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04/05/2022 | FRANCE | N°19/03265

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 04 mai 2022, 19/03265


Arrêt n° 22/00233



04 mai 2022

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N° RG 19/03265 -

N° Portalis DBVS-V-B7D-FGEM

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

06 décembre 2019

F 19/00343

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1







ARRÊT DU



Quatre mai deux mille vingt deux







APPELANTE :



SAS V

illa Beausoleil [Localité 4] prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Frédéric Blaise, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Romain Sutra, avocat au barrea...

Arrêt n° 22/00233

04 mai 2022

---------------------

N° RG 19/03265 -

N° Portalis DBVS-V-B7D-FGEM

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

06 décembre 2019

F 19/00343

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Quatre mai deux mille vingt deux

APPELANTE :

SAS Villa Beausoleil [Localité 4] prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Frédéric Blaise, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Romain Sutra, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTIMÉE :

Mme [J] [X] épouse [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Hanane Ben Chikh, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 janvier 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne-Marie Wolf, Présidente de Chambre, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Anne-Marie Wolf, Présidente de Chambre

Mme Anne Fabert, Conseillère

Mme Laëtitia Welter, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Catherine Malherbe

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Anne-Marie Wolf, Présidente de Chambre, et par Mme Catherine Malherbe, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS

Madame [J] [X] épouse [T] a été embauchée par la société Villa Beausoleil [Localité 4], selon contrat à durée indéterminée, à compter du 08 septembre 2016, en qualité de directrice d'établissement.

Madame [T] percevait une rémunération mensuelle brute de 5 416,66 €.

Par courrier en date du 22 novembre 2016, la période d'essai de Madame [J] [T] a été renouvelée.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 24 janvier 2017, la SAS Villa Beausoleil [Localité 4] a mis un terme à la période d'essai de Madame [J] [T].

Par acte introductif enregistré au greffe le 03 avril 2019, Madame [T] a saisi le Conseil de prud'hommes de Metz aux fins de :

- Dire et juger son action recevable et ses demandes bien fondées ;

- Dire et juger que la rupture de sa période d'essai est abusive ;

En conséquence,

- Condamner la SAS Villa Beausoleil [Localité 4] à payer à Madame [J] [T] les sommes suivantes:

- 54 166,60 € nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait du caractère abusif de la rupture de sa période d'essai,

avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir ;

- 1 500,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure ;

- Condamner la SAS Villa Beausoleil [Localité 4] aux entiers frais et dépens de procédure en ce compris, les éventuels frais d'exécution forcée ;

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir pour le tout en application de l'article 515 du Code de Procédure Civile.

Par jugement du 06 décembre 2019, le Conseil de prud'hommes de Metz, section encadrement a statué ainsi qu'il suit :

- Dit que la rupture de la période d'essai de Madame [J] [T] est abusive ;

En conséquence,

- Condamne la SAS Villa Beausoleil [Localité 4], prise en la personne de son Président à verser à Madame [J] [T] les sommes suivantes :

- 10 000,00 € nets au titre de l'indemnité pour rupture abusive de période d'essai ;

- 1 200,00 € au titre de l'article 700 du Code Procédure Civile ;

Dit que ces sommes portent intérêts de droit, au taux légal, à compter du 06 Décembre 2019, date de prononcé du présent jugement ;

- Déboute Madame [J] [T] du surplus de sa demande ;

- Déboute la SAS Villa Beausoleil [Localité 4] de sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Dit n'y avoir lieu de prononcé l'exécution provisoire prévue les dispositions de l'article 515 du Code de Procédure Civile ;

- Condamne la SAS Villa Beausoleil [Localité 4] aux entiers frais et dépens de l'instance, y compris ceux liés à l'exécution du présent jugement.

Par déclaration formée par voie électronique le 18 décembre 2019 et enregistrée au greffe le jour même, la société Villa Beausoleil [Localité 4] a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par ses dernières conclusions datées du 16 novembre 2020, la société Villa Beausoleil [Localité 4] demande à la Cour de :

- Infirmer le jugement en ce que le Conseil de Prud'hommes de Metz

Statuant à nouveau il est demandé à la Cour de :

- Juger que la société n'a commis aucun abus de droit dans la rupture de la période d'essai de Madame [T]

- Juger que la rupture de la période d'essai de Madame [T] n'est pas abusive

- Débouter Madame [T] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive de sa période d'essai

- Débouter Madame [T] de ses demandes au titre des frais irrépétibles et des dépens

- Condamner Madame [T] au paiement de la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens

- Débouter Madame [T] de son appel incident

Par ses dernières conclusions datées du 04 février 2021, Madame [T] demande à la Cour de :

- Débouter la S.A.S. Villa Beausoleil [Localité 4] de toutes ses demandes, fins et

prétentions.

- Dire et juger l'appel incident de Madame [J] [T] recevable et ses demandes bien fondées.

- Confirmer le jugement du Conseil de Prud'Hommes de METZ en date du 06 décembre 2019 en ce qu'il a déclaré la rupture de la période d'essai de Madame [J] [T] abusive;

- Confirmer le jugement du Conseil de Prud'Hommes de METZ en date du 06 décembre 2019 en ce qu'il a condamné la S.A.S. Villa Beausoleil [Localité 4] à payer à Madame [J] [T] la somme de 1 200,00 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile;

- Infirmer le jugement du Conseil de Prud'Hommes de de METZ en date du 06 décembre 2019, pour le surplus.

Statuant à nouveau;

- Condamner la S.A.S. Villa Beausoleil [Localité 4] à payer à Madame [J]

[T] la somme de 54 166,60€ net à titre de dommages et intérêts en réparation du

préjudice subi par cette dernière du fait du caractère abusif de la rupture de sa période

d'essai.

Le tout avec intérêts au taux légal à compter du jour de l'arrêt à intervenir.

- Condamner la S.A.S. Villa Beausoleil [Localité 4] à payer à Madame [J]

[T] la somme de 3.500.00€ sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais irrépétibles d'appel.

- Condamner la S.A.S. Villa Beausoleil [Localité 4] aux entier frais et dépens de

procédure, en ce compris les éventuels frais d'exécution forcée.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 07 juin 2021.

Il convient en application de l'article 455 du Code de procédure civile de se référer aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION

Le contrat de travail à durée indéterminée conclu entre les parties le 8 septembre 2016 stipule dans son article 3 une période d'essai de trois mois, renouvelable pour une période équivalente et précise que durant cette période, chaque partie pourra mettre fin au contrat « sans indemnité, ni motivation » sous condition du respect d'un délai de prévenance dont la durée est détaillée dans cet article.

En l'espèce, la période d'essai de Mme [T] a été renouvelée par l'employeur pour trois mois par courrier et par mail en date du 22 novembre 2016 « pour nous permettre de mieux juger de votre adéquation au poste que vous occupez », la fin de cette période étant fixée au 7 mars 2017 et la salariée ayant donné son accord à ce renouvellement en y apposant sa signature.

Il a été mis fin à cette même période d'essai verbalement, au cours d'un entretien du 23 janvier 2017 entre M. [H] [I], Président du groupe Steva, qui gère plusieurs résidences seniors, dont la Villa Beausoleil de [Localité 4], Mme [G] [S], RRH du groupe et Mme [T], qui justifie d'un arrêt de travail du même jour pour burn out professionnel avec anxiété majeure en lien avec l'annonce, cette rupture ayant été confirmée par un courrier daté du lendemain, qui explique que la période d'essai n'a pas donné satisfaction et que la salariée cessera de faire partie des effectifs de la société à l'expiration du délai de prévenance d'un mois, qu'elle était dispensée d'exécuter, soit le 23 février 2017 au soir.

La Cour rappelle qu'aux termes des articles L. 1221-19 et suivants du code du travail le contrat à durée indéterminée peut comporter une période d'essai, dont la durée maximale est de quatre mois pour les cadres, renouvelable une fois si un accord de branche étendu le prévoit, qui « permet à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent ».

Si ces textes exigent que la période d'essai et la possibilité de son renouvellement soient expressément stipulées dans le contrat de travail et prévoient des délais de prévenance en cas de rupture, ils sont par contre muets sur la forme et les conditions de fond de la rupture du contrat de travail pouvant intervenir durant cette période à l'initiative de l'employeur ou du salarié.

Aux termes d'une jurisprudence constante, la décision de l'employeur de rompre l'essai à un caractère discrétionnaire, il n'est ainsi pas tenu de motiver sa décision par une cause réelle et sérieuse et n'a pas non plus à justifier de l'existence d'une incapacité professionnelle.

Cependant, si l'employeur peut discrétionnairement mettre fin aux relations contractuelles avant la fin de l'essai, ce n'est que sous réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en abus. Tel est notamment le cas s'il est établi, au regard des ses circonstances, que la rupture est intervenue pour un motif sans rapport avec l'appréciation des qualités professionnelles du salarié, de façon précipitée avant que le salarié n'ait pu faire ses preuves ou par intention de nuire ou légèreté blâmable de l'employeur .

La preuve du caractère abusif de la rupture incombe à celui qui l'invoque et, s'il est établi, il appartient au juge d'indemniser le préjudice résultant de la rupture illicite de la période d'essai par des dommages et intérêts réparant le manquement de l'employeur à ses obligations.

Mme [T] fait valoir en l'occurrence qu'elle avait de l'expérience en qualité de directrice d'établissement, ayant notamment participé à l'ouverture de plusieurs maisons de retraite, et qu'elle estime avoir été embauchée par la SAS Villa Beausoleil [Localité 4] uniquement pour permettre l'ouverture de l'EHPAD de [Localité 4], intervenue le 19 décembre 2016, du fait de ses compétences et de son réseau, précisant qu'elle avait accompli sa mission lorsqu'il a été mis fin à sa période d'essai, l'établissement comptant alors 24 salariés en poste et 23 résidents, de sorte qu'elle considère que cette période a été détournée de ses fins, à savoir qu'elle n'a pas eu pour finalité de permettre à l'employeur d'évaluer ses capacités professionnelles, mais est intervenue pour un motif non inhérent à sa personne, qui était de tirer le maximum de profit de sa compétence reconnue pour démarrer le fonctionnement du site, puis mettre un terme à son contrat aussitôt le travail effectué.

La salariée rappelle longuement les conditions qui lui ont été imposées pour ce travail, à savoir la nécessité d'un accord de M. [I] et d'un autre directeur d'établissement pour la plupart des décisions à prendre, alors qu'aux termes de son contrat de travail elle disposait d'une large délégation de pouvoirs pour agir seule, l'obligation de travailler depuis son domicile avec son téléphone et son ordinateur personnel, car le bâtiment était encore en chantier et sans équipement, la réception des candidats à des emplois dans un appartement témoin sans chauffage, ni sanitaires, le fait qu'elle devait gérer la partie commerciale, c'est à dire trouver des résidents, sans aucune aide, qu'elle a également géré la communication, organisant des rencontres avec la presse et des journées portes ouvertes, et a du après l'ouverture résoudre bon nombre de problèmes techniques qui mettaient en danger les résidents, telles des pannes récurrentes de chauffage, des fuites d'eau et une fuite de gaz qui a intoxiqué la lingère.

Elle fait valoir que, malgré ces conditions de travail difficiles, elle avait rempli sa mission au jour de la rupture de son contrat, à savoir finalisé l'équipement du bâtiment et recruté le personnel, assuré l'ouverture de la structure le 19 décembre 2016 comme exigé par M. [I], après une visite de conformité de l'ARS du 6 décembre 2016 ayant donné lieu à un avis favorable, pris diverses mesures pour assurer le fonctionnement du salon de coiffure, la création d'un cabinet de kinésithérapeute et la distribution des médicaments, mis en place une organisation fonctionnelle du travail des salariés nouvellement embauchés et résolu nombre des incidents précités, sans budget et sans information sur les prestataires concernés..

Elle considère donc que cette rupture, intervenue sans explication, n'avait aucune justification, fustigeant aussi les faits qu'aucune réunion de travail n'a jamais été organisée avec M. [I], qu'elle n'a pas été appelée à participer aux réunions mensuelles organisées avec ses collègues directeurs, qu'elle était tenue de faire un point hebdomadaire, laissé sans réponse ou sans remarque négative sur ses actions, qu'elle n'a bénéficié, contrairement aux autres salariés, d'aucun entretien pour un bilan avant le renouvellement de sa période d'essai, enfin qu'elle a été remplacée par une jeune directrice, Mme [B], mutée de l'établissement de [Localité 5].

La SAS Villa Beausoleil [Localité 4] fait valoir en réplique que c'est à la salariée qui invoque le caractère abusif de la rupture de démontrer que l'employeur a commis un abus de droit ou fait preuve d'une légèreté blâmable en mettant un terme à la période d'essai, ce qu'elle ne fait pas en l'espèce.

En l'occurrence, la société explique que, malgré l'expérience professionnelle mise en avant par Mme [T] lors de son embauche et malgré l'aide qui lui a été apportée, malgré aussi le fait qu'elle disposait d'une large délégation de pouvoirs et d'une autonomie d'action, la salariée n'avait pas les compétences et qualités pour occuper ce poste, l'employeur citant le fait qu'elle se déchargeait de ses responsabilités et missions en matière de recrutement et de gestion du personnel sur le service support RH du groupe, plus précisément sur Mme [S], à qui elle demandait d'établir les contrats de travail et pas seulement de les vérifier, le fait qu'elle se soit déchargée de la préparation du dossier de conformité à soumettre à l'ARS, essentiel pour l'ouverture de l'établissement, sur Mme [L], directrice du développement immobilier, le fait qu'il a fallu lui adjoindre l'aide d'un autre directeur d'établissement, M. [A], pour lui apporter son expertise, les difficultés qu'elle a eu à gérer les imprévus qui font le quotidien d'une résidence, l'appelante faisant observer que les désordres et mises en danger alléguées des résidents ne sont pas établis et que tant la commission de sécurité que l'ARS ont donné leur aval pour l'ouverture.

La société appelante fait encore valoir, à l'encontre des arguments de Mme [T], qu'elle avait besoin d'une directrice tant pour assurer l'ouverture de la Villa que pour ensuite assurer sa gestion quotidienne et n'avait donc aucune intention de rompre le contrat prématurément, que ni la supposée absence d'autonomie, ni les affirmations sur le manque de moyens, qui sont contestées car Mme [T] disposait de matériel informatique et d'un téléphone professionnels, ni les problèmes techniques rencontrées dans l'immeuble, qui n'avaient pas empêchés son agrément, ni l'accident du travail lié à une fuite de gaz provoquée par l'inadvertance d'un ouvrier, ne constituent des arguments en faveur d'un abus de droit ou d'une légèreté blâmable de sa part.

Elle rappelle aussi que Mme [B], qui avait déjà de l'ancienneté dans le groupe comme directrice de la Villa de [Localité 5], a accepté de reprendre le poste de Mme [T] en urgence, et a elle-même été remplacée à son poste par une nouvelle embauchée.

Au vu de cette discussion et des nombreux éléments versés aux débats, principalement des échanges de mail, la Cour relève que Mme [T] part du présupposé qu'elle était parfaitement compétente pour occuper le poste de directrice d'établissement, au vu de son expérience passée ' son curriculum vitae mentionne qu'elle a dirigé deux maisons de retraite après avoir contribué à leur mise en service en 1996 et 1998, puis a dirigé durant près de treize ans une maison d'accueil spécialisée, - et que son nouvel employeur ne l'aurait recrutée que le temps de la mise en service de la Villa Beausoleil, soit en profitant de son expertise et de sa connaissance du réseau local et déjà avec l'intention de rompre sa période d'essai une fois cette tâche accomplie, ceci à moindres frais pour lui.

Aucun élément du dossier ne donne cependant corps à cette intention préalable de l'employeur (qui justifie notamment que Mme [B] a accepté la mutation interne de [Localité 5] à [Localité 4] à effet du 6 février 2017), ni ne permet d'affirmer que l'appelante aurait mis fin à la période d'essai pour un motif autre que l'appréciation qu'il a pu faire des qualités professionnelles de la salariée au cours de cette période, en considération de cette expérience passée.

Il est rappelé à nouveau qu'en vertu de la jurisprudence l'employeur dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour évaluer ces qualités et n'a pas à justifier de l'insuffisance professionnelle finalement retenue comme motif de la rupture, à savoir du caractère non concluant de l'essai, étant aussi relevé que, même si l'appelante a cru nécessaire en l'espèce, d'exposer, preuves à l'appui, les éléments qu'il avait à opposer à Mme [T] pour caractériser cette insuffisance professionnelle, il n'appartient en tout état de cause au juge, comme en matière de licenciement fondé sur ce motif, que de vérifier s'il existe des faits objectifs matériellement vérifiables imputables au salarié pouvant caractériser cette insuffisance professionnelle, sans cependant que le juge ne puisse substituer son appréciation à celle résultant pour l'employeur de l'exercice de son pouvoir de direction.

Les éléments avancés en l'occurrence par Mme [T] pour justifier de la difficulté de sa tâche ne sont ni formellement démontrés pour certains (obligation d'utiliser son domicile et ses outils personnels ' dans les mails il n'est question que de pannes du téléphone sur [Localité 4] et d'un manque de photocopieur - , entretiens d'embauche dans un local non chauffé, recherche sans aide de résidents), ni directement imputables pour d'autres à une action ou une légèreté blâmable de l'employeur (les problèmes causés par des malfaçons du bâtiment en cours de réception, dont les problèmes de chauffage ou de fuites d'eau, ou l'inadvertance d'un ouvrier pour la fixation d'un tuyau de gaz).

D'autres, la recherche commerciale ou les relations extérieures, correspondent à des tâches inhérentes à sa fonction, la délégation de pouvoirs que Mme [T] a acceptée lui confiant entre autres la définition et la mise en 'uvre du projet d'établissement en lien avec l'ARS, les Directions Régionales et Départementales de la Cohésion Sociale, le Conseil Départemental et les collectivités territoriales, l'élaboration et le suivi des budgets, la coordination avec les institutions et intervenants extérieurs, la gestion des relations avec les familles et les résidents, en matière commerciale la signature des contrats d'hébergements et des contrats fournisseurs dans la limite de 50 000 euros, le respect des conditions d'hygiène et de sécurité du travail, le recrutement et la gestion du personnel, ainsi que les licenciements, le document précisant que « dans ces différents domaines, Mme [J] [T] dispose de l'autorité, de la compétence et des moyens nécessaires pour exercer efficacement les pouvoirs délégués par la société VILLA BEAUSOLEIL [Localité 4] » et lui donnant la possibilité de subdéléguer ses pouvoirs sous certaines conditions à des subordonnés qui devront lui rendre compte des difficultés rencontrées.

Au regard de cette délégation de pouvoirs très vaste, Mme [T] avait toute compétence et toute autorité pour diriger l'établissement, n'ayant à rendre compte de ses actions qu'à son délégataire, M. [I], et si elle se plaint, tantôt de n'avoir pas eu assez de contacts avec ce dernier, tantôt d'avoir du lui envoyer des rapports hebdomadaires ou rendre compte de ses actions à M. [A] ou Mme [S], qui auraient décidé à sa place, il n'est pas avéré que M. [I] ou tout autre personne de l'entreprise ou du groupe l'auraient empêchée d'accomplir sa tâche.

S'agissant de M. [Y] [A] (directeur d'une Villa située en Vendée), M.[I] a écrit par mail à Mme [T] en date du 19 novembre 2016, en réponse à un de ses rapports hebdomadaires, qui ne sont pas tous restés sans réponse comme allégué -, que :

« (') Merci pour ce point.

Je n'ai que très peu de temps en ce moment, alors j'ai décidé de fonctionner un peu différemment. Afin de te permettre de connaître les us et coutumes des Villa, j'ai demandé à [Y] de t'accompagner et de te servir de mentor. [Y] a toute ma confiance et a fait une ouverture exemplaire. Il va donc t'aider à anticiper tout ce qu'il faut. A ce titre je lui ai demandé de faire avec toi 3 points par semaine, avec l'ordre du jour :

1 ' commandes et partenariats (coiffeur, kine, boulanger, etc...)

2 ' organisation de l'équipe, sa formation, best of programmés, critères de recrutement

3 ' action commerciale et contrats clients à signer

4 ' outils de gestion, compta fournisseur, facturation client, applis prospects, résidents, etc... (...) »

Les quelques échanges de mails entre Mme [T] et M. [A], essentiellement produits par l'employeur, confirment le coaching de ce dernier et notamment l'aide apportée par lui à la demande de Mme [T] pour trouver des fournisseurs ou pour finaliser le dossier du kiné devant ouvrir un local dans la résidence (mail du 23 novembre 2016, annexe 22 de l'appelante). A cet égard, le mail produit par Mme [T] (mail du lendemain 24 novembre 2016, annexe 27 de l'intimée) adressé par M. [A] à M. [D], le kiné en question, pour l'informer de « notre accord » pour son implantation à [Localité 4] est trompeur, car répondant à la demande de Mme [T] et non à une décision prise par lui, M. [A] renvoyant d'ailleurs M. [D] à prendre contact avec Mme [T].

De même les mails échangés entre Mme [T] et Mme [S] indiquent que cette dernière a, en sa qualité de responsable des ressources humaines du groupe, aidé l'intimée durant la phase de recrutement du personnel, en mettant notamment à sa disposition des salariés chargés de recevoir les candidats à un emploi lors d'un « road show » pour opérer une première sélection, avant que Mme [T] ne procède à un entretien individuel avec les intéressés, en l'aidant à établir des priorités et diffuser des annonces, en établissant les contrats de travail à sa demande, en l'informant sur les salaires pouvant être proposés ou sur la politique du groupe, notamment en matière de renouvellement systématique des périodes d'essai, mais sans qu'il n'apparaisse que Mme [S] ait pris de décision à la place de Mme [T], qui était seule à choisir les candidats retenus (cf son mail du 13 octobre 2016).

Tous ces éléments, ainsi que les documents, produits par les deux parties, montrant que c'est essentiellement Mme [L], Directrice du Développement du groupe Steva, qui a servi d'interlocuteur à l'ARS pour l'obtention de l'autorisation d'ouverture, par l'élaboration des documents préalables à la visite de conformité et non Mme [T], indiquent que la salariée a, comme le soutient l'employeur, eu besoin de l'aide de nombreuses personnes pour l'accomplissement de ses tâches, certes multiples, mais relevant de sa compétence affirmée et de sa délégations de pouvoirs, ce fait, matériellement vérifié, pouvant caractériser une insuffisance professionnelle dont l'appelante avait seule le pouvoir discrétionnaire d'apprécier si elle justifiait la rupture du contrat en période d'essai à raison du caractère non concluant de cet essai.

Il n'est en tout cas établi ni abus de droit de l'employeur, soit une appréciation faite sur un critère autre que les qualités professionnelles de la salarié, ni légèreté blâmable de sa part, malgré le ressenti qu'a exprimé Mme [T] dans un courrier adressé à l'ARS après la rupture, exposant ce qu'elle considère être des « faits graves avec mise en danger des résidents et des salariés résultant d'une conception très particulière des villas Beausoleil » , soit exposant tous les incidents techniques rencontrés à l'ouverture du site et toutes les malfaçons, non conformités ou problèmes constatés par elle en matière d'hygiène, de confort des résidents ou de gestion du personnel, pour conclure avoir été « dupée » par M. [R] lors de son embauche.

Il n'apparaît pas que Mme [T] ait fait part à son employeur de ce même ressenti en cours d'exécution du contrat, lequel n'a donc pas pu déterminer la décision de ce dernier.

Enfin, les quelques éléments sur lesquels se sont basés les premiers juges (absence de réunion de travail avec M. [I], alors qu'il apparaît qu'il était en contact régulier avec Mme [T], un dire - non prouvé ' de Mme [T] sur un point devant être fait tous les lundis matins au téléphone avec M. [I], l'absence de bilan de fin de première période d'essai, qui n'est pas une obligation même s'il existait au sein de la société un formulaire prévu à cet effet, et l'absence de reproches faits à la salariée, qui n'est pas un fait exact, M. [R] lui ayant adressé plusieurs mails interrogatifs ou négatifs sur son action [annexe 26 : « catastrophisme » au sujet du chauffage, annexe 57 : critique sur la réorganisation proposée des bureaux, refusée par M. [R], qui se termine par « travaille stp les sujets importants et urgents »] ) ne caractérisent pas davantage un abus ou une légèreté blâmable de l'employeur.

Dès lors, le jugement entrepris sera infirmé pour qu'il soit dit que la rupture du contrat de travail de Mme [T] en période d'essai n'était pas abusive.

Mme [T] sera en conséquence déboutée de l'ensemble de ses fins et prétentions et tenue aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité n'impose pas par contre l'application de l'article 700 du code de procédure civile, compte tenu de la situation économique respective des parties.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

Dit que la rupture du contrat de travail conclu entre Mme [J] [X], épouse [T] et la SAS Villa Beausoleil [Localité 4] en cours de période d'essai n'a pas été abusive ;

Déboute Mme [J] [X], épouse [T] de ses fins et conclusions ;

Condamne Mme [J] [X], épouse [T] aux dépens de première instance et d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 19/03265
Date de la décision : 04/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-04;19.03265 ?
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