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14/06/2022 | FRANCE | N°20/00407

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 14 juin 2022, 20/00407


Arrêt n° 22/00320



14 juin 2022

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N° RG 20/00407 -

N° Portalis DBVS-V-B7E-FHN3

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Thionville

09 janvier 2020

18/00259

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1







ARRÊT DU



Quatorze juin deux mille vingt deux







APPELANTE :


>S.A.R.L. ACTION MULTI SERVICES prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Marion DESCAMPS, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Carlos DE CAMPOS, avocat a...

Arrêt n° 22/00320

14 juin 2022

---------------------

N° RG 20/00407 -

N° Portalis DBVS-V-B7E-FHN3

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Thionville

09 janvier 2020

18/00259

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Quatorze juin deux mille vingt deux

APPELANTE :

S.A.R.L. ACTION MULTI SERVICES prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Marion DESCAMPS, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Carlos DE CAMPOS, avocat au barreau de REIMS, avocat plaidant

INTIMÉE :

Mme [C] [E]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Maud GIORIA, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 février 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

Mme Laëtitia WELTER, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Anne FABERT, Conseillère, substituant la Présidente de Chambre régulièrement empêchée et par Mme Hélène BAJEUX, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS

Mme [E] [C] a été embauchée par la SARL Action Multi Sevices selon avenant à contrat à durée indéterminée à temps partiel après changement d'attributaire d'un marché signé le 2 janvier 2012, avec reprise d'ancienneté au 9 septembre 2002, en qualité d'agent de service, affectée au Centre Leclerc de [Localité 3].

Par avenant à effet du 11 février 2013, elle a été promue chef d'équipe classée CE2, le contrat étant soumis à la convention collective nationale des entreprises de propreté. Son dernier salaire hors primes était de 1 658,47 euros bruts pour 135,94 heures de travail.

Le 23 septembre 2017, M. [Z], gérant de l'entreprise, dont le siège est à [Localité 4], s'est rendu sur le lieu de travail de la salariée, suite à une plainte du client, et un incident l'a opposé à celle ci.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 septembre 2017, qui confirmait sa mise à pied à titre conservatoire, Mme [E] était convoquée à un entretien préalable fixé au 5 octobre 2017, auquel elle ne s'est pas présenté, ayant indiqué que pour des raisons de santé elle n'avait eu connaissance de ce courrier que le jour même.

Mme [E] a été licenciée pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 octobre 2017

Par acte introductif enregistré au greffe le 04 décembre 2018, Madame [E] a saisi le Conseil de prud'hommes de Thionville aux fins de :

- Dire et juger la demande de Mme [C] [E] recevable et bien fondée,

- Ordonner la requalification de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Condamner la S.A.R.L ACTION MULTI SERVICES à verser à Mme [E] les sommes suivantes :

* Indemnité compensatrice de préavis : 4 182,00 € Bruts,

* Congés payés y afférents : 418,20 € Bruts,

* Indemnité légale de licenciement: 3 049,37 € Nets,

* rappel de salaire pour les heures supplémentaires réalisées : 986,28 Euros Bruts,

* congés payés y afférents : 98,62 Euros Bruts

* prime d'expérience y afférente: 49,31 Euros Bruts,

* rappel de salaire au titre de la classification de Mme [E] au niveau MP2: 3352,34 Euros Bruts,

* congés payés sur rappel de salaire: 335,23 Euros Bruts,

* Prime d'expérience afférente au rappel de salaire découlant de la reclassification de Mme [E] au niveau MP2: 167,32 Euros Bruts,

* Rappel de salaire pour un temps complet: 8 372,36 Euros Bruts,

* congés payés y afférents : 837,23 Euros Bruts,

* Prime d'expérience afférente au rappel de salaire découlant de la reclassification de Mme [E] au niveau .MP2: 418,62 Euros Bruts,

- Dire que ces sommes produiront intérêts légaux à compter de la demande introductive

d'instance,

* Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse: 18 000,00 Euros Nets,

* Dommages et intérêts pour remise tardice des documents de fin de contrat: 1 500,00 Euros

Nets,

* Dommages et intérêts pour non respect du repos hebdomadaire obligatoire: 4 500,00 Euros

- Dire que ces sommes produiront intérêts légaux à compter du jour du jugement à intervenir,

* Article 700 du Code de Procédure Civile: 1 500,00 Euros,

- Condamner la partie défenderesse à délivrer à Mme [E], ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document, à compter du 8ème jour suivant la notification de la décision, un bulletin de salaire de régularisation et l'attestation Pôle Emploi rectifiés conformément au jugement à intervenir,

- Dire que le Conseil se réservera le droit de liquider l'astreinte le cas échéant,

- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

- Condamner la partie défenderesse aux entiers frais et dépens au visa de l'article 696 du Code de Procédure Civile.

Par jugement du 09 janvier 2020, le Conseil de prud'hommes de Thionville, section commerce a statué ainsi qu'il suit :

- Requalifie le licenciement prononcé pour faute grave à l'encontre de Mme [C] [E] par la S.A.R.L ACTION MULTI SERVICES en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- Dit que le contrat de travail liant les parties au litige est requalifié en contrat de travail à temps plein à compter du 1er décembre 2015,

En conséquence,

- Condamne la S.A.R.L ACTION MULTI SERVICES prise en la personne de son représentant légal, à payer à Madame [C] [E] les sommes suivantes :

* 3 970, 72 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 397,07 € bruts au titre des congés payés y afférents,

* 3 049,37 € nets au titre de l'indemnité légale de licenciement,

* 7 729,92 Euros Bruts à titre de rappel de salaire découlant de la requalification du contrat de travail liant les parties au litige en contrat de travail à temps plein,

* 772,99 Euros Bruts à titre de congés payés afférents audit rappel de salaire,

* 386,49 Euros Bruts à titre de prime d'expérience afférente audit rappel de salaire

Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du jour de la demande introductive d'instance, soit le 9 mai 2018,

* 12 904,84 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 250 € à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat

Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement, soit le 9 janvier 2020,

* 750,00 € sur le fondement des dispositions de !'article 700 du Code de Procédure Civile,

- Ordonne à la S.A.R.L ACTION MULTI SERVICES de délivrer à Madame [G] [H] un bulletin de salaire de régularisation des éléments de salaire octroyés dans le présent jugement, et l'attestation destinée à Pôle Emploi, documents établis conformément au présent jugement, ce sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document à compter du huitième jour suivant la notification de la décision,

- Dit que le Conseil se réserve la faculté de procéder à la liquidation de !'astreinte le cas

échéant,

- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement sur le fondement des dispositions de l'article 515 du Code de Procédure Civile, ce pour l'ensemble des condamnations qui y sont prononcées,

- Condamne la S.A.R.L ACTION MULTI SERVICES aux dépens de l'instance.

Par déclaration formée par voie électronique le 07 Février 2020 et enregistrée au greffe le jour même, la société ACTION MULTI SERVICES a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par ses dernières conclusions datées du 04 janvier 2021, la société AMS demande à la Cour de :

- Recevoir LA SARL ACTION MULTI SERVICES en son appel et la déclarée bien fondée,

En conséquence,

- Infirmer dans la mesure utile, le jugement rendu par le Conseil des prud'hommes de

Thionville en date du 9 janvier 2020 ;

Et statuant à nouveau,

- Dire et juger que le licenciement pour faute grave de Madame [E] est parfaitement justifié,

En conséquence,

- Débouter Madame [E] de l'intégralité de ses demandes et prétentions ;

- Dire et juger que Madame [E] ne remplit pas les conditions pour bénéficier du statut d'agent de maîtrise MP2 de la convention collective des entreprises de propreté; En conséquence,

- Débouter Madame [E] de sa demande de rappel de salaire au titre de la classification ;

- Dire et juger que la SARL ACTION MULTI SERVICES s'est parfaitement conformée aux dispositions de l'article L 3123-22 du Code du travail ;

En conséquence,

- Débouter Madame [E] de sa demande de requalification du contrat de travail à temps partiel, en contrat de travail à temps complet ;

- Débouter Madame [E] de sa demande de rappel de salaire sur heures supplémentaires ;

- Débouter Madame [E] de sa demande au titre du repos hebdomadaire obligatoire ;

- Dire et juger que Madame [E] a abandonné toutes prétentions au titre des primes de panier ;

- Dire et juger que Madame [E] ne justifie d'aucun préjudice lié à la remise des

documents de fin de contrat ;

- En conséquence,

- Débouter Madame [E] de sa demande de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat ;

- Condamner Madame [E] au paiement d'une somme de 2000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la même aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions datées du 08 juillet 2020, Madame [E] demande à la Cour de :

- Déclarer la société ACTION MULTI SERVICES mal fondée en son appel.

- Le rejeter.

- Dire et juger la société ACTION MULTI SERVICES irrecevable en son exception

d'irrégularité procédurale des demandes de Madame [E] en rappel de salaires et de dommages et intérêts pour non-respect du repos hebdomadaire obligatoire.

- Confirmer le jugement R.G. n° F 18/00259 rendu par le Conseil de prud'hommes de

THIONVILLE le 9 janvier 2020

- Déclarer Madame [C] [E] recevable et bien fondée en son appel incident. En conséquence,

- Condamner la société ACTION MULTI SERVICES à payer à Madame [C] [E] les sommes de :

- 4.182,00 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 418,20 € bruts au titre des congés payés y afférents,

- 986,28 € bruts à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires réalisées, outre 98,62 € bruts au titre des congés payés y afférents et 49,31 € bruts au titre de la prime d'expérience y afférente,

- 3.352,34 € bruts de rappel de salaire au titre de la classification de Madame [E] au niveau MP2, outre 335,23 € au titre des congés payés afférents et 167,62 € bruts au titre de la prime d'expérience y afférente,

- 8.372,36 € bruts à titre de rappel de salaire pour un temps complet, outre 837,23 € bruts au titrer des congés payés y afférents et 418,62 € bruts au titrer de la prime d'expérience y afférente, avec intérêts au taux légal à compter de la demande,

- 18.000,00 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 4.500,00 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect du repos hebdomadaire

obligatoire, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir.

En toute hypothèse,

- Condamner la société ACTION MULTI SERVICES à payer à Madame [C] [E] la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC.

- Condamner la société ACTION MULTI SERVICES aux entiers frais et dépens au visa de l'article 696 du même code.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 mai 2021.

Il convient en application de l'article 455 du Code de procédure civile de se référer aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le bien-fondé du licenciement

- La lettre de licenciement pour faute grave de Mme [E] en date du 20 octobre 2017 énonce que :

« (') nous vous notifions par la présent votre licenciement sans préavis, ni indemnité pour faute grave et ceci pour les motifs suivants :

Le 22 septembre 2017, nous avons appris qu'une auto-laveuse était en panne. Il s'avère que nous avons eu cette information par le client qui, par ailleurs, nous demandait d'intervenir sur le site, ce dernier étant sale, ce que vous avez constaté par vous-même.

Le lendemain, je me suis déplacé sur le site pour constater les manquements dont nous avez fait part le client.

Quelle ne fut pas ma surprise de vous trouver dans le local de nettoyage à 6h30 en train de prendre un café et de manger des gâteaux et que d'après vos dires vous étiez en pause depuis 6h10.

J'ai par ailleurs fait le tour du magasin et je me suis apperçu qu'effectivement le nettoyage n'était pas fait correctement, pire sans aucune méthode. En effet, les sanitaires clients étaient nettoyé, une partie des caisses seulement, et deux agents effectuaient le nettoyage manuel des rayons sans que ceux-ci soient balayé et lavé à l'autolaveuse.

Renseignement pris auprès de vos collègues, il s'avère que vous arrivez en retard tous les matins.

Le 22 septembre, lors de mon passage, il s'avère que vous êtes arrivé à 5h44, comme le démontre les images de la vidéosurveillance du magasin.

Le lendemain, vous êtes arrivée à 5h44.

Je vous rappelle que vous commencez votre service à 5h10....

Toutefois, il s'avère que ces deux exemples ne sont pas isolés :

vos collègues de travail m'ont informé que vous les sollicitez pour vous remplacer lors de vos permanences du mardi, car vous auriez des réunions TUPPERWEAR

vous arrivez tous les matins entre 5H30 ' 6H00

vous signalez vos absences pour raison de santé à Madame [V], sans que nous en soyons informé, et pire encore, en pointant vos heures.

Plus encore, vos collègues m'ont fait part lors de mon déplacement de votre attitude à leurs égards. Celles-ci m'ont indiqué que vous les rabaissiez en permanence, et ce, en présence du personnel du centre LECLERC. Ces dernières n'ont pas hésité à utiliser le terme d'harcèlement moral.

De plus, nous avons fait appel, à votre demande, à votre tante, Madame [G] [H], en renfort sur ce site les vendredis de 12h00 à 15h00 et les samedis de 12h00 à 14h00.

Sur ce point, les autres salariées m'ont affirmé ne jamais l'avoir vu sur ce site à ces périodes. Renseignement pris auprès du magasin et après visionnage des vidéo-surveillance, il s'avère qu'effectivement Mme [H] ne s'est jamais présentée sur son lieu de travail.

Les autres salariés évoquent une connivence entre vous deux et que vous couvrez ses absences pour qu'elle puisse noter ses heures de travail....

Enfin, il s'avère que vous quittez votre poste les samedis et vendredis pendant votre prestation sur les cellules (parfumerie « une heure pour soi », parapharmacie, etc...), prétextant des heures à récupérer. Parfois vous restez assise dans le local de nettoyage avec votre portable en envoyant votre collègue effectuer vos prestations.

Nous ne pouvons tolérer ce comportement qui nuit à notre image auprès des clients, mais aussi à vos rapports avec les autres salariés.

De plus, l'ensemble de ces faits constitue un manquement particulièrement grave de vos obligations découlant de votre contrat de travail (...) »

La Cour rappelle que lorsque l'employeur invoque une faute grave du salarié pour prononcer un licenciement avec effet immédiat, il lui incombe d'apporter la preuve des griefs avancés dans les termes énoncés par la lettre de licenciement, à charge ensuite pour le juge d'apprécier le caractère réel et sérieux de ces griefs et de rechercher s'ils constituaient une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La lettre de licenciement retient en l'occurrence plusieurs griefs :

- une pause effectuée le 23 septembre 2017 entre 6h10 et 6h30 durant les horaires de travail (encore qu'il s'agit plutôt d'une observation, comme le mauvais nettoyage du magasin et le manque de méthode),

- des retards répétés à la prise de poste le matin,

- des remplacements demandés aux collègues durant sa permanence du mardi pour des réunions Tupperware,

- des absences maladie signalées à Mme [V] (autre chef d'équipe), mais pas à l'employeur, mais néanmoins notées comme heures de travail,

- une attitude déplacée envers les collègues s'assimilant à du harcèlement moral,

- une connivence pour couvrir l'absentéisme de sa tante, Mme [H], les vendredis et samedis après-midi,

- des abandons de poste les vendredis et samedis et des moments où elle reste dans le local de service et envoie ses collègues effectuer ses prestations.

Pour justifier de ces griefs, l'employeur produit :

- un document manuscrit, daté du 29 septembre 2017, signé par six personnes, Mme [J], Mme [V], Mme [W], Mme [Y], Mme [B] et Mme [R], dont les documents d'identité figurent en annexe, se présentant comme salariées de la société Action Multi Services exerçant la fonction d'agent de service sur le site du centre commercial Leclerc, indiquant vouloir dénoncer des faits de « malfaçon » concernant leur chef d'équipe, Melle [E] [C] et mentionnant :

« Retard permanent : arrive sur le lieu de travail vers 5h30-6h au lieu de 5h10, boit son café avec collègues à 6h15 (quand il n'a pas d'amertumes- ouverture ' -) de ce fait, ne respecte pas son travail.

Certains mardis elle sollicite les collègues de la remplacer pour sa permanence de 8h30 à 14h ne pouvant l'assurer (pour raison de réunion ou livraison de colis TUPPERWAR), payant ses heures de main à main voir jamais.

Des matins, envoie un message à Mme [V] signalant son absence pour raison de santé, n'en informant pas sa hiérarchie et pointe ses heures.

Elle nous rabaisse, dévalorise notre qualité de travail devant les clients et personnel du LECLERC à haute et virulente voix perpétuellement ceux qui nous déstabilisent et considérons comme du harcèlement moral.

Concernant Mme [H] [G] (sa tante) en renfort de permanence vendredi de 12h à 15h et samedi de 12h à 14h : n'est jamais présente, de connivence entre elles, pointe aussi ses heures. Elle est remplacée soit par des collègues ou par Mme [E] rarement, mais la personne de permanence se retrouve seule la plus part du temps.

Melle [E] [C] en renfort de régie le vendredi de 9h à 12h et samedi de 9h à 11h50 après sa prestation des cellules (Parfumerie « une heure pour soi » - Parapharmacie ' Sport ' 2 Dénération -Valège) de nettoyage rapide, reste dans le local assise avec son portable ou s'en va prétextant qu'elle a des heures à récupérer. Je peux en témoigner, moi, Mme [V], de permanence à ces heures. »

La preuve étant libre en droit social, ce document n'a pas à être écarté des débats, même s'il ne s'agit pas d'une attestation conforme à l'article 202 du code de procédure civile, mais plutôt d'une pétition rédigée apparemment par Mme [V], également chef d'équipe, exposant les griefs des salariées de l'équipe à l'encontre de Mme [E] et signée par chacune d'elles.

- des attestations de témoin en bonne et due forme rédigées par cinq de ces mêmes salariées, qui indiquant toutes confirmer leurs dires sur Mme [E], en précisant :

* Mme [U] [Y], qu'elle atteste sur l'honneur que Mme [E] [C] lui a demandé de la remplacer quelques fois pour sa permanence le mardi de 8h30 à 14h, le vendredi de 9h à 11h, ainsi que le samedi de 9h à 11h, sans pointer des heures sur la feuille d'heures, précisant qu'elle lui donnerait de l'argent qu'elle n'a jamais reçu ;

* Mme [K] [O], dont le témoignage est difficilement lisible, mais qui explique que plusieurs fois elle a remplacé Mme [E] pour sa permanence le mardi de (') à 14h, le vendredi de 8h30 à 12h et le samedi de 8h30 à 11h50, lui ayant précisé de ne pas pointer ces heures sur la feuille d'heures et qu'elle lui donnerait de l'argent qu'elle n'a jamais eu.

Elle évoque de même des remplacements de Mme [H] les vendredi et samedi.

Ce témoin précise que le jour où elle a eu son CDI Mme [E] lui a réclamé 400 euros qu'elle lui a donné.

* Mme [A] [R], qui évoque elle aussi des remplacements que lui a demandé Mme [E] plusieurs fois lors de ses permanences, le mardi de 8h30 à 14h, le vendredi de 8h30 à 12h et le samedi de 8h30 à 11h50, ou parfois les vendredi et samedi de 8h30 à 9h, avec cette même injonction de ne pas noter ces heures sur sa feuille d'heures et la même promesse de lui payer ces heures, mais non tenue.

Ce témoin évoque aussi une demande d'un montant de 200 euros lorsqu'elle a eu son CDI, mais qu'elle a refusé de payer, car un contrat ne s'achète pas.

* Mme [F], dans une syntaxe approximative, rapporte que Mme [E] arrive régulièrement en retard, 5h30 ou 6h au lieu de 6h, qu'elle boit tranquillement son café et (a priori) qu'elle ne fait pas son travail, « nous le faisons à sa place », ajoutant que :

« Elle s'absente sans prévenir le bureau et nous demande (de) nous taire. Elle nous harcèle chaque jour et nous parle mal devant les clients.

Mme [H] [G] (sa tante) n'assume jamais sa permanence de vendredi et samedi. Elle fait remplire (apparemment remplacer) part ses collègues sous les ordres de [C] »

Ce témoin évoque aussi des dires de ses collègues sur des remplacements demandés certains mardis car elle travaille chez Tupperware.

* Mme [X] [V], dont le témoignage reprend le contenu du manuscrit collectif susvisé, dont elle était la rédactrice ;

- deux photographies issues du système de vidéosurveillance du magasin montrant une personne, dont il n'est pas contesté qu'il s'agit de Mme [E], en tenue de ville avec veste et portant un sac à main, dans la galerie du centre commercial, les deux clichés datés l'un du 22-09-2017 à 05:44:24, l'autre du 23-09-2017 à 05:41:40

Mme [E] conteste la licéité de ce moyen de preuve, car elle n'a pas été informée de l'utilisation de ce dispositif, se référant à l'article L. 1222-4 du code du travail.

Ce moyen de preuve est cependant licite, dès lors que ce texte ne prohibe que la mise en place d'un système clandestin de surveillance ayant pour unique objet le contrôle des salariés. Tel n'est pas le but en l'occurrence des caméras de sécurité installées dans la galerie marchande du centre commercial, qui ont pour objet d'assurer la surveillance des lieux contre tout acte malveillant et la sécurité de tous les usagers de ce centre et non spécifiquement permettre au détenteur du système de surveillance, en l'espèce la société Leclerc, de suivre l'activité des prestataires intervenant pour son compte.

S'agissant des feuilles d'heures auxquelles se réfèrent les témoins, l'appelante en produit certaines que lui a envoyé Mme [E] chaque fin de mois, qui en produit elle-même un certain nombre, il est relevé qu'il s'agit d'un formulaire intitulé « Feuille d'heures à rendre impérativement le 30 de chaque mois », se présentant sous forme d'un tableau avec une colonne « chantier » et des colonnes numérotées de 1 à 31, pour chaque jour du mois, portant en mentions manuscrites le nom de la salariée le mois concerné, pour chaque jour l'indication de divers horaires, avec en correspondance dans la rubrique chantier les diverses tâches, correspondant à celles assignées par le contrat de travail et ses divers avenants, soit généralement des prestations au sein du magasin (Leclerc [Localité 3] -matin ou prestations matin) de 5h10 à 8h30, puis une permanence certains jours, un renfort permanence d'autres jours pour les horaires suivants, généralement de 8h30 à 14h.

Ce document comporte aussi une mention «  afin d'éviter toutes réclamations, veuillez détailler la nature, le lieu du chantier et, le cas échéant, la personne remplacée lorsqu'il s'agit de remises en état ou de travaux exceptionnels bien le noter également. »

En l'occurrence, les feuilles d'heures produites par Mme [E] mentionnent régulièrement le remplacement d'autres salariées durant leur permanence ou quelques fois des travaux exceptionnels, dont parfois la nature est précisée.

De l'ensemble de ces éléments, la Cour retient que :

- même si elles ne font pas mention de dates précises, ce qui n'est pas un impératif, les faits n'étant à l'évidence pas prescrits, ne serait-ce qu'eu égard aux deux retards des 22 et 23 septembre 2017, les collègues de travail de Mme [E] sont unanimes pour rapporter que de manière récurrente cette dernière leur demandait, notamment au motif de son activité parallèle de vente pour Tupperware, de la remplacer dans son travail, trois d'entre elles expliquant aussi que Mme [E] leur demandait de ne pas noter ces heures, donc le fait qu'elles l'avaient remplacée, sur leurs feuilles d'heures contre promesse d'un paiement de ces heures par elle-même, mais finalement non tenue.

Si cette demande spécifique et cette promesse ne sont pas évoquées dans la lettre de licenciement, elles confirment néanmoins ce que cette lettre laisse sous-entendre, à savoir que Mme [E] se faisait remplacer durant des heures où elle était sensée travailler, à l'insu de son employeur, lesquelles heures étaient néanmoins notées, comme pour certaines absences pour raison de santé dont témoigne Mme [V], sur sa feuille d'heures comme ouvrées ' en l'espèce toutes les feuilles d'heures au nom de Mme [E] mentionnent qu'elle a effectué ses heures le mardi, jour spécifiquement visé par cette lettre de licenciement, outre des vendredis et samedis où elle était présente, mais est partie plus tôt sous prétexte d'heures à récupérer ou est restée dans le local de service et a fait faire son travail par ses collègues, comme en témoigne Mme [V], qui précise en avoir été témoin car elle est de permanence aux mêmes heures.

Même si Mme [E] qualifie les déclarations de ses collègues de mensongères, elle ne produit cependant aucun élément autre que des témoignages de commerçants ou clients du centre commercial, qui évoquent sa présence sur le lieu de travail, dont le samedi matin pour l'une des clientes, et la qualité de son travail, ou de deux personnes travaillant pour Tupperware qui mentionnent des réunions en fin d'après-midi ou le soir, qui sont insuffisants à les remettre en cause.

Il n'existe en l'occurrence aucun motif de douter de la sincérité des témoignages produits par l'employeur, réitérés individuellement en avril ' mai 2018 au vu de leur date, après le document collectif établi peu après la mise à pied de la salariée.

- les retards réguliers de Mme [E] à sa prise de poste le matin, outre la pause café, non autorisée, qui la suivait avant l'ouverture du centre commercial, sont également suffisamment justifiés par les témoignages produits et confirmés pour les deux jours successifs des 22 et 23 septembre par les photographies qui confirment l'arrivée tardive sur site de la salariée, qui pourtant a noté sur toutes ses feuilles d'heures, y compris pour ces deux jours spécifiques, systématiquement un début de prestation de travail à 5h10.

Pour justifier de ce retard, Mme [E] prétend qu'en fait, avant de franchir les portes du magasin, elle effectuait d'autres tâches par ailleurs, au drive ou au centre auto situés hors de la galerie marchande, mais, en dehors de l'attestation d'une employée du magasin, qui évoque le fait que Mme [E] venait parfois à 4h les jours d'inventaire mensuels pour apporter son aide, cette affirmation, formellement contestée par l'employeur qui fait observer que la salariée était obligée de passer au PC sécurité pour récupérer la clé du centre auto et par le local de service pour sa tenue de travail, n'est pas justifiée.

La Cour observe que sur les deux photographies, Mme [E] est, comme déjà relevé, en tenue de ville et porteuse de son sac à main, et des documents produits, dont des mails de la salariée elle-même (son annexe 48) et les feuilles d'heures indiquent que la priorité des tâches avant 8h30 le matin est le nettoyage du magasin Leclerc avant son ouverture au public.

- trois des témoins confirment aussi les faits concernant Mme [H], la tante de Mme [E], qui se faisait remplacer certains jours à certaines heures, où elle était absente, tout en notant ses heures, ceci en connivence avec sa nièce (cette salariée a fait également l'objet d'un licenciement, validé par arrêt distinct de notre Cour).

Mme [E] évoque encore, pour dénoncer le bien-fondé de son licenciement, des courriels envoyés à l'employeur, ceci dès 2013 et en dernier lieu le 2 juin 2017, pour dénoncer les conditions de travail difficiles, notamment à raison des travaux entrepris sur le site et des exigences du client, et le manque de personnel, mais aucun lien direct ou indirect ne peut être établi entre la remontée de ces difficultés relevant de son rôle de chef d'équipe et les faits ayant motivé ce licenciement, qui sont les révélations faites par les autres salariées à M. [Z] lors de sa venue sur place le 23 septembre 2017, rappel étant fait que le siège de la société est à [Localité 4], ce qui ne facilite pas des contrôles réguliers.

En définitive, la preuve de la réalité des griefs est suffisamment rapportée par l'employeur, la Cour ne retenant pas néanmoins le « harcèlement moral », celui-ci étant insuffisamment caractérisé par les témoignages produits.

Compte tenu de leur nature et de leur répétition, ces griefs sont non seulement sérieux, mais constituaient aussi une violation par Mme [E] de l'obligation principale née de son contrat de travail d'accomplir les prestations convenues durant le temps de travail assigné d'une importance telle qu'elle empêchait la poursuite des relations contractuelles.

Le jugement entrepris, dont la Cour relève qu'il est dépourvu de toute motivation relativement aux faits de l'espèce, sera donc infirmé pour qu'il soit dit que le licenciement pour faute grave de Mme [E] était fondé, la salariée étant par conséquent déboutée de toutes ses prétentions en lien avec ce licenciement.

Sur les autres demandes

* Sur la fin de non recevoir soulevée par l'appelante

La SARL Action Multi Services invoque l'irrecevabilité des demandes accessoires formulées par Mme [E] devant le conseil de prud'hommes par des conclusions postérieures à sa requête initiale qui ne portait que sur le licenciement, au visa des articles R. 1452-1 à R. 142-4 du code du travail, estimant que ces demandes additionnelles ne se rattachent pas aux prétentions initiales par un lien suffisant.

Mme [E] estime qu'il s'agit d'une exception de procédure qui aurait du être soulevée in limine litis.

Cependant, il s'agit bien d'une fin de non recevoir tenant à l'admissibilité des prétentions d'une partie.

Il convient en l'occurrence de rappeler que sont recevables devant le conseil de prud'hommes toutes les demandes relatives tant à la rupture qu'à l'exécution du même contrat de travail, ce contrat constituant le lien suffisant existant entre elles, de sorte que cette fin de non recevoir, nouvelle en cause d'appel, ne saurait prospérer.

* Sur la classification

Mme [E] demande un rappel de salaire en estimant que son emploi relevait d'une classification agent de maîtrise MP2, dont la convention collective applicable, celle des entreprises de propreté, après avoir rappelé que les critères pour un même échelon sont cumulatifs et se cumulent avec les critères des échelons inférieurs, donne la définition suivante :

« Caractéristique générale :

Aptitude de service : il conseille et propose des solutions dans son environnement professionnel,

Autonomie-initiative : conformité aux directives ; prend des décisions déléguées ;

Technicité : exerce des fonctions techniques, commerciales et/ou d'encadrement ;

Responsabilité : organise le travail, choisit les moyens et les matériels à utiliser, ainsi que les coûts ;

MP1 :

Autonomie-initiative : il assure les liaisons fonctionnelles et hiérarchiques et/ou il participe à l'élaboration des programmes d'exécution et fait des propositions sur les moyens à mettre en 'uvre pour réaliser le cahier des charges ;

Technicité : il sait faire et gérer un budget à partir de critères techniques ou économiques et/ou possède des connaissances permettant de sélectionner et utiliser des méthodes, procédures, prodtuits et équipements qu'il sait adapter et transformer en tenant compte des contraintes,

Responsabilité : il organise et contrôle les travaux d'exécution sur un ou plusieurs sites, anime les équipes de travail et assure le respect des consignes de sécurité ;

MP2 :

Autonomie-initiative : il peut prendre des initiatives pour apporter des modifications ponctuelles ou des mesures ou actions préventives correctrices des programme d'exécution et participe aux études,

Technicité : il organise et anime des rencontres clients,

Responsabilité : il sait respecter les objectifs pour atteindre les résultats et les normes qualitatives et quantitatives. »

Comparativement, la classification de chef d'équipe CE2, qui était celle de Mme [E], est définie ainsi, toujours selon le principe de cumul :

«  « Caractéristique générale :

Aptitude de service : il conseille et propose des solutions dans son environnement professionnel,

CE1 :

Autonomie-initiative : il suit et adapte des directives précises et impératives,

Technicité : il participe aux travaux ; il applique des méthodes de base d'animation d'équipe,

Responsabilité : personnel qui assure la coordination d'une équipe relevant des qualifications AS1 à AS3 et la bonne exécution des travaux. Il veille au respect de la discipline et des consignes d'hygiène et de sécurité.

CE2 :

Autonomie-initiative : il peut prendre des initiatives afin de résoudre les problèmes et rechercher les solutions ;

Technicité : il peut participer aux travaux. Il connaît et applique les méthodes de travail propres à ses activités et procédés spécifiques nécessaires à la réalisation de son activité ;

Responsabilité : il gère et adapte les moyens mis à sa disposition. »

En l'espèce, il est constant que Mme [E] exécutait elle-même des travaux de nettoyage au sein du centre commercial Leclerc de Fameck et s'occupait en outre de gérer les plannings de l'équipe composée d'une autre chef d'équipe, Mme [V], et de divers agents de service, notamment de faire des propositions pour le remplacement des salariés absents, et de remonter à la direction de l'entreprise les demandes et doléances du client.

Si les quelques mails et documents qu'elle produit montrent qu'elle a parfois recommandé à son employeur des personnes qu'elle connaissait pour un recrutement, dont sur deux autres sites du client Leclerc à [M] et [L] et ponctuellement effectué, avec son équipe, des travaux sur ce dernier site pour sa remise en état, recommandé un patron de restaurant qu'elle connaissait cherchant un nouveau prestataire pour le ménage et transmis à M. [Z] un devis pour des plaquettes de la société, tout en écrivant «  je ne me suis et je ne me permettrais JAMAIS de faire quoi que ce soit au nom de la société sans votre accord » et « comme d'hab j'attend les consignes », ces éléments sont notoirement insuffisants à justifier, alors que cette preuve lui incombe, qu'elle remplissait les conditions pour être classée comme agent de maîtrise au niveau 2.

En l'occurrence, ses tâches étaient cohérentes avec sa classification comme chef d'équipe, animant une équipe avec une marge d'initiative limitée, tout en participant aux travaux, avec les moyens mis à sa disposition et sous la supervision de la direction de l'entreprise, alors que celle d'agent de maîtrise MP2 requiert une délégation du pouvoir de décision, l'agent de maîtrise étant un relais de la hiérarchie, avec une plus large autonomie, une participation active à l'élaboration des programmes d'exécution, cahier des charges et études, la capacité à élaborer et gérer un budget, la supervision complète d'un ou plusieurs sites, sans référence à une participation personnelle aux travaux, enfin l'exercice habituel de fonctions tant techniques que commerciales, dont l'organisation et l'animation de rencontres avec les clients.

La demande de reclassification de la salariée ne saurait donc prospérer et le jugement entrepris doit être confirmé pour l'avoir déboutée de sa demande subséquente de rappel de salaire à ce titre.

* Sur la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein.

Mme [E] soutient que la société Action Multi Services lui a demandé régulièrement d'accomplir des heures complémentaires ayant eu pour effet de porter son temps de travail à un temps plein, de sorte qu'elle demande la requalification de son contrat de travail au visa de l'article L. 3123-9 du code du travail.

L'employeur se réfère pour sa part, d'une part à l'article L. 3123-22 du code du travail qui dispose qu'une convention collective peut prévoir la possibilité, par un avenant au contrat de travail, dans la limite de 8 avenants par an et par salarié, d'augmenter temporairement la durée de travail fixée au contrat et prévoir la majoration salariale des heures effectuées dans le cadre de cet avenant, d'autre part aux dispositions de la convention collective des entreprises de propreté, qui dérogent aux dispositions légales limitant le recours aux heures complémentaires, en l'occurrence à l'article 6.2.6 de cette convention collective qui prévoit que de telles heures peuvent être effectuées dans la limite de 1/3 de la durée du travail inscrite au contrat de travail, moyennant une majoration de salaire de 10% dans la limite de 1/10 du temps partiel prévu à ce contrat et de 25% au delà.

Cette disposition de la convention collective ajoute qu'en cas de recours pendant deux mois à plus de 10% d'heures complémentaires par rapport à la durée inscrite au contrat de travail la durée de travail est automatiquement augmentée du nombre d'heures complémentaires effectuées en moyenne chaque mois, sous réserve d'un préavis de 7 jours et sauf opposition du salaire intéressé.

Mme [E] soutient que ces dispositions ne seraient pas applicables aux avenants conclus par elle dans la mesure où ils ne respecteraient pas les conditions de l'article 6.2.5.2 de la même convention collective qui stipule que le complément d'heures fera l'objet d'un avenant écrit au contrat de travail signé des deux parties et devant a minima comporter les mentions suivantes : le motif du recours au complément d'heures, le nom de la personne remplacée en cas de remplacement, l'échéance de la période du complément d'heures, exprimée de date à date, la garantie pour le salarié du retour automatique aux dispositions contractuelles antérieures à l'échéance de la période de complément d'heures, sauf accord contraire des parties, la durée contractuelle de travail durant la période de complément d'heures, la répartition de cette durée de travail suivant les dispositions légales ou conventionnelles, la rémunération mensualisée comprenant le complément d'heures (avec ce rappel que les heures effectuées dans le cadre de cet avenant sont rémunérées sur la base du taux horaire majoré de 10%).

En l'espèce, la Cour relève que, sur la période non prescrite, soit après le 4 décembre 2015, Mme [E] a conclu, selon les documents produits par elle, sept avenants qui mentionnent tous une durée définie d'application, de jour à jour, un objet unique, à savoir le remplacement de Mme [P], avec le motif de son absence, le nombre des heures complémentaires, le taux horaire du salaire, le salaire mensuel supplémentaire et le lieu, les jours et heures de travail correspondant aux heures convenues, lesquels répondent donc aux exigences de l'article susvisé, si ce n'est la mention de la garantie d'un retour aux dispositions contractuelles antérieures à la fin de l'avenant et de la durée totale contractuelle de travail durant la période du complément d'heures.

Cependant la convention collective ne prévoit pas de sanction en cas d'une telle omission et la violation de ces conditions de forme ne peut impliquer, comme le soutient Mme [E], à défaut de nullité spécifique, qu'elle priverait l'employeur de se prévaloir des autres conditions d'application des dispositions sur les heures complémentaires, qui sont elles des conditions de fond, encore moins entraîner de facto la requalification du contrat de travail à temps plein.

Par contre, si l'on se réfère aux tableaux produits par l'employeur, conformes aux bulletins de salaire de l'intimée, qui mentionnent les heures complémentaires à 110% et supplémentaires à 125% ponctuellement accomplies par la salariée, s'il s'avère que les heures en question n'ont jamais excédé le tiers du temps de travail habituel de la salariée, soit pour 135,94 heures stipulées au contrat de travail un maximum de 45,30 heures, il en ressort aussi que contrairement à ce que soutient l'appelante, durant deux mois consécutifs en juin et juillet 2016, - où Mme [E] a été payée sur une base d'un temps plein, soit 151,67 heures incluant selon l'employeur les heures complémentaires (sans majoration de 10% '), donc à raison de 15,73 heures par mois (151,67 ' 135,94), plus 4,28 euros heures supplémentaires à 125% en juin 2016, 2,16 heures complémentaires à 110% en sus et 6 heures complémentaires de nuit majorées à 200% en juillet 2016 -, la salariée a réalisé plus de 10% d'heures complémentaires (soit plus de 13,59h) par rapport à la durée inscrite au contrat de travail, de sorte que cette durée de travail aurait due automatiquement être augmentée du nombre d'heures complémentaires effectuées en moyenne chaque mois.

Par ailleurs ces tableaux et bulletins de salaire font apparaître que des heures complémentaires ont été réalisées par Mme [E], notamment en novembre et décembre 2016, le dernier avenant produit datant de juillet 2016, et courant 2017, sans que l'employeur ou la salariée ne produisent d'avenants qui les auraient stipulées, ce qui est une condition de fond dont la violation implique l'application du droit commun au lieu du droit consensuel dérogatoire, donc de la disposition de l'article L. 3123-9 du code du travail qui dispose que les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée de travail d'un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail

Mme [E] est donc fondée de se prévaloir d'une requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat à temps plein, tant du fait du mécanisme

susvisé stipulé à la convention collective que du droit commun, et ce à compter du mois d'août 2016 qui a suivi les deux mois de travail à temps plein.

Il sera donc fait droit à sa demande de rappel de salaire, de congés payés et de prime d'expérience pour la période d'août 2016 à septembre 2017, sur la base du calacul non contesté effectué par elle, soit une somme totale de 4 881,65 euros au titre du salaire, 488,16 euros pour les congés payés afférents et 255,17 euros au titre de la prime d'expérience.

Le jugement entrepris sera amendé pour retenir ces montants.

* Sur les heures supplémentaires

Mme [E] soutient que la société Action Multi Service lui aurait demandé d'effectuer le nettoyage de la cellule de la parfumerie « Une heure pour soi » de 8h30 à 9h tous les samedis matin, ce que conteste fermement l'employeur, mais ne lui aurait pas payé ce temps de travail.

Cependant, l'unique attestation produite par la salariée, émanant d'une personne, Mme [T], ayant travaillé dans cette parfumerie de juin 2008 à juin 2016, est insuffisante, à raison de ses contradictions, puisqu'elle parle aussi d'un nettoyage fait par les équipes de Mme [E] avant ouverture ou le soir, magasin fermé, pour établir tant la réalité de ces heures que surtout le fait qu'elles auraient été accomplies par l'intimée sur ordre express de l'employeur sur son temps de pause, puisque ses horaires des vendredi et samedi prévoyaient une coupure d'une demie-heure entre 8h30 et 9h.

Le jugement entrepris sera donc confirmé pour avoir débouté Mme [E] de sa demande à ce titre.

* Sur le non respect du repos hebdomadaire obligatoire

Mme [E] fait valoir qu'à plusieurs reprises au mois de décembre elle a travaillé les dimanches de 10h à 19h, de sorte que l'employeur n'a pas respecté les dispositions de l'article L. 3132-1 du code du travail qui interdit de faire travailler un salarié plus de six jours par semaine et de l'article L. 3132-2 du même code prévoyant un repos hebdomadaire d'une durée minimale de 24 heures auxquelles s'ajoutent les heures consécutives de repos quotidien, soit 11 heures.

Elle demande par conséquent une indemnisation pour ce manquement à hauteur de 500 euros par semaine, soit pour neuf semaines la somme de 4 500 euros.

L'employeur évoque la possibilité d'accorder un repos compensateur et indique que l'horaire prévu pour les dimanches en question, dont il conteste le nombre, aurait en fait été de 6h30 à 10h.

Mme [E] produit en l'espèce d'abord des plannings pour les mois de décembre 2014, 2015 et 2016, dont il ressort de façon certaine, par indication de son nom, qu'elle a travaillé en renfort le dimanche 20 décembre 2015 de 9h à 11h50 et deux dimanches en 2016, en renfort le 11 de 10h à 12h30 et de permanence le 18 de 10h à 14h30, mais aussi des mails adressés à l'employeur le 1er décembre 2014 et le 30 novembre 2015 avec des plannings rectifiés, qui indiquent qu'elle a aussi travaillé les trois dimanches de chacune de ces années aux horaires de service habituels de 6h30 à 10h en 2014 et de 6h15 à 10h en 2015.

Elle ne produit pas ses feuilles d'heures pour les mois concernés, mais l'employeur ne verse lui-même aux débats aucun élément qui viendrait contredire ceux de la salariée, dont le bulletin de salaire de décembre 2016 (celui de 2015 n'est pas produit) fait apparaître le paiement de 15,66 heures supplémentaires à 200% pouvant correspondre aux heures travaillées les trois dimanches.

Il a y alors lieu de retenir que le non respect du repos hebdomadaire par l'employeur, qui ne justifie d'aucun repos compensateur accordé à l'intimée en contrepartie de ces dimanches ouvrés, alors que son contrat de travail prévoit qu'elle travaille habituellement du lundi au samedi, et peu important les horaires effectivement prévus, a concerné six semaines et il sera accordé à la salariée un montant de 1 500 euros pour ces six semaines consécutives sans repos, à raison de 250 euros par semaine, le jugement entrepris étant amendé sur ce point.

* la remise tardive des documents de fin de contrat

Mme [E] fait valoir qu'elle n'a reçu que début décembre 2017 les documents de fin de contrat et demande donc la confirmation du jugement qui lui a alloué 250 euros de dommages et intérêts à ce titre.

La salariée justifie en l'occurrence qu'elle a du adresser une lettre recommandée avec accusé de réception à l'employeur le 27 novembre 2017 pour lui rappeler que dans la lettre de licenciement il avait indiqué envoyer ces documents par courrier séparé, mais qu'elle n'avait rien reçu et donc le mettre en demeure de s'exécuter dans les huit jours et par un courrier de Pôle Emploi que ce n'est qu'à partir du 17 janvier 2018 qu'elle a été admise au bénéfice de l'ARE, donc avec retard.

Ces éléments sont suffisants pour justifier de son préjudice et le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a fait droit à sa demande de dommages et intérêts pour le montant retenu.

Sur le surplus

La demande de remise de documents rectifiés sous astreinte est devenue sans objet, compte tenu des termes de cet arrêt et le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.

Mme [E] succombant sur l'essentiel de ses demandes, dont celles concernant le licenciement, elle supportera les dépens de première instance et d'appel.

L'équité n'impose pas par contre l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties, chacune succombant partiellement.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement entrepris pour :

- avoir condamné la SARL Action Multi Services à payer à Mme [C] [E] la somme de 250 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

- avoir débouté Mme [C] [E] de ses demandes de rappel de salaire, de congés payés et de prime d'expérience au titre de la reclassification et des heures supplémentaires ;

Infirme ce jugement pour le surplus et, statuant à nouveau dans cette limite,

Dit que le licenciement de Mme [C] [E] pour faute grave était fondé ;

Requalifie le contrat de travail à temps partiel de Mme [C] [E] en contrat de travail à temps plein à compter du 1er août 2016 ;

Condamne la SARL Action Multi Services à payer à Mme [C] [E] les sommes de :

- 4 881,65 euros bruts à titre de rappel de salaire suite à la requalification de son contrat de travail à temps plein,

- 488,16 euros bruts pour les congés payés afférents,

- 255,17 euros bruts au titre de la prime d'expérience afférente,

- 1500 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect du repos hebdomadaire obligatoire en décembre 2015 et décembre 2016 ;

Déboute Mme [C] [E] du surplus de ses fins et prétentions ;

Condamne Mme [C] [E] aux dépens de première instance et d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

La GreffièreP/La Présidente régulièrement empêchée


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 20/00407
Date de la décision : 14/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-14;20.00407 ?
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