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25/04/2022 | FRANCE | N°20/01292

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 25 avril 2022, 20/01292


Arrêt n° 22/00197



25 avril 2022

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N° RG 20/01292 -

N° Portalis DBVS-V-B7E-FJ4C

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FORBACH

02 juillet 2020

19/00193

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1







ARRÊT DU



Vingt cinq avril deux mille vingt deux







APPELANT :


>M. [X] [N]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Arnaud BLANC, avocat au barreau de METZ







INTIMÉE :



S.A.R.L. RASA prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par ...

Arrêt n° 22/00197

25 avril 2022

---------------------

N° RG 20/01292 -

N° Portalis DBVS-V-B7E-FJ4C

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FORBACH

02 juillet 2020

19/00193

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Vingt cinq avril deux mille vingt deux

APPELANT :

M. [X] [N]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Arnaud BLANC, avocat au barreau de METZ

INTIMÉE :

S.A.R.L. RASA prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me François BATTLE, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 janvier 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Laëtitia WELTER, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

Madame Laëtitia WELTER, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Hélène BAJEUX

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS

M. [X] [N] a été engagé par la SARL RASA, selon contrat à durée indéterminée, à compter du 1er juillet 2013, en qualité de boucher. Il percevait un salaire mensuel brut de 2.691,93 euros brut pour un horaire hebdomadaire de travail de 35 heures.

La relation de travail est régie par la convention collective nationale de la charcuterie de détail.

M. [N] a été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 28 août 2018.

Par courrier du 30 janvier 2019, M. [N] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 08 février 2019 et mis à pied à titre conservatoire dans le cadre de la procédure.

Par courrier du 20 février 2019, la SARL Rasa lui a notifié son licenciement pour faute grave.

Contestant son licenciement, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Forbach par acte introductif du 24 mai 2019, demandant au conseil de :

- Dire et juger la prescription de deux mois à partir de la connaissance des faits l'origine du licenciement acquise et constater que la procédure de licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- Dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de surcroît de faute grave,

En conséquence,

- Condamner la SARL Rasa, en la personne de son représentant légal, à lui payer les sommes suivantes :

* 5.159,64 € nets au titre de l'indemnité légale de licenciement,

* 5.383,98 € bruts au titre de l'indemnité de préavis,

* 538,40 € bruts au titre des congés payés,

avec intérêts de droit à compter de la demande et exécution provisoire par application des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail,

* 21.535,92 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

avec intérêts de droit à compter du jour de la demande et exécution provisoire par application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile,

- Condamner la SARL Rasa, en la personne de son représentant légal, à lui payer les sommes suivantes au titre des rappels de salaire :

* 18.040,52 € bruts au titre des heures supplémentaires pour l'année 2016,

* 9.242,81 € bruts au titre des heures supplémentaires pour l'année 2017,

* 13.053,06 € bruts au titre des heures supplémentaires pour l'année 2018,

* 3.975,77 € bruts au titre des repos compensateurs pour l'année 2016 et 397,58 € bruts au titre des congés payés,

* 1.375,55 € bruts au titre des repos compensateurs pour l'année 2017 et 137,55 € bruts au titre des congés payés,

* 2.626,85 € bruts au titre des repos compensateurs pour l'année 2018 et 262,68 € bruts au titre des congés payés,

avec intérêts de droit à compter du jour de la demande et exécution provisoire par application des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail,

- Condamner la SARL Rasa à lui payer la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- La condamner à tous frais et dépens.

Par jugement du 02 juillet 2020, le conseil de prud'hommes de Forbach, section commerce, a :

- Constaté la faute de M. [N] et confirmé le bien fondé de la rupture contractuelle pour faute grave ;

- Débouté M. [N] du chef de demande de paiement d'heures supplémentaires non justifiées ;

- Débouté M. [N] de l'ensemble de ses demandes tant au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive, que de ses demandes au titre du préavis, congés payés sur préavis et indemnité de licenciement ;

- Débouté M. [N] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné M. [N] à payer à la SARL Rasa la somme de 26.721,46 € en remboursement du chèque qu'il a indûment encaissé ;

- Condamné M. [N] à payer à la SARL Rasa la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné le demandeur aux entiers frais et dépens.

Par déclaration formée par voie électronique le 28 juillet 2020, M. [N] a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par ses dernières conclusions datées du 31 mars 2021, enregistrées au greffe le même jour, M. [N] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Forbach du 2 juillet 2020

Et statuant à nouveau,

- Dire et juger la prescription de deux mois à partir de la connaissance des faits à l'origine du licenciement acquise et constater que la procédure de licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- Dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de surcroît de faute grave,

En conséquence,

- Condamner la SARL Rasa, en la personne de son représentant légal, à lui payer les sommes suivantes :

* 5.159,64 € nets au titre de l'indemnité légale de licenciement,

* 5.383,98 € bruts au titre de l'indemnité de préavis,

* 538,40 € bruts au titre des congés payés,

avec intérêts de droit à compter de la demande et exécution provisoire par application des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail,

* 21.535,92 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

avec intérêts de droit à compter du jour de la demande et exécution provisoire par application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile,

- Condamner la SARL Rasa, en la personne de son représentant légal, à lui payer les sommes suivantes au titre des rappels de salaire :

* 18.040,52 € bruts au titre des heures supplémentaires pour l'année 2016,

* 9.242,81 € bruts au titre des heures supplémentaires pour l'année 2017,

* 13.053,06 € bruts au titre des heures supplémentaires pour l'année 2018,

* 3.975,77 € bruts au titre des repos compensateurs pour l'année 2016 et 397,58€ bruts au titre des congés payés,

* 1.375,55 € bruts au titre des repos compensateurs pour l'année 2017 et 137,55€ bruts au titre des congés payés,

* 2.626,85 € bruts au titre des repos compensateurs pour l'année 2018 et 262,68€ bruts au titre des congés payés,

avec intérêts de droit à compter du jour de la demande et exécution provisoire par application des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail,

- Condamner la SARL Rasa à lui payer la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- La condamner à tous frais et dépens.

Par ses dernières conclusions datées du 18 décembre 2020, enregistrées au greffe le 21 décembre 2020, la SARL Rasa demande à la cour de :

- Débouter M. [N] de son appel, le dire mal fondé,

En conséquence

- Confirmer le jugement du conseil des prud'hommes de Forbach du 2 juillet 2020

Y ajoutant

- Condamner M. [N] au paiement à la SARL Rasa de la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 08 septembre 2021.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS

Sur le licenciement pour faute grave

Lorsque l'employeur invoque une faute grave du salarié pour prononcer un licenciement avec effet immédiat, il lui incombe d'apporter la preuve des griefs avancés dans les termes énoncés par la lettre de licenciement, à charge ensuite pour le juge d'apprécier le caractère réel et sérieux de ces griefs et de rechercher s'ils constituaient une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La lettre de licenciement, le cas échéant précisée par l'employeur à son initiative ou à la demande du salarié, fixe les limites du litige, et les motifs invoqués doivent être suffisamment précis, objectifs et vérifiables.

En l'espèce, la lettre de licenciement notifiée à M. [N] le 20 février 2019 est motivée de la façon suivante :

« En effet, s'agissant des griefs qui vous sont reprochés :

Le 16 mai 2017, notre société a été victime d'un incendie dans nos locaux commerciaux, de telle sorte que nous avons déclaré ce sinistre à notre assureur.

A l'issue des travaux de remise en état, la société SWISS LIFE vous a adressé par erreur, le 31 août 2018, un chèque d'un montant de 26.721,46 euros qui était destiné à notre société valant indemnisation du préjudice matériel que nous avons subi.

Il s'est avéré que vous avez encaissé personnellement ce chèque en dépit de sa destination prévue.

Vous avez été mis en demeure, par courrier recommandé avec accusé de réception du 27 décembre 2018, de restituer ces fonds.

Par courrier du 15 janvier 2019, vous avez explicitement reconnu connaître l'origine de ces fonds transmis par chèque par la société SWISS LIFE mais vous avez argué ne pas vouloir restituer cette somme d'argent au motif que vous seriez en conflit avec notre société s'agissant de prétendues heures supplémentaires dont nous vous serions redevables.

Vous avez confirmé ces dires lors de l'entretien du 08 février 2019 dernier.

Au regard de ces éléments, il est établi que vous avez encaissé personnellement des fonds de notre société.

Ces faits sont constitutifs d'une faute grave et vos seules allégations sans commencement de preuve ne sauraient constituer un motif légitime vous exonérant de votre responsabilité.

En effet, il ne saurait être admis que vous encaissiez à titre personnel des fonds de notre société à titre de compensation pour quelque motif que ce soit, de surcroit sans produire un quelconque justificatif de votre prétendue créance.

Pour rappel, vous n'avez produit aucun décompte ou justificatif de pointage à l'appui de vos allégations fallacieuses.

En termes particulièrement clairs, vous avez détourné des fonds de la société à votre profit et ce en toute connaissance de cause.

Un tel comportement est indigne. »

M. [N] conteste son licenciement pour faute grave, faisant valoir que les griefs invoqués par l'employeur sont prescrits et, en tout état de cause, ne constituent pas une faute grave.

Sur la prescription des faits invoqués

En application de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. Cependant, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à 2 mois dès lors que le comportement du salarié s'est poursuivi ou a été réitéré dans ce délai.

En l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement que la SARL Rasa a invoqué l'encaissement, par le salarié, de fonds destinés à la société mais également son refus, injustifié, de restituer cette somme d'argent, refus réitéré lors de l'entretien préalable.

M. [N] ne peut donc soutenir que son licenciement serait uniquement fondé sur l'encaissement du chèque litigieux.

En outre, l'employeur expose n'avoir pas tout de suite eu connaissance de l'encaissement du chèque litigieux par le salarié, son courrier du 08 novembre 2018 faisant état de sa surprise et de son choc d'apprendre par l'expert d'assurance que M. [N] avait réceptionné et encaissé le chèque et lui demandant son remboursement.

En l'absence de réponse du salarié, la SARL Rasa a envoyé un courrier le 10 décembre 2018 le mettant en demeure de rembourser la somme correspondante.

En réponse, M. [N] a fait part à l'employeur par courrier daté du 15 janvier 2019 qu'il avait connaissance du fait que ce chèque concernait l'indemnisation du sinistre mais qu'il l'avait encaissé car il avait demandé l'indemnisation de ses heures supplémentaires, ce qui lui avait été refusé.

Le comportement délibéré du salarié se poursuivait donc lors de l'envoi de son courrier le 15 janvier 2019, date à laquelle M. [N] a confirmé le caractère volontaire de l'encaissement des fonds qui ne lui étaient pas destinés et son refus de les restituer. La SARL Rasa pouvait dès lors prendre en compte l'encaissement du chèque litigieux dans le cadre de la procédure disciplinaire initiée le 30 janvier 2019 et ce, bien qu'elle en ait eu connaissance à tout le moins dès le 08 novembre 2018.

Les contestations du salarié fondées sur la prescription des faits fautifs seront donc écartées.

Sur la faute

M. [N] soutient que les faits reprochés par l'employeur ne sont pas constitutifs d'une faute grave ni d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, le salarié se prévalant notamment du long délai intervenu entre la connaissance du fait fautif par l'employeur et le début de la procédure disciplinaire.

Si la procédure de licenciement pour faute grave doit être mise en 'uvre dans un délai restreint, à partir du moment où l'employeur a connaissance des faits, le maintien du salarié dans l'entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises. Par ailleurs, en l'absence du salarié dans l'entreprise, l'écoulement d'un délai entre la faute et le début de la procédure disciplinaire ne peut avoir pour effet de retirer à la faute son caractère de gravité.

En l'espèce, ayant appris qu'un chèque avait été adressé par l'assureur au salarié, la SARL Rasa a pris attache auprès de celui-ci, qui était alors en arrêt maladie, pour vérifier l'encaissement des sommes litigieuses par ses soins et en connaître les raisons dès le mois de novembre 2018.

En l'absence de réponse du salarié, l'employeur a envoyé une relance le 10 décembre 2018. La SARL Rasa reconnaît dans ses écritures avoir ainsi « tout d'abord cherché une issue amiable à ce litige » en demandant à M. [N] remboursement des sommes. Une telle volonté établit effectivement que le seul encaissement du chèque par M. [N] n'avait pas, pour la SARL Rasa, le caractère d'une faute grave.

Ce n'est cependant qu'après la réception de la réponse du salarié, dans un courrier du 15 janvier 2019, confirmant cet encaissement ainsi que son refus de restituer la somme, qu'il déclarait au demeurant ne plus avoir en sa possession, que la SARL Rasa a été mise en mesure d'appréhender la situation globale et de prendre des mesures disciplinaires à son encontre.

Par ailleurs, il ressort des éléments versés aux débats par le salarié, bulletins de paye et tableau récapitulatif d'heures supplémentaires, que M. [N] était en absence pour maladie depuis le 28 août 2018 et donc absent de l'entreprise.

Dès lors, au vu de ces circonstances, le délai écoulé entre sa réponse par courrier du 15 janvier 2019 démontrant sa connaissance du caractère indu des sommes encaissées et manifestant son refus exprès de les rembourser à l'employeur et le début de la procédure disciplinaire le 30 janvier 2019 ne pouvait avoir pour effet de retirer à la faute son caractère de gravité.

Cette faute grave est par ailleurs caractérisée s'agissant d'un détournement par M.[N] de fonds ne lui appartenant pas au détriment de l'employeur, que ne pouvait justifier l'existence d'une éventuelle créance de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, dont ni le principe, ni le quantum n'étaient certains, liquides et exigibles, un salarié ne pouvant se faire justice à lui-même en commettant une indélicatesse qui aurait pu recevoir une qualification pénale.

Le jugement sera donc confirmé par ces motifs s'ajoutant à ceux non contraires des premiers juges en ce qu'il a retenu que le licenciement de M. [N] pour faute grave était fondé et débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes formées en conséquence.

Sur les heures supplémentaires et le repos compensateur

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, M. [N] produit des tableaux qu'il a réalisés et qui reprennent, jour par jour, entre le 22 février 2016 et le 31 août 2018, un décompte des heures de travail qu'il soutient avoir effectuées. Il ajoute au soutien de cette production des attestations :

- de M. [K] qui expose que M. [N] réalisait de manière régulière des heures supplémentaires compte tenu de ses tâches et de la charge de travail ;

- de M. [T] habitant dans une rue de [Localité 4] et exposant qu'il y croisait tous les jours M. [N] sur le chemin de son lieu de travail, ses journées commençant dès cinq heures du matin et se terminant après dix-neuf heures.

- de M. [P], salarié de la boucherie et collègue de travail de M. [N] entre 2013 et 2015, attestant que ce dernier arrivait sur le lieu de travail le matin avant ses collègues qui arrivaient à 8h, ne prenait qu'une brève pause déjeuner de 15 mn et repartait après ses collègues qui partaient à 19h le soir. M. [P] indiquait qu'en période estivale, il voyait souvent M. [N] faire des nuits complètes pour fabriquer des merguez.

- de Mmes [E] et [C] salariées d'une boulangerie située à [Adresse 5] et exposant avoir eu M. [N] en client quasiment tous les jours de 2012 à 2015 pour Mme [E] et sans précision de dates pour Mme [C].

En premier lieu, il est relevé que la lecture de l'attestation de M. [K] ne permet pas d'identifier des faits qui correspondraient à la période (2016-2018) sur laquelle M. [N] soutient avoir fait des heures supplémentaires.

Il en est de même de l'attestation de M. [P] qui a travaillé auprès de M. [N] entre 2013 et 2015 et pour Mme [E] qui relate des faits s'arrêtant en 2015.

L'attestation de M. [T] ne contient pas d'indication de dates.

L'attestation de Mme [C] est quant à elle imprécise en ce qu'elle relate uniquement que M. [N] venait à la boulangerie « tous les jours pour prendre ses croissants et son pain » et discutait de sa charge de travail, sans que cela ne permette de corroborer précisément les horaires allégués par le salarié, ce d'autant que la boulangerie, à [Localité 6], ne se trouve pas géographiquement proche du lieu de travail du salarié, à [Localité 4], mais à plusieurs kilomètres.

Cependant, ces attestations, toutes cohérentes entre elles, convergent pour indiquer que M. [N] effectuait avant 2016 des horaires de travail pouvant aller de 5h du matin à après 19h et travaillait régulièrement les samedis.

Elles permettent ainsi à tout le moins de confirmer les dires du salarié concernant la charge de travail que représentait son emploi dans la boucherie et la nécessité de réaliser un volume horaire conséquent pour effectuer les tâches nécessaires.

A l'inverse, rien ne permet d'établir que ce rythme de travail avait changé sur la période 2016-2018, l'employeur ne produisant aucun élément sur ce point. Or, il est rappelé que la charge de la preuve des heures de travail accomplies ne peut reposer uniquement sur le salarié, l'employeur étant en principe tenu de fournir des éléments justifiant les horaires de ses salariés.

En outre, les décomptes de M. [N] sont très précis quant aux heures supplémentaires qu'il soutient avoir effectué jour par jour sur l'intégralité de la période mise en compte et la SARL Rasa ne fournit pas davantage d'éléments pour y répondre.

Dès lors, il sera fait droit à la demande de M. [N] portant sur les années 2016, 2017 et 2018 soit trois années avant la rupture du contrat. Sur la base des décomptes et calculs précis produits par le salarié, qui ne sont contredits par aucun élément, il sera fait droit à ses demandes à hauteur de :

- 18.040,52 € bruts pour l'année 2016 correspondant à 668,75 heures supplémentaires,

- 9.242,81 € bruts pour l'année 2017 correspondant à 375,5 heures supplémentaires,

- 13.053,06 € bruts pour l'année 2018 correspondant à 516,5 heures supplémentaires.

Ces sommes de nature contractuelle porteront intérêts au taux légal à compter de la demande, comme le sollicite le salarié, soit le 1er juin 2019, date de la convocation de la SARL Rasa devant le bureau de conciliation et d'orientation.

M. [N] sollicite également le paiement de sommes dues au titre des repos compensateurs et des congés payés.

En application de l'article L. 3121-30 du code du travail, des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel. Les heures effectuées au delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos. Les heures prises en compte pour le calcul du contingent annuel d'heures supplémentaires sont celles accomplies au delà de la durée légale. Les heures supplémentaires ouvrant droit au repos compensateur équivalent mentionné à l'article L. 3121-28 et celles accomplies dans les cas de travaux urgents énumérés à l'article L. 3132-4 ne s'imputent pas sur le contingent annuel d'heures supplémentaires.

Aux termes de l'article D. 3121-23, le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu'il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu'il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis. Cette indemnité a le caractère de salaire.

En l'espèce, M. [N] établit qu'il a systématiquement en 2016, 2017 et 2018 dépassé la durée légale de travail et le contingent annuel d'heures supplémentaires fixé à 220 heures par an par l'article 16.9 de la convention collective nationale de la charcuterie de détail.

Les fiches de paye du salarié versées aux débats pour cette période ne font état d'aucun repos compensateur comptabilisé par l'employeur ni pris par le salarié.

Dès lors, dans la mesure où il n'est pas contesté que la société emploie moins de 20 salariés, c'est une indemnité à hauteur de 50 % qui doit être versée au salarié au titre de la contrepartie obligatoire en repos.

Il sera donc fait droit à la demande de M. [N], justifiée par les calculs qu'il produit sur la base du tableau d'heures supplémentaires précité, à hauteur de :

3.975,77 € bruts au titre des repos compensateurs pour l'année 2016 sur 448 heures dépassant le contingent annuel et 397,58 € bruts au titre des congés payés y afférents,

1.375,55 € bruts au titre des repos compensateurs pour l'année 2017 sur 155 heures dépassant le contingent annuel et 137,55 € bruts au titre des congés payés y afférents,

2.626,85 € bruts au titre des repos compensateurs pour l'année 2018 sur 296 heures dépassant le contingent annuel et 262,68 € bruts au titre des congés payés y afférents.

Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes du salarié sur ce point et il sera fait droit à ces demandes. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, s'agissant de créances de nature indemnitaire destinées à compenser des repos non accordés.

Enfin, la Cour constate que si M. [N] conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à la SARL Rasa la somme de 26.721,46 euros correspondant au montant du chèque destiné à l'employeur et encaissé par le salarié, il ne développe aucun moyen au soutien de l'infirmation et reconnaît avoir encaissé ce chèque qui ne lui était pas destiné. Le jugement ne peut donc qu'être confirmé de ce chef.

Cette somme viendra en compensation des rappels de salaire dus au salarié.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dispositions du jugement dont appel statuant sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile seront infirmées.

Les deux parties succombant devant la Cour, elles seront condamnées chacune à la moitié des dépens d'instance et d'appel.

M. [N] et la SARL Rasa seront déboutés respectivement de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement entrepris pour avoir dit le licenciement pour faute grave bien fondé et avoir débouté M. [X] [N] de ses demandes en rapport avec ce licenciement, ainsi que pour avoir condamné M. [X] [N] à payer à la SARL Rasa la somme de 26.721,46 € en remboursement du chèque qu'il a indûment encaissé ;

Infirme le jugement entrepris pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la SARL Rasa à payer à M. [X] [N] les sommes suivantes à titre de rappels de salaires :

18.040,52 € bruts au titre des heures supplémentaires pour l'année 2016,

9.242,81 € bruts au titre des heures supplémentaires pour l'année 2017,

13.053,06 € bruts au titre des heures supplémentaires pour l'année 2018.

Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la demande, soit le 1er juin 2019 ;

Condamne la SARL Rasa à payer à M. [X] [N] les sommes suivantes à titre d'indemnité allouée en compensation du repos compensateur non pris :

3.975,77 € bruts au titre des repos compensateurs pour l'année 2016 et 397,58 € bruts au titre des congés payés y afférents,

1.375,55 € bruts au titre des repos compensateurs pour l'année 2017 et 137,55 € bruts au titre des congés payés y afférents,

2.626,85 € bruts au titre des repos compensateurs pour l'année 2018 et 262,68 € bruts au titre des congés payés y afférents,

ces montants avec les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Ordonne la compensation entre les créances respectives des parties ;

Condamne M. [X] [N] et la SARL Rasa à supporter chacun la moitié des dépens d'instance et d'appel ;

Déboute M. [X] [N] et la SARL Rasa de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 20/01292
Date de la décision : 25/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-25;20.01292 ?
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