'article L.452-2, alinéas 1, 2 et 6, du code de la sécurité sociale, « dans le cas mentionné à l'article précédent [faute inexcusable de l'employeur], la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre. Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité [...] La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret ».

En l'espèce, la CPAM de la Moselle a reconnu à Madame [T] [N] un taux d'incapacité permanente partielle de 5% qui s'est traduit par l'octroi d'une indemnité en capital de 1948,44 euros.

Ainsi il y a lieu de majorer à son maximum l'indemnité en capital allouée à Madame [N], soit la somme de 1948, 44 euros.

Compte tenu des sommes déjà versées par le FIVA à Madame [T] [N] au titre de l'incapacité fonctionnelle et afin de prévenir une double indemnisation, il y a lieu d'ordonner le règlement de cette majoration au FIVA, créancier subrogé.

Cette majoration suivra l'évolution du taux d'IPP de Madame [T] [N], et, en cas de décès de Madame [T] [N] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle due à l'amiante, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant.

Sur les préjudices personnels de Madame [T] [N]

Il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale qu'« indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. [...] La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur. »

La société [5] demande à la Cour de débouter le FIVA de sa demande au titre du préjudice physique et du préjudice d'agrément, et de ramener le montant du préjudice moral accordé à Madame [T] [N] à de plus justes proportions.

Le FIVA demande que le préjudice moral de Madame [T] [N] soit fixé à la somme de 18 000 euros et le préjudice physique à la somme de 300€ qu'il a payées à la victime .

ll fait valoir qu'il résulte de la rédaction de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale que les préjudices indemnisés par le capital ou la rente majorés sont totalement distincts des préjudices visés à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale ce que démontre également la rédaction de l'article L.434-2 du code de la sécurité sociale qui définit les critères retenus pour fixer le taux d'IPP.

Il expose que les plaques pleurales entraîne des souffrances physiques modérées. Il soutient l'existence d'un préjudice moral spécifique pour les victimes atteintes de maladies dues à l'amiante consistant dans l'anxiété permanente face au risque d'une dégradation à tout moment de l'état de santé.

La caisse s'en remet à la sagesse de la cour quant à la fixation de la réparation des préjudices extra-patrimoniaux de Madame [T] [N] .

*****************

ll résulte de l'article L 452-3 du Code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisés à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l'accident ou l'évènement qui lui est assimilé.

Ainsi que le rappelle justement le FIVA, l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévues par ce texte n'est pas subordonnée à une condition tirée de la date de consolidation ou encore de l'absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent qui n'est, ni prévue par ce texte, ni par les dispositions des articles L 434-1, L 434-2 et L 452-2 du Code de la sécurité sociale, puisque la rente servie après consolidation est déterminée par la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle ne comprenant pas la prise en compte de quelconques souffrances. Il s'ensuit que la rente et sa majoration n'indemnisent pas les souffrances endurées.

En l'espèce, le FIVA produit les pièces médicales suivantes : le compte-rendu du scanner thoracique du 9 juin 2015, les explorations fonctionnelles du 17 juin 2015 et le rapport médical d'évaluation du taux d'incapacité permanente avec ses conclusions motivées du 4 janvier 2016.

Si Madame [T] [N] s'est plainte , lors de son examen par le service médical de la caisse en vue de l'évaluation de son taux d'IPP en maladie professionnelle, le 5 novembre 2015, d'une dyspnée d'effort, les symptômes qu'elle décrit à les supposer établis et imputables à sa maladie professionnelle, ce que les pièces produites ne démontrent pas, seraient des troubles fonctionnels déjà réparés par l'indemnité en capital versée. ( cf pièce n° 16 du FIVA)

Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté le FIVA de sa demande présentée au titre des souffrances physiques subies par Madame [T] [N].

S'agissant des souffrances morales, Madame [T] [N] était âgée de 54 ans lorsqu'elle a appris qu'elle était atteinte de plaques pleurales . L'anxiété liée à l'annonce d'une maladie irréversible due à l'amiante et aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance sera réparée par l'allocation d'une somme de 13 000 euros de dommages et intérêts, eu égard à la nature de la pathologie en cause et à l'âge de Madame [T] [N] au moment de son diagnostic.

*******************************

En conséquence, en application de l'article L 452-2 et L 452-3 du code de la sécurité sociale , la caisse, tenue au versement de la majoration d'indemnité en capital et au montant réparant le préjudice moral de la victime , dispose d'une action récursoire contre l'employeur pour obtenir le remboursement de ces sommes.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

La société [5], qui succombe à hauteur d'appel, sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer au FIVA et à Madame [T] [N] la somme de 1500 euros, à chacun, de ce chef.

La société [5], partie succombante, sera condamnée aux dépens de première instance dont les chefs sont nés postérieurement au 31 décembre 2018 et aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

ORDONNE la jonction de la procédure n° RG 20/1930 à celle n° RG 20/1756.

INFIRME le jugement entrepris du Pôle social du Tribunal Judiciaire de Metz du 23 septembre 2020.

Statuant à nouveau,

DIT que la maladie professionnelle du tableau n° 30B du 30 juin 2015 dont se trouve atteinte Madame [T] [N] a pour origine la faute inexcusable de la société [5] devenue [5].

ORDONNE la majoration au maximum de l'indemnité en capital versée à Madame [T] [N], soit la somme de 1948,44 euros.

DIT que la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle versera le montant de cette majoration au FIVA, créancier subrogé.

DIT que cette majoration pour faute inexcusable suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle de Madame [T] [N] en cas d'aggravation de son état de santé due à sa maladie professionnelle.

DIT qu'en cas de décès de Madame [T] [N] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant.

FIXE à la somme de 13000 euros l'indemnité réparant le préjudice moral subi par Madame [T] [N].

DEBOUTE le FIVA de ses demandes portant sur les souffrances physiques .

En conséquence,

DIT que la CPAM de Moselle devra verser au FIVA la somme de 13000 euros correspondant au préjudice moral de Madame [T] [N].

CONDAMNE la société [5] à rembourser à la CPAM de Moselle les sommes que l'organisme de sécurité sociale sera tenu d'avancer au FIVA sur le fondement des articles L. 452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale.

CONDAMNE la société [5] à payer au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la société [5] à payer à Madame [T] [N] la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile .

CONDAMNE la société [5] aux dépens de première instance dont les chefs sont nés postérieurement au 31 décembre 2018 et aux dépens d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 3
Numéro d'arrêt : 20/01756
Date de la décision : 20/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-20;20.01756 ?
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