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25/04/2022 | FRANCE | N°20/00601

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 25 avril 2022, 20/00601


Arrêt n°22/00228



25 avril 2022

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N° RG 20/00601 -

N° Portalis DBVS-V-B7E-FH7X

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

11 février 2020

19/00488

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1







ARRÊT DU



Vingt cinq avril deux mille vingt deux





APPELANTE :



S.A.R.L. ALDI ENNERY prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Alexandra DUQUESNE-THEOBALD, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Mes Anne M...

Arrêt n°22/00228

25 avril 2022

------------------------

N° RG 20/00601 -

N° Portalis DBVS-V-B7E-FH7X

----------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

11 février 2020

19/00488

----------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Vingt cinq avril deux mille vingt deux

APPELANTE :

S.A.R.L. ALDI ENNERY prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Alexandra DUQUESNE-THEOBALD, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Mes Anne MURGIER et Hélène MORATTO, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant

INTIMÉS :

Mme [D] [K]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Saïkou DRAMÉ, avocat au barreau de METZ

SYNDICAT CNSF ALDI MARCHÉ pris en la personne de son représentant

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Saïkou DRAMÉ, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 janvier 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

Madame Laëtitia WELTER, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS

Mme [D] [K] a été engagée par la société ALDI marché EST, devenue SARL ALDI ENNERY (Aldi), selon contrat à durée indéterminée, à compter du 21 septembre 1992, en qualité d'employée administrative.

En dernier lieu elle percevait une rémunération mensuelle brute de 2.042,14 euros.

La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Mme [K] était représentante syndicale au comité d'entreprise et au CHSCT depuis le mois d'avril 2018.

Le 1er février 2019, la SARL Aldi a formé une demande d'autorisation de rupture conventionnelle du contrat de Mme [K] auprès de l'inspecteur du travail.

Par décision du 03 avril 2019, l'inspecteur du travail a refusé la demande d'autorisation.

Mme [K], par courrier du 17 mai 2019, a informé son employeur qu'elle prenait acte de la rupture de son contrat de travail, invoquant une situation de harcèlement moral à son encontre ainsi qu'une violation par la SARL Aldi de son obligation de sécurité.

La SARL Aldi a contesté cette prise d'acte.

Par acte introductif enregistré au greffe le 05 juin 2019, Mme [K] a saisi le Conseil de prud'hommes de Metz demandant à voir :

- Juger que sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul ;

- Condamner la SARL Aldi à lui payer les sommes suivantes :

* 4.085,00 € bruts au titre de l'indemnité de préavis;

* 408,50 € bruts au titre des congés payés afférents

* 16.392,00 € nets au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

Le tout avec intérêt au taux légal à compter du jour de la demande et exécution provisoire de plein droit en application des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail ;

* 50.000,00 € nets au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

* 2.042,14 € nets par mois à compter du mois de juin 2019 jusqu'à l'organisation des prochaines élections professionnelles, pour violation du statut protecteur ;

Avec intérêts de droit à compter du jugement à intervenir et exécution provisoire en application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile;

- Constater qu'elle a été victime d'une situation de harcèlement moral et que l'employeur n'a pas respecté son obligation de sécurité de résultat.

- Condamner la SARL Aldi à lui payer les sommes suivantes :

* 10.000 euros nets pour harcèlement moral ;

* 10.000 euros nets du fait de la défaillance de l'employeur dans son obligation de sécurité ;

* 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner la SARL Aldi aux dépens.

Le syndicat CNSF Aldi Marché sollicitait, quant à lui, 2.500 euros net à titre de dommages intérêts.

Par jugement du 11 février 2020, le Conseil de prud'hommes de Metz, section commerce, a :

- Dit et jugé la demande de Mme [K] recevable et bien fondée ;

- Dit et jugé que la prise d'acte de Mme [K] produit les effets d'un licenciement nul ;

En conséquence,

- Condamné la SARL Aldi à payer à Mme [K] la somme de 4.085,00 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis ainsi que la somme de 408,00 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

- Condamné la SARL Aldi à payer à Mme [K] la somme de 16.392,00 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement ;

Avec intérêts de droit à compter du jour de la demande ;

- Rappelé l'exécution provisoire de droit en application des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail :

- Condamné la SARL Aldi à payer à Mme [K] la somme de 2.042,14 euros nets par mois à compter de juin 2019 jusqu'à l'organisation des élections professionnelles, au titre de l'indemnité pour violation du statut protecteur ;

- Condamné la SARL Aldi à payer à Mme [K] la somme de 45.000,00 euros nets au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- Constaté que Mme [K] a subi des agissements de harcèlement durant l'exécution de son contrat de travail, et que la SARL Aldi n'a pris aucune mesure préventive ;

- Condamné la SARL Aldi à payer à Mme [K] la somme de 5.000,00 euros nets en réparation du préjudice du fait du harcèlement subi ;

- Condamné la SARL Aldi à payer à Mme [K] la somme de 5.000,00 euros nets pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat;

- Déclaré la demande du syndicat CNSF Aldi Marché recevable et bien fondée ;

En conséquence,

- Condamné la SARL Aldi à payer au syndicat CNSF Aldi Marché, la somme de 1.500,00 € nets au titre des dommages et intérêts à valoir sur le préjudice causé à la collectivité de travail ;

- Condamné la SARL Aldi prise en la personne de son représentant légal à payer à Mme [K] la somme de 1.000 euros de l'article 700 du code de procédure civile:

Le tout avec intérêts de droits à compter du jour de la notification de la présente décision ;

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement en application de l'article 515 du code de procédure civile ;

- Débouté la SARL Aldi de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la SARL Aldi aux frais et dépens et aux éventuels frais d'exécution ;

- Ordonné à la SARL Aldi le remboursement à Pôle Emploi des indemnités chômage versées à Mme [K], dans la limite de six mois.

Par déclaration formée par voie électronique le 03 mars 2020, la SARL Aldi Ennery a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par ses dernières conclusions du 10 novembre 2020, la SARL Aldi demande à la Cour de :

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de prud'hommes de Metz en date du 11 février 2020 ;

En conséquence :

À titre principal :

- Débouter Mme [K] de l'ensemble de ses demandes ;

- Débouter le syndicat CNSF ALDI ENNERY de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire :

- Réduire à de plus justes proportions les dommages-intérêts pour licenciement nul à la somme de 12.252,84 euros ;

En tout état de cause :

- Condamner Mme [K] et le syndicat CNSF ALDI ENNERY à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner Mme [K] et le syndicat CNSF ALDI ENNERY aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions datées du 21 janvier 2021, Mme [K] et le syndicat CNSF Aldi Marché demandent à la Cour de :

- Confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Metz en date du 11 février 2020 ;

- Condamner en outre la société Aldi Ennery prise en la personne de son représentant légal au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- La condamner aux entiers frais et dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 03 mars 2021.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS

Sur la prise d'acte

Sur l'articulation de la prise d'acte avec la rupture conventionnelle

Il est en premier lieu rappelé que le refus d'autorisation de la rupture conventionnelle prive la convention de rupture de validité, l'article L. 1237-15 du code du travail subordonnant expressément l'effet de la convention à l'autorisation de l'inspecteur du travail.

Dès lors, n'est pas applicable en l'espèce la jurisprudence invoquée par la SARL Aldi selon laquelle, en l'absence de rétractation de la convention de rupture, un salarié ne peut prendre acte de la rupture du contrat de travail entre la date d'expiration du délai de rétractation et la date d'effet prévue de la rupture conventionnelle que pour des manquements survenus ou dont il a eu connaissance au cours de cette période.

Au demeurant, la lecture de la décision de la cour de cassation invoquée par la SARL Aldi fait expressément ressortir que, dans cette affaire, la rupture conventionnelle avait été homologuée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Par conséquent, suite au refus d'autorisation de la rupture conventionnelle par l'inspection du travail, Mme [K] pouvait valablement invoquer lors de sa prise d'acte des faits antérieurs à la date d'expiration du délai de rétractation de la rupture conventionnelle.

Le moyen soulevé par l'employeur sur ce point est donc infondé et les motifs de la prise d'acte, même antérieurs à la rupture conventionnelle, doivent être examinés.

Sur les motifs de la prise d'acte

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par lui constituent des manquements d'une importance telle qu'ils empêchaient la poursuite des relations contractuelles, soit d'une démission dans le cas contraire.

Il appartient donc au juge de vérifier si les faits invoqués par le salarié sont établis et, dans l'affirmative, s'ils caractérisent des manquements d'une importance telle qu'ils empêchaient la poursuite des relations contractuelles, la rupture étant alors imputable à l'employeur et produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul selon la nature des faits invoqués.

C'est au salarié qui prend l'initiative de la rupture qu'il appartient d'établir la réalité de ces manquements, à charge pour le juge d'en apprécier la gravité, et si un doute subsiste la rupture produit les effets d'une démission.

Le juge se doit enfin d'examiner l'ensemble des griefs invoqués par le salarié, sans se limiter aux griefs mentionnés dans la lettre de rupture.

En l'espèce, s'agissant des motifs invoqués par Mme [K] au soutien de sa prise d'acte, le courrier du 17 mai 2016 fait état d'une situation de harcèlement moral que la salariée expose subir au travail et d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité. Elle développe également ces mêmes griefs dans la présente instance.

La SARL Aldi ne peut donc utilement soutenir qu'un refus d'autorisation de la rupture conventionnelle par l'inspecteur du travail n'est pas une cause de prise d'acte puisque Mme [K] n'invoque pas ce refus d'autorisation comme motif de sa prise d'acte mais comme élément de preuve des faits motivant sa prise d'acte.

Il convient par conséquent d'examiner successivement les manquements reprochés par Mme [K] à son employeur.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

S'agissant de la preuve du harcèlement, l'article L. 1154-1 du même code précise que lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1, le salarié « présente des éléments de fait laisser supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».

*Les éléments présentés par la salariée

Mme [K] présente au soutien de sa demande trois attestations de collègues faisant principalement état d'une mise à l'écart de la salariée par sa supérieure hiérarchique et ses collègues du service :

- une attestation de Mme [N] qui relate que, à compter de 2018, après que Mme [K] a décidé de se présenter auprès du syndicat CNSF, les relations avec ses collègues se sont dégradées, Mme [N] indiquant qu' « on ne lui adressait plus la parole et on lui faisait des remarques sur ces agissements ». Elle ajoute « Quelques temps plus tard, Mme [K] s'est vu être en maladie suite à une opération et là aussi, les représailles ont continué. Une nouvelle collègue en intérim, ne lui disait même pas bonjour, ses collègues de la comptabilité ne lui adressaient plus la parole, ce fut un climat terrible et tout y allait en s'accentuant. Mise au placard, on lui faisait faire que du classement... des menaces verbales lui ont été dites. (') j'allais la voir en pause, elle pleurait, elle avait la boule au ventre quand elle allait au travail tous les jours.»

- une attestation de Mme [F], collègue de l'intimée, qui relate également : « Depuis une année, j'ai pu constater soudainement que Mme [K] est devenue persona non grata dans son service : le comportement de ses collègues de travail avait changé à son égard, et j'en ignore la cause, mais d'un seul coup on s'est mis à lui faire des reproches sur son travail et à l'éviter. Le summum a été atteint lorsqu'elle a repris son travail après son arrêt maladie de quelques mois à l'automne 2018 : à son retour, ses collègues ne lui adressaient plus la parole ni ne la saluait à son arrivée. »

- une attestation de Mme [Z], autre collègue de Mme [K], qui indique : « Son entrée à la CNSF a été l'élément déclencheur. A son retour d'un arrêt maladie, elle a été totalement ignorée, mise à l'écart et critiquée... »

Il ressort également de ces attestations qu'après son arrêt maladie Mme [K] n'a été affectée qu'à des tâches de classement, étant précisé que la salariée avait alors 27 ans d'ancienneté.

La SARL Aldi se prévaut du défaut d'objectivité de ces trois salariées dans la mesure où elles n'exercent pas leurs fonctions dans le même service que Mme [K]. Toutefois, cette dernière expose en réplique, sans être utilement contredite par l'employeur sur ce point, qu'elles travaillaient toutes dans un « open space », proches les unes des autres, ce qui leur permettait d'avoir connaissance du quotidien de travail de l'intimée.

Mme [N] précise en outre dans son attestation qu'elle allait voir Mme [K] en pause et pouvait donc objectivement avoir connaissance de l'état de cette dernière sur son lieu de travail.

Enfin, il est relevé que ces attestations sont toutes concordantes sur la date de début des agissements tels que dénoncés par la salariée et sur la réalité de ces agissements.

Mme [K] présente également au soutien de sa demande la décision de l'inspection du travail en date du 03 avril 2019, refusant d'autoriser la rupture conventionnelle de son contrat de travail aux motifs que celle-ci ne relevait pas d'une volonté libre et éclairée de la salariée et que « son appartenance syndicale et notamment son mandat ne sont pas étrangers à la rupture envisagée ».

Cette décision relève que « la situation de souffrance au travail de Mme [K] est établie tant suite aux auditions des salariés qu'aux PV de réunion du comité d'entreprise ''.

L'inspection du travail indique ainsi que l'enquête a « révélé que la situation de Mme [K] s'en est trouvée dégradée suite à sa prise de fonction en qualité de représentante syndicale au comité d'entreprise ainsi qu'à son arrêt maladie qui faisait suite à une opération chirurgicale » et que les auditions des salariés du service administratif ont mis en évidence que : « Mme [K], lorsque le délégué du personnel de son organisation syndicale passait la saluer, était invitée par le responsable du personnel à lui rendre compte du motif de la visite de ce délégué, lui faisant remarquer que le délégué ne devait pas perturber le travail des employés au bureau. La responsable de Mme [K] lui a indiqué que si elle n'était pas satisfaite elle pouvait aller travailler chez LIDL. Le responsable du personnel n'a pas nié avoir reproché le trop long arrêt maladie de Mme [K] ».

Enfin, il est constant entre les parties qu'une employée de son service a déclaré, sur son lieu de travail, hors de la présence de Mme [K] mais à son encontre et devant leur responsable de service, « si elle continue, je vais lui mettre mon poing dans la gueule ». Contrairement à l'interprétation que prétend en faire Mme [E], salariée autrice des propos, dans son attestation, une telle phrase, même non suivie d'une agression physique, constitue bien une menace violente et agressive.

De tous ces éléments, il ressort que Mme [K], suite au début de son activité syndicale puis, plus particulièrement, lors de son retour d'arrêt maladie en 2018, a été mise à l'écart par ses collègues, menacée d'agression physique et a subi plusieurs reproches et remarques négatives quant à son arrêt maladie et sa présence au sein de l'entreprise, engendrant chez la salariée une souffrance au travail l'ayant poussée à accepter le principe d'une rupture conventionnelle de son contrat.

Ainsi, Mme [K] présente des faits matériels précis et concordants laissant effectivement supposer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

*Les éléments de réponse de l'employeur

En réponse à ces éléments, la SARL Aldi fait principalement valoir que la décision de l'inspecteur du travail n'est pas suffisamment probante et ne peut servir de fondement à la prise d'acte dès lors qu'elle entendait la contester mais n'en a pas eu le temps, Mme [K] ayant pris acte de la rupture de son contrat avant la fin du délai de recours dont disposait l'employeur.

Toutefois, force est de constater comme le souligne la salariée que ce délai de deux mois expirait le 05 juin 2019 quand la prise d'acte est datée du 17 mai 2019. L'employeur a donc disposé d'un mois et demi pour contester le refus d'homologation avant qu'intervienne la prise d'acte. Il ne justifie aucunement en avoir eu l'intention et avoir été pris par le temps pour ce faire.

De surcroit, la décision de l'inspection du travail indique expressément qu'elle a été rendue après enquête contradictoire effectuée le 27 février 2019, avec audition des parties et audition des salariés du service administratif le 18 mars 2019, de sorte qu'il ne peut être utilement soutenu par l'employeur que la décision n'aurait pas pris en compte des versions des faits autres que celle de l'intimée.

La SARL Aldi soutient également que la décision de l'inspection du travail est erronée en ce qu'elle mentionne que M. [I], responsable du personnel et président du comité d'entreprise, n'a pas contesté avoir tenu des propos critiquant la longueur de l'arrêt maladie de Mme [K].

Cependant, cette contestation est postérieure à l'introduction de l'instance par la salariée et n'apparait dans aucun élément précédant la demande en justice.

Ainsi, alors que ces propos ont été mentionnés devant le comité d'entreprise lors de la réunion du 15 janvier 2019, et alors que l'employeur soutient prendre soin d'apporter systématiquement des réponses aux procès-verbaux de réunion avec lesquels il se trouve en désaccord, force est de constater que le compte-rendu du 15 janvier 2019 qui mentionne les propos de M. [I] n'a pas été contredit ou précisé sur ce point dans la réponse de l'employeur du 14 février 2019.

La contestation tardive et pour les besoins de la cause de la tenue de ces propos n'est donc pas probante.

La SARL Aldi soutient encore que la situation décrite par Mme [K] n'est pas conforme à la réalité, dès lors que cette dernière était bien à l'origine de la demande de rupture conventionnelle de son contrat de travail refusée par l'inspection du travail.

Toutefois, aucun élément ne permet de confirmer cette présentation de l'origine de la rupture conventionnelle, dès lors que, comme l'ont souligné les premiers juges, la lettre de Mme [K], datée du 12 décembre 2018 est rédigée comme suit : « Monsieur le responsable du personnel. Je vous fais part de ma volonté d'accepter une procédure de rupture conventionnelle de mon contrat à durée indéterminée. »

Les termes de ce courrier établissent que, contrairement à ce que soutient la SARL Aldi, l'initiative de la rupture conventionnelle n'émanait pas de la salariée, l'inspection du travail ayant d'ailleurs relevé que Mme [K] n'avait pas indiqué avoir un quelconque projet suite à la rupture conventionnelle envisagée, « son seul souhait étant de quitter l'entreprise pour ne plus avoir à souffrir du comportement de sa hiérarchie ».

Ces éléments ne permettent donc pas de démontrer que les agissements dénoncés par la salariée n'étaient pas constitutifs de harcèlement moral.

Ensuite, pour démontrer que Mme [K] n'aurait pas été mise à l'écart, la SARL Aldi soutient qu'elle a bénéficié de formations « outils informatiques » et « Excel » en 2012 et qu'elle aurait souhaité participer à une formation incendie dont elle s'est désistée.

La pertinence de ces éléments fait particulièrement défaut, s'agissant de formations effectuées en 2012, alors que la situation de mise à l'écart dénoncée par la salariée recouvre la période 2018 à 2019 suite au début de son activité syndicale puis à son arrêt maladie. L'appelante ne fournit en outre aucun élément quant au désistement allégué de la salariée pour une formation incendie, dont la date n'est pas précisée.

Au demeurant, la réalisation de formations ne saurait constituer une preuve de ce que la salariée n'était pas mise à l'écart au quotidien sur son lieu de travail par ses collègues ou par sa supérieure hiérarchique au regard des tâches qui lui étaient attribuées.

A cet égard, l'employeur fait ensuite valoir que les remarques de la supérieure hiérarchique de Mme [K] et l'avertissement qui lui a été adressé sont fondés et relèvent du pouvoir normal de direction sans constituer un harcèlement moral. Il ajoute que Mme [K] a rencontré des difficultés relationnelles avec ses collègues qui ne sont pas du harcèlement moral.

Les seuls éléments fournis par la SARL Aldi au soutien de sa démonstration sont des attestations qui émanent de Mme [L], supérieure de la salariée, M. [I], responsable du personnel, et Mme [E], collègue, tous trois nommément désignés par Mme [K] comme auteurs des agissements dénoncés et visés dans les faits relevés par l'inspection du travail au soutien de sa décision.

Or, ces attestations rédigées après l'enquête sont insuffisantes à contredire les résultats de celle-ci, notamment s'agissant de M. [I] qui indique a posteriori qu'il n'aurait pas tenu les propos rapportés par la salariée, critiquant la durée de son arrêt de travail, alors qu'il a été relevé précédemment qu'il n'a contesté ceux-ci ni lors de la réunion du 15 janvier 2019 du comité d'entreprise, dont il est le président, ni dans les précisions apportées au compte-rendu le 14 février 2019, ni ensuite lors de l'enquête de l'inspection du travail.

En outre, Mme [L], responsable de Mme [K], ne nie pas lui avoir dit qu'elle pouvait aller travailler ailleurs, expliquant que cette remarque intervenait car Mme [K] aurait souhaité changer le mode de fonctionnement du service.

Une telle remarque émanant de la supérieure hiérarchique de la salariée, qui a pour effet de faire ressentir à cette dernière qu'elle n'a pas sa place sur le lieu de travail, ne peut être anodine en ce qu'elle s'ajoute au contexte de mise à l'écart de la salariée par les collègues de son propre service tel qu'établi par les attestations de Mmes [N], [F] et [Z].

De plus, si l'employeur fait valoir que les remarques de Mme [L] envers la salariée étaient justifiées car Mme [K] refusait de suivre des instructions légitimes et n'effectuait pas correctement son travail, un tel comportement de la salariée n'est pas établi, la SARL Aldi se bornant à produire une attestation de Mme [L] postérieure à l'enquête de l'inspection du travail qui l'avait mise en cause.

Les prétendus insubordinations et manquements professionnels de Mme [K] n'ont fait l'objet d'aucune trace écrite probante au sein de l'entreprise, la seule sanction infligée par l'employeur à la salariée en 26 ans d'ancienneté étant fondée sur le fait que cette dernière arrivait trop tôt au travail et avait eu une utilisation excessive du téléphone de la société pour des conversations personnelles.

Les faits objets de l'avertissement ne sont ainsi aucunement liés à la mise à l'écart par ses collègues et aux reproches émanant de sa supérieure hiérarchique tels que dénoncés par la salariée. Mme [K] n'invoque au demeurant pas le caractère infondé de cet avertissement dans les conclusions présentées à la cour, de sorte que ce point n'est pas pertinent.

Enfin, Mme [E] a reconnu avoir proféré au bureau devant la responsable de service, une menace d'agression physique envers Mme [K], ce qui caractérise un comportement particulièrement grave.

La menace proférée (« si elle continue, je vais lui mettre mon poing dans la gueule ») traduisait une animosité certaine envers Mme [K] et s'inscrivait en outre également dans le contexte de mise à l'écart de la salariée, de silence et négation de sa présence par certains de ses collègues et remarques négatives sur ses choix ou propositions quant à son travail par sa supérieure hiérarchique et le responsable du personnel, le tout étant par conséquent de nature à porter atteinte à ses droits et à sa dignité et d'altérer sa santé physique ou mentale.

La SARL Aldi échoue ainsi à rapporter la preuve que les agissements répétés subis par Mme [K] ne constituaient pas un harcèlement moral.

Le harcèlement moral invoqué par Mme [K] au soutien de sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail est donc établi.

Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

Mme [K] a également invoqué, au soutien de sa prise d'acte, le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, celui-ci ayant créé selon elle une situation délétère à son encontre au sein de l'entreprise.

En réponse sur ce point, la SARL Aldi soutient en premier lieu que la cour d'appel n'est pas compétente pour connaître de la demande de Mme [K] en indemnisation d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité car il s'agirait en réalité d'une demande de réparation d'une atteinte à sa santé, qui est de la compétence du pôle social.

A cet égard, il sera d'abord rappelé que Mme [K] n'invoque pas seulement ce manquement de l'employeur au soutien d'une demande en responsabilité mais l'invoque également comme moyen au soutien du bien-fondé de sa prise d'acte pour laquelle la compétence de la cour ne souffre d'aucune contestation.

Au surplus, l'appelante n'a saisi la cour d'aucune exception d'incompétence et il ne s'agit pas d'une cause d'incompétence justifiant le relevé d'office d'une telle exception de procédure. La responsabilité de la SARL Aldi sur ce fondement sera donc examinée au fond.

A cet égard, il est établi que Mme [K] a vécu une situation de harcèlement moral, à propos de laquelle, la SARL Aldi, pourtant informée, n'a mené aucune enquête ni pris aucune mesure de nature à la faire cesser.

En effet, dès la réunion du comité d'entreprise du 15 janvier 2019, Mme [K] a fait état de la dégradation de sa situation de travail et de l'impact que cela avait sur elle, la poussant à accepter une rupture conventionnelle.

Par la suite, l'enquête de l'inspection du travail a confirmé les agissements dénoncés par Mme [K] et sa décision de refus d'autorisation de la rupture conventionnelle a été portée à la connaissance de l'employeur. Cette décision contenait expressément l'indication suivante : « les élus du CHSCT ont demandé à l'employeur la tenue d'une enquête concernant des faits de menace physique, de harcèlement psychologique de la part de collègues et de la direction ; qu'au jour de la présente décision, aucune enquête relative à cette problématique n'a été menée. »

De plus, Mme [K] a fait l'objet d'une menace, hors sa présence, par une de ses collègues, Mme [E], qui reconnaît avoir indiqué à leur responsable de service « si elle continue, je vais lui mettre mon poing dans la gueule ».

Le fait que Mme [E] expose dans une attestation que cette phrase a été prononcée hors la présence de l'intimée et « sur le coup de la colère » n'est pas suffisante pour exonérer l'employeur de son obligation de prendre des mesures pour faire cesser l'existence d'une situation particulièrement hostile à l'égard d'une de ses salariées, ce d'autant que cette menace avait été prononcée en présence de la responsable de service.

En commentaire de ces propos, et interrogé sur les suites données par l'employeur, M.[I], responsable du personnel et président du CE, lors de la consultation du comité d'entreprise sur la rupture conventionnelle du contrat de travail de Mme [K] le 15 janvier 2019, a indiqué : « qu'il n'était pas policier, que les gens étaient libres de ce qu'ils veulent. Et que ce sont des choses qui les regardent eux parce qu'il n'est pas leur père ni leur tuteur. »

La réponse apportée par l'employeur sur ce point par courrier du 14 février 2019, commentant le compte-rendu de la réunion, ne dément pas les propos tenus par M.[I] qui traduisent une désinvolture de la part de l'employeur face à des faits d'une gravité certaine s'agissant d'une menace d'agression physique.

En effet, la SARL Aldi a uniquement indiqué en réponse, un mois après, que « le Président précise que des messages ont été passés aux personnes concernées », sans plus de précision quant auxdits messages et personnes.

M. [I] atteste désormais, dans le cadre de présente instance, avoir « demandé verbalement à (Mme [E]) de ne pas être agressive ni menaçante envers une quelconque salariées et qu'elle en réfère à sa supérieure hiérarchique si elle a des problèmes avec ses collègues ». Toutefois, rien ne corrobore l'existence de cette « demande » alors que, lors de la réunion du 15 janvier 2019 où était présente Mme [K], M. [I] avait minimisé l'importance de la menace dont elle avait fait l'objet et indiqué que de tels propos relevaient de la liberté de chacun.

Dès lors, cette seule indication, a posteriori, du responsable du personnel est tout à fait insuffisante à établir que, alerté d'une situation inquiétante s'agissant d'une salariée révélant des faits de harcèlement moral et d'une menace verbale d'agression physique, l'employeur aurait pris les mesures nécessaires et adaptées.

De surcroît, en l'absence d'observation sur une éventuelle politique de prévention qui aurait été instaurée au sein de la SARL Aldi, il n'est pas démontré que l'employeur ait mis en place des mesures de prévention du harcèlement moral, notamment par des actions d'information et de formation propres à en prévenir la survenance.

Le manquement de la SARL Aldi à son obligation de sécurité est établi.

La prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Mme [K] était par conséquent justifiée tant par l'existence d'une situation de harcèlement moral que par le manquement de la SARL Aldi à son obligation de sécurité face à de tels agissements. Ces manquements graves qui mettaient en danger la santé mentale et physique de la salariée empêchaient ainsi la poursuite du contrat de travail.

Cette prise d'acte produit par conséquent les effets d'un licenciement nul et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes indemnitaires

Sur l'indemnisation du harcèlement moral

Mme [K] a été victime d'un harcèlement moral sur son lieu de travail de la part de ses collègues et supérieurs hiérarchiques pendant près d'un an, ce harcèlement s'amplifiant au retour de son arrêt maladie dont la longueur lui a été reproché par le responsable du personnel.

Ces faits constituent indéniablement une atteinte à la santé mentale de la salariée, dont une collègue a pu attester qu'elle pleurait au travail et, avait la boule au ventre quand elle allait au travail tous les jours et qui s'est ensuite vue contrainte d'accepter, dans un premier temps, une rupture conventionnelle pour mettre un terme à sa situation de souffrance au sein de la SARL Aldi.

La salariée est donc fondée à solliciter l'indemnisation du préjudice essentiellement moral subi de ce fait, lequel est distinct du préjudice subi en conséquence du licenciement nul.

Dès lors, c'est par une juste évaluation du préjudice subi par la salariée que les premiers juges lui ont alloué la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts. S'agissant d'une somme de nature indemnitaire tendant à réparer un préjudice, c'est à bon droit que la condamnation a été prononcée en net et non en brut contrairement à ce que soutient la SARL Aldi.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

La Cour rappelle qu'en cas de risque avéré pour la santé ou la sécurité du travailleur, l'employeur engage sa responsabilité sauf s'il démontre qu'il a pris les mesures générales de prévention nécessaires et suffisantes pour l'éviter et qu'il a réagi de façon rapide et adaptée pour faire cesser des faits de harcèlement susceptibles d'avoir été commis.

Le manquement de la SARL Aldi à son obligation de sécurité a été établi, cette dernière n'ayant ni pris toutes les mesures de prévention du risque de harcèlement moral, ni diligenté une enquête sur la situation vécue par Mme [K] malgré demande du CHSCT et information, par l'inspection du travail, de la souffrance au travail de la salariée.

L'employeur a également minimisé avec désinvolture la situation sans prendre de mesures nécessaires et adaptées lorsqu'une menace d'agression physique a été formulée envers Mme [K] par une autre salariée.

Dès lors, ce manquement à l'obligation de sécurité a causé à la salariée, indépendamment des conséquences du harcèlement moral, un préjudice que les premiers juges ont justement évalué à la somme de 5.000 euros. S'agissant d'une somme allouée à titre de dommages et intérêts tendant à réparer un préjudice, c'est à bon droit que la condamnation a été prononcée en net et non en brut contrairement à ce que soutient la SARL Aldi.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les conséquences de la nullité du licenciement

Sur l'indemnité de préavis

En cas de licenciement nul, le salarié a droit à l'indemnité compensatrice de préavis et ce, même si il n'a pu l'exécuter.

Le licenciement de Mme [K] ayant été déclaré nul, l'octroi de cette indemnité par le Conseil des prud'hommes, dont le montant n'est pas utilement contesté par l'employeur, doit être confirmée. Il en est de même pour l'indemnité allouée au titre des congés payés correspondants.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la SARL Aldi à payer à Mme [K] la somme de 4.085,00 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis ainsi que la somme de 408,00 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Sur l'indemnité de licenciement

L'article L. 1234-9 du code du travail dispose : « Le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire . »

Aux termes des articles R. 1234-1 et R. 1234-2 du code du travail dans leur version en vigueur au jour du licenciement de Mme [K], l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans et un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.

En l'espèce, Mme [K] avait 26 ans et 7 mois d'ancienneté à la date de la prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement nul. L'octroi de l'indemnité de licenciement par le Conseil des prud'hommes sur la base de cette ancienneté, dont le montant n'est là encore pas utilement contesté par l'employeur, doit donc être confirmée.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la SARL Aldi à payer à Mme [K] la somme de 16.392,00 euros au titre de l'indemnité de licenciement, cette somme étant au demeurant à bon droit exprimée en net contrairement à ce que soutient l'employeur.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul

En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, en cas de nullité du licenciement afférente à des faits de harcèlement moral, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

En l'espèce, Mme [K] a été licenciée à l'âge de 47 ans alors qu'elle avait une ancienneté de plus de 26 ans et percevait un salaire mensuel brut de 2.042,14 euros lors des six mois ayant précédé la rupture.

Elle n'avait, pendant toutes ses années de travail au sein de la SARL Aldi, jamais fait l'objet d'une sanction disciplinaire jusqu'en 2018, ladite sanction étant au demeurant principalement fondée sur le fait que la salariée arrivait trop tôt sur son lieu de travail.

En outre, Mme [K], salariée protégée et de retour d'un long arrêt maladie, a enduré un harcèlement moral de la part de ses collègues et de ses supérieurs hiérarchiques lié tant à sa situation syndicale que de santé, qui n'a pas été pris au sérieux par le responsable du personnel lors de la dénonciation des faits, ce dernier étant lui-même auteur de remarques contribuant à cette situation.

De surcroit, l'employeur a, dans ce contexte, proposé une rupture conventionnelle du contrat de travail de la salariée qui s'est dans un premier temps vue contrainte de l'accepter comme seule solution pour faire cesser sa situation douloureuse, avant de voir cette rupture refusée par l'inspection du travail.

Enfin, suite à sa prise d'acte, Mme [K] n'a pu percevoir aucune allocation de retour à l'emploi ainsi qu'en atteste le courrier de refus de prise en charge de Pôle Emploi qu'elle produit. Elle expose n'avoir pas retrouvé d'emploi par la suite sans toutefois fournir d'éléments sur ce point.

Au vu de ces éléments et de la situation fortement dommageable pour la salariée, compte tenu tant de son âge à la date du licenciement rendant plus difficile sa réinsertion sur le marché du travail, de sa très forte ancienneté au sein de la SARL Aldi où elle a travaillé la majeure partie de sa carrière, et des circonstances de harcèlement moral dans lequel celui-ci est survenu, il est justifié de lui allouer au titre de l'indemnité pour licenciement nul, une somme de 45.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Le jugement sera confirmé de ce chef. Enfin, s'agissant d'une somme de nature indemnitaire tendant à réparer un préjudice, c'est à bon droit que la condamnation a été prononcée en net et non en brut contrairement à ce que soutient la SARL Aldi.

Sur l'indemnité due en cas de violation du statut protecteur

Lorsqu'un salarié bénéficiant du statut protecteur d'autorisation de l'inspecteur du travail en cas de licenciement prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur quand les faits invoqués le justifiaient. Le salarié peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale aux salaires qu'il aurait dû percevoir jusqu'à la fin de la période de protection en cours.

Il est établi que Mme [K] avait deux mandats de représentation depuis le 18 avril 2018, étant représentante syndicale au comité d'entreprise et au CHSCT. C'est au demeurant en raison de son statut de salariée protégée que la rupture de son contrat de travail était subordonnée à l'autorisation donnée par l'inspection du travail.

Les contestations de la SARL Aldi quant à l'absence de protection de la salariée pour son mandat de représentante syndicale CNSF au CHSCT ne sont donc pas pertinentes. Il en est de même quant à ses contestations portant sur le caractère volontaire de la rupture du contrat par la salariée, étant rappelé que la prise d'acte de la rupture justifiée par des faits reprochés à l'employeur produit en l'espèce les effets d'un licenciement nul et ouvre par conséquent droit, pour Mme [K] à l'indemnité due en cas de violation du statut protecteur.

Cette indemnité est forfaitaire, sans déduction, et égale aux salaires que l'intéressée aurait dû percevoir jusqu'à la fin de la période de protection en cours.

Dans ce cadre, la demande de l'appelante tendant à voir enjoindre à la salariée de produire les justificatifs relatifs à sa situation actuelle et aux revenus qu'elle perçoit depuis la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, qui ne figure au demeurant pas au dispositif de ses conclusions, n'est ni fondée, ni utile.

Enfin, s'agissant de la fin de la période de protection en cours lors de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, l'article L. 2411-5 du code du travail applicable à compter du 1er janvier 2018, reprenant les termes de l'ancien article L. 2411-8 du même code cité par les parties, prévoit que l'ancien représentant syndical qui, désigné depuis deux ans, n'est pas reconduit dans ses fonctions lors du renouvellement du comité bénéficient également de cette protection pendant les six premiers mois suivant l'expiration de leur mandat ou la disparition de l'institution.

En premier lieu, il est relevé que Mme [K] a été désignée représentante syndicale au comité d'entreprise et au CHSCT à compter du 18 avril 2018. Les élections pour renouveler les membres de ces comités ayant eu lieu à compter de décembre 2019, elle n'avait pas, à cette date, été désignée depuis deux ans. Elle ne peut donc bénéficier de la période de protection supplémentaire prévue par le texte précité et seule doit être prise en compte la date d'expiration de son mandat en cours, qui ne se confond pas, comme le fait l'employeur, avec la date de fin de son contrat.

Dans ce cadre, la période de protection prend fin lorsque le mandat de représentant syndical au comité d'entreprise prend fin, soit lors du renouvellement des membres de cette institution.

Il doit donc être considéré que l'expiration du mandat de Mme [K] est intervenue à la date des élections, l'employeur justifiant de leur tenue le 02 décembre 2019.

Mme [K] arrête d'ailleurs sa demande à la date de l'organisation des élections professionnelles, comme l'ont relevé les premiers juges.

De ces éléments, il se déduit que l'indemnité allouée à Mme [K] doit être égale aux salaires qu'elle aurait dû percevoir jusqu'à la fin de la période de protection en cours, soit le 02 décembre 2019, étant relevé que la demande de la salariée porte sur une période débutant « au mois de juin 2019 ».

Le salaire de Mme [K], s'élevant à 2.042,14 euros brut par mois n'étant pas contesté, c'est sur cette base que doit être calculée l'indemnité.

Enfin, sur le caractère brut ou net de la condamnation, il est rappelé que l'indemnité pour violation du statut protecteur, versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail et qui n'est pas au nombre des indemnités non imposables au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques limitativement énumérées par l'article 80 duodecies du code général des impôts, est soumise aux cotisations sociales en application de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale.

Par conséquent, l'indemnité allouée à Mme [K] doit être exprimée en brut.

Le jugement sera par conséquent amendé uniquement sur ce point pour prendre en compte ces éléments, la SARL Aldi étant condamnée à payer à Mme [K], au titre de l'indemnité pour violation du statut protecteur, la somme de 2.042,14 euros bruts par mois à compter du 01 juin 2019 et ce, jusqu'au 02 décembre 2019.

Sur la demande du syndicat CNSF

Conformément à l'article L. 2132-3 du code du travail un syndicat professionnel peut agir pour obtenir réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession représentée.

En l'espèce, comme l'ont relevé les premiers juges, l'enquête menée par l'inspection du travail a révélé que « la situation de Mme [K] s'en est trouvée dégradée suite à sa prise de fonction en qualité de représentante syndicale au comité d'entreprise (...) », les auditions des salariés de son service mettant en évidence que « Mme [K], lorsque le délégué du personnel de son organisation syndicale passait la saluer, était invitée par le responsable du personnel à lui rendre compte du motif de la visite de ce délégué, lui faisant remarquer que le délégué ne devait pas perturber le travail des employés au bureau ».

L'inspection du travail a ainsi refusé d'autoriser de la rupture conventionnelle du contrat de la salariée notamment au motif que « son appartenance syndicale et notamment sont mandats ne sont pas étrangers à la rupture envisagée ».

Cette conclusion est corroborée par les attestations de Mmes [N], [F] et [Z], collègues de Mme [K], qui ont indiqué que la dégradation de la situation de cette dernière du fait d'un harcèlement moral avait débuté à une période correspondant aux débuts de son activité syndicale.

Enfin, l'inspection du travail a expressément relevé que « l'enquête a révélé que les élus de l'organisation syndicale à laquelle appartient Mme [K] sont victimes a minima d'une inégalité de traitement ».

A l'inverse, la SARL Aldi se contente de contester les conclusions de l'inspection du travail sans apporter aucun élément permettant de les contredire utilement.

Les faits ainsi relevés, s'ils n'ont pas donné lieu à une demande d'indemnisation au titre de la discrimination syndicale par la salariée, portent indéniablement atteinte à l'intérêt collectif de la profession représentée par le syndicat CNSF et causent à ce dernier un préjudice.

Toutefois, en l'état des éléments versés devant la cour, son indemnisation sera fixée au montant de 1.000 euros, et non 1.500 euros, le jugement étant amendé en conséquence sur ce point.

Sur le remboursement des sommes dues à Pôle Emploi

Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Le licenciement de Mme [K] ayant été jugé nul, le remboursement des indemnités à Pôle Emploi en application de l'article précité est fondé et rien ne justifie de limiter les indemnités visées comme le demande l'employeur. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dispositions du jugement dont appel statuant sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

La SARL Aldi Ennery qui succombe en majeure partie devant la Cour sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à Mme [K] la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles. L'appelante sera déboutée de sa propre demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la condamnation de la SARL Aldi Ennery au titre de l'indemnité pour violation du statut protecteur et le montant des dommages et intérêts alloués au syndicat CNSF Aldi Marché ;

Statuant à nouveau de ces chefs uniquement,

Condamne la SARL Aldi Ennery à payer à Mme [D] [K], au titre de l'indemnité pour violation du statut protecteur, la somme de 2.042,14 euros bruts par mois à compter du 01 juin 2019 et ce, jusqu'au 02 décembre 2019 ;

Condamne la SARL Aldi Ennery à payer au syndicat CNSF Aldi Marché la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Y ajoutant,

Condamne la SARL Aldi Ennery aux dépens d'appel ;

Condamne la SARL Aldi Ennery à payer à Mme [D] [K] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SARL Aldi Ennery de sa demande au titre des frais irrépétibles.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 20/00601
Date de la décision : 25/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-25;20.00601 ?
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