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17/05/2022 | FRANCE | N°19/01849

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 17 mai 2022, 19/01849


Arrêt n° 22/00248



17 mai 2022

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N° RG 19/01849 -

N° Portalis DBVS-V-B7D-FCOU

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Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de METZ

14 juin 2019

18/00085

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1







ARRÊT DU



Dix sept mai deux mille vingt deux







APPELANTE :



Associ

ation ENFANCE ET FAMILLE, représentée par sa Présidente

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Denis MOREL, avocat au barreau de METZ





INTIMÉE :



Mme [U] [M]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Mario...

Arrêt n° 22/00248

17 mai 2022

---------------------

N° RG 19/01849 -

N° Portalis DBVS-V-B7D-FCOU

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de METZ

14 juin 2019

18/00085

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Dix sept mai deux mille vingt deux

APPELANTE :

Association ENFANCE ET FAMILLE, représentée par sa Présidente

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Denis MOREL, avocat au barreau de METZ

INTIMÉE :

Mme [U] [M]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Marion DESCAMPS, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 janvier 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Laëtitia WELTER, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

Mme Laëtitia WELTER, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Hélène BAJEUX

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Laëtitia WELTER, Conseillère, substituant la Présidente de Chambre régulièrement empêchée et par Mme Hélène BAJEUX, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS

Mme [M] a été embauchée par l'association Enfance et Famille selon contrat à durée déterminée du 25 au 29 novembre 2002 puis en contrat à durée indéterminée à compter du 16 décembre 2002 en qualité d'auxiliaire puéricultrice au sein de la « crèche de [Localité 5] ».

La convention collective applicable est celle des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 (F.E.H.A.P).

Mme [M] percevait une rémunération mensuelle brute de 1 752,92 euros.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 mars 2015, Mme [M] a été convoquée à un entretien préalable pour un éventuel licenciement fixé le 08 avril 2015.

Par lettre recommandée avec accusé de réception, Mme [M] a été licenciée pour faute grave en date du 22 avril 2015.

Par acte introductif enregistré au greffe le 27 octobre 2015, Mme [M] a saisi le Conseil de prud'hommes de Metz aux fins de :

- Constater qu'elle n'a pas été mise à pied immédiatement par l'employeur après qu'il ait découvert les prétendus faits reprochés, en l'espèce après plus d'une semaine dont plus de quatre jours travaillés normalement au contact des enfants,

- Constater l'absence de faute commise par elle,

- Dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- Condamner l'association Enfance et Famille à lui payer les sommes suivantes :

'4.529,30 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement,

'17.000 euros net au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement,

'3.505,34 euros brut au titre de l'indemnisation de son préavis conventionnel de deux mois,

'350,53 euros brut au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis de 10%,

'1.779,96 euros brut au titre des rappels de salaire sur la mise à pied injustifiée,

'173,00 euros brut au titre de l'indemnité de congés payés sur le rappel de salaire,

'2.000 euros net au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner l'association Enfance et Famille à la délivrance, sous astreinte de 150 euros par jour de retard a compter d'un délai de cinq jours courant à partir de la notification de la décision à intervenir, des documents suivants, établis conformément au jugement à intervenir :

* Solde de tout compte,

* Attestation pôle emploi,

* Certificat de travail,

* Fiche de paie,

- Se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte prononcée.

Par jugement du 14 juin 2019, le Conseil de prud'hommes de Metz, section activités diverses a statué ainsi qu'il suit :

- Dit que le licenciement pour faute grave prononcé par l'association Enfance et Famille à l'encontre de Mme [U] [M] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- Condamne l'association Enfance et Famille, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [U] [M] les sommes suivantes :

'4 529,30 euros nets au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

'3 505,84 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

'350,58 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

'1.779,96 euros bruts à titre de rappel de salaire ;

'177,99 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

- Dit que les sommes en cause porteront intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2015 ;

- Rappelle qu'en application des dispositions de l'article R. 1454-28 du Code du travail les condamnations prononcées ci-dessus sont de droit exécutoires à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaires, retenue au montant de 1.730,96 euros bruts ;

- Condamne l'association Enfance et famille, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [U] [M] la somme de 11.380,02 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Déboute Mme [U] [M] de sa demande d'exécution provisoire formée sur le fondement des dispositions de l'article 515 du Code de procédure civile ;

- Ordonne à l'association Enfance et Famille, prise en la personne de son représentant légal de remettre à Mme [U] [M] sous astreinte de 50 euros par jour de retard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement, les documents suivants, conformes à la présente décision :

* fiche de paie ;

* attestation Pôle Emploi ;

* certificat de travail ;

* solde de tout compte ;

- Dit se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte prononcée ;

- Ordonne le remboursement par l'association Enfance et Famille, prise en la personne de son représentant légal, à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à Mme [U] [M] à la suite du licenciement, dans la limite de six mois d'indemnités, en application de l'article L. 1235-4 du Code du travail ;

- Dit que le présent jugement sera transmis à Pôle Emploi ;

- Déboute l'association Enfance et Famille de sa demande fondée en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamne l'association Enfance et Famille, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [U] [M] la somme de 1.200 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamne l'association Enfance et Famille, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens.

Par déclaration formée par voie électronique le 17 juillet 2019 et enregistrée au greffe le jour même, l'association Enfance et Famille a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par ses dernières conclusions datées du 07 septembre 2021, enregistrées au greffe le jour même, l'association Enfance et Famille demande à la Cour de :

- Infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Metz du 14 juin 2019 en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau,

- Dire et juger le licenciement de Mme [M] justifié par une faute grave.

- Débouter Mme [M] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- La Condamner à lui payer une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.

Par ses dernières conclusions datées du 21 décembre 2021, enregistrées au greffe le jour même, Mme [M] demande à la Cour de :

- Déclarer les présentes demandes recevables et bien fondées

- Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes dans sa totalité, excepté en ce qu'il a évalué le quantum des dommages et intérêts réparant le préjudice subi du fait de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement à 11.380,02 euros net

- Fixer le quantum des dommages et intérêts réparant le préjudice subi du fait de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement à 17.000,00 euros net

Subsidiairement,

- Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes dans sa totalité,

En sus et en tout état de cause,

- Condamner l'association Enfance et Famille à lui payer 2.000,00 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel

- Condamner l'association Enfance et Famille aux frais et dépens d'instance et d'exécution à hauteur d'appel

- Débouter l'association Enfance et Famille de l'ensemble de ses demandes formulées à son encontre.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 08 septembre 2021.

Il convient en application de l'article 455 du Code de procédure civile de se référer aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS

La lettre de licenciement pour faute grave en date du 22 avril 2015, qui fixe les termes du litige, est rédigée comme suit :

« Nous avons été informées, quelques jours avant votre mise à pied conservatoire et votre convocation à entretien préalable à licenciement, de ce qu'à plusieurs reprises vos aviez embrassé sur la bouche plusieurs jeunes enfants confiés à notre crèche (notamment les enfants [F], [H], [K] et [Y]) et ce malgré le fait que plusieurs de vos collègues de travail vous ont rappelé que ce comportement n'était pas toléré et vous ont demandé de ne plus recommencer,

Malgré cela, vous avez accompli ces actes à plusieurs reprises sur des enfants très jeunes et incapables de manifester leur refus ou d'en parler à notre personnel ou à leurs parents,

Ces agissements ont été commis dans des périodes de temps calme, en salle de change ou dans la salle de vie,

En agissant ainsi, vous avez manquez gravement aux règles élémentaires de votre fonction, telles qu'elles vous ont été rappelées en réunion de personnel lorsque vous ont été précisés et confirmés les thèmes abordés dans le « manuel des bonnes pratiques » en vigueur dans notre crèche et que vous avez reçu en 2012,

Ces agissements, susceptibles d'être qualifiés de violences légères ou atteintes sexuelles sur mineurs ne peuvent être tolérés dans notre structure, chargée d'assurer le bien être et la sécurité psychique des enfants qui nous sont confiés,

Votre comportement, qui constitue une faute professionnelle grave, est susceptible de mettre en cause tant la réputation que la responsabilité de notre association, à l'égard des parents qui nous confient leurs enfants et de nos organismes de tutelle administrative (notamment la protection maternelle infantile),

Compte tenu de sa gravité et de sa réitération à plusieurs reprises depuis 2011, des risques encouru par les enfants, et par notre association, votre comportement rend impossible la poursuite de votre contrat de travail ».

Mme [M] fait valoir qu'elle n'a jamais eu de comportement inapproprié avec les enfants accueillis au sein de la crèche et en particulier ne les a jamais embrassés et estime que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Mme [M] soutient qu'aucun fait n'est daté ni précisément décrit dans la lettre de licenciement, que les faits invoqués par l'employeur sont flous, contradictoires et impossibles et qu'ils n'ont jamais été abordés en réunion du personnel ni en entretien individuel.

Mme [M] souligne qu'elle n'a jamais fait l'objet d'une sanction disciplinaire, ni même d'une réprimande orale ou un rappel à l'ordre écrit et que ses évaluations étaient positives.

Elle soutient que les enfants évoqués dans la lettre de licenciement ([F], [H], [K] et [Y]) ne sont entrés dans le groupe 4 pattes qu'en 2014 et qu'elle n'a travaillé avec Mme [B] qu'en 2014 et 2015 de sorte que cette dernière n'a pas pu assister à des faits depuis 2011.

Elle souligne que la fiabilité des témoignages produits par l'employeur peut être mise en doute au motif qu'ils proviennent tous de subordonnés et sont rédigés en des termes similaires.

Mme [M] énonce que l'employeur n'a pas notifié immédiatement une mise à pied conservatoire ou même une dispense de travail et qu'elle a travaillé jusqu'au 24 mars 2015 inclus en contact avec les enfants.

Elle ajoute que la plainte déposée a été classée sans suite, le parquet estimant l'infraction non caractérisée.

L'association Enfance et Famille réplique que les faits visés dans la lettre de licenciement sont établis et justifient un licenciement pour faute grave dans la mesure où le fait pour un adulte employé par une crèche d'embrasser un très jeune enfant sur la bouche à de multiples reprises porte atteinte à la santé de l'enfant, au respect de la personne de l'enfant et de son intégrité physique et contrevient aux règles classiques d'éducation communément admises en France.

Elle assure que les agissements de Mme [M] n'ont jamais été révélés à la directrice avant le 17 mars 2015.

L'association Enfance et Famille soutient qu'elle n'a pas tardé à réagir puisque l'infirmière et l'éducatrice ne pouvaient décider de quoi que ce soit pour l'après-midi du 17 mars 2015 et que la directrice, ayant seule le pouvoir d'initier une procédure disciplinaire, a recueilli les déclarations verbales des collègues témoins des faits avant de placer Mme [M] en mise à pied conservatoire.

L'association Enfance et Famille ajoute qu'au retour de la directrice le 20 mars 2015, elle a donné instruction à l'équipe d'encadrement ainsi qu'aux auxiliaires des services de ne jamais laisser Mme [M] seule avec les enfants.

Elle soulève que la décision de classement sans suite du Procureur de la République pour motif d'infraction insuffisamment caractérisée ne signifie absolument pas que les faits reprochés à Mme [M] n'étaient pas établis.

Il résulte des dispositions des articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail que tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

La lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables, c'est-à-dire l'imputation au salarié d'un fait ou d'un comportement assez explicite pour être identifiable en tant que tel pouvant donner lieu à une vérification par des éléments objectifs.

En l'occurrence, la faute grave est un manquement du salarié d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, en ce compris pendant la durée du préavis.

En cas de faute grave, la charge de la preuve repose sur l'employeur qui doit établir à la fois la réalité et la gravité des manquements du salarié.

En l'espèce, la lettre de licenciement mentionne de manière précise que Mme [M] embrassait régulièrement certains enfants de la crèche sur la bouche, notamment [F], [H], [K] et [Y], de sorte que les griefs invoqués, qui n'ont pas nécessairement à être datés, sont matériellement vérifiables et que la lettre de licenciement est suffisamment motivée.

La décision de classement sans suite prise par le procureur de la république le 26 janvier 2016 aux motifs que l'infraction est insuffisamment caractérisée est sans conséquence sur la faculté de la cour d'apprécier la réalité et la gravité des griefs dès lors qu'elle n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée.

L'employeur, à qui la charge de la preuve incombe, produit les attestations suivantes qui démontrent que Mme [M] prenait des enfants dans les bras ou sur ses genoux pour les embrasser sur la bouche, allant jusqu'à leur tenir le menton pour qu'ils ne puissent pas tourner la tête, à savoir :

- l'attestation de Mme [N] [D], une collègue de travail, en date du 25 mars 2015 dans laquelle elle relate « avoir vu [U] [[M]] embrasser des enfants sur la bouche. Cela s'est passé à des temps calmes, en fin de journée, installé sur le fauteuil ou matelas. Elle avait l'enfant dans les bras et l'embrasser. Les enfants concernés sont [F], [K], [H]. Je l'ai aussi aperçue une fois embrasser en salle de change [F] (je tiens juste à préciser que l'enfant était habillé) (') Au moment de l'embrasser l'enfant, ce n'est pas l'enfant qui cherchait à avoir un bisou mais plus elle. Je travaille avec [U] depuis septembre 2014 et elle avait ce comportement. Et cette situation m'a interpellée à partir d'octobre novembre », et l'attestation en date du 30 septembre 2019 dans laquelle elle précise que « lorsque j'ai aperçu [U] embrasser des enfants c'était courant octobre ' novembre 2014. Après en avoir parlé avec ma collègue [O], nous souhaitons interpeller [U] avant d'en parler à un membre de la direction. Comme nous n'étions pas présentes tous les jours avec [U], cela a pris du temps et ce n'était pas tout le temps qu'elle embrassait les enfants. Mais comme elle le faisait souvent début 2015, le 17 mars 2015, nous avons décidé avec [O], d'en parler à notre infirmière responsable. Suite à cela, et à la demande de la directrice, il m'a été demandé d'attester par écrit les faits constatés, le 25 mars 2015 »,

- l'attestation de Mme [O] [B], une collègue de travail, en date du 26 mars 2015 dans laquelle elle énonce « l'avoir vue [Mme [M]] embrasser des enfants sur la bouche. A plusieurs reprises, je l'ai vue prendre un enfant dans ses bras pour l'embrasser sur la bouche et ce à des moments calmes ou lorsque l'enfant jouait. Elle sélectionne les enfants qu'elle embrasse ce sont : [H], [Y], [F] et [K]. Elle prend un enfant, le pose sur ses genoux et l'embrasse sur la bouche à plusieurs reprises, chose facile quand l'enfant a 9 mois. En revanche, quand vers 14 mois, l'enfant ne se laisse plus faire, elle lui tient le menton d'une main, afin qu'il ne puisse pas lui échapper. Pour ma part, à plusieurs reprises, je lui ai dit qu'elle devait arrêter de les embrasser, ce qu'elle faisait mais ça ne durait jamais longtemps, elle recommençait ces baisés qui ne sont destinés qu'aux enfants qu'elle préfère les autres sont laissés pour compte, elle ne s'occupe pas d'eux et ne leur parle pas gentillement » et l'attestation en date du 8 octobre 2019 dans laquelle elle précise « avoir constaté à plusieurs reprises Mme [M] [U] embrasser certains enfants sur la bouche, sur la période allant de septembre 2014 ' mars 2015. Ayant travaillé avec elle chez les 4 pattes en août 2014 à mars 2015 je n'ai au départ pas osé en informer ma responsable de service, mais à plusieurs reprises j'ai signalé à [U] que ses actes n'étaient pas conformes à mes valeurs et qu'elle devait arrêter. En date du 17 mars 2015, constatant qu'elle ne changeait pas son comportement au contraire ça devenait de plus en plus souvent... Alors, j'ai signalé à ma responsable infirmière qui a fait le nécessaire ».

Les témoins, nonobstant le fait qu'ils ont un lien de subordination avec l'employeur, ce qui n'est pas de nature à amoindrir la sincérité de leurs déclarations, ont relaté de manière unanime le comportement inapproprié de Mme [M] à l'égard de certains enfants dans des attestations rédigées avec leurs propres termes, leur similitude pouvant s'expliquer par le fait qu'elles rapportent nécessairement les mêmes faits.

De plus, quand bien même les faits décrits ne sont pas datés, la teneur des témoignages permet de retenir qu'il s'agit de faits répétitifs et habituels depuis septembre 2014 (« Je travaille avec [U] depuis septembre 2014 et elle avait ce comportement », « le faisait souvent début 2015 », « à plusieurs reprises », « sur la période allant de septembre 2014 ' mars 2015 »).

La cour relève d'ailleurs que Mme [M] reconnaît que les enfants visés, soit [H], [Y], [F] et [K], étaient affectés à son groupe à partir de 2014 et qu'elle a travaillé directement avec Mme [B] à compter de cette date.

Les attestations de Mesdames [L] [V] et [R] [E] produites par Mme [M] en sa faveur, dans lesquelles elles témoignent du professionnalisme de la salariée, ne sont aucunement de nature à contredire les témoignages concordants invoqués par l'employeur ni à établir que les accusations portées contre l'intimée seraient mensongères.

En outre, Mme [M] n'a jamais eu aucun reproche à ce sujet avant 2015 dans la mesure où l'employeur a été au courant des faits au plus tôt le 17 mars 2015 tel qu'il en ressort des attestations précitées des collègues de la salariée qui ont d'abord tenté de la raisonner avant d'avertir l'infirmière qui a ensuite alerté la directrice.

Enfin, force est de constater que le fait d'embrasser sur la bouche des enfants gardés par l'association Enfance et Famille, outre le fait que cet acte ne répond pas aux règles d'hygiène, ne respecte pas les règles élémentaires d'éducation qui régissent les professionnels de la petite enfance ni le manuel des bonnes pratiques de la crèche de [Localité 5] qui impose une « bonne distance affective avec les enfants » et de « respecter l'enfant en tant que personne ».

En définitive, le comportement inapproprié que Mme [M] adoptait en embrassant les enfants accueillis au sein de la crèche sur la bouche, parfois en leur maintenant le visage pour qu'il ne détourne pas la tête, est établi par les preuves recueillies par l'employeur, non contredites par les éléments émanant de l'intimée, et constitue une cause tant réelle que sérieuse pour son licenciement ainsi qu'un manquement à ses obligations professionnelles d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien de l'intéressée dans l'entreprise, y compris durant le préavis, donc qualifié à juste titre de faute grave, notamment au regard de la nature et de la répétition des marques d'affection excessives et déplacées susceptibles de transmettre des maladies de l'adulte à l'enfant et de porter atteinte à l'intégrité physique et psychologique de ce dernier.

Le licenciement de Mme [M] repose donc bien sur une faute grave, ce sans que le fait que l'employeur l'ait laissée travailler pendant une semaine avant de lui notifier une mise à pied à titre conservatoire ne puisse atténuer le caractère de gravité de la faute reprochée dans la mesure où la directrice, qui a été informée des faits par l'infirmière qui ne les a pas constatés elle-même, a rapidement réagi en avertissant l'équipe d'encadrement et les auxiliaires de service que Mme [M] ne devait pas rester seule avec les enfants pendant les « changes, repas, activités, temps libre, ect,...) », d'après l'attestation de Mme [T] [W], assistante maternelle, et a immédiatement engagé la procédure disciplinaire après avoir recueilli les déclarations des témoins directs les 24 et 25 mars 2015.

Mme [M] sera par conséquent déboutée de l'ensemble de ses demandes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés sur préavis, de l'indemnité légale de licenciement, de rappel de salaire pendant la mise à pied à titre conservatoire, de congés payés y afférents et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera infirmé dans son intégralité.

Mme [U] [M], qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Eu égard à la situation économique respective des parties, il n'y a pas lieu par contre d'ordonner une condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement de Mme [U] [M] repose sur une faute grave.

Déboute Mme [U] [M] de l'ensemble de ses demandes.

Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.

Condamne Mme [U] [M] aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier, P/La Présidente régulièrement empêchée

La Conseillère


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 19/01849
Date de la décision : 17/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-17;19.01849 ?
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