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25/04/2022 | FRANCE | N°18/02289

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 25 avril 2022, 18/02289


Arrêt n° 22/00238



25 avril 2022

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N° RG 18/02289 -

N° Portalis DBVS-V-B7C-E2US

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de THIONVILLE

20 août 2018

17/00238

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1



ARRÊT DU



Vingt cinq avril deux mille vingt deux



APPELANTS :



Maître [E] [C], ès qualité

s de mandataire judiciaire de la SARL ESCALE à l'enseigne SIPRA COMPTOIR ET SAVEURS

[Adresse 1]

Non représenté



S.A.R.L. L'ESCALE prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 5]

Représen...

Arrêt n° 22/00238

25 avril 2022

---------------------

N° RG 18/02289 -

N° Portalis DBVS-V-B7C-E2US

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de THIONVILLE

20 août 2018

17/00238

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Vingt cinq avril deux mille vingt deux

APPELANTS :

Maître [E] [C], ès qualités de mandataire judiciaire de la SARL ESCALE à l'enseigne SIPRA COMPTOIR ET SAVEURS

[Adresse 1]

Non représenté

S.A.R.L. L'ESCALE prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 5]

Représentée par Me Lionel HOUPERT, avocat au barreau de THIONVILLE

INTIMÉS :

Association UNEDIC Délégation AGS CGEA de NANCY représentée par sa directrice nationale Madame [W] [N]

[Adresse 3]

Représentée par Me Yaël CYTRYNBLUM, avocat au barreau de SARREGUEMINES

M. [V] [S]

[Adresse 2]

Représenté par Me Cécile CABAILLOT, avocat au barreau de METZ

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2019/010357 du 15/11/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de METZ)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 novembre 2021, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

Madame Laëtitia WELTER, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Réputé contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;

Signé par Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS

M. [V] [S] a été engagé par la société l'Escale à l'enseigne SIPRA Comptoir et Saveurs, à compter du 27 octobre 2017 jusqu'au 31 décembre 2017 en qualité de plongeur.

La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants.

M. [S] a démissionné par courrier daté du 31 octobre 2017.

Suite à sa démission, la SARL L'Escale a remis en date du 9 novembre 2017 à M. [S] un bulletin de paie, un certificat de travail, l'attestation Pôle emploi et un reçu pour solde de tous comptes.

La SARL L'Escale a été placée en redressement judiciaire par jugement en date du 24 octobre 2018. Maître [E] [C] a été désigné ès qualité de mandataire judiciaire.

Par acte introductif enregistré au greffe le 20 novembre 2017, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Thionville aux fins de :

Dire et juger que sa période de travail s'est étendue du 24 au 31 octobre 2017 et non pas du 27 au 31 octobre 2017, comme indiqué sur le bulletin de paie,

Requali'er le contrat à durée déterminée à temps plein dont le terme était fixé au 31 décembre 2017 en contrat à durée indéterminée,

Condamner la SARL L'Escale à payer à M. [S] les sommes suivantes :

. indemnité pour non respect de la procédure de licenciement : 1 495,47 € ;

. dommages et intérêt pour rupture abusive : 3 000,00 € ;

. indemnité de requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée : 1 495,47 € ;

. indemnité de fin de contrat 50,36 € ;

Condamner la SARL L'Escale à délivrer à M. [S], sous astreinte de 50 € par document et par jour de retard, passé 8 jours à compter de la notification de la décision à intervenir : un bulletin de paie, une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte documents rectifiés,

Réserver au conseil la faculté de liquider ladite astreinte,

Condamner la SARL L'Escale à payer à M. [S] une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé égale à 8 972,82 €, outre une somme de 2 000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Par jugement du 20 août 2018, le conseil de prud'hommes de Thionville, section commerce, a statué ainsi qu'il suit :

Déclare que la période d'exécution de la relation de travail s'étend du 24 octobre 2017 au 31 octobre 2017 ;

Requalifie la relation de travail en un contrat à durée indéterminée à temps complet ;

Dit que la démission est imputable aux torts de la SARL L'Escale ;

Dit que cette rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

Condamne la SARL L'Escale, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M.[S] les sommes suivantes :

'1 495,47 € nets à titre d'indemnité de requalification ;

'1 495,47 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

'1 495,47 € nets à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ;

'50,36 € bruts à titre d'indemnité de fin de contrat ;

'8 972,82 € nets au titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;

'2 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne à la SARL L'Escale de délivrer à M.[S], un bulletin de paie, une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte rectifiés en conformité des termes de la présente décision, sous astreinte de 50,00 € par jour de retard et par document et ce sous quinze jours suivant la notification du présent jugement ;

Dit que le conseil se réserve la faculté de liquider ladite astreinte le cas échéant,

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement en application conjointe des articles Rl454 28 du code du travail et 515 du code de procédure civile ;

Déboute la SARL L'Escale de ses demandes reconventionnelles ;

Condamne la SARL L'Escale aux entiers frais et dépens.

Par déclaration formée par voie électronique le 22 août 2018 et enregistrée au greffe le jour même, la SARL L'Escale a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par ses conclusions notifiées par voie électronique le 23 novembre 2018, la SARL L'Escale demande à la Cour de :

Infirmer intégralement la décision du conseil des prud'hommes de Thionville ;

Statuant à nouveau :

Débouter M. [S] de l'intégralité de ses fins et prétentions ;

Le condamner en tous les frais et dépens de la présente procédure ;

Le condamner à verser à SARL L'Escale la somme de 2 000,00 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions datées du 9 mai 2019, notifiées par voie électronique le 10 mai 2019, l'Unedic délégation AGS-CGEA de Nancy demande à la Cour de :

Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Thionville daté du 20 août 2018,

Statuant à nouveau,

Débouter le salarié de l'intégralité de ses prétentions ;

Condamner M. [S] à rembourser à l'Unedic délégation AGS-CGEA de Nancy la somme de 13 498,41 € net perçue au titre de l'exécution provisoire ;

Rejeter l'appel incident formé par M. [S] ;

Dire et juger que la garantie de l'AGS n'a vocation à s'appliquer que dans les limites des dispositions des articles L 3253-8 et suivants du code du travail ;

En tout état de cause, rappeler les grands principes et limites applicables en matière de garanties sur les salaires ;

Mettre les entiers frais et dépens à la charge de M. [S].

Par ses dernières conclusions datées du 14 février 2019, notifiées par voie électronique le 20 février 2019, M. [S] demande à la cour de :

Débouter la SARL L'Escale de toutes ses demandes fins et prétentions ;

Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Thionville en date du 20 août 2018 en ce qu'il a :

. déclaré que la période d'exécution de la relation de travail s'étend du 24 octobre 2017 au 31 octobre 2017,

. requalifié la relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps plein,

. dit que la démission est imputable aux torts de la SARL L'Escale,

. dit que la rupture de la relation de travail s'analyse en un licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse ,

. condamné la SARL L'Escale à payer à M. [V] [S] les sommes suivantes :

'1 495,47 € au titre des dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;

'1 495,47 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

'1 495,47 € au titre de l'indemnité de requalification de CDD en CDI ;

' 50,36 € au titre de l'indemnité de fin de contrat ;

'8 972,82 € au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

'2 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Infirmer sur le surplus et statuant à nouveau :

. condamner la SARL L'Escale à payer à M. [V] [S] la somme de 373,87 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que la somme de 37,39 € bruts au titre des congés payés afférents.

. condamner la SARL L'Escale à payer à M. [V] [S] la somme de 2 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

. condamner la SARL L'Escale aux entiers frais et dépens ;

En tout état de cause :

Fixer la créance de M. [S] au passif de la SARL L'Escale pour les sommes suivantes :

. 1 495,47 € au titre des dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;

.1 495,47 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

.1 495,47 € au titre de l'indemnité de requalification de CDD en CDI ;

. 50,36 € au titre de l'indemnité de fin de contrat ;

. 8 972,82 € au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

. 2 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Maître [E] [C], es qualité de mandataire judiciaire de la SARL L'Escale, à payer à M. [S] la somme de 2 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Maître [E] [C], es qualité de mandataire judiciaire de la SARL L'Escale, aux entiers frais et dépens ;

Statuant à nouveau :

Fixer la créance de M. [S] au passif de la SARL L'Escale pour les sommes suivantes de 373,87 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que la somme de 37,39 € bruts au titre des congés payés afférents.

Maître [E] [C], ès qualité de mandataire judiciaire de la SARL L'Escale, bien que régulièrement assigné en intervention forcée par acte d'huissier du 19 février 2019 signifié à personne morale, ne s'est pas fait représenter en cours de procédure d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2020.

Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS

Sur la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

- sur le point de départ de la relation de travail

La Cour rappelle qu'en l'absence de définition légale, il y a contrat de travail quand une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la direction d'une autre moyennant rémunération.

La jurisprudence considère de façon constante que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Il appartient à celui qui invoque l'existence d'une relation de travail d'apporter la preuve du contrat de travail.

En l'espèce, la SARL L'Escale indique avoir recruté M. [S] en contrat à durée déterminée à compter du 27 octobre 2017 mais qu'elle a reçu M. [S] pendant les trois jours précédents, du 24 au 26 octobre 2017, en « période d'observation ».

M. [S] soutient qu'il a commencé à travailler dès le 24 octobre 2017 et qu'il a été rémunéré en espèce pour la période allant du 24 au 26 octobre 2017, la SARL L'Escale ne reconnaissant l'avoir embauché qu'à compter du 27 octobre 2017.

Il est constant qu'aucun contrat écrit n'a été établi entre les parties, de sorte qu'il n'est pas permis de vérifier la date de commencement des relations de travail sur la base de cette pièce.

Les attestations de certains des salariés de la SARL L'Escale, qu'elle verse aux débats, montrent que M. [S] était bien présent dans les locaux de l'entreprise (restaurant) du 24 au 26 octobre 2017, présenté comme en période d'observation, et ne commençant à travailler que le 27 octobre.

Aucun détail n'est cependant apporté sur ce que faisait M. [S] pendant sa période d'observation, soit durant ces trois jours.

M. [S] indique quant à lui avoir reçu 220,00 € en espèce à titre de rémunération pour cette période du 24 au 26 octobre 2017 et produit seulement l'attestation de son père qui certifie que son fils lui a remis la somme de 200 € en espèce le 12 novembre 2017.

Cet élément est insuffisant pour justifier du versement de la somme en espèces par la SARL L'Escale au profit de M. [V] [S].

Cependant, il résulte de l'attestation de Mme [J] et de M. [G], connaissances de M.[S], que ces personnes ont vu M. [S] vers 22h sortir des poubelles dans un chariot au niveau de l'emplacement du restaurant Sipra ([Adresse 5]), respectivement les 25 et 24 octobre 2017.

Aucun élément n'est allégué ni justifié permettant de remettre en cause le caractère probant de ces attestations.

Par ailleurs, M. [S] verse aux débats une photographie d'une « fiche hebdomadaire d'heures travaillées » montrant qu'il a travaillé du mardi 24 au vendredi 27 octobre 2017 inclus.

Si cette fiche n'est pas signée par l'employeur ni le salarié, elle se présente sous la même forme que les fiches de pointage remplis pour les salariés de la SARL L'Escale (logo « dolce food & wine » ; mentions des horaires, des dates et des signatures).

L'ensemble de ces éléments est suffisant pour démontrer que le temps passé par M. [V] [S] dans les locaux du restaurant entre le 24 et le 26 octobre 2016 était un temps de travail réel et effectif.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a constaté que la relation de travail a commencé le 24 octobre 2017 entre la SARL L'Escale et M. [S].

- sur la requalification proprement dite en CDI du CDD

Selon l'article L 1242-12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

En application de l'article L 1245-1 du code du travail est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance notamment des dispositions qui précèdent.

Conformément à l'article L 1245-2 du code du travail, le salarié peut, du fait de la requalification en contrat à durée indéterminée, prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la SARL L'Escale n'a pas établi de contrat de travail écrit pour M. [S].

Si l'employeur invoque le fait qu'il ne l'a pas établi du fait qu'il a reçu la démission de M. [S] avant l'expiration du délai de deux jours ouvrables prévu à l'article L 1242-13 du code du travail dans lequel la SARL L'Escale pouvait transmettre le contrat à M. [S], il y a lieu de constater que ce délai était expiré à la date de la démission de M. [S], soit le 31 octobre 2017, le contrat de travail ayant commencé le mardi 24 octobre 2017.

Dès lors, le contrat à durée déterminée conclu entre les parties doit être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée. Le jugement sera confirmé sur ce point.

M. [S] sollicite le paiement d'une indemnité de requalification de 1 495,47 €, correspondant au montant de son salaire brut mensuel tel qu'indiqué sur son bulletin de salaire d'octobre 2017, établi par la SARL L'Escale.

En application de l'article L 1245-2 précité, il convient de faire droit à cette demande et de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

En revanche, le contrat à durée déterminée ayant été requalifié en contrat à durée indéterminée, l'indemnité de précarité prévue à l'article L 1243-8 du code du travail n'est pas due à M. [S] qui a mis fin à ce contrat au cours de celui-ci par courrier du 31 octobre 2017 présenté comme une démission, et ce quand bien même le salarié demande sa requalification en prise d'acte.

Sur le travail dissimulé

Aux termes de l'article L 8221-5 du code du travail, « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales. »

Selon l'article L 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L 8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

La dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce, il a été établi précédemment que le contrat de travail de M. [S] a réellement commencé le 24 octobre 2017, alors que l'employeur, que ce soit dans sa déclaration préalable à l'embauche, dans les documents de fin de contrat ou au travers du bulletin de salaire établi pour le mois d'octobre 2017 ne mentionne qu'un commencement du travail à la date du 27 octobre 2017.

Par ailleurs, il résulte du courrier établi le 21 novembre 2017 par l'URSSAF, en réponse à la demande formée par M. [V] [S], que la déclaration préalable à l'embauche n'a été faite par l'employeur que le 31 octobre 2017 à 16h22, soit après la démission de M. [S] notifiée à la SARL L'Escale le même jour.

Ces éléments caractérisent l'élément matériel du travail dissimulé.

En outre, quand bien même le contrat de travail de M. [S] aurait commencé le vendredi 27 octobre 2017 comme le prétendait la SARL L'Escale, il convient de constater que dans cette hypothèse l'employeur aurait dû remettre le contrat de travail écrit à M. [S] dans les deux jours ouvrables, soit au plus tard le lundi 30 octobre 2017, de sorte qu'en attendant le 31 octobre 2017 pour, selon ses dires, envisager de le faire, l'employeur caractérise sa volonté de ne pas établir de contrat.

L'ensemble de ces éléments démontre l'intention de l'employeur de ne pas déclarer M. [V] [S] et de le faire travailler de façon dissimulée.

L'indemnité prévue à l'article L 8223-1 du code du travail s'appliquant quel que soit le mode de rupture du contrat de travail, et M. [S] justifiant d'un salaire brut mensuel de 1 495,47 € au vu de la somme mentionnée sur son bulletin de salaire du mois d'octobre 2017 établi par la SARL L'Escale, il convient de fixer au passif de la procédure de redressement judiciaire de la SARL L'Escale la créance de M. [S] à la somme de 8 972,82 € (6 x 1 495,47 €).

Sur la rupture du contrat de travail

- sur la demande de requalification de la démission en prise d'acte

La Cour rappelle que selon une jurisprudence constante une démission doit être donnée de manière claire et non équivoque et qu'à défaut elle doit être qualifiée de prise d'acte s'il apparaît que ce sont divers éléments entourant l'exécution du contrat de travail et imputables à l'employeur qui ont déterminé la décision du salarié.

Elle rappelle aussi que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par lui constituent des manquements d'une importance telle qu'ils empêchaient la poursuite des relations contractuelles, soit d'une démission dans le cas contraire.

Il appartient donc au juge de vérifier si les faits invoqués par le salarié sont établis et, dans l'affirmative, s'ils caractérisent des manquements d'une importance telle qu'ils empêchaient la poursuite des relations contractuelles, la rupture étant alors imputable à l'employeur et produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

C'est au salarié qui prend l'initiative de la rupture qu'il appartient d'établir la réalité de ces manquements, à charge pour le juge à en apprécier la gravité, et si un doute subsiste la rupture produit les effets d'une démission.

Le juge se doit enfin d'examiner l'ensemble des griefs invoqués par le salarié, sans se limiter aux griefs mentionnés dans la lettre de rupture.

En l'espèce, M. [S] a adressé le 31 octobre 2017 à son employeur une lettre de démission dans laquelle il ne précise pas les motifs de son départ, mais se borne à demander la transmission des documents de fin de contrat.

M. [S] indique cependant qu'il a démissionné au vu de l'absence de contrat de travail écrit communiqué par l'employeur.

Il justifie d'un courrier adressé le 18 novembre 2017 à l'URSSAF dans lequel il demande s'il a été déclaré pour la période allant du 24 au 26 octobre 2017, puis pour celle allant du 27 au 31 octobre 2017, et sous quelle forme de contrat il a été déclaré, précisant qu'il a démissionné le 31 octobre.

L'employeur reconnaît par ailleurs ne pas avoir établi de contrat de travail écrit.

Les développements qui précèdent montrent également que les relations de travail entre les parties ont débuté le 24 octobre 2017 et que la SARL L'Escale n'a pas déclaré M. [V] [S] pour la période allant du 24 au 26 octobre 2017.

Ces manquements créant une incertitude pour M. [S] sur la nature de son contrat et de ses conditions de travail, et un risque de ne pas bénéficier d'une couverture sociale, ils doivent être considérés comme suffisamment graves pour empêcher toute poursuite du contrat de travail.

Dès lors, la démission formée le 31 octobre 2017 par M. [S] est fondée sur des manquements de l'employeur suffisamment graves pour la requalifier en prise d'acte d'une rupture imputable à l'employeur, qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

- sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail

La prise d'acte de la rupture entraînant la cessation immédiate du contrat de travail, il s'ensuit que le juge qui décide que les faits invoqués justifiaient la requalification de la démission en prise d'acte, qui produit alors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, doit accorder au salarié qui le demande, l'indemnité de préavis et les congés payés afférents, et les dommages-intérêts auxquels il aurait eu droit en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

. sur l'indemnité de préavis et les congés payés afférents

M. [V] [S] forme pour la première fois à hauteur d'appel une demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre une somme pour les congés payés afférents.

L'Unedic délégation AGS-CGEA de Nancy soulève le fait que cette demande n'a pas été formée devant le conseil de prud'hommes, et que la démission de M. [V] [S] ne justifie pas l'allocation d'une telle indemnité.

La Cour entend rappeler qu'en application de l'article 566 du code de procédure civile, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire , la conséquence ou le complément nécessaire.

La demande formée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis étant une des conséquences financières de la demande aux fins de requalification de la démission en prise d'acte aux torts de l'employeur, s'analysant comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il convient de la déclarer recevable à hauteur d'appel.

Sur le fond de cette demande, l'article L 1234-1 du code du travail prévoit qu'un salarié ayant moins de 6 mois d'ancienneté chez le même employeur bénéficie d'un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession.

En l'espèce, il est constant que M. [V] [S] a une ancienneté de moins d'un mois, comme ayant commencé à travailler le 24 octobre 2017, la rupture du contrat étant intervenue le 31 octobre 2017.

L'article 30 de la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants prévoit un préavis de 8 jours en cas d'ancienneté de moins de 6 mois.

M. [S] n'ayant pas exécuté le préavis et l'article L 1234-5 prévoyant que lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice, la demande formée par M. [S] aux fins de voir sa créance fixée à la somme de 373,87 € brut au titre de cette indemnité, outre la somme de 37,39 € brut pour les congés payés afférents est justifiée et sera accordée.

. sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Selon l'article L 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au moment de la rupture du contrat de travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est au maximum d'un mois de salaire brut, et sans qu'il y ait de montant minimal, dans l'hypothèse d'une ancienneté de moins d'une année complète.

Il est constant que M. [S] bénéficie d'une ancienneté de moins d'une année.

M. [S] n'allègue pas de sa situation professionnelle ou personnelle, ni d'un éventuel préjudice, suite à la rupture de son contrat de travail qui s'analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En l'absence de preuve de tout préjudice, il convient de rejeter sa demande de dommages et intérêts sur ce fondement, et d'infirmer en conséquence la décision des premiers juges.

. sur les dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement

En l'espèce, la démission de M. [V] [S] a été requalifiée en prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur, entraînant la cessation immédiate du contrat de travail, et produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Cependant, le contrat n'ayant pas pris fin par un licenciement, le salarié ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour inobservation de la procédure de licenciement.

La demande d'indemnité formée par M. [V] [S] n'est donc pas justifiée et doit être rejetée, le jugement entrepris devant être infirmé sur ce point.

- sur la remise des documents sous astreinte

Conformément aux dispositions prévues aux articles L 1234-19, R 1234-9 et D 1234-6 et suivants du code du travail, il sera ordonné à la SARL L'Escale, en redressement judiciaire, de produire à M. [S] le certificat de travail, l'attestation destinée à Pôle emploi, le bulletin de salaire d'octobre 2017 et le reçu pour solde de tout compte, tous rectifiés pour tenir compte de la présente décision, et ce dans les 30 jours suivant la notification de la présente décision.

Compte tenu de la difficulté qu'a montré la SARL L'Escale a accomplir les démarches liées à l'embauche à son service de M. [S], il convient, afin d'assurer l'exécution de cette obligation, de confirmer le jugement en ce qu'il a assorti cette obligation d'une astreinte de 50,00 € par jour de retard et par document passé le délai ci-dessus fixé.

Sur la demande de garantie formée à l'encontre de l'AGS-CGEA de Nancy

La garantie de l'AGS-CGEA de [Localité 4] s'appliquera sur les sommes fixées dans les conditions prévues aux articles L 3253-6 et suivants et D 3253-5 et suivants du code du travail.

Par ailleurs, l'Unedic délégation AGS-CGEA de Nancy demande la restitution des sommes trop versées en exécution du jugement prononcé par le conseil de prud'hommes le 20 août 2018.

Le présent arrêt constituant un titre exécutoire suffisant pour permettre à l'AGS-CGEA de [Localité 4] de recouvrer le trop versé à ce titre, il n'y a pas lieu de statuer spécifiquement sur cette demande, la restitution étant de droit par l'effet de l'arrêt.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens de première instance et d'appel accroîtront les frais privilégiés de la procédure de redressement judiciaire de la SARL L'Escale, partie qui succombe.

Compte tenu de la procédure collective de la SARL L'Escale, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [S], que ce soit en première instance ou à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant, en dernier ressort, par décision réputée contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

-Dit que la période d'exécution de la relation de travail s'étend du 24 au 31 octobre 2017 ;

- Requalifié la relation de travail en un contrat à durée indéterminée à temps complet ;

- Dit que la démission est imputable aux torts de la SARL L'Escale ;

- Dit que cette rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Infirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau et dans cette limite :

- Fixe au passif de la SARL L'Escale, placée en redressement judiciaire, les créances de M. [V] [S] aux sommes suivantes :

. 1 495,47 € nets à titre d'indemnité de requalification ;

. 8 972,82 € nets au titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;

- Déboute M. [V] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Déboute M. [V] [S] de sa demande d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement;

- Déboute M. [V] [S] de sa demande d'indemnité de fin de contrat ;

- Ordonne à la SARL L'Escale, placée en redressement judiciaire, de délivrer à M. [V] [S], le bulletin de paie d'octobre 2017, une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte, tous rectifiés en conformité des termes de la présente décision, sous astreinte de 50,00 € par jour de retard et par document et ce sous trente jours suivant la notification du présent jugement ;

- Déboute M. [V] [S] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance ;

Y ajoutant :

- Déclare recevable la demande formée par M. [V] [S] au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ;

- Fixe au passif de la SARL L'Escale, placée en redressement judiciaire, les créances de M.[V] [S] aux sommes suivantes :

. 373,87 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

. 37,39 € brut au titre des congés payés afférents à ce préavis ;

- Déclare l'Unedic, délégation AGS ' CGEA de Nancy, tenue à garantir les créances fixées au profit de M. [V] [S] dans les termes des articles L 3253-6 et suivants et D 3253-5 et suivants du code du travail, en l'absence de fonds disponible ;

- Déclare la présente décision opposable à Maître [E] [C], es qualité de mandataire judiciaire à la procédure de redressement judiciaire de la SARL L'Escale ;

- Déboute M. [V] [S] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

- Dit que les dépens de première instance et d'appel accroîtront les frais privilégiés de la procédure de redressement judiciaire de la SARL L'Escale.

La Greffière, La Présidente de Chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 18/02289
Date de la décision : 25/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-25;18.02289 ?
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