N° RG 23/06138 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PD7S
Décision du Président du TJ de Bourg en Bresse en référé du 13 juin 2023
RG : 23/00235
S.A. ELECTRICITE DE FRANCE
C/
[N]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 04 Septembre 2024
APPELANTE :
ELECTRICITE DE FRANCE (EDF), société anonyme au capital social de 2.084.365.041 euros, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 552 081 317, ayant son siège social situé sis [Adresse 4]), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Coralie SOTO, avocat au barreau de LYON, toque : 1867
Ayant pour avocat plaidant la SELARL EUROPA AVOCATS, représentée par Maître Alexandre BORDON avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMEE :
Mme [K] [N]
née le 07 Avril 1962 à [Localité 6]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Charlotte VARVIER de la SELARL LEGI 01, avocat au barreau D'AIN
INTERVENANTE FORCÉE :
ENEDIS, société anonyme au capital social de 270 037 000 €, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro 444 608 442, ayant son siège social situé sis [Adresse 5]), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
Signification de la déclaration d'appel et des conclusions le 25 septembre 2023 à personne habilitée
Défaillante
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 29 Mai 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 05 Juin 2024
Date de mise à disposition : 04 Septembre 2024
Audience présidée par Véronique MASSON-BESSOU, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de William BOUKADIA, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Bénédicte BOISSELET, président
- Véronique MASSON-BESSOU, conseiller
- Antoine-Pierre D'USSEL, conseiller
Arrêt Réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Exposé du litige
[K] [N] a souscrit avec la société Electricité de France (EDF) un contrat de fourniture d'électricité « Tarif Bleu », référencé 5014197163, lié au compteur référencé [Numéro identifiant 2].
Elle est cliente d'EDF depuis le 15 février 1985.
Le 18 janvier 2022, elle a subi une coupure d'électricité en raison de travaux programmés sur le réseau public de distribution d'électricité.
Soutenant que cette coupure avait détérioré ses équipements électriques, et qu'il en résultait une surconsommation importante d'électricité, [K] [N] a contacté le service clients EDF afin de solliciter une indemnisation.
En l'absence de règlement amiable, elle a refusé de régler à EDF sa facture de régularisation de l'année 2022 du 21 juin 2022 d'un montant de 233,46 € et sollicité l'avis du médiateur. Elle a en revanche continué à honorer les échéances postérieures.
Le 7 mars 2023, EDF a procédé à la coupure totale de son alimentation en électricité.
Une mise en demeure de rétablir son alimentation en électricité, adressée à EDF par son conseil le 25 avril 2023, étant demeurée infructueuse, [K] [N], par exploit du 11 mai 2023, a assigné la société Electricité de France (EDF) à l'audience du juge des référés du Tribunal judiciaire de Bourg en Bresse du 30 mai 2023, au visa des articles 834 et 835 du Code de procédure civile afin, au principal, de lui voir ordonner, sous astreinte, de rétablir immédiatement l'alimentation électrique de son logement et de la voir condamner à lui verser une provision de 4 000 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice.
A l'audience du 30 mai 2023, la société Electricité de France (EDF) n'a pas comparu.
Par ordonnance du 13 juin 2023, le juge des référés a :
' Condamné la société Électricité de France à rétablir l'alimentation électrique du logement de Mme [K] [N], dans le délai de deux jours à compter de la signification de l'ordonnance, ce sous astreinte de 500 € par jour de retard pendant une période de 60 jours, à l'issue de laquelle il devra être procédé à la liquidation de l'astreinte provisoire et au prononcé éventuel d'une astreinte définitive ;
' Condamné la société Électricité de France à payer à Mme [K] [N] la somme de 2 000 € à titre de provision à valoir sur l'évaluation de son préjudice ;
' Condamné la société Électricité de France à payer à Mme [K] [N] une indemnité de 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
' Condamné la société Électricité de France aux dépens.
Le juge des référés a retenu en substance :
qu'il ressort des pièces versées aux débats que [K] [N] subi depuis le 7 mars 2023 une coupure d'électricité totale sans aucun service minimum ;
que l'obligation de rétablir l'électricité au domicile de [K] [N] ne se heurte à aucune contestation sérieuse, en l'absence de mise en demeure préalable par EDF telle que prévue aux conditions générales de vente et de ses obligations résultant des dispositions de l'article L 115-3 du Code de l'action sociale et des familles ;
que le droit à indemnisation de [K] [N] au titre de son préjudice de jouissance n'étant pas sérieusement contestable dans son principe, il convient de condamner la société Electricité de France à payer à [K] [N] la somme provisionnelle de 2 000 € à ce titre.
Par acte régularisé par RPVA le 27 juillet 2023, la sociét Electricité de France a interjeté appel de l'intégralité des chefs de décision figurant au dispositif de l'ordonnance de référé du 13 juin 2023, dont elle a repris les termes dans sa déclaration d'appel.
Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 15 mai 2024, la société Electricité de France demande à la cour de :
Vu les articles 31 et 32 et 122 à 125 du Code de procédure civile, vu l'article 115-3 du Code de l'action sociale et des familles, vu l'article L. 124-1 du Code de l'énergie, vu les conditions générales de vente,
Annuler ou infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du 13 juin 2023 en ce qu'elle a condamné la société Electricité de France ;
A titre liminaire,
Constater la caducité de l'assignation délivrée le 11 mai 2023 et par conséquent annuler l'ordonnance du 13 juin 2023, ou à titre subsidiaire infirmer intégralement l'ordonnance du 13 juin 2023 et constater l'extinction de cette instance ;
A titre subsidiaire,
Déclarer irrecevables les demandes de [K] [N] dirigées à l'encontre de la société Electricité de France ;
Débouter [K] [N] de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre de la société Electricité de France.
En tout état de cause,
Condamner la société ENEDIS et [K] [N] à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en cause d'appel et aux entiers dépens.
La société Electricité de France (EDF) soulève à titre liminaire la nullité de l'ordonnance rendue, aux motifs :
qu'en application de l'article 754 du Code de procédure civile, la juridiction est saisie par la remise au greffe d'une copie de l'assignation, laquelle, sous réserve que la date de l'audience soit communiquée plus de quinze jours à l'avance, doit être effectuée au moins quinze jours avant cette date, ce sous peine de caducité de l'assignation constatée d'office par ordonnance du juge, ou, à défaut, à la requête d'une partie ;
qu'en l'espèce, l'assignation a été délivrée le 11 mai 2023 en vue de l'audience du 16 mai 2023 et qu'EDF n'a pas été en mesure de constituer avocat et de se défendre devant la juridiction de première instance ;
qu'ainsi, l'assignation n'a pu être remise au greffe que postérieurement à la date du 11 mai 2023 soit bien après l'expiration du délai de quinze jours visé à l'article 754 du Code de procédure civile avant l'audience du 16 mai 2023 et qu'il en résulte que la caducité aurait dû être constatée d'office par le juge des référés.
La société Electricité de France (EDF) soutient, également à titre liminaire, que les demandes de [K] [N] sont irrecevables au regard du défaut de qualité à agir en défense de la société EDF, aux motifs :
que le fournisseur d'électricité est une société qui commercialise l'énergie électrique auprès des particuliers et des entreprises, le distributeur d'électricité étant quant à lui seul en charge du réseau de distribution d'énergie ;
qu'en l'espèce, EDF est un fournisseur d'électricité et la société ENEDIS gère quant à elle le réseau de distribution ;
qu'ainsi, le sinistre pour lequel [K] [N] sollicite une indemnisation concerne un problème de distribution d'énergie, et qu'il en résulte, au visa des articles 122 à 125 et 31 du Code de procédure civile, que les demandes dirigées à l'encontre d'EDF, au titre des dommages qui auraient été causés du fait, d'une part, d'une coupure d'électricité à la suite de travaux réalisés sur le réseau de distribution de l'électricité, et d'autre part, l'absence de distribution d'électricité invoqués sont irrecevables ;
qu'ainsi, la société EDF, qui n'a pas la qualité de gestionnaire du réseau, ne dispose pas de la qualité à agir en défense et est en droit d'opposer à [K] [N] une fin de non-recevoir.
Sur le fond, la société EDF fait valoir, au visa de l'article 115-3 du Code de l'action sociale et des familles et de l'article 7-4 des conditions générales de vente Tarif Bleu, que les demandes de [K] [N] dirigées à son encontre sont infondées, en ce que :
si [K] [N] a contesté la facture de régularisation d'un montant de 233,46 € émise le 21 juin 2022, en se prévalant de la détérioration de ses équipements électriques à la suite de la coupure d'électricité le 18 janvier 2022 et d'une surconsommation, il s'avère qu'en réalité, elle n'a subi aucune surconsommation, comme en attestent la comparaison de ses analyses des consommations annuelles pour les périodes du 22 juin 2020 au 21 juin 2021 et du 22 juin 2021 au 21 juin 2022 ;
le 21 juin 2021, il a été proposé à [K] [N] d'adapter ses prélèvements à sa consommation, en adoptant un prélèvement mensuel à 257,16 €, ce qu'elle a refusé, sollicitant un prélèvement mensuel de 200 € ;
ainsi, la régularisation intervenue résulte non pas d'une surconsommation mais de la modification de son calendrier de paiement à la somme mensuelle de 200 €, insuffisante au regard de sa consommation réelle ;
par ailleurs, dès lors qu'elle n'avait pas réglé sa facture de régularisation, il a été pratiqué à son encontre une limitation de fourniture d'énergie après mise en demeure, ce dont elle a été informée ;
ainsi, le 8 mars 2023, lorsqu'elle a contacté le service clients EDF en indiquant n'avoir plus d'électricité, il lui a été expliqué qu'une limitation de puissance à 3000 W a été fixée à la suite de l'absence de paiement de la facture du 21 juin 2022, et indiqué qu'en raison de cette limitation elle devait réaliser une manipulation sur son compteur pour retrouver une puissance minima de 3000 W, ce qu'elle n'a pu réaliser, faute d'être présente chez elle.
L'appelante en conclut qu'une limitation de la puissance électrique a été pratiquée par la société EDF en conformité avec les dispositions légales et contractuelles, que la problématique relative à l'absence d'électricité résulte de l'impossibilité par [K] [N] d'accomplir le réarmement de son compteur électrique.
Elle ajoute qu'en tout état de cause, le 5 juin 2023, soit même avant la date de la décision dont appel, le rétablissement de l'électricité était effectif.
Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 26 septembre 2023, [K] [N] demande à la cour de :
Vu les articles 834 et 835 du Code de procédure civile, Vu les articles L115-3 du Code de l'action sociale et des familles, Vu les articles 1231-1 et suivants du Code civil,
Confirmer l'ordonnance de référé rendue le 13 juin 2023 dans son intégralité, à l'exception du quantum qui lui a été alloué au titre de l'indemnisation de son préjudice, et statuant à nouveau :
Condamner la société Electricité de France à lui payer et porter une provision de 3 000 € à titre de dommages et intérêts à valoir sur son préjudice.
Y ajoutant :
Condamner la société Electricité de France à lui payer et porter une somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel, et aux entiers dépens d'appel ;
Débouter la société Electricité de France de toutes demandes, fins et conclusions contraires.
[K] [N] expose :
que le 18 janvier 2022, elle a subi une coupure d'électricité en raison de travaux programmés sur le réseau public de distribution d'électricité et qu'à la suite de cette coupure, elle a subi une détérioration de ses équipements électriques, plusieurs de ses radiateurs étant endommagés au niveau des thermostats, ce qui a eu pour conséquence l'impossibilité de régler la température et a entraîné une surconsommation d'électricité importante ;
que ces désordres ont été constatés à l'occasion d'une réunion d'expertise diligentée par sa compagnie d'assurance qui a accepté de l'indemniser partiellement pour la détérioration de ses équipements laissant à sa charge une franchise contractuelle de 120 € ;
qu'immédiatement, elle a engagé des démarches auprès d'EDF pour obtenir un dédommagement mais que malgré de nombreux échanges, aucune suite amiable n'a pour l'heure été apportée, raison pour laquelle elle a refusé de régler la facture de régularisation de l'année 2022 ;
qu'elle a même saisi le médiateur le 2 août 2022 et que son interlocutrice chez EDF, [P] [T] l'assurait encore le 3 novembre 2022 qu'elle avait bloqué les relances et attendait un retour du médiateur ;
que finalement, de manière totalement inattendue et alors qu'elle n'avait toujours pas obtenu un retour du médiateur, le 7 mars 2023, EDF a procédé à une coupure totale de son alimentation en électricité, ce brutalement, sans aucune forme de mise en demeure officielle.
Elle soutient en premier lieu qu'il n'y a pas lieu de constater la caducité de l'assignation, en ce que la lecture « stricto sensus » de l'article 754 du Code de procédure civile n'amène pas à la solution retenue par l'appelante, alors qu'aucune disposition ne vient sanctionner le non-respect du délai de 15 jours.
En second lieu, elle fait valoir que la société EDF n'est pas fondée à arguer de son défaut de qualité à agir en défense, alors que :
elle n'a pas introduit son action pour engager la responsabilité d'EDF pour des dommages subis sur son réseau mais pour voir rétablir sa fourniture d'électricité et être indemnisée de sa coupure illégitime ;
sa demande est bien dirigée car c'est la société EDF qui a commandité la coupure objet du litige pour la sanctionner, qui en est donc à l'origine et est donc la seule responsable de son dommage, étant observé qu'il ne s'agit pas d'un problème de distribution mais bien d'un refus abusif de fourniture de sa prestation par EDF.
En dernier lieu, elle sollicite la confirmation de la décision entreprise au visa des articles 834 et 835 du Code de procédure civile, faisant valoir :
qu'elle est manifestement victime d'un trouble manifestement illicite car elle se trouvait complétement privée d'électricité alors qu'un service minimum doit nécessairement exister ;
plus précisément, elle se trouvait dans une situation d'urgence manifeste car elle n'avait pas de lumière, pas d'eau chaude, pas de chauffage et qu'elle ne pouvait même pas alimenter son réfrigérateur, et ce en contravention avec les dispositions de l'article L115-3 du Code de l'action sociale et des familles et même des dispositions contractuelles qui prohibent une interruption totale de la distribution d'électricité et imposent en cas de non-paiement de factures un service minimum ;
que la difficulté est surtout que la société EDF ne s'est pas contentée de réduire la puissance mais a complètement cessé la fourniture, la laissant dans la plus grande précarité alors qu'elle réglait ses factures et qu'une seule facture de 233,46 € était en litige.
Elle ajoute que ce n'est que le 5 juin 2023 que la fourniture d'électricité a été rétablie, qu'elle est restée trois mois sans électricité et que si sa demande visant à rétablir l'électricité est devenue sans objet, pour autant, elle est fondée à voir porter la provision destinée à l'indemniser de son préjudice de jouissance à 1 000 € par mois, soit un total de 3 000 €.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur la caducité de l'assignation délivrée le 11 mai 2023 et ses conséquences
La société EDF sollicite, au visa de l'article 754 du Code de procédure civile, que soit constatée la caducité de l'assignation du 11 mai 2023 à l'origine de la procédure de première instance et par conséquent que soit prononcée la nullité de l'ordonnance déférée, aux motifs que l'assignation du 11 mai 2023 aurait dû être remise au greffe au moins 15 jours avant la date d'audience du 16 mai 2023.
L'article 754 du Code de procédure civile dispose :
« La juridiction est saisie, à la diligence de l'une ou l'autre partie, par la remise au greffe d'une copie de l'assignation.
Sous réserve que la date de l'audience soit communiquée plus de quinze jours à l'avance, la remise doit être effectuée au moins quinze jours avant cette date.
La remise doit avoir lieu dans ce délai sous peine de caducité de l'assignation constatée d'office par ordonnance du juge, ou, à défaut, à la requête d'une partie. »
La cour relève tout d'abord que l'audience qui s'est tenue devant le juge des référés a eu lieu le 30 mai 2023 et non le 16 mai 2023 comme l'indique à tort la société EDF.
Au visa de l'article 641 du Code de procédure civile, et la date d'audience qui fait courir le délai exprimé en jours ne comptant pas, la copie de l'assignation devait être remise au greffe au plus tard le 14 mai 2023.
Or, la société EDF ne justifie aucunement que l'assignation a été remise au greffe après le 14 mai 2023, étant observé qu'il parait logique qu'elle ait été déposée dans le prolongement de l'assignation, au regard de l'urgence de la demande puisque [K] [N] était totalement privée d'électricité.
En conséquence, la cour rejette la demande de la société EDF visant à ce que soit constatée la caducité de l'assignation du 11 mai 2023 et prononcée la nullité de l'ordonnance de référé du 13 juin 2023.
2) sur l'irrecevabilité des demandes de [K] [N] au regard du défaut de qualité à agir en défense de la société EDF
La société EDF soutient que [K] [N] est irrecevable à agir à son encontre, dès lors qu'elle n'est que le fournisseur d'électricité et non le distributeur et qu'elle n'est pas le gestionnaire du réseau, seule la société ENEDIS ayant la qualité de distributeur.
L'article 31 du Code de procédure civile dispose :
« L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».
L'article 32 du Code de procédure civile ajoute que :
« Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ».
Il n'est pas contesté que la société EDF est le fournisseur de l'électricité, qui vend l'électricité au client et procède à sa facturation, la société ENEDIS étant quant à elle chargée de la distribution de l'énergie.
Pour autant, il ressort des pièces versées aux débats :
que c'est la société EDF qui le 10 janvier 2023 a adressé à [K] [N] une mise en demeure de régler la facture de régularisation, en en indiquant expressément que si le paiement n'intervenait pas dans les 20 jours, elle serait contrainte de limiter son alimentation en énergie, voire de la supprimer ; (Pièce 14 et 15 appelante)
que c'est à la demande de la société EDF qu'il a été demandé à la société ENEDIS de réduire la puissance de la fourniture d'électricité sous 48 heures au domicile de [K] [N], la société ENEDIS invitant d'ailleurs [K] [N] à contacter son fournisseur, la société EDF, pour éviter toute interruption (pièce 16 intimée).
Or, dès lors qu'il est avéré que l'interruption de la fourniture d'électricité qu'elle soit limitée ou non n'a eu lieu qu'à l'initiative de la société EDF, il en ressort nécessairement que c'est bien à l'encontre de la société EDF que devait être présentée la demande de remise en route du réseau électrique au domicile de [K] [N] et que la demande de [K] [N] était bien dirigée.
Il en est de même de la demande d'indemnisation au titre du préjudice de jouissance, ce préjudice ne trouvant son origine que dans la décision de la société EDF d'ordonner à son distributeur de suspendre la fourniture d'énergie au domicile de [K] [N].
La cour déclare en conséquence [K] [N] recevable en ses demandes présentées à l'encontre de la société EDF et rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société EDF.
3) Sur le fond du référé
Aux termes de l'article 835 du Code de procédure civile, le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
En l'espèce, les pièces versées aux débats confirment que [K] [N] a subi une coupure totale d'électricité depuis le 7 mars 2023, et il n'est par ailleurs pas contesté qu'elle n'a bénéficié d'aucun service minimum, son réseau électrique n'étant pas restreint en puissance mais totalement coupé, ce que confirme en outre les différentes attestations que [K] [N] verse aux débats.
Si la société EDF soutient qu'il suffisait à [K] [N] de réaliser une manipulation sur son compteur pour retrouver une puissance minimale de 3 000 W et que cette manipulation lui aurait été expliquée, la cour relève toutefois :
que la société EDF ne justifie aucunement si ce n'est par d'insuffisantes allégations, qu'une simple manipulation du compteur permettait à [K] [N] de retrouver une puissance minimale et qu'elle ne justifie pas plus que cela a été expliqué à [K] [N] ;
qu'il n'appartient pas au demeurant au client EDF qui a la qualité de profane d'intervenir sur le réseau, et notamment de procéder à d'éventuelles manipulations qui seraient nécessaires pour restaurer un service minimum alors que l'électricité a été intégralement coupée.
Surtout, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article L115-3 du Code de l'action sociale et des familles, toute interruption totale de fourniture d'électricité dans une résidence principale est proscrite jusqu'au 31 mars de chaque année, seule une réduction de puissance étant autorisée.
L'article L115-3 du Code de l'action sociale et des familles dispose ainsi :
« Du 1er novembre de chaque année au 31 mars de l'année suivante, les fournisseurs d'électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l'interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d'électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles.
Les fournisseurs d'électricité peuvent néanmoins procéder à une réduction de puissance, sauf pour les consommateurs mentionnés à l'article L. 124-1 du Code de l'énergie.
Un décret définit les modalités d'application du présent alinéa.
Ces dispositions s'appliquent aux distributeurs d'eau pour la distribution d'eau tout au long de l'année. ».
Ainsi, en ordonnant l'interruption totale de la fourniture d'électricité au domicile de [K] [N], interruption effective au 7 mars 2023, soit avant le 31 mars, et en s'abstenant de mettre en place un service minimum, la société EDF a enfreint les dispositions de l'article L115-3 du Code de l'action sociale et des familles et est incontestablement à l'origine d'un trouble manifestement illicite au sens de l'article 835 alinéa 1er du Code de procédure civile.
La cour ajoute que le trouble susvisé était d'autant plus injustifié qu'il n'est pas contesté que [K] [N] a toujours réglé ses factures, et qu'il est établi par les pièces produites qu'une procédure était en cours devant le médiateur pour régler le différend qui l'opposait à EDF et que la société EDF s'était engagée à cesser toute poursuite ou relance tant que la procédure devant le médiateur n'avait pas abouti.
La cour en déduit que c'est à raison que le premier juge a condamné la société EDF sous astreinte à rétablir l'alimentation électrique du logement de [K] [N], ce qui constituait une mesure de remise en état appropriée pour faire cesser le trouble ainsi caractérisé.
La cour confirme en conséquence la décision déférée de ce chef, étant observé que la mesure ordonnée est désormais sans objet puisque l'électricité a été rétablie au domicile de [K] [N] le 5 juin 2023.
Le premier juge a également condamné la société EDF à payer à [K] [N] la somme de 2 000 € à titre provisionnel, à valoir sur son préjudice de jouissance en ce que celle-ci a subi depuis le 7 mars 2023 une coupure totale sans aucun service minimum, considérant que cette demande ne se heurtait à aucune contestation sérieuse dans son principe.
Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du Code de procédure civile, le juge des référés, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, peut accorder une provision au créancier.
En l'espèce, il est constant que [K] [N] a subi une interruption de fourniture d'électricité totale du 7 mars 2023 jusqu'au 5 Juin 2023, date à laquelle l'électricité a été rétablie à son domicile.
[K] [N] produit plusieurs attestations aux débats particulièrement circonstanciées qui établissent la précarité dans laquelle elle s'est trouvée à compter du 7 mars 2023 du fait de sa privation totale d'électricité, qui impliquait qu'elle n'ait ni chauffage, ni éclairage, ni eau chaude et ne puisse pas utiliser ses appareils électroménagers (notamment lave-linge, lave-vaisselle et réfrigérateur).
Le préjudice de jouissance qui en est résulté pour [K] [N], uniquement imputable à la faute commise par la société EDF, est donc incontestable.
La cour, au regard de l'ampleur du préjudice subi et de sa durée, retient que ce préjudice peut être justement être indemnisé à titre provisionnel, sans risque de répétition de l'indu, à hauteur de 1 000 € par mois, soit pour trois mois 3 000 €.
La cour en conséquence infirme la décision déférée en ce qu'elle a condamné la société EDF à payer à [K] [N] la somme de 2 000 € au titre de l'indemnisation de son préjudice de jouissance et, statuant à nouveau, condamne la société EDF à payer à [K] [N] à titre provisionnel la somme de 3 000 € à ce titre.
4) Sur les demandes accessoires
La société EDF succombant, la cour confirme la décision déférée en ce qu'elle a condamné la société EDF aux dépens de la procédure de première instance et à payer à [K] [N] la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, justifiée en équité.
Pour la même raison, la cour condamne la société EDF aux dépens à hauteur d'appel et à payer à [K] [N] la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur d'appel, justifiée en équité.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette la demande de la société Electricité de France visant à ce que soit constatée la caducité de l'assignation du 11 mai 2023 et prononcée la nullité de l'ordonnance de référé du 13 juin 2023 ;
Déclare [K] [N] recevable en ses demandes présentées à l'encontre de la société Electricité de France et rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Electricité de France ;
Infirme la décision déférée en ce qu'elle a condamné la société Electricité de France à payer à [K] [N] la somme de 2 000 € au titre de l'indemnisation de son préjudice de jouissance et,
Statuant à nouveau,
Condamne la société Electricité de France à payer à [K] [N] à titre provisionnel la somme de 3 000 € au titre de son préjudice de jouissance ;
Confirme la décision déférée pour le surplus ;
Condamne la société Electricité de France aux dépens à hauteur d'appel ;
Condamne la société Electricité de France à payer à [K] [N] la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur d'appel ;
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER LE PRESIDENT