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25/04/2022 | FRANCE | N°19/01793

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 25 avril 2022, 19/01793


Arrêt n°22/00226



25 avril 2022

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N° RG 19/01793 -

N° Portalis DBVS-V-B7D-FCJZ

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FORBACH

27 juin 2019

F 18/16

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1





ARRÊT DU



Vingt cinq avril deux mille vingt deux







APPELANTE :



Mm

e [L] [H] épouse [R]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Sarah SCHIFFERLING-ZINGRAFF, avocat au barreau de SARREGUEMINES







INTIMÉE :



SELARL PHARMACIE [F] [J] prise en la personne de son représentant...

Arrêt n°22/00226

25 avril 2022

------------------------

N° RG 19/01793 -

N° Portalis DBVS-V-B7D-FCJZ

----------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FORBACH

27 juin 2019

F 18/16

----------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Vingt cinq avril deux mille vingt deux

APPELANTE :

Mme [L] [H] épouse [R]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Sarah SCHIFFERLING-ZINGRAFF, avocat au barreau de SARREGUEMINES

INTIMÉE :

SELARL PHARMACIE [F] [J] prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Armelle BETTENFELD, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 novembre 2021, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

Madame Laëtitia WELTER, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS

Madame [L] [H] épouse [R] a été embauchée par la Pharmacie Nouvelle [A] [W], selon contrat à durée indéterminée, selon elle à compter du 1er septembre 1997, en qualité de d'employée de pharmacie, puis de préparatrice en pharmacie, mais le seul contrat écrit produit aux débats mentionne une embauche à effet du 1er septembre 2004 comme aide préparatrice.

Son contrat de travail s'est poursuivi avec la SELARL Pharmacie [F] [J], représentée par Madame [F], suite à la reprise de la pharmacie par cette dernière le 28 avril 2008.

Un litige a opposé l'employeur et la salariée sur le paiement de la prime d'ancienneté, pour lequel Mme [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Forbach, qui, par jugement en date du 22 juin 2017, a donné acte à Mme [F] de ce qu'elle avait payé en février 2017 une somme de 3 457,11 euros à sa salariée à titre d'arriéré sur cette prime.

Madame [H] a par la suite été mise en arrêt de travail, en continu à compter du 11 septembre 2017, se plaignant de harcèlement moral.

Le 1er décembre 2017, Madame [H] a été déclarée inapte par le médecin du travail à son poste de préparatrice et à tout poste dans l'entreprise.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 13 décembre 2017, Madame [H] a été convoquée à un entretien préalable pour un éventuel licenciement auquel elle ne s'est pas rendue.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 décembre 2017, Madame [H] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par acte introductif enregistré au greffe le 26 janvier 2018, Madame [H] a saisi le Conseil de prud'hommes de Forbach aux fins de :

- Dire et juger le licenciement est nul ou, à défaut sans cause réelle et sérieuse

- Ordonner la délivrance de l'attestation pôle emploi et du certificat de travail rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard

- Condamner la défenderesse au paiement de :

* 612,24 € de rappel d'indemnité de licenciement

* 8.000,00 € a titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

* 70.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement

* 1.974,96 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure

* 3.949,92 € à titre de d'indemnité compensatrice de préavis

* 394,99 € bruts au titre des congés payés sur préavis

* 2.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Par jugement du 27 juin 2019, le Conseil de prud'hommes de Forbach, section commerce a statué ainsi qu'il suit :

- Condamne la SELARL PHARMACIE [F] à verser à Madame [H] la somme de 1.974,96 € à titre de dommages et intérêts pour procédure irrégulière

- Déboute Madame [H] de ses autres demandes

- Déboute la partie défenderesse de sa demande reconventionnelle ;

- Ordonne le partage des frais et dépens.

Par déclaration formée par voie électronique le 11 juillet 2019 et enregistrée au greffe le jour même, Madame [H] a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par ses dernières conclusions datées du 14 janvier 2020, enregistrées au greffe le 15 janvier 2020, Madame [H] demande à la Cour de :

- Infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de FORBACH en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la SELARL PHARMACIE [F] [J] à verser à Madame [H] la somme de 1 974,96 € net à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure

Et, statuant à nouveau

- Dire et juger le licenciement nul ou, à défaut, dépourvu de cause réelle et sérieuse

- Condamner la Selarl PHARMACIE [F] [J] à verser à Madame [H] les sommes suivantes :

* 3 949,92 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis

* 394,99 € brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis

* 70 000,00 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse

* 8 000,00 € de dommages-intérêts pour harcèlement

- Condamner la SELARL PHARMACIE [F] [J] à verser à Madame [H] une somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance et 3 500 € à hauteur de Cour

- Condamner la SELARL PHARMACIE [F] [J] en tous les frais et dépens, d'instance et d'appel

Par ses dernières conclusions datées du 03 novembre 2020, enregistrées au greffe le jour même, la PHARMACIE [F] [J] demande à la Cour de :

- Rejeter l'appel de Madame [H],

- Recevoir l'appel incident de la PHARMACIE [F] [J] SELARL

- Confirmer le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la SELARL PHARMACIE [F] [J] à payer à Madame [H] la somme de 1.974,96 € à titre de dommages et intérêt pour procédure irrégulière,

- Infirmant le jugement sur ce point,

- Constater que Madame [H] n'a subi aucun préjudice du fait de la non-inscription de l'adresse de la mairie sur la lettre de convocation,

- Réduire à l'euro symbolique le montant des dommages et intérêts alloués à Madame [H] procédure irrégulière,

- Confirmer le jugement pour le surplus,

En tout état de cause,

- Débouter Madame [H] de l'ensemble de ses demandes,

- Condamner Madame [H] aux entiers frais et dépens d'appel,

- Condamner Madame [H] à payer à la SELARL PHARMACIE [F] ANNETTE de 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2021.

Il convient en application de l'article 455 du Code de procédure civile de se référer aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le manquement à l'obligation de sécurité et le harcèlement moral

Mme [H], épouse [R] plaide la nullité de son licenciement en invoquant un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, issue de l'article L. 4121-1 du code du travail, caractérisé à la fois par l'existence d'un harcèlement moral et par le lien existant entre sa maladie causé par ce harcèlement et son inaptitude.

S'agissant du harcèlement moral, la Cour rappelle que l'article L. 1152-1 du Code du travail stipule qu' « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Le harcèlement moral s'entend en l'occurrence selon sa définition commune d'agissements malveillants envers un subordonné ou un collègue en vue de le déstabiliser, le tourmenter ou l'humilier.

S'agissant de la preuve du harcèlement, l'article L.1154-1 du même code précise que lorsque survient un litige relatif notamment à l'application de l'article L. 1152-1, « le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement » et « au vu de ces éléments il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. »

En l'espèce, il convient d'examiner chacun des faits invoqués successivement par Mme [H] ' [R] pour apprécier ensuite, si dans leur globalité, ils laissent supposer l'existence d'un harcèlement de la part de Mme [F], gérante de la Pharmacie.

~ Le litige sur la prime d'ancienneté

Mme [H] indique qu'elle ne s'est aperçue que tardivement que Mme [F] n'avait pas repris son ancienneté exacte, qu'elle lui en a d'abord parlé verbalement, puis l'a mise en demeure par courrier du 15 novembre 2016 de régulariser la situation et elle soutient que l'employeur aurait alors exercé des pressions pour qu'elle renonce à sa demande, puis lui en aurait voulu d'avoir saisi le conseil de prud'hommes, encore plus quand Mme [F] a été contrainte de payer le rappel de prime car sa demande était fondée.

Mme [F] conteste toutes pressions, évoquant seulement des demandes légitimes de justification que la salariée a tardé à apporter.

En l'espèce, la Cour relève qu'il résulte des termes du jugement du conseil de prud'hommes du 22 juin 2017, de la lettre que Mme [F] avait adressé à ce conseil le 17 février 2017 et d'autres document produits par les parties que :

- l'acte de vente de la Pharmacie à Mme [F] précisait une date d'embauche de Mme [H] au 1er septembre 2004, cohérente avec le seul contrat de travail écrit produit par la salariée, un contrat à durée indéterminée avec la Pharmacie Nouvelle [A] [W] signé le 1er septembre 2004, stipulant une embauche de Mme [H] à effet de ce jour comme aide préparatrice, sans mention d'une reprise d'ancienneté ;

- un contrat à durée indéterminée a été signé le 28 avril 2008 entre Mme [F] et Mme [R], née [H] par suite de la modification de la situation juridique de l'employeur, stipulant que « Mme [R] [L] a été engagée par Mme [A] [W] le 01/09/2004 par un contrat à durée indéterminée » et Mme [H] a signé ce contrat après y avoir apposé une mention lue et approuvée ;

- ce n'est que plus de 8 ans plus tard, par son courrier du 15 novembre 2016, que Mme [R] a revendiqué travailler dans l'officine depuis le 1er septembre 1997 et demandé un rappel de prime d'ancienneté, indiquant vouloir saisir le conseil de prud'hommes s'il n'y était pas fait droit et joignant à son courrier un certificat de travail et une première fiche de paie ;

- le courrier adressé par Mme [F] au conseil de prud'hommes faisait part des interrogations de cette dernière sur les deux éléments fournis par Mme [R], à savoir une fiche de paie pour sa période d'apprentissage et un certificat de travail à l'en-tête de la Pharmacie [A] [W] qui débute le 01/09/1997 et se termine le 31/08/2003, mais est daté et signé du 13/12/2002, et ce courrier précisait que Mme [F] avait demandé des éléments complémentaires à la salariée et qu'après échange avec le conseil de cette dernière, ce n'est que suite à l'audience de conciliation, que la pharmacienne avait reçu par mail du 10/02/2017 les pièces essentielles, qui lui permettaient désormais de régulariser la situation, ce qui sera fait sur la paye de février 2017 ' Mme [F] s'interrogeant en fin de ce courrier pourquoi l'avocat ne lui avait pas fait parvenir les pièces en question avant la date de la conciliation, ce qui aurait permis d'éviter le doute et de ternir l'image de l'officine ;

- le jugement du 22 juin 2017 confirme que ce n'est que le mail du 10/02/2017, postérieur à l'audience de conciliation du 23/01/2017 qui a permis à Mme [F] d'entrer en possession des pièces prouvant la continuité des contrats (selon le certificat de travail, Mme [H] a d'abord fait un apprentissage en 1997-1998 pour l'obtention d'un CAP, puis été employée dans la pharmacie, avant un nouvel apprentissage en 2001-3003 pour l'obtention du brevet professionnel de préparatrice en pharmacie) et que Mme [F] s'est alors immédiatement engagée à régulariser le paiement, ce qu'elle a fait avant même l'audience de jugement le 20 avril 2017 ;

- ce même jugement a retenu la bonne foi de Mme [F], qui avait l'information d'une ancienneté remontant à 2004, n'a d'abord eu pour pièces justificatives qu'un certificat de travail antidaté, n'avait pas les pièces requises avant l'audience de conciliation, conciliation qu'elle a donc refusé, pour ensuite réagir rapidement lors de la réception des fiches de paie manquantes, et a en conséquence débouté Mme [H] de sa demande de dommages et intérêts et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Tous ces éléments démontrent que Mme [F] n'a pas agi dans le cadre de ce litige dans une intention malveillante envers Mme [H], même si elle n'a pas payé immédiatement ce que lui réclamait la salariée, ayant été légitime à demander une preuve certaine du bien-fondé de cette demande compte tenu des éléments dont elle avait eu connaissance de l'ancien employeur et de la somme en jeu (alors qu'il ressort d'une attestation du comptable de la Pharmacie que celle-ci fait l'objet d'une procédure de sauvegarde depuis 2011, son chiffre d'affaires étant en constante baisse et le fonds ayant du être déprécié, et qu'il est constant que la Pharmacie avait du procéder au licenciement économique d'une salariée au moment où Mme [H] a fait sa demande).

Ils ne mettent surtout en évidence aucune pression exercée, comme prétendu, sur la salariée, l'essentiel de la discussion entre les parties étant intervenu, au vu du jugement et des pièces produites aux débats, par des courriers ou des mails échangés entre l'avocate de Mme [H] et Mme [F] ou adressés au conseil de prud'hommes.

Mme [H] ne produit en l'espèce aucun élément sur le changement d'attitude prêtée à Mme [F] à son égard suite à sa demande, autre que les courriers adressés par elle à l'Inspection du travail, le premier seulement au mois de septembre 2017, dans lequel elle invoque le fait que Mme [F] l'aurait « mise mal à l'aise » devant ses collègues à chaque réception de courrier et depuis l'aurait mise à l'écart, sans plus de précision, et une attestation de son mari, [K] [R], établie en janvier 2020, qui met les soucis de santé de sa femme en parallèle avec la demande de remise à jour de son ancienneté et rapporte que cette dernière disait souvent « je n'aurais jamais pensé qu'elle devienne aussi méchante avec moi. »

Cependant, nul ne peut se constituer de preuve à soi-même et l'attestation de M. [R], qui ne fait que rapporter des doléances ou propos de son épouse et non des faits qu'il a personnellement constatés doit être prise avec la circonspection qui s'impose, compte tenu de son lien avec la salariée.

Les supposés pressions exercées par Mme [F] dans le cadre du litige sur la prime d'ancienneté ne sont donc pas un fait formellement établi.

~ L'avertissement et la note d'observations du 5 septembre 2017

Par deux documents remis en main propre à Mme [R], Mme [F] a :

- d'une part indiqué qu'en présence d'un stagiaire, elle a observé que durant un an les relevés de température de la chambre froide n'avaient pas été notés sur le registre et que les courbes de fin de mois n'avaient pas été dessinées, rappelé que ces opérations étaient obligatoires et que les statistiques devaient être conservées durant 10 ans, que les manquements risquaient d'être préjudiciables à l'officine et pourraient être sanctionnés, pour conclure « nous vous adressons un avertissement en vous invitant à ce que de tels faits ne se reproduisent plus » ;

- d'autre part, sous forme d'une « note d'observations », fait part de sa surprise sur l'état de la réserve et tout particulièrement le rangement des couches, rappelant que cette famille d'articles doit être classée par référence et par tailles, « ce qui n''est pas le cas actuellement », et ajoutant « nous ne tolérons pas non plus la présence de cartons à même le sol, soit fermés ou déchirés et non rangés ».

Mme [R] a, par un courrier du 10 septembre 2017, contesté l'avertissement, faisant observer qu'il n'y a pas de chambre froide dans la pharmacie, mais seulement un réfrigérateur domestique ( ! ), que les températures étaient notées sur une simple feuille de calendrier et non dans un registre et que, si les courbes de fin de mois ne sont pas à jour, c'est parce que « vous me donniez l'ordre que ce n'était pas le moment de le faire, donc j'ai tous simplement écouter vos consignes ».

Dans ce courrier, la salariée mettait aussi en doute le fait que Mme [F] aurait observé la problématique avec une stagiaire, alors qu'il n'y a pas de protocole ou procédure pour effectuer la prise de température, pour conclure « Je n'apprécie pas vos tentatives de m'évincer depuis que je vous ai fait un procès aux prud'hommes pour quelque chose qui m'était du » et demander l'annulation de l'avertissement.

De même, Mme [R] a contesté la note par un deuxième courrier du même jour, comportant la même phrase de conclusion, indiquant qu'elle avait toujours respecté la nouvelle consigne de ranger les couches par références et par tailles avec un tableau d'affichage, « que votre observation instantanée devait certainement être un encours suite à une nouvelle livraison » et qu'elle continuera « à rester très organisée dans la réserve et tout particulièrement dans le rangement des couches ».

Malgré cette réaction très vive de la salariée, il est constant que Mme [R] n'a pas demandé l'annulation de l'avertissement dans le cadre de la présente procédure, reconnaissant d'ailleurs en partie la matérialité des faits - annotation des températures sur un calendrier et non dans un registre dont il n'est pas dit qu'il n'aurait pas existé, non établissement des courbes mensuelles ' sans qu'il ne soit démontré autrement que par ses dires que c'est Mme [F] qui aurait donné l'ordre de ne pas le faire.

Il est par ailleurs justifié par Mme [F] que cet avertissement et cette note n'ont pas été destinés uniquement à Mme [R], mais à l'ensemble des salariées concernées : d'une part Mme [I] et Mme [G], qui se sont vues notifier le même avertissement, cette dernière ayant réagi en indiquant avant de signer la remise en main propre « sauf que relevés ont été pris », d'autre part Mme [G] qui avant de signer la note d'observations a ajouté « actuellement les couches sont classées par taille, sans cartons sur le sol ni déchirés. » (Mme [F] produit cependant des photos, non datées, montrant un certain désordre, carton déchiré au sol et couches non rangées et elle justifie aussi de la livraison des cartons de couches le 23 août 2017, donc près de 15 jours avant la note).

La Cour relève que Mme [F] a légitimement rempli son rôle d'employeur, en usant de son pouvoir de direction et de son pouvoir disciplinaire pour décerner un avertissement, la plus faible des sanctions, aux salariées concernées pour les inciter à respecter, dans l'intérêt de l'officine et pour la sécurité de ses clients, les obligations édictées pour le respect de la chaîne du froid pour les médicaments ou vaccins devant être conservés au frais, même dans un simple réfrigérateur.

Le règlement intérieur de l'officine impose en l'espèce au personnel en « back office » de relever la température du frigo et la noter sur le tableau prévu à cet effet et compléter le graphique de courbe de température et Mme [R], qui admet que ce règlement n'était pas appliqué correctement, ne peut donc soutenir avoir été brimée à tort, même si Mme [F] a elle même reconnu sa propre négligence lors de la mission de conseillers rapporteurs réalisée sur décision du conseil de prud'hommes au sein de la pharmacie le 27 novembre 2018, puisqu'elle a admis que le cahier n'était pas régulièrement vérifié par elle et que c'est la stagiaire qui avait vu le problème.

De même, Mme [F] était parfaitement en droit en tant qu'employeur de rappeler par une simple note les consignes de rangement de la réserve, dans l'intérêt d'une bonne gestion de l'officine et de respect des règles de sécurité ' ne pas laisser traîner des cartons au sol, même après une livraison, relevant d'un tel impératif de sécurité.

Lors de la mission de conseillers rapporteurs, Mme [F] a précisé que le rangement s'effectuait selon un planning hebdomadaire, ce qui expliquait que la note avait été adressée à toutes les personnes concernées (elle a antérieurement indiqué que l'effectif constant de la pharmacie etait de 6 personne de 2016 à 2018, soit 2 pharmaciens, deux préparatrices, une femme de ménage et une livreuse).

Les deux faits, avertissement et note, ne peuvent donc pas être retenus comme laissant supposer un harcèlement moral, a fortiori envers une salariée qui n'était pas seule concernée.

~ Le changement d'horaires de travail

Mme [R] se plaint du fait que le 4 septembre 2017, elle a été avisée par Mme [I], préparatrice, que le mercredi de libre dont elle disposait une semaine sur deux depuis deux ans était remplacé par le lundi, ce qu'elle considère comme une sanction déguisée, car Mme [I], qui agissait sur les ordres de Mme [F] pour l'établissement des plannings, avait des enfants plus âgés que les siens et donc moins besoin de ne pas travailler le mercredi.

L'employeur fait valoir en réplique qu'il a à trois reprises cédé à des demandes de Mme [R] pour un changement d'horaire ou de jour de travail, à son retour de congé parental en 2014, que notamment les mercredis dont disposait Mme [I] ont été partagés entre les deux salariées, et, comme cela ressort des déclarations de Mme [F] lors de la mission des conseillers rapporteurs, à un moment donné « cela était compliqué pour les divers remplacements et de ce fait on a pris la décision d'accorder un repos à Mme [R] le lundi et à Mme [I] le mercredi. », Mme [F] évoquant pour la période antérieure un arrangement entre les deux collègues.

Mme [V] [I] a en l'occurrence témoigné pour l'employeur que depuis 2012 elle s'occupait des plannings de la pharmacie et que exclusivement, à la demande de Mme [R], elle a du modifier son emploi du temps plusieurs fois pour plusieurs raisons.

La Cour relève que le contrat de travail signé entre Mme [L] [H] et la Pharmacie Nouvelle [A] [W] le 1er septembre 2004 stipulait dans un article IV Horaires de travail :

« La durée du travail est fixée à 35 heures par semaine réparties sur toute la semaine du lundi au samedi.

Cet horaire, de même que la répartition de la durée du travail entre les heures et les jours de la semaine, peut varier d'une semaine (à l'autre) dans le cadre de l'horaire collectif en vigueur dans l'entreprise, selon les impératifs de bon fonctionnement de l'entreprise, notamment en cas de :

absences d'un ou plusieurs salariés notamment pour maladie ou congés,

accroissement de la charge de travail,

travaux à accomplir dans un délai déterminé,

aménagement de l'horaire collectif de l'entreprise,

La salariée doit être informée de toute modification sept jours avant l'application des nouveaux horaires. »

Le nouveau contrat signé entre Mme [R] et la Selarl Pharmacie [F] [J] le 28 avril 2008 pour « modification de la situation juridique de l'employeur », qui précise qu'il se substitue pour les droits et obligations des parties au précédent contrat, dispose pour sa part s'agissant de la seule durée du travail :

« La durée hebdomadaire de travail de Mme [R] [L] est de 35 heures effectuées selon l'horaire en vigueur dans l'entreprise. » (suit la mention de la possibilité de demander des heures supplémentaires)

Il résulte de ces documents que Mme [R] n'a jamais bénéficié au sein de la pharmacie d'horaires fixes, contractuellement pré définis, mais devait se conformer à un horaire collectif décidé par l'employeur, en l'occurrence sous forme de plannings hebdomadaires.

Elle n'avait donc aucun droit acquis à disposer d'un mercredi de libre sur deux, nonobstant l'arrangement trouvé à ce sujet avec Mme [I], qui établissait les plannings pour le compte de Mme [F].

Dans ces conditions, la décision prise par Mme [F] de rationaliser les jours libres de la pharmacienne adjointe et des deux préparatrices alors employées par la pharmacie, [Z] [G], [V] [I] et Mme [R], pour qu'elles aient un jour de libre fixe, Mme [R] le lundi, Mme [G] le mardi et Mme [I] le mercredi, Mme [R] bénéficiant aussi comme auparavant, au vu des plannings produits, d'un samedi matin de libre par mois, dans le but de faciliter le remplacement de l'une au l'autre de ces salariées en cas d'absence, relève à nouveau de son pouvoir de direction.

Comme ce changement a concerné les trois salariées, ce que Mme [R] a reconnu dans son mail adressé à l'Inspecteur du travail le 14 septembre 2017 (« elle a changé tous le planning à l'équipe »), il appartient alors à l'appelante de justifier qu'en opérant cette modification de l'horaire collectif de travail, Mme [F] a commis un abus dans l'usage de ce pouvoir de direction, soit en lui donnant une justification illégitime, soit en n'agissant que dans l'intention de l'« embêter » (terme employé dans ce même mail) elle seule, toujours en représailles d'une affaire prud'homale qui était réglée déjà depuis février 2017, ce qu'elle ne fait pas en l'espèce, un but légitime ayant été avancé par Mme [F] et à nouveau l'impact négatif de la décision relevant du seul ressenti de la salariée sans qu'il ne soit établi que Mme [F] a agi dans une intention malveillante.

Ce changement d'horaire ne peut donc pas non plus laisser supposer un harcèlement moral.

~ Les autres éléments évoqués par la salariée

Mme [R] évoque encore au tire du harcèlement moral :

- le fait que l'employeur aurait refusé de transmettre à la CPAM l'attestation de salaires devant permettre le paiement des indemnités journalières, mais ce refus n'est pas prouvé, le seul document versé aux débats émanant de la CPAM étant un courriel indiquant que ce document n'avait pas encore été réceptionné par la caisse le 26 septembre 2017 pour un arrêt de travail initial du 11 septembre 2017, en réponse à un mail de Mme [R] du 22 septembre 2017 qui informait la caisse qu'elle avait prévenu son employeur de procéder à cet envoi.

Il n'est ainsi pas établi que Mme [R] n'aurait pas perçu ou aurait perçu avec retard ses indemnités journalières (elle ne produit pas les attestations de versement de ces indemnités) du fait d'une action volontaire de l'employeur ;

- la délivrance avec retard du bulletin de salaire d'octobre 2017, que selon ses conclusions elle qualifie d'étrange, mais dans son mail à son employeur en date du 13 novembre 2017 dans lequel elle réclame la remise de ce bulletin de paie, Mme [R] reconnaît que son salaire lui a bien été viré sur son compte début novembre, de sorte que le retard dans la délivrance du document papier alors qu'elle était en arrêt maladie, à la supposée avérée, a été sans aucune conséquence, outre qu'à nouveau il n'est pas établi que ce supposé retard serait du à une intention malveillante de l'employeur ;

- le fait que l'employeur a pris pour elle un rendez-vous à la médecine du travail pour l'examen de reprise le dernier jour de son arrêt de travail, le 20 novembre 2017, mais la Cour relève que dans sa lettre recommandée avec accusé de réception du 14 novembre 2017 adressée à la Pharmacie [F] pour demander l'organisation de cet examen, Mme [R] a écrit « Mme [F], mon arrêt de travail pour maladie prend fin le 20 novembre 2017 », ce qui est très ambigu car pouvant être interprété comme si le 20 novembre 2017 était le jour de la reprise, l'arrêt ayant pris fin, et non pas comme étant le dernier jour de l'arrêt de travail, qui n'avait donc pas encore pris fin, même si l'arrêt de travail lui-même, que l'employeur n'a pas nécessairement songé à revérifier, mentionnait un arrêt jusqu'au 20 novembre 2017 inclus.

Aucun manquement ne peut donc être imputé à l'employeur sur ce point, un nouveau rendez-vous ayant immédiatement été demandé dès que Mme [R] lui a fait part de ce fait.

Mme [R] évoque encore le fait qu'elle s'est adressée à l'Inspecteur du travail pour dénoncer les « brimades » dont elle faisait l'objet, mais il est relevé que celui-ci n'a répondu, par la personne de Mme [T], que par une lettre type du 22 septembre 2017, sans prendre position sur les faits dénoncés, rappelant les dispositions du code du travail en matière de santé et sécurité des travailleurs et de harcèlement moral et précisant les actions qui peuvent être entreprises, notamment adresser un courrier à l'employeur pour qu'il cesse ses agissements.

C'est la réception de ce courrier, daté du 25 septembre 2017, adressé par Mme [R] à Mme [F], pour dénoncer tous les faits susvisés et lui demander de cesser ses « mauvaises attitudes », et transmis en copie à l'Inspecteur du travail et au médecin du travail, qui a apparemment provoqué la réaction de colère de Mme [F] envers Mme [R], évoquée par Mme [P], ancienne collègue de travail, lors de la mission des conseillers rapporteurs (« Mme [F] est sortie de son bureau et s'est dirigée vers Mme [R] et lui a ''crié dessus'' suite à la réception d'un courrier de Mme [R] » ), mais cet unique fait, malgré son caractère excessif que peut justifier le fait que Mme [F] a pu être choquée des accusations portées contre elle, ne saurait à lui seul constituer les agissements répétés de harcèlement moral exigés par la loi.

Par ailleurs, Mme [F] était en droit de porter plainte contre sa salariée pour dénonciation calomnieuse, estimant qu'elle n'avait jamais eu le comportement qui lui était prêté, bien que cette plainte ait été classée au motif que les faits dénoncés n'étaient pas punis par un texte pénal.

Mme [R] évoque encore un samedi, celui du 9 septembre 2017, où il s'avère qu'elle a pris l'initiative de fermer la pharmacie à 11h30 au lieu de midi, en l'absence de pharmacienne au sein de l'officine, mais alors que Mme [F] se trouvait dans son appartement situé au dessus de la pharmacie et aurait pu être appelée en cas de nécessité (il ressort des pièces versées par l'intimé que Mme [F] a été victime en juillet 2014 d'un accident d'équitation ayant entraîné un grave traumatisme cervical avec déficit moteur, handicapant pour l'exercice de sa profession car l'obligeant à restreindre ses déplacements), mais il ne s'agit pas d'un fait imputable à Mme [F], mais d'une décision unilatérale de Mme [R], qui n'a donné lieu à aucun reproche, ni aucune sanction de l'employeur.

La polémique sur la différence entre le contenu du témoignage de Mme [N] [M], qui a fait des remplacements au sein de la pharmacie en qualité de préparatrice, et a attesté en avril 2018 pour l'employeur d'une bonne ambiance de travail (et du fait que depuis son accident Mme [F] restait la plupart du temps dans son bureau) et celui des SMS qu'elle a échangés avec Mme [R] en octobre 2017 et avril 2018, n'apporte par ailleurs aucun élément aux débats sur le harcèlement moral allégué.

En effet, ces messages, qui ne peuvent être considérés comme un témoignage en bonne et due forme, n'évoquent aucun fait précis, si ce n'est que Mme [N] a été sollicitée par Mme [F] pour témoigner et qu'elle dira qu'il y avait toujours une bonne ambiance « avant » et qu'elle n'était pas là lorsqu'il y a eu des histoires « à part une ou deux fois », - Mme [R] répondant que, si Mme [F] devait chercher à la « remonter » contre elle, Mme [N] devait lui demander de lui faire lire ses conclusions pour savoir la « vérité » sur ce qu'elle a subi, ce qui revenait indirectement à chercher à influer le témoignage de l'intéressée, qui s'en est finalement tenue à ne faire part dans son attestation, qu'elle aurait pu refuser d'établir, que de la seule bonne ambiance qu'elle a constatée lors de sa présence dans la pharmacie.

Au final, la Cour constate que Mme [R] ne justifie d'aucun fait pouvant laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de la loi, donc un tel harcèlement moral n'est pas établi, pas plus en conséquence un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, qui n'est plus de résultat, mais de moyens renforcée, ou encore un lien entre le travail habituel de la salariée et le syndrome dépressif déclaré par elle dès février 2017, l'arrêt de travail pour maladie de septembre 2017 à raison du même syndrome, puis la déclaration d'inaptitude du médecin du travail en date du 1er décembre 2017.

L'origine professionnelle de son inaptitude n'est donc pas davantage établie.

Le licenciement de l'appelante à raison de son inaptitude non professionnelle et de l'impossibilité de son reclassement n'encourt dès lors aucune nullité et doit être considéré comme fondé, soit pourvu d'une cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera donc confirmé pour avoir débouté Mme [R] de sa demande tendant à voir dire son licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes subséquentes en paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, d'un complément d'indemnité de licenciement et de dommages et intérêts pour harcèlement moral et pour licenciement nul.

Sur le respect de la procédure

La Selarl Pharmacie [F] [J] ne conteste pas que la convocation à l'entretien préalable ne mentionnait pas l'adresse de la Mairie du domicile de Mme [R] et que donc la procédure était irrégulière de ce chef, mais seulement le montant des dommages et intérêts accordés par les premiers juges à la salariée, soit un mois de salaire correspondant au maximum prévu par l'article L 1235-2 du code du travail.

Mme [R] n'explique pas quelle aurait été l'étendue de son préjudice alors qu'il est avéré qu'elle ne s'est pas rendue à l'entretien préalable.

Compte tenu de l'incidence limitée de la formalité omise et en l'absence de preuve d'un plus ample préjudice, la Cour fixe à 500 euros le montant des dommages et intérêts qui réparera exactement le manquement établi, le jugement entrepris étant réformé sur ce point.

Sur le surplus

Le jugement sera confirmé sur le partage des dépens.

Mme [R], qui succombe dans son recours, gardera la charge des dépens d'appel.

L'équité n'impose pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile, eu égard à la situation économique respective des parties.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf sur le montant des dommages et intérêts accordés à Mme [L] [H], épouse [R], pour procédure irrégulière ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

Condamne la Selarl Pharmacie [F] [J] à payer à Mme [L] [H], épouse [R] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour irrégularité dans la procédure de licenciement ;

Condamne Mme [L] [H], épouse [R] aux dépens d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 19/01793
Date de la décision : 25/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-25;19.01793 ?
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