La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/09/2024 | FRANCE | N°23/04997

France | France, Cour d'appel de Lyon, 8ème chambre, 04 septembre 2024, 23/04997


N° RG 23/04997 -N°Portalis DBVX-V-B7H-PBLZ









Décision du Tribunal de Commerce de Lyon en référé

du 12 mai 2023 n° 2023OP01375









S.A.R.L. HOLDING JULEA



C/



S.A.S. SOCIETE D'APPROVISIONNEMENT POURL'INDUSTRIE LE (S.A.I.T.)





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



8ème chambre



ARRÊT DU 04 Septembre 2024



APPELANTE :



S.A.S HOLDING JULEA soci

été au capital de 500 000,00 euros immatriculée sous le numéro 503 387 334 du registre du commerce et des sociétés de Lyon, ayant son siège [Adresse 2] agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège



...

N° RG 23/04997 -N°Portalis DBVX-V-B7H-PBLZ

Décision du Tribunal de Commerce de Lyon en référé

du 12 mai 2023 n° 2023OP01375

S.A.R.L. HOLDING JULEA

C/

S.A.S. SOCIETE D'APPROVISIONNEMENT POURL'INDUSTRIE LE (S.A.I.T.)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

8ème chambre

ARRÊT DU 04 Septembre 2024

APPELANTE :

S.A.S HOLDING JULEA société au capital de 500 000,00 euros immatriculée sous le numéro 503 387 334 du registre du commerce et des sociétés de Lyon, ayant son siège [Adresse 2] agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938

Ayant pour avocat plaidant Me Sara LADJEVARDI, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

La société SOCIETE D'APPROVISIONNEMENT POUR L'INDUSTRIE TEXTILE (S.A.I.T.), SAS au capital de 1 134 000,00 euros immatriculée sous le numéro 574 500 435 du registre du commerce et des sociétés de LYON, ayant son siège [Adresse 1], représentée par ses dirigeants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547

Ayant pour avocat plaidant Me Sébastien SEMOUN, avocat au barreau de LYON

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 07 Mai 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 15 Mai 2024

Date de mise à disposition : 04 Septembre 2024

Audience tenue par Bénédicte BOISSELET, président, et Véronique MASSON-BESSOU, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Bénédicte BOISSELET, président

- Véronique MASSON-BESSOU, conseiller

- Antoine-Pierre D'USSEL, conseiller

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

Exposé du litige

La société d'approvisionnement pour l'industrie textile (ci-après la SAIT) a pour activité en France et à l'étranger, la commercialisation sous toutes ses formes en gros et demi-gros de fibres textiles, de fils, de tissus et de machines textiles.

Son capital social appartient à la société SENAUS, sa présidente, à hauteur de 59,98% et à hauteur de 40 % à la société Holding Julea.

La société Holding Julea a pour associé unique [O] [G], qui occupait le poste de directeur commercial tissus de la société SAIT jusqu'au 23 septembre 2019, date à laquelle il a fait l'objet d'un licenciement pour faute grave, confirmé par jugement du Conseil de Prud'hommes de Lyon du 16 juin 2022, qui fait actuellement l'objet d'un appel.

Considérant qu'il existait dans le cadre de la gestion de la société SAIT des décisions de gestion contraires à l'intérêt social, la société Holding Julea a interrogé le président de la société SAIT sur un certain nombre d'actes de gestion, sans obtenir de réponse.

Par acte d'huissier du 15 septembre 2022, la société Holding Julea a alors assigné la société SAIT devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Lyon aux fins de voir ordonner une expertise de gestion.

Par ordonnance de référé du 21 décembre 2022, le Juge des référés a fait droit à la demande de la société Holding Julea, a ordonné une expertise de gestion de la société SAIT et désigné Monsieur [I] [V] en qualité d'expert, lui donnant notamment pour mission :

de se faire remettre pour chaque exercice clos depuis l'exercice 2019 :

le rapport de gestion, le bilan et le compte de résultat détaillés, la copie de la liasse fiscale, le grand livre, l'inventaire, le détail du stock à chaque exercice clos, les règles, méthodes et calcul des provisions sur stock, les mouvements de stocks entre la date de clôture des comptes et celle de l'émission du rapport de gestion, la copie des pièces comptables concernant la rémunération de la présidence, et les justificatifs de la réalité des temps passés par le président justifiant la rémunération perçue, l'état détaillé des procédures judiciaires en cours et tous les documents y attachés ;

de donner au tribunal tous les éléments permettant :

de déterminer si l'évaluation de la dépréciation des stocks était justifiée,

de déterminer si l'absence de provision pour risque était justifiée,

de justifier les créances cédées dans le cadre de la convention d'affacturage,

de déterminer si les montants des rémunérations et primes accordées à la société SENAUS étaient justifiés et pas excessifs au regard de son activité dans la société et la situation financière de la société,

d'expliquer la proposition d'augmentation de capital mis à l'ordre du jour de l'assemblée générale du 31 mars 2022.

Le juge des référés a retenu en substance que les éléments dont fait état la société Holding Julea, bien que contestés par la société SAIT, complétés par le fait que la société Holding Julea s'estime insuffisamment informée, constituent de sérieuses présomptions d'irrégularités pouvant affecter les opérations de gestion de manière préjudiciable à l'intérêts social de la société SAIT, justifiant que soit ordonnée l'expertise de gestion demandée.

Madame [Y] [Z] a été désignée en remplacement de Monsieur [I] [V].

Une première réunion d'expertise s'est tenue le 30 mars 2023 en présence de toutes les parties.

Le président de la société SAIT s'est opposé à la communication des comptes détaillés, des grands livres et du détail des stocks au motif que ces documents seraient couverts par le secret des affaires.

Par courrier du 20 avril 2023, l'expert Judiciaire a saisi le Juge chargé du contrôle des expertises de cette difficulté.

Une audience s'est tenue le 4 mai 2023 au cabinet du Vice-Président du Tribunal de Commerce de Lyon à cette fin.

Par ordonnance du 12 mai 2023, le Vice-président du tribunal de commerce de Lyon a :

Considéré que les pièces suivantes :

Comptes détaillés sur la période concernée par l'expertise,

Grand-livre concernant les exercices concernés par l'expertise,

Liste des stocks valorisés détaillés avec les dépréciations sur la période concernée par l'expertise,

sont protégées par le secret des affaires telles que défini dans l'article L 151-1 du Code de commerce ;

Ordonné la transmission de ces pièces sous 15 jours à compter de la présente ordonnance au juge chargé du contrôle de l'expertise afin que l'expert puisse en prendre connaissance confidentiellement ;

Enjoint à l'expert de ne pas faire mention du contenu des pièces dans l'expertise et/ou ses annexes.

Il a été retenu en substance, au visa de l'article L 151-1 du Code de commerce :

que les comptes détaillés, le grand-livre et la liste des stocks valorisés détaillés avec les dépréciations, sur la période concernée par l'expertise, sont indispensables à la réalisation de la mission de l'expert ;

que la société Holding Julea fournit des prestations de conseil et marketing et stratégie à l'un des concurrents directs de la société SAIT, la société Witrade ;

que les éléments demandés relèvent bien du secret des affaires et que la fourniture de ces éléments à la société Holding Julea serait de nature à révéler des éléments relevant du secret des affaires et en conséquence pourraient porter préjudice à la société SAIT ;

qu'ainsi, la société SAIT doit fournir ces pièces au juge chargé du contrôle des expertises qui les transmettra en son cabinet à l'expert, laquelle sera astreinte à la confidentialité telle que définie par l'article L 153-2 du Code de commerce, consultera les dites pièces dans ce cadre et ne fera pas mention de leur contenu ni dans le corps de l'expertise, ni dans ses annexes.

Par déclaration régularisée par RPVA le 20 juin 2023, la société Holding Julea a interjeté appel de l'ordonnance du 12 mai 2023 dans son intégralité.

Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 8 septembre 2023, la société Holding Julea demande à la cour de :

Vu les articles 14, 16 et 496 du Code de procédure civile, Vu les articles L 153-1 et L 153-2 du Code de commerce,

Déclarer la société Holding Julea recevable et bien fondée en son appel,

Y faisant droit,

Infirmer l'ordonnance du 12 mai 2023 rendue par le Vice-Président du Tribunal de Commerce de Lyon en toutes ses dispositions ;

Juger que la société SAIT devra communiquer de manière contradictoire les pièces suivantes :

Comptes détaillés sur la période concernée par l'expertise,

Le grand-livre concernant les exercices concernés par l'expertise,

La liste des stocks valorisés détaillés avec les dépréciations sur la période concernée par l'expertise,

A titre subsidiaire,

Ordonner la communication des pièces suivantes biffées au niveau de l'identité des clients et références de marchandises :

Comptes détaillés sur la période concernée par l'expertise,

Le grand-livre concernant les exercices concernés par l'expertise,

La liste des stocks valorisés détaillés avec les dépréciations sur la période concernée par l'expertise.

A titre infiniment subsidiaire,

Ordonner la désignation d'un cercle de confidentialité constitué des avocats des parties ainsi que de l'expert-comptable de la société Holding Julea intervenant en qualité d'expert amiable ;

En tout état de cause,

Condamner la société SAIT à payer à la société Holding Julea la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens de l'instance.

L'appelante fait valoir à titre principal que l'ordonnance déférée doit être infirmée pour non-justification de l'exception au principe du contradictoire, en contravention avec les dispositions des articles 14 et 16 du Code de procédure civile et L 153-1 du Code de commerce, aux motifs :

que si la société SAIT se prévaut du secret des affaires, elle avait déjà invoqué cet argument dans le cadre de la procédure ayant conduit à la désignation de l'expert judiciaire et le juge n'a pas jugé utile d'y faire droit ;

qu'elle ne peut ainsi contourner le double degré de juridiction en refusant de communiquer à l'expert judiciaire un certain nombre de pièces comptables pourtant nécessaires à l'exécution de la mission de l'expert, le juge saisi ne pouvant en conséquence examiner la demande au titre du secret des affaires sans violer le double degré de juridiction ;

que le vice-président du Tribunal de commerce, dans sa décision, ne caractérise pas en quoi la communication des pièces nécessaires à l'exécution de la mission de l'expert relèverait du secret des affaires et serait de nature à porter préjudice à la société SAIT ;

qu'ainsi, si trois critères cumulatifs doivent être satisfaits pour qu'une information soit considérée comme un secret des affaires au sens de l'article L 151-1 du Code de commerce, en l'espèce, l'existence de ces trois critères cumulatifs n'est pas établie, le refus de communication ne portant pas sur des données sensibles couvertes par le secret des affaires, alors que :

*S'agissant de la liste des stocks, les documents relatifs à la dépréciation des stocks comportent des références internes à SAIT qui ne sont absolument pas exploitables par la société Holding Julea sans connaître la correspondance exacte des références, car il s'agit de code articles et non de description des produits, outre que la plupart des références de produits commercialisés par la société SAIT depuis 2019 sont devenus obsolètes ;

*s'agissant de la communication des grands livres et du contenu des stocks, il n'est absolument pas démontré par la société SAIT que le fait de disposer d'informations sur les stocks de produits ou la liste des fournisseurs des années passées soit d'une quelconque utilité pour un concurrent, ce d'autant plus que [O] [G] ayant occupé le poste de directeur commercial tissus dispose déjà des informations auxquelles on lui refuse aujourd'hui l'accès ;

que surtout, le fait d'enjoindre à l'expert de ne pas faire mention du contenu des pièces dans l'expertise et ses annexes est une violation manifeste du principe du contradictoire, privant la société Holding Julea de toute possibilité de débattre contradictoirement tant du contenu, que des conclusions de l'expert ;

qu'enfin, enjoindre à l'expert de ne pas faire mention du contenu des pièces couvertes par le secret des affaires dans l'expertise et/ou ses annexes est en totale contradiction avec l'ordonnance de référé du 21 décembre 2022 ordonnant la mesure d'expertise, revenant même à vider l'expertise de son objet.

A titre subsidiaire, la société Holding Julea demande un aménagement de la communication des pièces, dès lors qu'il existe des moyens simples de limiter la communication d'informations « sensibles » tout en respectant le principe du contradictoire.

A ce titre, elle indique que la société SAIT peut tout à fait biffer les informations relatives aux noms des clients ou références de produits apparaissant dans les comptes détaillés, le grand-livre ou encore la liste des stocks, ce qui permettrait une communication contradictoire des pièces sur lesquels porte l'expertise de gestion, tout en respectant la protection des intérêts de la société SAIT.

Enfin, à titre infiniment subsidiaire, l'appelante demande la détermination d'un cercle de confidentialité, au visa des articles L 153-1 2° et L 153-2 du Code de commerce afin que le principe du contradictoire puisse être respecté.

Elle relève que la signature d'un engagement de confidentialité serait de nature à rassurer la société SAIT sur l'absence de divulgation d'éléments couverts par le secret des affaires.

Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 14 novembre 2023, la société SAIT demande à la cour de :

Vu les articles L151-1 et L153-1 du Code de commerce,

Confirmer l'ordonnance du 12 mai 2023 rendue par le Vice-président du Tribunal de commerce de Lyon dans toutes ses dispositions ;

En tout état de cause,

Débouter la société Holding Julea de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions ;

Condamner la société Holding Julea au paiement d'une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

L'intimée expose :

que [O] [G] exerce, depuis son licenciement, des fonctions au sein d'une société directement concurrente de la société SAIT, la société Witrade ;

qu'en réalité, [O] [G] essaye de capter, par l'entremise de la société Holding Julea, les informations stratégiques de l'activité de négoce de la société SAIT.

La société SAIT fait valoir en premier lieu que l'existence de secrets des affaires est établie.

Elle fait valoir à ce titre :

que l'ordonnance querellée ne vise à protéger que trois pièces sur les dizaines communiquées dans le cadre de l'expertise ordonnée : les comptes détaillés, le grand-livre et la liste des stocks valorisés détaillés avec les dépréciations sur la période concernée par l'expertise ;

que ces éléments constituent des secrets d'affaires sens des dispositions de l'article L 151-1 du Code de commerce, en ce qu'ils ne sont pas aisément accessibles, représentent des années de travail aux fins de constitution du fonds de commerce, revêtent en outre une valeur commerciale permettant de connaitre à la fois les clients, les fournisseurs et le contenu exact des produits de la société, et ont fait l'objet de mesures de protection raisonnables pour conserver leur caractère secret, puisque ces éléments ne sont jamais rendus publics car ils constituent justement toute la valeur commerciale de la société.

Elle précise :

que s'agissant du stock, la société Holding Julea affirme péremptoirement que les informations à communiquer seraient obsolètes, alors que cela ne peut tout au plus concerner que quelques références sur la multitude qui constitue le stock de base ;

que s'agissant du grand livre détaillé, il permet de connaitre à la fois les clients et les fournisseurs de la société, ainsi que l'état et la répartition des stocks de la société SAIT ;

que s'agissant de la liste des stocks, [O] [G] connait parfaitement les codes articles internes à SAIT et à quoi ils font référence en termes de produits et que le fait de lui communiquer dans le cadre de l'expertise les codes articles lui permettrait donc de reconstituer sans difficulté les informations stratégiques relevant du secret des affaires.

Elle oppose en second lieu que le principe du contradictoire est respecté, en ce que :

l'obligation de respecter le secret des affaires est parfaitement conciliable avec le respect du caractère contradictoire du rapport, l'expert pouvant procéder seul à des constatations dans les documents que la société SAIT a remis en consultation, sans pour autant que ces documents soient communiqués aux associés demandeurs.

En troisième lieu, elle relève l'absence de violation du double degré de juridiction, alors que :

dans son ordonnance du 21 décembre 2022, le Président du Tribunal de commerce de Lyon a omis de statuer sur la demande présentée à titre subsidiaire par la société SAIT de protéger le secret des affaires ;

que si elle pouvait demander au juge des référés de statuer sur le point omis par voie de requête, elle a préféré, comme les opérations d'expertise avaient déjà commencé, par souci de simplicité, fait valoir cet argument devant le le juge chargé du contrôle des expertises, lequel est parfaitement compétent pour trancher cette question.

Elle demande enfin le rejet des demandes subsidiaires de l'appelante, aux motifs :

qu'il ne peut lui être demandé de biffer l'ensemble des informations relatives aux noms des clients et des références produits mentionnées dans les documents concernés, opération irréalisable en pratique, cette demande étant manifestement dilatoire est incompatible avec les principes célérité et d'efficacité de la justice ;

que la détermination d'un cercle de confidentialité n'apparait pas plus opportune eu égard aux circonstances et aux fautes graves ayant entrainé le licenciement de [O] [G] car elle ne serait pas de nature à garantir la protection suffisante des intérêts de la société SAIT.

En application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures des parties pour plus ample exposé.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il est constant que la société Holding Julea a saisi le président du Tribunal de commerce de Lyon d'une demande d'expertise de gestion.

Dans les écritures qu'elle a déposées à l'audience, la société SAIT a sollicité en défense à titre principal le rejet de cette demande et subsidiairement d'une part, que soit exclu du périmètre de l'expertise de gestion toute demande portant atteinte au secret des affaires, comme notamment la production du grand livre des comptes de la société SAIT, et d'autre part que soit garantie la confidentialité des documents communiqués relevant du secret des affaires.

Par ordonnance de référé du 21 décembre 2022, le Président du Tribunal de commerce de Lyon a ordonné l'expertise de gestion sollicitée par la société Holding Julea, y intégrant la remise du grand livre.

La cour observe toutefois que le premier juge, alors qu'il a fait droit à la demande d'expertise de gestion, n'a pas statué sur les demandes subsidiaires présentées en ce cas par la société SAIT, à savoir exclure du périmètre de l'expertise de gestion toute demande portant atteinte au secret des affaires, comme notamment la production du grand livre, et prendre les dispositions nécessaires pour que soit garantie la confidentialité des documents communiqués relevant du secret des affaires, et que plus généralement, le premier juge ne s'est pas prononcé sur les demandes qui lui étaient présentées à titre subsidiaire par la société SAIT au titre du secret des affaires au cas où une expertise de gestion serait ordonnée.

L'ordonnance du 21 décembre 2022 est donc à l'évidence affectée d'une omission de statuer à laquelle il pouvait être remédié par voie de requête dans les termes de l'article 463 du Code de procédure civile selon lequel la juridiction qui a omis de statuer sur un chef de demande peut compléter son jugement.

Or, alors qu'elle ne conteste pas que l'ordonnance du 21 décembre 2022 est affectée d'une omission de statuer, s'agissant de la prise en compte du secret des affaires par la décision d'expertise de gestion qui a été rendue, la société SAIT n'a pas saisi le président du Tribunal de commerce de Lyon d'une requête en omission de statuer et soutient que le juge du contrôle des expertises pouvait parfaitement se prononcer sur le point omis par le premier juge.

Il ressort effectivement des dispositions de l'article 236 du Code de procédure civile que le juge chargé du contrôle des expertises peut accroitre ou restreindre la mission confiée au technicien.

Il en résulte, contrairement à ce que soutient la société holding Julea, qu'il n'existe aucune violation d'un double degré de juridiction, la société SAIT n'ayant fait qu'user d'une possibilité qui lui était offerte par un texte légal.

Reste à déterminer si la mission impartie à l'expert était de nature à porter atteinte au secret des affaires de la société SAIT et plus précisément si elle portait, au sens de l'article L 151-1 du Code de commerce sur une information non facilement accessible, revêtant une valeur commerciale et faisant l'objet de mesure de protection raisonnable destinées à en préserver le caractère secret.

Il convient de rappeler au préalable que seules trois types de documents sont visés par la société SAIT au titre du secret des affaires : les comptes détaillés sur la période concernée par l'expertise, le grand livre concernant les exercices concernés par l'expertise, et la liste des stocks valorisés détaillés avec les dépréciations sur la période concernée par l'expertise.

Or, comme le fait observer à raison la société SAIT, ces éléments, fussent-ils anciens, sont propres à l'entreprise, revêtent une valeur commerciale car permettant de connaitre les fournisseurs, les stocks et les clients de l'entreprise et ne sont jamais rendus publics car constituant la valeur commerciale de la société et en ce sens constituent des éléments protégés par le secret des affaires, cette protection étant rendue d'autant plus nécessaire qu'il n'est pas contesté que [O] [G], dirigeant de la société Holding Julea, fournit des prestations de conseil en marketing et stratégie à l'un des concurrents directs de la société SAIT, la société Witrade, étant en outre observé que de par les fonctions qu'il a précédemment exercées au sein de la société SAIT, [O] [G] a nécessairement connaissance des codes internes à l'entreprise et de leur correspondance en termes de produits et qu'il ne peut donc être opposé le fait que la liste des stocks ne comporte que des références internes.

Reste à déterminer si en décidant, au visa de l'article 153-1 du Code de commerce, que les éléments sus-visés protégés par le secret des affaires seraient transmis au juge chargé du contrôle des expertises, pour que l'expert puisse en prendre connaissance confidentiellement et en enjoignant à l'expert de ne pas faire mention du contenu de ces pièces dans l'expertise ou ses annexes, le premier juge a commis une violation manifeste du principe du contradictoire, comme le soutient la société holing Julea.

La cour observe :

que l'expertise de gestion ordonnée a pour objet de déterminer si différentes opérations de gestion énumérées dans l'ordonnance du 21 décembre 2022 étaient justifiées ;

que pour ce faire, l'expert devra donner tout élément utile concernant les opérations de gestion en cause et ne peut présenter à ce titre un avis sans expliquer sur quels éléments cet avis est fondé et sans que les parties en cause aient pu en discuter contradictoirement, ce qui nécessite qu'elles aient eu connaissance des pièces couvertes par le secret des affaires sur lesquelles porte l'opération de gestion querellée ;

que plus généralement, l'expert ne peut répondre aux questions de sa mission sans étayer ses réponses avec le contenu des pièces comptables exploitées et plus précisément le grand livre, les comptes détaillés et les stocks dont il n'est pas contesté qu'elles constituent des pièces indispensables à la réalisation de la mission de l'expert.

La cour ajoute qu'en application de l'article 153-1 du Code de commerce, lorsque la production d'une pièce est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut notamment, et même d'office, décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments.

La cour en déduit que le secret des affaires ne pouvait justifier que le principe du contradictoire soit enfreint au préjudice de la société Holding Julea mais qu'il était possible de concilier respect du secret des affaires et respect du principe du contradictoire en limitant la communication des informations sensibles et plus précisément, comme le suggère la société Holding Julea en biffant sur le grand livre, les comptes détaillés et la liste des stocks les informations relatives aux noms des clients, nom des fournisseurs et références des produits, couvertes par le secret des affaires, étant observé que la société SAIT n'est pas fondée à s'opposer à un tel aménagement aux motifs qu'il serait fastidieux à réaliser alors qu'il a justement vocation à satisfaire la protection du secret des affaires qu'elle a revendiquée.

La cour en conséquence infirme la décision déférée en ce qu'elle a :

ordonné la transmission des comptes détaillés, du Grand-livre et de la liste des stocks valorisés détaillés avec les dépréciations sur la période concernée par l'expertise, pièces protégées par le secret des affaires, sous 15 jours à compter de l'ordonnance au juge chargé du contrôle de l'expertise afin que l'expert puisse en prendre connaissance confidentiellement ;

enjoint à l'expert de ne pas faire mention du contenu des pièces dans l'expertise et /ou ses annexes, et, statuant à nouveau :

Ordonne à la société SAIT de communiquer à l'expert dans les 15 jours à compter de la signification du présent arrêt les comptes détaillés sur la période concernée par l'expertise, le grand livre concernant les exercices concernés par l'expertise et la liste des stocks valorisés détaillés avec les dépréciations sur la période concernée par l'expertise, ce après avoir biffé ces documents au niveau des noms des clients, noms des fournisseurs et références des produits ;

Dit que ces éléments devront être portés à la connaissance de la société Holding Julea et débattus contradictoirement avec celle-ci ;

Compte tenu de la nature de l'affaire, la cour dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens à hauteur d'appel et rejette les demandes présentées par les parties sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour :

Infirme la décision déférée en ce qu'elle a :

ordonné la transmission des comptes détaillés, du Grand-livre et de la liste des stocks valorisés détaillés avec les dépréciations sur la période concernée par l'expertise, pièces protégées par le secret des affaires, sous 15 jours à compter de l'ordonnance au juge chargé du contrôle de l'expertise afin que l'expert puisse en prendre connaissance confidentiellement ;

enjoint à l'expert de ne pas faire mention du contenu des pièces dans l'expertise et /ou ses annexes et,

Statuant à nouveau :

Ordonne à la société Sait de communiquer à l'expert dans les 15 jours à compter de la signification du présent arrêt les comptes détaillés sur la période concernée par l'expertise, le grand livre concernant les exercices concernés par l'expertise et la liste des stocks valorisés détaillés avec les dépréciations sur la période concernée par l'expertise, ce après avoir biffé ces documents au niveau des noms des clients, noms des fournisseurs et références des produits ;

Dit que ces éléments devront être portés à la connaissance de la société Holding Julea et débattus contradictoirement avec celle-ci ;

Dit que chacune des parties conserve la charge de ses propres dépens à hauteur d'appel ;

Rejette les demandes présentées par les parties sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23/04997
Date de la décision : 04/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-04;23.04997 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award