AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 23/03833 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O62L
[K]
C/
Société LA POSTE
SAISINE SUR RENVOI DE LA COUR DE CASSATION :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE
du 11 Décembre 2017
RG : 17/01166
Arrêt de la Cour d'appel d'AIX-EN-PREVENCE Chambre 4-3
du 26 février 2021
RG : 18/00197
Arrêt de la Cour de cassation
du 22 mars 2023
Arrêt n°261 F-D
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2024
DEMANDEUR À LA SAISINE :
[T] [K]
[Adresse 7]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, et ayant pour avocat plaidant Me Odile LENZIANI de la SCP LENZIANI & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
DÉFENDERESSE À LA SAISINE :
Société LA POSTE
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Jean-baptiste BADO de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES - LYON, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Denis FERRE de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 06 Mai 2024
Présidée par Nathalie ROCCI, Conseillère magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Catherine MAILHES, présidente
- Nathalie ROCCI, conseillère
- Anne BRUNNER, conseillère
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 04 Septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [T] [K] (Le salarié) a été engagé par la SA La Poste (La société) aux termes d'un contrat à durée indéterminée du 14 septembre 2007 en qualité d'agent rouleur distribution relevant du niveau de classification I-2.
Au dernier état de la relation contractuelle, il travaillait en qualité de facteur 'colis' au sein du bureau de poste de [Localité 6], [5].
Le 21 mai 2015, alors qu'il circulait au sein d'une résidence, il percutait une borne avec le véhicule de service. Le lendemain, 22 mai 2015, il était victime d'un accident de la circulation, toujours avec le véhicule de service.
Lui reprochant une accidentologie récurrente, le non-respect des obligations de sécurité routière, la dégradation d'un véhicule de La Poste par négligence, la dégradation de matériel postal, le manquement à une obligation de discrétion professionnelle prévue à l'article 16 du RI, la société a, par courrier du 6 juillet 2015, convoqué le salarié à un entretien préalable fixé au 16 juillet 2015.
Le 28 août 2015, la commission consultative paritaire siégeant en formation disciplinaire s'est réunie au terme de laquelle le président a déclaré que ' la sanction qui sera prise à l'encontre de M. [K] par le DSCC lui sera notifiée ultérieurement, au plus tard à l'issue du délai d'un mois qui suit l'avis de la commission'.
Le même jour, le salarié s'est vu notifier une 'mise à pied à titre conservatoire'.
Par courrier du 7 septembre 2015, la société a notifié au salarié son licenciement pour faute grave, aux motifs suivants :
une accidentologie récurrente
le non-respect des obligations de sécurité routière
la dégradation d'un véhicule de La Poste par négligence lors de l 'exercice de ses fonctions ( article 10 RI)
la dégradation de matériel postal.
Le 11 février 2016, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Martigues de demandes tendant à voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'affaire a été renvoyée devant le conseil de prud'hommes de Marseille.
Par jugement du 11 décembre 2017, le Conseil de Prud'hommes de Marseille a :
- Condamné La Poste prise en la personne de son représentant légal en exercice à verser à M. [K] les sommes suivantes :
7 415,36 euros à titre d'indemnité de licenciement,
3 389,88 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
338,98 euros au titre de l'incidence congés payés,
1 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté M. [T] [K] du surplus de ses demandes ;
- Débouté la partie défenderesse de ses demandes ;
- Dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élève à la somme de 1 649,94 euros bruts ;
- Condamné la partie défenderesse aux entiers dépens.
Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 4 janvier 2018, M. [K] a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 11 décembre 2017.
Par un arrêt du 26 février 2021, la Cour d'appel d'Aix- en- Provence a infirmé le jugement rendu, sauf en ce qu'il a alloué une indemnité de 338,98 euros à M.[K], versée par la SA La Poste au titre des congés payés. Statuant à nouveau, la Cour a dit que le licenciement prononcé pour faute grave est bien fondé, a débouté M. [K] de toutes ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, a débouté les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et a condamné M. [K] aux entiers dépens.
M.[K] a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt et la société La Poste a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Par un arrêt rendu le 22 mars 2023, la Cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix- en- Provence, et renvoyé 1'affaire devant la Cour d'appel de Lyon.
L'affaire a fait l'objet d'une déclaration de remise au rôle sur renvoi après cassation enregistrée le 2 mai 2023.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 4 avril 2024, M. [K] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Marseille en date du 11 décembre 2017, en ce qu'il a jugé que le licenciement pour faute grave prononcé en date du 7 septembre 2015 reposait sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 20 000 euros ;
- Le confirmer en toutes ses autres dispositions ;
Et, statuant à nouveau
A titre principal
- Juger que le licenciement prononcé en date du 7 septembre 2015 à son encontre est nul ;
Par conséquent,
- Condamner La Poste à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
A titre subsidiaire,
- Juger que le licenciement prononcé en date du 7 septembre 2015 à son encontre ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse ;
Par conséquent,
- Condamner La Poste à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En tout état de cause,
- Condamner La Poste à lui verser les sommes suivantes :
7 415,36 euros à titre d'indemnité de licenciement,
3 389,88 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
338,98 euros au titre de l'incidence congés payés,
2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de l'indemnité allouée sur ce fondement en première instance ;
- Juger que le montant des condamnations portera intérêts de droit à compter du jour de l'introduction de la demande en justice avec capitalisation des intérêts ;
- La condamner aux entiers dépens.
Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 26 mars 2024, la société La Poste demande à la cour de :
- Confirmer la décision rendue par le Conseil de Prud'hommes en ce qu'elle a estimé que la rupture du contrat à l'initiative de l'employeur était légitime,
- Réformer la décision rendue en ce qu'elle a rejeté sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Réformer la décision rendue en ce qu'elle a estimé que le licenciement n'était pas fondé sur
une cause grave,
En conséquence,
-Réformer la décision rendue en ce qu'elle est rentrée en voie de condamnation à son égard de la façon suivante :
7 415,36 euros à titre d'indemnité de licenciement,
3 389,88 euros à titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
338,98 euros au titre des congés payés afférents,
1 200 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- Juger, en tout état de cause, que les sommes visées ci-dessus ne sont pas conformes,
A titre infiniment subsidiaire,
- Constater que le préavis se serait élevé à la somme de :
2 800 euros (1 400 euros x 2) + 280 euros d'incidence congés payés,
Indemnité de licenciement : 2 368 euros ;
- Réformer la décision rendue en ce qu'elle a rejeté sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner M.[K] au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
En tout état de cause,
- Débouter M.[K] de ses demandes en cause d'appel :
Dommages et intérêts : 20 000 euros,
Article 700 : 2 000 euros ;
- Débouter M.[K] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme étant injustifiées et infondées ;
- Le condamner reconventionnellement au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La clôture des débats a été ordonnée le 28 mars 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le salarié soulève, à titre principal, la nullité de son licenciement en raison de la violation d'une liberté fondamentale (I) et à titre subsidiaire, l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement (II).
I- Sur la demande tendant à la nullité du licenciement
Le salarié expose qu'il a produit devant la commission consultative paritaire, des attestations et des courriers d'usagers sur ses compétences professionnelles en vue d'assurer sa défense. Il soutient que le quatrième motif de la lettre de licenciement, ainsi libellé :
' Enfin, lors du conseil de discipline, vous avez argumenté votre défense par la présentation de plusieurs courriers que vous avez sollicités auprès de la clientèle. Vous avez, par conséquent, manqué à votre obligation de discrétion professionnelle et enfreint l'article 16 du règlement intérieur.', porte atteinte à l'exercice des droits à la défense qui constitue un principe fondamental garanti par le bloc de constitutionnalité.
Il conclut que dès lors que le juge constate que le licenciement porte atteinte à une liberté fondamentale, cette atteinte entraîne à elle seule la nullité du licenciement, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur les autres griefs énoncés par la lettre de licenciement.
La société La Poste fait valoir en réponse que le salarié n'avait nullement sollicité le prononcé de la nullité de son licenciement et encore moins en ce qu'il aurait été fondé sur un motif prohibé interdisant l'examen des autres griefs figurant dans la lettre de licenciement, de sorte que la demande du salarié aux fins de nullité du licenciement est une demande nouvelle.
Sur les griefs, la société soutient d'une part, qu'aux termes de la lettre de licenciement, il n'était nullement reproché au salarié d'avoir produit des attestations à l'appui de sa défense, mais d'avoir, en sollicitant sa clientèle, méconnu son obligation de discrétion professionnelle prévue par l'article 16 du règlement intérieur.
La société soutient d'autre part que, s'agissant des droits de la défense, la jurisprudence dont se prévaut le salarié au fond, considère qu'une méconnaissance injustifiée d'un tel droit, notamment lorsqu'il est fait grief au salarié d'avoir méconnu une obligation de discrétion, a pour seule conséquence d'invalider ce grief.
Le salarié fait valoir en réponse que la demande tendant à la nullité de son licenciement n'est pas une demande nouvelle ; que la société mélange les notions de moyens et de prétentions.
Sur la notion de liberté fondamentale, le salarié expose la distinction entre les 'droits-libertés' qui relèvent des libertés fondamentales attachées à la personne humaine et que le justiciable peut invoquer directement devant une juridiction et les 'droits-créances' tels que le droit à l'emploi ou à la formation professionnelle par exemple, qui nécessitent une intervention étatique.
Le salarié ajoute qu'en lui reprochant d'avoir échangé avec les clients de l'entreprise pour qu'ils attestent de ses qualités professionnelles, la Poste a par ailleurs méconnu l'étendue de la liberté d'expression dont jouit le salarié dans l'entreprise et en dehors de celle-ci.
****
Les prétentions nouvelles devant la cour d'appel sont à examiner au regard de la demande qui a été formée en première instance et sur laquelle le premier juge a statué. D'une manière générale, est considérée comme nouvelle la prétention dont l'objet est de substituer en appel un droit différent de celui dont on s'est prévalu en première instance.
L'article 564 du code de procédure civile prohibe en principe les demandes nouvelles en cause d'appel si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Il est néanmoins admis certaines exceptions à cette règle, notamment lorsque, selon les termes de l'article 565 du même code, les demandes présentées pour la première fois en appel 'tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.'
Et l'article 566 du code de procédure civile admet que l'on puisse ajouter des prétentions présentées en première instance des demandes qui en sont le complément nécessaire, l'accessoire ou la conséquence.
La demande en nullité du licenciement et la demande initiale au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont des prétentions qui tendent aux mêmes fins, soit l'indemnisation des conséquences du licenciement que le salarié estime injustifié.
La demande aux fins de nullité du licenciement ne constitue pas, par conséquent, une demande nouvelle en cause d'appel puisqu'elle tend aux mêmes fins que la demande initiale relative à la cause réelle et sérieuse de licenciement.
La demande aux fins de nullité du licenciement est par conséquent recevable en cause d'appel.
Le salarié invoque la nullité de son licenciement au visa :
- du principe d'égalité devant la loi de tous les citoyens posé par l'article 1er de la constitution du 4 octobre 1958,
- de l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,
- de l'article 7 de la convention n°158 de l'OIT selon lequel' un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu'on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins qu'on ne puisse pas raisonnablement attendre de l'employeur qu'il lui offre cette possibilité.'
- du principe de la liberté d'expression du salarié.
Il résulte cependant des débats que la réunion de la commission consultative paritaire en formation disciplinaire le 28 août 2015, devant laquelle le salarié a produit onze témoignages de clients et trois témoignages de collègues de travail en sa faveur, a effectivement permis à ce dernier de faire valoir ses arguments et de produire les témoignages qui lui sont reprochés dans le cadre du licenciement.
Dès lors, en reprochant au salarié d'avoir argumenté sa défense, devant le conseil de discipline, en présentant des courriers sollicités auprès de la clientèle et d'avoir ainsi manqué à son obligation de discrétion professionnelle, la société n'a nullement violé les dispositions de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme relatives au droit à un procès équitable, lesquelles s'entendent, en tout état de cause, des droits de la défense exercés devant une juridiction, mais a retenu contre le salarié le grief tiré d'un manquement contractuel dans le cadre de l'exercice de sa défense.
Ainsi, la question qui est posée à la cour n'est pas celle de la violation d'une liberté fondamentale qui aurait entaché la procédure disciplinaire, mais le bien fondé de l'un des griefs retenus pour prononcer le licenciement du salarié.
En conséquence, la cour rejette la demande formée à titre principal par le salarié tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement.
II- Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement
Il résulte des dispositions de l'article L.1231-1 du code du travail que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié; aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.
En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement que les griefs suivants ont été retenus contre le salarié :
- une accidentologie récurrente
- le non-respect des obligations de sécurité routière
- la dégradation d'un véhicule de la Poste par négligence lors de l'exercice de ses fonctions
- la dégradation de matériel postal.
La lettre de licenciement vise également un manquement du salarié à son obligation de discrétion professionnelle.
Le salarié soutient qu'en application du principe 'non bis in idem'et de l'article L. 1331-1 du code du travail, l'employeur qui a prononcé le 28 août 2015 une sanction disciplinaire, ne pouvait, en invoquant les mêmes faits, le sanctionner à nouveau par le prononcer d'un licenciement pour faute grave.
Le salarié expose que :
- il a été convoqué par lettre du 6 juillet 2015 à un entretien préalable fixé au 16 juillet 2015 ;
- au terme de la séance de la commission consultative partiaire du 28 août 2015, l'employeur lui a remis une prétendue mise à pied conservatoire, sans même préciser que cette mise à pied était prononcée dans l'attente de la décision définitive ;
- il en résulte que cette mise à pied ne peut recevoir la qualification de mise à pied conservatoire mais constitue une sanction disciplinaire qui ne permettait plus à l'employeur de prononcer une sanction ultérieure ;
- une mise à pied conservatoire ayant pour effet d'écarter le salarié de l'entreprise, ne peut être décidée par l'employeur plus de deux mois après qu'il a eu connaissance des faits et plus d'un mois après que le salarié a été reçu en entretien préalable, à une date à laquelle l'employeur a déjà réuni et consulté la commission de discipline ;
- il résulte des termes de l'article 75 de la convention commune de la Poste que toute mise à pied prononcée après respect de la procédure de réunion de la commission consultative paritaire, s'analyse en une mise à pied sanction, c'est à dire une mise à pied disciplinaire.
Sur la règle 'non bis in idem', la société fait valoir que :
- seule la mise à pied prononcée avant l'engagement de la procédure de licenciement est susceptible de présenter un caractère disciplinaire, l'antériorité de la première pouvant effectivement révéler qu'une sanction a déjà été prise;
- en revanche, une mise à pied prononcée après l'engagement d'une telle procédure n'est pas susceptible de présenter un tel caractère car elle s'inscrit dans le cadre de la procédure initiée par la convocation du salarié à l'entretien préalable ;
- c'est en vain qu'à l'appui de la discussion, le salarié cherche à se prévaloir d'un principe de simultanéité de la convocation à l'entretien préalable et de la sanction, dans la mesure où le défaut de simultanéité n'a vocation à révéler deux sanctions distinctes que dans la mesure où la mise à pied précède l'engagement de la procédure de licenciement ;
- enfin, même dans l'hypothèse où la mise à pied n'a pas été notifiée en même temps que la convocation du salarié à l'entretien préalable, le délai séparant la mise à pied de l'engagement de la procédure disciplinaire n'est de nature à révéler le caractère disciplinaire de la première que lorsque l'employeur ne justifie d'aucun motif de nature à justifier ce délai ;
- en l'espèce, la cour d'appel a précisément constaté que le délai séparant la convocation du salarié à un éventuel licenciement de sa mise à pied, au demeurant postérieure à ladite convocation, résultait de la nécessité de procéder à des investigations.
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L'article L. 1331-1 du code du travail énonce :
«Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. ».
L'article L. 1332-2 alinéa 1 énonce :
«Lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière, ou la rémunération du salarié. ».
L'article L.1332-3 du code du travail dispose :
'Lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive relative à ces faits ne peut être prise sans que la procédure prévue à l'article L. 1332-2 ait été respectée'.
En application de ces textes, la chambre sociale juge qu'aucun fait ne peut donner lieu à une double sanction disciplinaire et que, au moment où il prononce une sanction, l'employeur épuise son pouvoir disciplinaire à l'égard de toutes les fautes imputées au salarié dont il avait connaissance.
Le principe en la matière est donc l'immédiateté de l'engagement de la procédure de licenciement ou à tout le moins sa concomitance après le prononcé d'une mise à pied conservatoire.
L'article 75 de la convention commune de La Poste est libellé comme suit :
' Le délégataire de pouvoir peut, dans les cas graves et qui exigent sans délai une solution provisoire à caractère conservatoire, décider de suspendre immédiatement l'activité de l'agent contractuel mis en cause, dans l'attente d'une sanction choisie parmi celles prévues à l'article 73.
La décision prononçant cette mise à pied conservatoire est notifiée par écrit à l'intéressé, en précisant dans la lettre que celle-ci est prononcée dans l'attente d'une sanction définitive. Aucune sanction définitive ne peut être prise sans que la procédure prévue à l'article 74 ait été observée.
Le délégataire de pouvoir doit saisir la commission consultative paritaire dans le mois qui suit la suspension d'activité.
La mise à pied conservatoire prononcée se distingue de la mise à pied sanction retenue après respect de la procédure de réunion de la CCP.
Pendant la durée de la mise a pied conservatoire, la rémunération de l'agent contractuel continue à lui être versée, contrairement à ce qui peut être décidé en cas de mise à pied disciplinaire.
En cas de poursuites pénales, la commission consultative peut demander de surseoir à se prononcer, jusqu'à la décision du tribunal.'.
En l'espèce, il est constant que la commission consultative paritaire a mis aux votes trois propositions de sanctions, soit le licenciement pour faute grave, la mise à pied sanction pour une durée de trois mois avec privation totale de salaire et le blâme avec inscription dans le dossier personnel, et qu'à l'issue de ce vote, une mise à pied qualifiée de 'conservatoire' a été notifiée au salarié, plus d'un mois et demi après sa convocation à un entretien préalable.
La société justifie le délai qui s'est écoulé entre la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire et le prononcer de la mise à pied, par le fait que c'est seulement au regard de l'attitude du salarié devant la commission consultative paritaire, attitude caractérisée par la minimisation et l'absence de prise de conscience des risques qu'il faisait encourir à son employeur, qu'elle a pris conscience de la gravité des manquements du salarié. Elle soutient que les négligences délibérées, comme le retrait volontaire de la coque de protection du téléphone portable, ne ressortaient pas du contenu de l'entretien préalable, mais ont été mises à jour devant la commission paritaire.
Cependant, que le salarié ait admis devant la commission consultative paritaire qu'il avait eu plusieurs accidents avec le véhicule de la Poste et qu'il ait indiqué par ailleurs qu'il avait eu trois accidents avec son propre véhicule, qu'il était stressé et étourdi et qu'il avait pris de mauvais réflexes et de mauvaises habitudes, ne sont pas des éléments de nature à modifier l'appréciation de la faute reprochée au salarié par l'employeur.
En effet, il résulte des termes de l'entretien préalable que la matérialité des faits était parfaitement analysée par l'employeur dès ce stade de la procédure et qu'il ne peut dès lors justifier le délai qui s'est écoulé entre la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire et le prononcer la mise à pied par les aveux du salarié sur ses étourderies ou ses mauvaises habitudes de conduite. En effet, il ne s'agit pas là de faits nouveaux qui seraient survenus postérieurement à l'engagement de la procédure disciplinaire, de sorte que les déclarations du salarié devant la commission consultative paritaire, sur des faits parfaitement circonscrits au terme de l'entretien préalable, ne pouvaient justifier une mise à pied conservatoire largement postérieure à la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire.
Ainsi, il ne résulte pas des débats que le délai entre l'entretien préalable et la notification de la mise à pied ait été justifié par la nécessité d'une information complémentaire de l'employeur sur les faits reprochés.
Il s'en évince qu'en prononçant une mise à pied à l'issue de la commission consultative paritaire et à distance de la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire, la société a prononcé une sanction disciplinaire, et a par conséquent épuisé son pouvoir disciplinaire.
Il en résulte que le licenciement prononcé le 7 septembre 2015 pour les mêmes faits fautifs, est dépourvu de cause réelle et sérieuse et que le jugement du conseil de prud'hommes qui a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, doit être infirmé en ce sens.
Sur les conséquences indemnitaires
Le salarié demande la confirmation du jugement sur le montant de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis, sur la base d'un salaire moyen mensuel de 1 694,94 euros.
S'agissant de la demande de dommages-intérêts et du préjudice lié à la perte d'emploi, le salarié souligne que la société avait pris soin de demander un rapport social dont il résulte qu'au moment du licenciement, il vivait en couple avec deux enfants à charge et sa compagne était au chômage.
Il indique en outre qu'il n'a pas retrouvé d'emploi stable, qu'il a été contraint d'accepter de travailler sous contrats à durée déterminée à temps partiel dans le domaine de la sécurité, et qu'il a par ailleurs perdu le bénéfice des avantages sociaux existants au sein de La Poste, ainsi que le bénéfice de la mutuelle et de la prévoyance.
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Le jugement retient un salaire moyen mensuel de 1 694,94 euros qui est conforme à l'attestation d'employeur destinée à Pôle Emploi et la société qui conclut à titre infiniment subsidiaire sur la base d'un salaire de 1 400 euros ne justifie pas le salaire moyen qu'elle retient et qui est par conséquent écarté.
Le jugement qui a fait application des dispositions de l'article 70 de la convention commune de La Poste-France Télécom pour le calcul de l'indemnité de licenciement, modalités non remises en cause, même à titre subsidiaire par la société, est par conséquent confirmé en ce qu'il a condamné la société à payer au salarié les sommes suivantes :
7 415,36 euros à titre d'indemnité de licenciement
3 389,88 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
338,98 euros de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis.
En application de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date du licenciement, le salarié ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de 11 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié âgé de 33 ans lors de la rupture, de son ancienneté de sept années et onze mois, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 12 000 euros.
En conséquence, le jugement qui a rejeté cette demande est infirmé en ce sens et le salarié est débouté de sa demande pour le surplus.
Sur la demande d'intérêts au taux légal et de capitalisation des intérêts
Les intérêts au taux légal portant sur les créances indemnitaires courent à compter du présent arrêt s'agissant de dispositions infirmatives du jugement entrepris.
Les intérêts au taux légal portant sur les créances de nature salariale courent à compter de la notification à l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation.
Les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.
Sur le remboursement des indemnités chômages
Il convient en application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, d'ordonner d'office le remboursement par la société à Pôle Emploi des indemnités de chômages versées au salarié du jour de son lienciement dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage.
Sur les demandes accessoire
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué au salarié une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société qui succombe en ses demandes, est condamnée aux dépens d'appel.
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Dans la limite de la dévolution,
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Marseille le 11 décembre 2017 sauf en ce qu'il a débouté M. [K] de sa demande d'indemnisation au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
REJETTE la demande de M. [K] tendant à la nullité du licenciement ;
DIT que le licenciement notifié par la SA La Poste à M. [K], le 7 septembre 2015 est sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la SA La Poste à payer à M. [K] la somme de 12 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte d'emploi ;
RAPPELLE que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
DIT que les intérêts au taux légal sur les créances de nature salariale courent à compter de la demande, soit à compter de la notification à la SA La Poste de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes ;
DIT que les intérêts au taux légal sur les créances de nature indemnitaires courent à compter du présent arrêt ;
DIT que les intérêts au taux légal seront capitalisés en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
ORDONNE le remboursement par la SA La Poste à Pôle Emploi des indemnités de chômages versées à M. [K] du jour de son licenciement dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage ;
CONDAMNE la SA La Poste à verser à M. [K] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SA La Poste aux dépens de l'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE