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23/05/2022 | FRANCE | N°20/01068

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 23 mai 2022, 20/01068


ARRÊT N°22/00313



23 mai 2022



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N° RG 20/01068 -

N° Portalis DBVS-V-B7E-FJKQ

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Conseil de Prud'hommes de STRASBOURG

Décision du 14 juin 2017

RG n° F 16/00702



Cour d'Appel de COLMAR

Arrêt du 26 juin 2018

RG n° 17/02868



Cour de cassation

Arrêt du 27 mai 2020



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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ


Chambre Sociale-Section 1



RENVOI APRÈS CASSATION





ARRÊT DU



Vingt trois mai deux mille vingt deux





DEMANDEUR À LA REPRISE D'INSTANCE :



S.A.S.U. OCTAPHARMA prise en la personne de son repré...

ARRÊT N°22/00313

23 mai 2022

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N° RG 20/01068 -

N° Portalis DBVS-V-B7E-FJKQ

------------------------------

Conseil de Prud'hommes de STRASBOURG

Décision du 14 juin 2017

RG n° F 16/00702

Cour d'Appel de COLMAR

Arrêt du 26 juin 2018

RG n° 17/02868

Cour de cassation

Arrêt du 27 mai 2020

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

RENVOI APRÈS CASSATION

ARRÊT DU

Vingt trois mai deux mille vingt deux

DEMANDEUR À LA REPRISE D'INSTANCE :

S.A.S.U. OCTAPHARMA prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Hervé HAXAIRE, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Jean SCHACHERER, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

DÉFENDEUR À LA REPRISE D'INSTANCE :

Monsieur [A] [W]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Reine DJOTANG-NGNIA, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 25 octobre 2021, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

Mme Laëtitia WELTER, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Anne FABERT, Conseillère, substituant la Présidente de Chambre régulièrement empêchée et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS

M. [A] [W] a embauché le 27 avril 2009 par la SAS Octapharma, sous contrat à durée déterminé, en qualité d'agent de fabrication. A compter du 1er juillet 2010, la relation de travail s'est poursuivie selon contrat à durée déterminée.

La relation de travail relevait de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique.

En dernier lieu, M. [W] percevait une rémunération brute de 2 140,86 € par mois.

M. [W] a été convoqué par courrier du 1er février 2016 à un entretien préalable fixé au 9 février 2016.

Par lettre du 18 février 2016, il a été licencié pour faute grave, pour avoir tenu le 31 décembre 2015 des propos dégradants, à caractère sexuel, à l'égard d'une collègue de travail.

Par demande enregistrée au greffe le 28 juin 2016, modifiée à l'audience quant au montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Strasbourg aux fins de :

- dire et juger que la rupture de son contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- en conséquence, condamner la SAS Octapharma à lui payer les montants suivants :

. 19 693,35 € (au lieu de 10 533,65 € dans la demande initiale) au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

. 6 807,02 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

. 680,70 € au titre des congés payés sur préavis ;

. 40 842,12 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner en outre la SAS Octapharma à lui verser 2 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les frais et dépens de la procédure.

La SAS Octapharma s'opposait aux demandes formées à son encontre et sollicitait 2 000,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement prononcé le 14 juin 2017, le conseil de prud'hommes de Strasbourg, section industrie, a statué de la façon suivante :

- dit et juge que le licenciement pour faute grave de M. [W] est requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

- en conséquence, condamne la SAS Octapharma à verser à M. [W] les montants suivants :

. 19 693,35 € au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;

. 6 807,02 € au titre du préavis ;

. 680,70 € au titre des congés payés sur préavis ;

- ordonne l'exécution provisoire de droit ;

- fixe le salaire moyen des trois derniers mois de M. [W] à 3 597,00 € ;

- condamne la SAS Octapharma à verser à M. [W] la somme de 850,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne la SAS Octapharma aux entiers frais et dépens ;

- déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Par déclaration du 28 juin 2017, la SAS Octapharma a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par un arrêt du 26 juin 2018, la Cour d'appel de Colmar, chambre sociale, a statué ainsi qu'il suit :

Infirme le jugement en ce qu'il a requalifié le licenciement de M. [W] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

. dit que le licenciement de M. [W] est sans cause réelle et sérieuse ;

. condamne en conséquence la SAS Octapharma à payer à M. [W] la somme de 27 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

. confirme le jugement pour le surplus ;

Y ajoutant,

. condamne la SAS Octapharma à payer à M. [W] la somme de 1 200,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

. rejette la demande formée par la SAS Octapharma au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

. condamne la SAS Octapharma aux dépens.

La SAS Octapharma a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Par une décision du 27 mai 2020, la Cour de cassation, chambre sociale a, au visa des articles L 1234-1 et L 1234-9 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, considéré que la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en estimant le licenciement de M. [W] disproportionné alors qu'elle avait constaté que le salarié avait tenu à l'encontre d'une collègue de travail des propos dégradants à caractère sexuel, ce qui était de nature à rendre impossible son maintien dans l'entreprise.

La Cour de cassation a dès lors dans son arrêt statué ainsi qu'il suit :

Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne M. [W] aux dépens.

Par déclaration formée par voie électronique le 1er juillet 2020, la SAS Octapharma a saisi la Cour d'appel de Metz désignée dans la décision de la Cour de cassation du 27 mai 2020, en qualité de juridiction de renvoi.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 décembre 2020, la SAS Octapharma demande à la cour de :

Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Strasbourg en ce qu'il a :

. Requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

. Condamné la SAS Octapharma à payer à M. [W] :

- 19 693,35 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

- 6 807,02 € brut au titre du préavis ;

- 680,70 € brut au titre des congés payés sur préavis ;

- 850,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

. Débouté la société de ses demandes ;

Statuant à nouveau :

. Dire et juger que le licenciement de M. [W] est justifié par une faute grave ;

. Débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes ;

. Subsidiairement, et dans le cas où la faute grave n'était pas retenue :

. débouter M. [W] de sa demande d'indemnité de licenciement,

. subsidiairement en limiter le montant à 13 089,76 € et encore plus subsidiairement à 13 798,30 € ;

. subsidiairement limiter le montant de l'indemnité de préavis à 6 403,92 € ;

. Très subsidiairement, et dans le cas où la cause réelle et sérieuse n'était pas retenue, débouter M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause :

. Condamner M. [W] au paiement de la somme de 3 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

. Condamner M. [W] aux entiers frais et dépens de l'instance.

Par ses dernières conclusions enregistrées au greffe le 28 octobre 2020, M. [A] [W] demande à la Cour de :

Infirmer la décision du conseil de prud'hommes de Strasbourg en ce qu'il a jugé que la rupture du contrat de travail de M. [W] s'analyse en un licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau : dire et juger que le licenciement de M. [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence :

. Condamner la SAS Octapharma à payer à M. [W] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 108 049,54 €, à titre de dommages et intérêts ;

En tout état de cause, confirmer la décision du conseil de prud'hommes de Strasbourg en ce qu'il a condamné la SAS Octapharma à verser à M. [W] les indemnités de rupture de son contrat de travail ;

En conséquence :

. Condamner la SAS Octapharma à payer à M. [W] les montants suivants :

- 19 693,35 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 6 547,74 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 654,77 € au titre des congés payés sur préavis ;

. Condamner la SAS Octapharma à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile un montant qui ne saurait être inférieur à 850,00 € pour la procédure devant le conseil de prud'hommes de Strasbourg, à 1 200,00 € pour la procédure devant la cour d'appel de Colmar, à 3 600,00 € pour la procédure devant la Cour de cassation et à 2 500,00 € pour la procédure devant la cour d'appel de Metz ;

. Condamner la SAS Octapharma aux entiers frais et dépens de la présente procédure ainsi que ceux nés des procédures antérieures.

Les parties ont repris oralement, lors de l'audience, leurs conclusions écrites auxquelles il est renvoyé pour un plus large exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

Lorsque l'employeur invoque une faute grave du salarié pour prononcer un licenciement avec effet immédiat, il lui incombe d'apporter la preuve des griefs avancés dans les termes énoncés par la lettre de licenciement, à charge ensuite pour le juge d'apprécier le caractère réel et sérieux de ces griefs et de rechercher s'ils constituaient une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et les motifs invoqués devant être suffisamment précis, objectifs et vérifiables.

En l'espèce, la lettre de licenciement datée du 18 février 2016 est rédigée de la façon suivante :

« Nous avons été informés le 8 janvier 2016 par le CHSCT que des propos dégradants et désobligeants, à caractère sexuel, auraient été proférés par vous. Sans aucun préjugé, nous avons décidé de diligenter une enquête pour savoir ce qui c'était exactement passé, et avons entendu différentes personnes présentes pour avoir une connaissance exacte des faits ; ce qui nous a amenés par la suite à vous convoquer.

Ainsi, il a été constaté que le 31 décembre 2015, un peu avant midi, en salle de pause, vous preniez un café en présence de collègues de travail, à savoir notamment Monsieur [O] et Monsieur [L]. Madame [V] est alors arrivée et a indiqué qu'elle était fatiguée. Vous disant qu'elle savait à quoi vous pensiez, vous lui avez demandé si elle savait vraiment à quoi vous pensiez, à plusieurs reprises ; ce à quoi elle vous a répondu qu'elle savait. Vous lui avez ensuite dit, en présence de plusieurs collègues : « tu sais que j'ai envie de te casser le cul » !'

Suite à cet événement, des rumeurs ont circulé. Vous avez vous-même réagi. Madame [V] a confié à un membre du CHSCT qu'elle avait la boule au ventre et avait peur de se faire agresser par vous. Elle a d'ailleurs fait part de problèmes qu'elle a rencontrés avec vous en 2014 pour lesquels votre supérieur vous avait couvert (vous aviez baissé vos sous-vêtements pour faire mine de lui montrer vos parties génitales).

Ces propos qui présentent une connotation sexuelle et ouvertement sexiste sont dégradants et rabaissants, et vont à l'encontre de la dignité, en particulier de celle des femmes. Il ne saurait être accepté que vous profériez de tels propos à une collègue dans un contexte professionnel, au sein de l'entreprise, alors que l'employeur doit protéger la santé physique et mentale des salariés, et prévenir les risques. Il vous incombe également de prendre soin de la santé et de la sécurité des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.

Vous avez gravement manqué à vos obligations. Ces manquements sont d'une importance telle que cela rend impossible votre maintien dans l'entreprise ; ils sont constitutifs d'une faute grave.

Lors de l'entretien, si vous avez reconnu des « propos déplacés », vous avez largement sous-estimé la portée de vos actes, en prétextant qu'il n'y avait aucune injure, mais qu'il s'agirait d'une simple vulgarité. Pire, vous avez dit par la suite que si une telle situation devait se reproduire, vous n'arriverez pas à vous maîtriser car c'est dans votre caractère,et, vous pensez que nous défendons Madame [V] par le simple fait que la Directrice et votre supérieure sont des femmes !' Cela ne nous permet pas de modifier notre appréciation de la situation. »

M. [A] [W] reconnaît avoir tenu les propos qui lui sont reprochés à la date du 31 décembre 2015 mais invoque les différents arguments suivants pour démontrer que le licenciement prononcé contre lui est disproportionné et de ce fait dépourvu de toute cause réelle et sérieuse :

- Ses propos auraient été sortis de leur contexte et ne revêtent pas de connotation sexuelle :

M. [W] reconnaît dans sa demande introductive d'instance du 28 juin 2016 (page 5) et dans ses conclusions en appel du 20 octobre 2017 (page 7) avoir tenu ces propos « sur le ton de la plaisanterie et de la surenchère » et que c'était son « souhait (...) d'avoir le dernier mot qui l'a conduit à tenir des propos malheureux à l'égard de sa collègue ».

Le contexte de stress invoqué par M. [W], qui expliquerait qu'il a tenu ses propos après qu'il ait échangé avec Mme [V] à cinq reprises des interrogations sur le fond de ses pensées, n'est pas démontré par les témoins (MM. [H], [Z] et [L]) qui ne dénoncent pas de comportement provocateur ou agressif de la part de Mme [V], et aucune circonstance ne pouvant justifier par ailleurs l'emploi d'une expression dont il reconnaît rapidement auprès de son employeur le caractère vulgaire.

Dans les conclusions du 28 juin 2016 et du 20 octobre 2017, M. [W] n'invoque pas le fait que l'expression «casser le cul » doit être prise dans le sens du mot « importuner », et l'utilisation, reconnue par M. [W], de cette expression à la première personne du singulier ne peut être interprétée que dans le sens lui donnant une connotation sexuelle.

Cette interprétation de l'expression utilisée dans un sens sexiste, à caractère sexuel, est également reconnue du bout des lèvres par M. [A] [W] qui admet dans ses dernières conclusions (page 11) « qu'il n'avait pas d'idée ni de démarche sexuelle envers sa collègue, même si le mot qu'il a prononcé peut laisser penser le contraire ».

Par ailleurs, l'attestation de Mme [YP], responsable unité de production fractionnement au sein de la SAS Octapharma ayant participé à l'enquête après remontée de l'altercation le 8 janvier 2016 par M. [B], membre du CHSCT, montre que M. [W] admettait lors d'un entretien du 12 janvier 2016 avoir tenu les propos litigieux, que M. [L] a confirmé ces propos devant elle et aurait indiqué à M. [W] qu'il devait apprendre à se tenir, certaines choses ne se disant pas, et que plus personne ne parlait suite aux propos vulgaires proférés par M. [W], de sorte que le contexte de la plaisanterie ne peut pas être soutenu de bonne foi.

- l'illétrisme de M. [W] et l'absence d'information, de formation et d'adaptation par l'employeur de son salarié à l'évolution de l'emploi quant au langage autorisé en milieu professionnel :

Les entretiens d'évaluation de M. [W] établis les 19 juillet 2013, 3 mai 2014 et 9 juin 2015 ne signalent pas de difficultés pour le salarié à comprendre les consignes, notamment écrites, mais mentionnent, au titre des attentes, la capacité à se contrôler en situation de stress (2012-2013) ou en toute situation (2013-2014), la maîtrise de soi (objectif 2014-2015).

Si M. [W] a pu dissimuler à son entourage professionnel qu'il ne maîtrisait pas la lecture et l'écriture, quand bien même il réussirait à remplir des questionnaires d'évaluation, le fait pour M. [W] d'être illettré, tout comme le défaut de formation par l'employeur « sur les règles de langage à tenir en milieu professionnel », s'ils sont avérés, n'empêchent pas le salarié de connaître les règles de base de la vie en société, telles que le respect des personnes et de leur dignité, et de savoir que tenir des propos dégradants et vulgaires envers des collègues constitue une faute dans l'exécution loyale de son contrat de travail dans la mesure où ils sont susceptibles de perturber voire d'empêcher le fonctionnement normal de l'entreprise qui a besoin d'une certaine cohésion entre ses salariés pour fonctionner.

- le comportement de Mme [V] :

M. [W] estime que Mme [V] tient des propos mensongers, ajoute que le jour des faits elle a fait preuve d'un comportement provocateur et conclut en contestant le trouble invoqué par celle-ci suite aux propos qu'il a tenu à son égard.

Si les salariés témoins de l'altercation du 31 décembre 2015 ( MM. [Z] et [L]) contestent les déclarations, formées par Mme [V] dans son attestation, relatives au fait que dans la conversation M. [W] a voulu lui faire reconnaître qu'ils ont eu des relations sexuelles, il est constant que M. [W] a répondu à Mme [V] qu'il aimerait bien lui « casser le cul ».

Seuls ces propos étant retenus comme griefs à l'encontre de M. [W] dans la lettre de licenciement, et non le fait que M. [W] ait voulu faire reconnaître à Mme [V] qu'il avait eu des relations sexuelles avec elle, il convient de constater que le grief est avéré, reconnu par M. [W] et confirmé tant par Mme [V] que par les témoins (MM. [H], [Z] et [L]).

Aucun élément ne vient confirmer en outre l'allégation de M. [W] qui indique que Mme [V] a eu un comportement provocateur.

M. [W] souligne par ailleurs que Mme [V] n'est pas sortie immédiatement de la pièce, de sorte qu'il conteste les propos de celle-ci quand elle indique à sa supérieure avoir quitté la pièce, honteuse, suite à la remarque de M. [W].

L'absence de trouble occasionné à Mme [V] par les propos de M. [W] ne peut cependant se déduire du fait que celle-ci n'a pas eu de réaction visible immédiate (pleurs ou départ précipité) ni qu'elle n'ait pas fourni de certificat médical.

La SAS Octapharma verse aux débats l'attestation de M. [Y] [M], ouvrier, qui confirme que suite à l'altercation litigieuse Mme [V] ne se sentait pas bien, mal à l'aise à cause du regard que les gens portaient sur elle.

Mme [J], technicienne de fabrication de médicaments, atteste en outre avoir été témoin du comportement insistant de M. [W] envers Mme [V] à plusieurs reprises, celui-ci lui faisant des avances qu'elle repoussait, et Mme [V] s'étant plainte à elle indiquant qu'elle ne supportait plus l'attitude de M. [W].

L'attestation de Mme [N], responsable hiérarchique de Mme [V], montre également que celle-ci a été perturbée pendant plusieurs semaines, que suite à l'altercation du 31 décembre 2015 avec M.[W] elle a perdu sa joie de vivre, sa volonté de bien faire et son énergie au travail, et que Mme [V] lui a confié lors d'un entretien courant janvier 2016 qu'elle avait peur de venir sur le site, de croiser M. [W], qu'elle n'avait plus le goût de la vie et songeait même à quitter l'entreprise. Mme [N] fait en outre état dans son attestation que la détresse morale de Mme [V] était palpable au moment des faits et pendant plusieurs semaines.

L'ensemble de ces éléments démontre la réalité du trouble causé à Mme [V] par les propos tenus par M. [W], l'absence de comportement fautif de la part de Mme [V] et la réalité des propos tenus par M. [W] qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement.

- le comportement de M. [A] [W] :

M. [W] indique s'être excusé immédiatement et être par ailleurs très apprécié de ses collègues pour son comportement et son travail. Il ajoute que sa franchise est souvent mal appréciée par la société qui l'aurait sanctionné de façon disproportionnée.

S'il résulte des nombreuses attestations de collègues de M. [W], tant masculins (MM. [H], [R], [X], [U], [P], [I], [D], [K], [T], [L], [G], [E], [ET], [S]) que féminins (Mmes [F], [C]) que M. [A] [W] était très apprécié de ses collègues qui soulignaient ses qualités professionnelles (consciencieux, disponible, efficace) et personnelles (sympathique, toujours positif, agréable, ne posant pas de problème), il convient de constater que la lettre de licenciement ne formule aucun grief à l'encontre de M.[W] sur ses qualités professionnelles ou sur d'autres comportements fautifs qu'il aurait eu vis-à-vis d'autres salariés.

Par ailleurs, aucun élément ne permet de confirmer que M. [W] s'est excusé immédiatement auprès de Mme [V], l'attestation de M. [Z] indiquant que M.[W] a présenté ses excuses à Mme [V] sans préciser à quel moment elles ont été formées, le témoin ajoutant même que « sachant que cela pourrait lui causer des problèmes (M. [A] [W]) a préféré aller présenter ses excuses. Mais malgré les excuses, une convocation préalable à une sanction lui (a) été adressée ».

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il convient de constater que M. [W] a bien tenu des propos dégradants à caractère sexuel à l'encontre de Mme [V] le 31 décembre 2015, qui par ailleurs ont été prononcés publiquement (présence de trois témoins collègues de travail) et ont donné lieu à des rumeurs dans les semaines suivant l'altercation dans l'entreprise.

Ces propos portant gravement atteinte au respect de la personne et de la dignité de Mme [V], également salariée de la SAS Octapharma, l'employeur ne pouvait légitimement poursuivre la relation de travail avec M. [W] qui a manqué à son obligation de loyauté et a montré par ailleurs, devant sa responsable, Mme [YP], qu'il ne remettait pas en cause son comportement qu'il n'estimait pas fautif.

Dès lors, la faute grave est bien démontrée, et il convient d'infirmer le jugement entrepris et de débouter M. [W] de sa demande de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse

Sur les sommes réclamées

Il résulte des développements qui précèdent que la faute grave a été retenue à l'encontre de M.[W], de sorte qu'en application des dispositions des articles L 1234-1 et L 1234-9 du code du travail et de la convention collective, l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité conventionnelle de licenciement ne sont pas dues.

Le licenciement étant en outre justifié, la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être rejetée comme n'étant pas légitime.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ces chefs de prétention.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

M. [W] succombant à la présente procédure, il sera condamné aux dépens des deux procédures d'appel et de première instance.

Ses demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les différentes instances seront rejetées.

M. [A] [W] étant la partie perdante, il sera condamné à verser à la SAS Octapharma la somme de 1 000,00 €, compte tenu de l'équité, en application de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble des procédures.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant contradictoirement, sur renvoi après cassation totale, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Strasbourg, section industrie, le 14 juin 2017 (minute n°17/110) ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute M. [A] [W] de sa demande de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

Déboute M. [A] [W] de ses demandes aux fins de voir condamner la SAS Octapharma à lui payer une indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents ;

Déboute M. [A] [W] de ses demandes aux fins de voir condamner la SAS Octapharma à lui payer une indemnité conventionnelle de licenciement ;

Déboute M. [A] [W] de ses demandes aux fins de voir condamner la SAS Octapharma à lui payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Déboute M. [A] [W] de ses demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [A] [W] à payer à la SAS Octapharma, prise en la personne de son représentant légal, la somme de 1 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [A] [W] aux dépens des deux procédures d'appel et de première instance.

La GreffièreP/La Présidente régulièrement empêchée

La Conseillère


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 20/01068
Date de la décision : 23/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-23;20.01068 ?
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