Arrêt no 14/ 00674
17 Décembre 2014--------------- RG No 13/ 03147------------------ Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de FORBACH 03 Septembre 2013 13/ 0022 E------------------ RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU
dix sept Décembre deux mille quatorze
APPELANT :
Monsieur André X......57600 FORBACH
Comparant assisté de Me BLOCH, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMÉE :
Société COLAS EST prise en la personne son représentant légal, venant aux droits de la SA SGREC EST et de la SARL SGB 44 boulevard de la Mothe Immeuble Echangeur 54000 NANCY
Représentée par Me UETTWILLER, avocat au barreau de PARIS substitué par Me CLAUS, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 Octobre 2014, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Etienne BECH, Président de Chambre Madame Marie-José BOU, Conseiller Monsieur Alain BURKIC, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mademoiselle Morgane PETELICKI, Greffier
ARRÊT :
contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après prorogation, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Monsieur Etienne BECH, Président de Chambre, et par Mademoiselle Morgane PETELICKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Selon un protocole d'accord signé le 4 juillet 2002, André X..., agissant pour son compte et pour celui des autres associés de la Société Générale du Bâtiment (ci-après la société SGB), S. A. R. L. familiale dont le gérant était André X..., a vendu à la société SCREG Est la totalité des parts composant le capital social de la société SGB, le protocole indiquant que le vendeur a établi les comptes annuels de la société au 31 décembre 2001, lesquels ont été certifiés par le commissaire aux comptes de la société et communiqués à l'acheteur le 25 juin 2002. L'acte de réitération de cession des parts sociales est intervenu le 22 juillet 2002, date à laquelle André X...et la société SCREG Est ont par ailleurs conclu un contrat de garantie d'actif et de passif.
Préalablement, par lettre du 2 juillet 2002, la société SCREG Est a confirmé à André X...sa proposition de l'engager en son sein à la date de cession de la société SGB en tant que chef de secteur.
Suivant un acte intitulé " contrat de travail à durée indéterminée-refonte " dont la prise d'effet était fixée au 1er août 2002, la société SGB et André X...ont convenu de l'emploi de ce dernier en qualité de chef de secteur avec une ancienneté dans le groupe remontant au 1er août 1986.
Par lettre du 25 octobre 2002, la société SGB a convoqué André X...à un entretien préalable à une éventuelle résiliation de son contrat de travail, entretien fixé au 4 novembre suivant, et lui a notifié sa mise à pied conservatoire dans l'attente de la décision à intervenir.
Selon une lettre du 6 novembre 2002, la société SGB a notifié à André X...son licenciement dans les termes suivants :
" A la suite de l'entretien préalable que nous avons eu le 4 novembre 2002, en nos bureaux de SGB à Petite Rosselle, et faisant suite à notre convocation du 25 octobre 2002, nous vous signifions par la présente votre licenciement pour faute lourde.
Les motifs invoqués à l'appui de cette décision, tels qu'ils vous ont été exposés lors dudit entretien, sont les suivants, étant entendu que chacun d'entre eux constitue à nos yeux une faute lourde :
- falsifications comptables et/ ou non révélation de ces falsifications comptables (notamment, (i) comptabilisation dans le compte " CLIENT'au 31 décembre 2001 de factures se rapportant en réalité à l'exercice 2002, (ii) comptabilisation pour l'ensemble du compte " CLIENT au 31 décembre 2001 " Travaux à facturer " de travaux réalisés en réalité au cours de l'exercice 2002, (iii) comptabilisation pour l'ensemble du compte " Travaux en cours " (à l'exception du chantier EPML) au 31 décembre 2001 de travaux réalisés en réalité au cours de l'exercice 2002 et (iv) défaut de dépréciation du compte de stocks en ce qui concerne les carrelages et accessoires et les matériaux de travaux publics), le tout pour un montant d'amoindrissement d'actif évalué à 916 922, 26 ¿,
- refus manifeste de collaborer au contrôle réalisé par nos services au début du mois d'octobre 2002 dans les locaux SGB.
Nous considérons que ces faits et votre conduite mettent gravement en cause la bonne marche de la société et laissent supposer de votre part une intention de nous nuire.
Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 4 novembre 2002 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet. Vous avez clairement reconnu l'existence de ces manipulations comptables mais vous ne nous avez donné aucune justification de ces faits. Compte tenu de la gravité de vos agissements et de leurs conséquences, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible.
Votre licenciement prend donc effet à compter de la première présentation de cette lettre à votre domicile par la Poste, sans indemnité d'aucune sorte ".
Suivant demande enregistrée le 8 septembre 2003, André X...a fait attraire les sociétés SGB et SCREG Est devant le conseil de prud'hommes de Forbach en contestation de son licenciement.
La tentative de conciliation a échoué.
Dans l'intervalle, la société SCREG Est a notamment fait assigner André X...devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Sarreguemines afin d'obtenir sa condamnation à lui payer une somme de plus de 900 000 euros à titre d'amoindrissement de l'actif de la société, demande dont elle a été déboutée par jugement du 20 janvier 2009 confirmé par arrêt de la cour d'appel de Metz du 30 mai 2013.
Parallèlement, André X...a été poursuivi pénalement, ce qui a conduit le conseil de prud'hommes à surseoir à statuer dans l'attente de la décision pénale selon une décision du 9 novembre 2004.
Par jugement du 23 avril 2007, le tribunal correctionnel de Sarreguemines a déclaré André X...coupable :
* D'avoir à PETITE ROSSELLE, entre janvier 2002 et juillet 2002, étant gérant de droit ou de fait de la SARL SGB en vue de dissimuler la véritable situation de la société sciemment présenté aux associés même en l'absence de toute distribution de dividendes, des comptes annuels ne donnant pas, pour chaque exercice une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice, de la situation financière et du patrimoine à l'expiration de cette période, en l'espèce le bilan de l'exercice clos au 31 décembre 2001 à l'assemblée générale ordinaire qui s'est tenue le 24 juin 2002 ;
* D'avoir à PETITE ROSSELLE, entre janvier 2002 et juillet 2002, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, par l'emploi de manoeuvres frauduleuses en l'espèce en présentant un bilan au 31 décembre 2001 faisant apparaître une situation de la société SGB faussement bénéficiaire au niveau de son résultat net comptable et de ses capitaux propres, par la majoration frauduleuse de son actif consistant à la comptabilisation indue de factures et situations de travaux se rattachant à l'exercice 2002 et trompé la société SCREG EST en la déterminant ainsi à son préjudice à remettre des fonds, en l'espèce en rachetant en date du 22 juillet 2002 à la vue de cette situation bilantielle bénéficiaire la société SGB pour un montant surévalué de 599 625 euros ;
Après avoir ordonné une expertise comptable, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Metz a, par arrêt du 25 mars 2010, confirmé le jugement précité, le pourvoi formé par André X...contre ledit arrêt ayant été rejeté selon un arrêt de la Cour de cassation du 23 février 2011.
Radiée par décision du 12 juin 2012, l'affaire engagée devant le conseil de prud'hommes a été rétablie à la demande d'André X...parvenue au greffe le 17 janvier 2013.
Dans le dernier état de ses prétentions, André X...a demandé au conseil de prud'hommes de :
Déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, Condamner solidairement la SARL SGB et la SA SGREG EST à lui verser les sommes de :-15. 000, 00 euros au titre du préavis ;-1. 500, 00 euros au titre des congés payés sur préavis ;-85. 000, 00 euros au titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;-120. 000, 00 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;-3. 000, 00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Déclarer le jugement exécutoire par provision ; Condamner les défendeurs aux entiers frais et dépens.
Les défenderesses ont demandé au conseil de prud'hommes de :- prononcer la mise hors de cause de la société SGREG EST ;- dire et juger que la matérialité des griefs ayant justifié le licenciement pour faute lourde est établie ;- débouter André X...de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;- le condamner à verser aux sociétés SGB et SGREG-EST 3. 000, 00 euros au titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;- le condamner à verser aux sociétés SGB et SGREG-EST 3. 000, 00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil de prud'hommes de Forbach a, par jugement du 3 septembre 2013, statué dans les termes suivants :
" JUGE que le licenciement de Monsieur André X...est motivé par une faute lourde ;
DEBOUTE Monsieur André X...de l'ensemble de ses demandes ;
CONDAMNE Monsieur André X...à verser à chacune des sociétés SGB et SGREG-EST les sommes de :-250, 00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;-250, 00 euros au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Monsieur André X...aux entiers frais et dépens ".
Suivant déclaration de son avocat expédiée le 14 novembre 2013 par lettre recommandée au greffe de la cour d'appel de Metz, André X...a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions de son avocat, reprises oralement à l'audience de plaidoirie par ce dernier, André X...demande à la Cour de :
" INFIRMER le jugement rendu le 3 septembre 2013 par le Conseil des Prud'hommes de FORBACH.
En conséquence
CONDAMNER la Société S. G. B et la Société SCREG EST solidairement à payer les sommes suivantes-au titre du préavis 15. 000.- Euros-au titre des congés payés sur préavis 1. 500.- Euros-au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement 85. 000.- Euros-au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 120. 000.- Euros
DEBOUTER la société SCG et la société SCREG EST de leur demande.
CONDAMNER au surplus les Sociétés intimées au titre de l'article 700 du NCPC à payer la somme de 6. 000.- Euros ".
Par conclusions de son avocat, reprises oralement à l'audience de plaidoirie par ce dernier, la société Colas Est, qui indique venir aux droits des sociétés SCREG Est et SGB, demande à la Cour de débouter André X...de son appel, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner André X...à verser à la société Colas Est la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile et celle de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE L'ARRET
Vu le jugement entrepris ;
Vu les conclusions des parties, déposées le 10 juin 2014 pour l'appelant et le 15 mai 2014 pour l'intimée, présentées en cause d'appel et reprises oralement à l'audience de plaidoirie, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé des moyens invoqués et des prétentions émises ;
Sur l'employeur d'André X...
Il convient préalablement de déterminer la ou les personnes morales ayant la qualité d'employeur d'André X...au moment des faits litigieux, la circonstance que la société Colas Est vienne désormais, ainsi qu'elle l'indique dans ses conclusions, aux droits des sociétés SCREG Est et SGB par suite respectivement d'un apport partiel d'actif concernant SCREG Est ayant conduit à une augmentation de capital à compter du 19 mars 2013 et d'une fusion absorption du 25 novembre 2013 concernant SGB étant indifférente à cet égard.
Même si la société SCREG Est a, par lettre du 2 juillet 2002, indiqué à André X...qu'elle lui confirmait sa proposition d'engagement en son sein à la date de cession de la SGB, il y a lieu de relever que le contrat de travail signé le 9 septembre 2002 produit tant par l'appelant que par l'intimée lie la société SGB à André X..., que celui-ci a, en qualité de chef de secteur, reçu dès le 23 juillet 2002 une sous délégation de pouvoirs émanant non de la société SCREG Est mais de la seule société SGB, que les bulletins de salaire d'André X...versés aux débats désignent la société SGB comme étant l'employeur d'André X...pour ceux concernant la période antérieure à la cession des parts de SGB mais aussi pour tous ceux portant sur les mois ayant suivi cette cession, que la convocation à l'entretien préalable et le licenciement ont été notifiés à André X...par la société SGB et que les documents de fin de contrat remis à André X...en novembre 2002, à savoir le reçu pour solde de tout compte, le certificat de travail et l'attestation destinée à l'Assedic, font tous exclusivement état de la société SGB comme étant l'employeur d'André X....
Le fait que la société SCREG Est ait détenu à partir du 22 juillet 2002 la totalité des parts de la société SGB n'en a pas moins laissé subsister la société SGB en tant que personne morale distincte de la société SCREG Est et ne saurait suffire à caractériser une situation de co-emploi qui n'est au demeurant pas invoquée.
Si André X...persiste à hauteur d'appel à demander la condamnation solidaire des sociétés SGB et SCREG Est au paiement des indemnités de rupture et des dommages et intérêts qu'il estime lui être dus, force est de constater qu'il indique dans le corps de ses conclusions accepter provisoirement de considérer que la société SGB était son employeur et se prévaut ensuite, dans ses développements sur la prescription et la faute qui lui est reprochée, du fait que SGB était son employeur. Par ailleurs, ainsi que l'appelant le relève lui-même, la société SCREG Est a toujours quant à elle prétendu qu'elle n'était pas l'employeur d'André X..., raison pour laquelle elle avait conclu à sa mise hors de cause en première instance.
Il suit de là que l'employeur d'André X...était la société SGB.
Sur le licenciement
Sur la prescription des fautes
Pour se prévaloir de la prescription des faits qui lui sont reprochés, André X...fait valoir que par jugement du 19 décembre 2007, le conseil de prud'hommes de Forbach a retenu la prescription des faits fautifs dans le litige ayant opposé Jeannine X...épouse Y..., sa soeur, également propriétaire de parts dans la société SGB mais y exerçant aussi des fonctions de secrétaire attachée à la direction et chargée à ce titre de la tenue de la comptabilité de la société avant sa cession, à la société SGB par suite du licenciement pour faute lourde dont elle a également fait l'objet le 6 novembre 2002 à raison des mêmes griefs de falsifications comptables et/ ou non révélation de falsifications comptables et refus manifeste de collaborer au contrôle et que par arrêt du 1er février 2010, la cour d'appel de Metz a constaté le désistement par la société SGB de son appel formé contre ledit jugement et l'extinction de l'instance si bien que selon l'appelant, la prescription a été définitivement constatée alors que les faits qui lui sont reprochés sont les mêmes.
Toutefois, l'autorité de chose jugée supposant une identité de parties et ne s'attachant qu'au dispositif de la décision rendue en matière civile, le jugement susvisé est sans effet au regard de l'éventuelle prescription des fautes reprochées à André X...dès lors qu'il opposait Jeannine X...épouse Y... à la société SGB et qu'il s'est borné de surcroît dans son dispositif à dire que le licenciement de celle-ci était sans cause réelle et sérieuse, seuls les motifs du jugement faisant référence à la prescription des faits.
Le moyen tiré dudit jugement est donc inopérant.
André X...soutient en tout état de cause que les faits visés dans la lettre de licenciement portent sur des documents comptables qui existaient dans la société SGB dès l'approbation de ceux-ci, avec ou sans réserve, par le commissaire aux comptes, au plus tard le 22 juillet 2002, date de l'acte de cession auquel ils étaient annexés, et que SGB, son employeur, avait donc connaissance de ces documents avec la réserve portée par le commissaire aux comptes au plus tard le 22 juillet 2002 de sorte que cette faute ne pouvait lui être reprochée après le 22 septembre 2002.
La société Colas Est rétorque que c'est seulement en septembre 2002 que la comptabilité de SGB a été reprise dans le système de gestion de la société SCREG Est et que c'est le 7 octobre 2002 que M. A..., cadre comptable au sein de SCREG Est, a constaté l'existence d'une perte anormale de près d'un million d'euros. Elle fait valoir sur la base de l'arrêt rendu par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Metz le 25 mars 2010 que la simple lecture des écritures comptables était inopérante à permettre la détection de la fraude. Elle note encore que c'est seulement le 27 mai 2003 que le commissaire aux comptes a, à l'occasion du dépôt de son rapport sur les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2002, souligné l'existence d'irrégularités se rattachant à l'exercice 2001 et l'incidence négative estimée à 916 922 euros liée à ces opérations sur le bilan d'ouverture, c'est-à-dire sur le bilan clos le 31 décembre 2001. Elle observe par ailleurs qu'André X...persiste à réduire le motif du licenciement au seul grief de falsification comptable et qu'il est muet concernant le refus de collaboration aux opérations de contrôle et la non révélation des falsifications.
Il résulte de l'article L 1332-4 du code du travail que l'employeur dispose d'un délai de deux mois à compter du jour où il a connaissance d'un fait fautif pour engager des poursuites disciplinaires, lequel engagement est constitué par la convocation à l'entretien préalable pour les sanctions soumises à la procédure d'entretien préalable.
En l'espèce, s'agissant du grief de falsifications comptables, il résulte de l'arrêt définitif du 25 mars 2010 qui a déclaré André X...coupable d'avoir commis, entre janvier 2002 et juillet 2002, les délits de présentation de comptes annuels inexacts et d'escroquerie par l'emploi de manoeuvres frauduleuses ayant consisté en la présentation d'un bilan au 31 décembre 2001 faisant apparaître une situation de la société SGB faussement bénéficiaire par la majoration frauduleuse de son actif que les falsifications comptables reprochées à André X...ont été commises au cours du premier semestre 2002.
A cette époque, André X...était salarié de la société SGB mais exerçait aussi les fonctions de gérant de ladite société.
Toutefois, cette seule circonstance est insuffisante à établir que la société SGB a alors eu connaissance de ces opérations irrégulières par la personne de son représentant légal qui les avait commises, s'agissant de faits délictueux commis par son gérant et alors que la présentation de comptes annuels infidèles, reposant sur les falsifications reprochées à André X..., constitue une violation d'obligations résultant de dispositions législatives ou réglementaires mises à la charge du dirigeant caractérisant une faute de sa part qui permet d'engager la responsabilité de celui-ci à l'égard de la société.
S'il apparaît par ailleurs que les comptes arrêtés au 31 décembre 2001, élaborés sur la base de ces falsifications, ont été certifiés par le commissaire aux comptes de la société SGB le 6 juin 2002 avec une réserve émise sur la valorisation des opérations partiellement exécutées à la clôture de l'exercice, réserve déjà faite pour les exercices précédents tenant au fait que l'absence de comptabilité analytique et de documents prévisionnels ne permettait pas d'évaluer avec une sécurité suffisante les résultats de ces opérations, puis approuvés par les associés, il ne saurait en être déduit non plus que les associés et donc la société SGB avaient connaissance à ce moment-là des falsifications en cause.
En effet, André X...a été déclaré coupable du délit de présentation de comptes infidèles, lequel implique précisément une volonté de dissimulation. Si certes, André X..., lui-même associé, connaissait ces falsifications puisqu'il résulte de l'arrêt du 25 mars 2010 qu'il en est à l'origine pour avoir donné des instructions en ce sens et si une autre associée, Jeannine X...épouse Y..., par ailleurs salariée de la société SGB, ne pouvait non plus les ignorer dès lors qu'il ressort notamment du rapport d'expertise comptable qu'elle était en charge de la comptabilité au sein de la SGB, rien ne permet d'établir que les autres associés, majoritaires, en aient été avisés d'une quelconque façon. Quant à la réserve émise par le commissaire aux comptes, elle ne saurait avoir alerté ces associés dans la mesure où elle était faite depuis plusieurs années sans qu'il en soit résulté une quelconque difficulté et où elle n'a pas empêché le commissaire aux comptes d'accorder sa certification aux comptes, comme il y avait procédé pour les années antérieures. Il résulte d'ailleurs du rapport d'expertise comptable et de l'arrêt du 25 mars 2010 que la découverte des manoeuvres frauduleuses commises par André X...supposait une analyse minutieuse de la comptabilité et que le commissaire aux comptes est resté dans leur ignorance, ce qui rend d'autant plus crédible que les autres associés, dont il n'est pas prétendu qu'ils aient eu des compétences en matière comptable, n'avaient pas connaissance de ces falsifications lors de l'approbation des comptes.
En l'état de ces éléments, il n'apparaît donc pas que la société SGB ait été informée des falsifications comptables avant la cession des parts.
Par cette cession, la société SCREG Est est devenue l'unique détentrice des parts de la société SGB, laquelle a cessé d'être gérée par André X...puisqu'il résulte de la délégation de pouvoirs du 23 juillet 2002 que le gérant de SGB était alors Joël B.... Certes, préalablement à cette cession, la société SCREG Est a été mise en possession des comptes litigieux de la société SGB ainsi qu'en témoigne le protocole d'accord. Mais même si SCREG Est était selon le rapport d'expertise comptable un acheteur averti, dès lors que la juridiction pénale a retenu l'existence d'une escroquerie commise au préjudice de la société SCREG Est par l'emploi de manoeuvres frauduleuses ayant consisté en la présentation d'un bilan au 31 décembre 2001 faisant apparaître une situation de la société SGB faussement bénéficiaire du fait de la majoration frauduleuse de son actif, manoeuvres frauduleuses ayant déterminé SCREG Est à racheter la société SGB pour un montant surévalué, cela signifie nécessairement que SCREG Est est restée dans l'ignorance des falsifications comptables lorsque la vente a eu lieu de sorte qu'à l'issue de cette cession, la société SGB, qui avait cessé d'être gérée par André X...et qui était nouvellement détenue en totalité par SCREG Est, ignorait tout autant, par le biais de ses nouveaux dirigeant et associé, les falsifications comptables d'André X....
Ce n'est donc qu'après la cession des parts, grâce à une analyse minutieuse de la comptabilité de la SGB, que la fausseté des pièces comptables pouvait être découverte. Or, il résulte de l'attestation de Michel A..., cadre comptable au sein de la société SCREG Est, que ce n'est qu'à la suite de la reprise de la comptabilité de SGB dans celle de SCREG qui a commencé en septembre 2002 que celui-ci a constaté le 7 octobre 2002 une perte de plus d'un million d'euros et qu'il a alors procédé à une vérification en examinant un par un les dossiers de chantier, ledit examen lui ayant permis de mettre à jour le procédé de comptabilisation indue de factures et travaux se rapportant à l'exercice 2002.
La société SGB justifie ainsi n'avoir eu connaissance des falsifications reprochées à André X...qu'à cette date là, à la suite du contrôle opéré en son sein par SCREG Est. Or, André X...a été convoqué à l'entretien préalable à son éventuel licenciement le 25 octobre 2002 si bien que la prescription concernant le grief de falsifications comptables n'est pas acquise.
La non révélation des falsifications comptables a perduré jusqu'au licenciement et à tout le moins jusqu'à ce que le contrôle ci-dessus visé ait été réalisé.
Quant au refus de collaborer également reproché à André X..., il a eu lieu à partir de ce contrôle, Michel A...indiquant dans son attestation que les 7 et 10 octobre 2002, des demandes d'explications ont été en vain formulées auprès d'André X....
La prescription n'est donc pas non plus acquise s'agissant de ces griefs.
Le moyen tiré de la prescription doit donc être écarté.
Sur les fautes
André X...conteste l'existence d'une faute lourde en prétendant qu'il n'y a jamais eu de falsification, de non revélation de falsifications comptables et de refus manifeste de collaborer. Il soutient que les faits ont été réalisés en toute connaissance de cause avec le commissaire aux comptes et que tous les contrôles ont été effectués préalablement à la prise de participation. A supposer qu'il ait commis les faits reprochés, il fait valoir qu'ils l'auraient été au détriment de la seule société SCREG Est, qui n'était pas son employeur selon ses propres dires, et que la société SGB n'a subi aucun préjudice. Il relève encore qu'à la suite du dépôt du rapport d'expertise, le ministère public n'a pas soutenu l'action publique et que l'autorité de la chose jugée permet néanmoins à la Cour de céans d'apprécier la nature de la faute commise.
La société Colas Est rétorque que la décision pénale définitive interdit à André X...de soutenir que les faits auraient été commis en connaissance de cause et établit la matérialité des faits qui ont conduit à son licenciement pour faute lourde. Elle fait valoir qu'il est inopérant d'alléguer une absence de préjudice à l'encontre de la société SGB et seulement à l'égard de SCREG Est qui a acquis les parts de SGB en soulignant que c'est la société Colas Est qui vient désormais aux droits des deux sociétés et que la pérennité de SGB était mise en cause. Elle estime que la faute intentionnelle d'André X...justifie la faute lourde.
La matérialité et l'imputabilité des falsifications comptables résultent de l'arrêt définitif du 25 mars 2010 qui a confirmé la culpabilité d'André X...au titre de la présentation de comptes annuels inexacts et de l'escroquerie alors qu'il a d'ores et déjà été retenu que la société SGB n'avait eu connaissance de ces manoeuvres qu'en octobre 2002, par le biais d'un contrôle opéré par SCREG Est, ce qui établit aussi la réalité du grief tenant à la non révélation de ces falsifications. En falsifiant les comptes de la société SGB et en ne révélant pas ses manoeuvres comptables, André X...a commis une faute vis-à-vis de cette société et non pas seulement à l'égard de la société SCREG Est, étant observé qu'il ne conteste pas que les falsifications comptables puissent lui être imputées en tant que salarié.
En revanche, s'agissant du refus manifeste de collaborer au contrôle, il n'est établi qu'à l'égard de la société SCREG Est. En effet, il résulte seulement des pièces versées que Michel A..., cadre-comptable au sein de la société SCREG Est, a demandé à deux reprises à André X...des explications à la suite de la perte qu'il a constatée puis que la société SCREG Est a, par courrier du 21 octobre 2002, sommé André X...de fournir des éléments et explications concernant la constatation de la comptabilisation au 31 décembre 2001 de créances non encore acquises au titre de cet exercice. Il n'est donc pas établi à ce titre un manquement à l'égard de la société SGB, seul employeur d'André X..., laquelle société SGB n'apparaît pas avoir elle-même procédé à un contrôle, ni sollicité d'explications auprès de son salarié, ni lui avoir donné pour instructions de collaborer au contrôle effectué en son sein par SCREG Est.
Il n'en demeure pas moins que le grief de falsifications comptables et de non-révélation des falsifications comptables est fondé.
La faute lourde suppose l'intention de nuire à l'égard de l'employeur.
Si le délit de présentation de comptes infidèles comporte un élément intentionnel, cela n'implique pas en lui-même l'intention de nuire à l'égard de la société SGB et étant observé que celle-ci, qui n'est pas la victime de l'escroquerie dont André X...a été déclaré coupable, ne peut arguer d'une intention de nuire d'André X...à son égard en se prévalant de cette infraction.
En outre, l'intention de nuire ne peut être déduite de la seule existence d'une fraude ou de l'importance du préjudice. Dès lors, s'il est certain qu'en falsifiant les comptes de la société SGB et en ne révélant pas ses manipulations, André X...a causé un préjudice à celle-ci en faussant sa propre appréciation sur l'état de sa situation au 31 décembre 2001 qui apparaissait légèrement bénéficiaire tandis qu'une comptabilité sincère aurait montré un déficit important, il n'en demeure pas moins que le gonflement de la valeur des actifs qui résultait de ces falsifications était relatif dans la mesure où André X...a seulement anticipé la prise en compte de factures, ses manipulations ayant consisté à valoriser dans les comptes de SGB au 31 décembre 2001 des factures et travaux relevant de l'exercice 2002, et où l'expert comptable a retenu la thèse qu'André X...avait déjà procédé de la sorte les années précédentes, le rapport d'expertise comptable relevant que le décalage de la prise en compte des produits se compense d'une année sur l'autre si son ampleur reste identique même s'il n'a pas permis d'établir si le décalage avait été réalisé en fait dans les mêmes proportions les années précédentes. En considération de ces circonstances et à défaut de tout autre élément caractérisant une intention de nuire à l'égard de SGB, la faute lourde ne saurait être retenue.
En revanche, les falsifications comptables, dont il convient de relever à nouveau qu'André X...ne conteste pas qu'elles puissent lui être imputées en tant que salarié, et le fait de ne pas ensuite les révéler constituaient une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement et de dire que le licenciement d'André X... est fondé non sur une faute lourde mais sur une faute grave.
Sur les conséquences du licenciement pour faute grave
Le licenciement pour faute grave étant privatif du préavis et de l'indemnité de licenciement, il convient de débouter le salarié de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, congés payés sur préavis et d'indemnité de licenciement.
Il doit être également débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera confirmé de ces chefs.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
André X...a pu croire que la société SCREG Est était son employeur au vu de la lettre que celle-ci lui a adressée le 2 juillet 2002 et du fait que son licenciement était en partie fondé sur un refus de collaborer avec cette société.
Par ailleurs, la faute lourde n'étant pas retenue, l'action engagée par André X...n'apparaît pas abusive.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné André X...au paiement d'une amende civile en application de l'article 32-1 du code de procédure civile à l'égard des sociétés SGB et SCREG Est et de rejeter toutes demandes à ce titre.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
André X..., qui succombe pour l'essentiel, doit être condamné aux dépens de première instance et d'appel et débouté de toute demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Compte tenu de la situation économique respective des parties et de l'équité, il n'y a pas lieu à condamnation d'André X...au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a jugé que le licenciement d'André X... était motivé par une faute lourde et en ce qu'il a condamné André X...à verser à chacune des sociétés SGB et SCREG Est des sommes au titre de l'article des articles 32-1 et 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant :
Dit que le licenciement d'André X... est fondé non sur une faute lourde mais sur une faute grave ;
Déboute les parties de toute autre demande ;
Condamne André X...aux dépens d'appel.
Le Greffier, Le Président de Chambre,