AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 21/04320 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NUEZ
S.A.S. LES INTERIMAIRES PROFESSIONNELS - LIP
C/
[Y]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 29 Avril 2021
RG : 19/00944
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2024
APPELANTE :
Société LES INTERIMAIRES PROFESSIONNELS - LIP
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Marion SIMONET de la SELAS EPILOGUE AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
[H] [Y]
née le 05 Avril 1984 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Fatima TABOUZI, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 06 Mai 2024
Présidée par Nathalie ROCCI, Conseillère magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Catherine MAILHES, présidente
- Nathalie ROCCI, conseillère
- Anne BRUNNER, conseillère
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 04 Septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant un contrat à durée déterminée du 16 mai 2011 au 30 septembre 2011, la société LIP Transport Logistique a engagé Mme [Y] pour occuper les fonctions d'assistante d'agence, statut employé de niveau 2, coefficient 125.
Suivant contrat à durée indéterminée à temps complet, la relation contractuelle s'est poursuivie avec la société LIP Transport, sur le poste de chargée d'affaires, statut employé de niveau 3, coefficient 160.
Par avenant prenant effet à compter du 1er janvier 2017, la société LIP 5 [Localité 6] a nommé Mme [Y] en qualité de directrice d'agence, statut cadre de niveau H de la convention collective des entreprises de travail temporaire relative aux salariés permanents.
À compter du 10 juillet 2018, Mme [Y] a été placée en arrêt de travail pour maladie non
professionnelle. Cet arrêt maladie s'est prolongé jusqu'au 31 août 2018.
Invoquant un certain nombre de faits graves portés à sa connaissance pendant l'absence de la salariée, la société a convoqué Mme [Y], par courrier du 6 septembre 2018, à un entretien préalable fixé au 17 septembre 2018 et lui a notifié une mesure conservatoire de mise à pied.
Par courrier recommandé du 25 septembre 2018, la société LIP 5 notifiait à Mme [Y] son licenciement pour faute grave.
Par requête du 5 avril 2019, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon aux fins de voir prononcer la nullité de son licenciement fondé sur son état de santé et de voir la société LIP condamner à lui payer, outre les indemnités de rupture et un rappel de salaire pour la période de mise à pied, la somme de 70 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement nul. La salariée sollicitait également un rappel de salaires au titre des heures supplémentaires accomplies et la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts pour entrave à l'institution des représentants du personnel.
La société a été convoquée devant le bureau de conciliation et d'orientation par courrier recommandé avec accusé de réception envoyé le 8 avril 2019.
Par jugement du 29 avril 2021, le Conseil de prud'hommes a :
- Dit et jugé que la Sarl LIP 5 n'a pas substitué au paiement des primes le paiement des heures supplémentaires ;
- Débouté Mme [H] [Y] de sa demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires réalisées au-delà de 39 heures ;
- Condamné la SARL LIP 5 à verser à Mme [Y] la somme de 5 000 euros , outre 500 euros de congés payés afférents au titre de rappel de salaire, au titre des heures supplémentaires réalisées entre la 36ème et la 39ème heure du mois d'avril 2016 au mois de juillet 2018 en raison de l'insuffisance des JRTT pris ;
- Débouté Mme [H] [Y] de sa demande pour entrave à l'institution des représentants du personnel ;
- Dit et jugé que le licenciement de Mme [Y] n'est pas fondé sur son état de santé ;
- Dit et jugé que le licenciement de Mme [Y] ne repose pas sur une faute grave ;
- Dit et jugé que le licenciement de Mme [Y] n'est pas justifié par une cause réelle et sérieuse ;
- Fixé la moyenne des salaires à 4 847,39 euros ;
- Condamné la SARL LIP 5 à verser à Mme [Y] :
' 2 439,88 euros outre 243,39 euros de congés payés afférents au titre de rappel de salaire pour la période du 7 septembre au 28 septembre 2018,
' 10 220,99 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
' 14 542,17 à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
' 1 454,21 euros de congés payés sur préavis,
' 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- Débouté Mme [Y] de sa demande de 10 000 euros de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
- Condamné la société LIP à verser à Pôle emploi les allocations chômage dans la limite de 3 mois ;
- Condamné la société LIP à verser à Mme [Y] la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
- Débouté la société LIP de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 6 mai 2021, la société LIP venant aux droits de la société LIP 5, a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 29 avril 2021, aux fins de le faire annuler et en toute hypothèse aux fins de le faire réformer sauf en ce qu'il a :
Dit et jugé que la société LIP n'a pas substitué le paiement des heures supplémentaires par le paiement de primes ;
Débouté en conséquence Mme [Y] de sa demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires réalisées au-delà de 39h ;
Débouté Mme [Y] de sa demande pour entrave aux institutions représentatives du personnel Dit et jugé que le licenciement de Mme [Y] n'est pas fondé sur son état de santé ;
Débouté Mme [Y] de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail ;
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 23 août 2022, la SAS Les Intérimaires Professionnels, demande à la cour de :
- Confirmer le jugement rendu le 29 avril 2020 en ce qu'il a :
Dit et jugé que la société LIP n'a pas substitué le paiement des heures supplémentaires par le paiement de primes ;
Débouté en conséquence Mme [Y] de sa demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires réalisées au-delà de 39h ;
Débouté Mme [Y] de sa demande pour entrave aux institutions représentatives du personnel ;
Dit et jugé que le licenciement de Mme [Y] n'est pas fondé sur son état de santé ;
Débouté Mme [Y] de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail ;
- Réformer le jugement rendu le 29 avril 2020 en ce qu'il a :
Condamné la société LIP à verser à Mme [Y] la somme de 5 000 euros outre 500 euros au titre des congés payés y afférents, au titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires réalisées entre la 36 ème heure et la 39 ème heure du mois d'avril 2016 à juillet 2018 en raison de l'insuffisance des JRTT pris ;
Dit et jugé que le licenciement de Mme [Y] ne repose pas sur une faute graveDit et jugé que le licenciement n'est pas justifié par une cause réelle et sérieuse ;
Condamné la société LIP à verser à Mme [Y] :
- 14 542,17 euros au titre du préavis, outre 1 454,21 euros de congés payés afférents,
- 10.220,99 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 2 439,88 euros au titre du rappel de salaire du 7 septembre au 28 septembre 2018, outre 243,98 euros de congés payés y afférents,
- 30 000 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Condamné la société LIP à verser à Pôle emploi les allocations chômages dans la limite de 3 mois ;
Condamné la société LIP à verser à Mme [Y] la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
Débouté la société LIP de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du
Code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
- Débouter Mme [Y] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner Mme [Y] à verser à la société LIP la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 7 septembre 2021, Mme [Y] [H], ayant fait appel incident, demande à la cour de :
- Infirmer le Jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Lyon le 29 avril 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société LIP à lui verser la somme de 2 439,88 euros outre 243,39 euros de congés payés afférents au titre de rappel de salaire pour la période du 7 septembre au 28 septembre 2018 et condamné la société LIP à lui verser la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
I. Sur les heures supplémentaires :
- Dire et juger que la société LIP a substitué au paiement des primes le paiement des heures supplémentaires,
- Dire et juger que Mme [Y] est bien fondée à solliciter le paiement d'un rappel de salaire du mois d'avril 2016 au mois de juillet 2016 au titre des heures supplémentaires accomplies :
' de la 36 ème à la 39 ème heure : 4 437,06 euros, outre 443,37 euros au titre des 24 jours de réduction de travail,
' au-delà de la 39 ème heure : 4 460,50 euros, outre 446,05 euros congés payés afférents ;
II. Sur les demandes résultant de l'exécution du contrat de travail :
- Condamner la société LIP à lui verser la somme de 5 000 euros pour entrave à l'institution des représentants du personnel ;
- Condamner la société LIP à lui verser 10 000 euros de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
III. Sur les demandes résultant de la rupture du contrat de travail :
- Fixer la moyenne des salaires revalorisée sur les 3 derniers mois précédant le licenciement à la somme de 5 603,55 euros bruts ;
A titre principal,
- Dire et juger que son licenciement était fondé sur son état de santé ;
- Dire et juger que le licenciement notifié le 25 septembre 2018 est nul et de nul effet ;
A titre subsidiaire,
- Dire et juger que le licenciement notifié le 25 septembre 2018 est sans cause réelle et sérieuse ;
En tout état de cause :
- Condamner la société LIP à lui verser les sommes suivantes :
' 10 674,76 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
' 16 810,65 à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
' 1 681,06 euros congés payés sur préavis,
' 70 000 euros à titre de dommages et intérêts résultant de la nullité du licenciement et de son absence de cause réelle et sérieuse ;
- Condamner la société LIP à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouter la société LIP de toutes ses demandes ;
- Condamner la société LIP aux dépens de l'instance.
La clôture des débats a été ordonnée le 28 mars 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail
a) Sur la demande de rappel de salaire au titre des jours de RTT non pris
La société LIP expose que :
- les salariés du siège comme des agences effectuent 39 heures hebdomadaires et bénéficient, en contrepartie, de 1,5 jours de repos par mois, soit 18 JRTT par an ;
- seules les heures réalisées au-delà de 39 heures par semaine pourraient constituer des heures supplémentaires ;
- en vertu d'une note interne et du règlement intérieur: « Les bureaux (siège) et agences sont ouverts du lundi au vendredi selon les horaires suivants :
Horaires agences : 8h-12h / 14h-18h
Horaires siège : 8h-12h / 14h-18h,
Durant ces horaires le personnel effectue 39 heures hebdomadaires selon un roulement propre à chaque agence et déterminé en interne. Basé sur un accord 35h, chaque salarié cumul un 1,5 JRTT par mois.».
La société soutient que :
- l'analyse de l'ensemble de ses bulletins de paie démontre que Mme [Y] a effectivement utilisé la quasi-totalité de ses JRTT pour les années considérées ;
- l'acquisition des JRTT se fait, à l'instar des jours de congés payés, par année courant du 1er juin de l'année N au 31 mai de l'année N+1 ;
- seule une demi-journée de RTT n'a pas été posée sur l'exercice 2016 ;
- Mme [Y] a été invitée chaque année à solder ses jours de RTT avant le 31 mai, à défaut de quoi ils seraient perdus ;
- de sorte que Mme [Y] n'a jamais été empêchée de prendre ses jours de RTT.
La société LIP conclut qu'à supposer que Mme [Y] n'ait pas bénéficié de l'ensemble de ses jours de RTT, la valorisation opérée par elle est erronée dès lors qu'il convient de prendre en compte l'ensemble des salaires et commission perçues sur la période de référence, c'est-à-dire du 1er juin de l'année N au 31 mai de l'année N+ 1.
La salariée soutient que la contre partie sous forme de 18 jours de RTT accordée de manière unilatérale par la société LIP était manifestement insuffisante et aurait dû être d'au moins 23,5 jours par an, par référence aux modalités de réduction du temps de travail prévues par le chapitre 1 de l'accord RTT 21-4-99 de la convention collective des entreprises de travail temporaire applicable.
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L'article 1-1 de l'accord du 21 avril 1999 relatif au temps de travail énonce :
'A compter du 1er octobre 1999 ou le premier jour du mois civil suivant la parution de l'arrêt d'extension du présent accord si celui-ci intervient postérieurement à cette date, la durée conventionnelle du travail des salariés permanents à temps complet est fixée, en moyenne, à 35 heures par semaine, soit 1603 heures sur l'année pour les entreprises de travail temporaire de plus de 20 salariés permanents (...).'.
Les modalités de calcul du temps de travail sont les suivantes :
'365 jours - 104 samedis et dimanches -25 congés payés - 7 jours fériés = 229 jours travaillés : 5 jours = 45,8 semaines x 35 heures = 1603 heures ».
Pour obtenir un total de 23,5 jours de RTT par an, la salariée applique une méthode de calcul forfaitaire consistant à calculer le nombre d'heures travaillées par an entre 35 et 39 heures (4 h x 45,8 semaines, = 183,2 heures par an) et à diviser ce chiffre par le nombre d'heures effectuées chaque jour pour un salarié accomplissant 39 heures par semaine (183,2/7,8 heures par jour).
Il en résulte un total de 23,48 jours qu'il convient d'arrondir à 23,5 jours de RTT dus à la salariée chaque année.
Le règlement intérieur de la société et la note interne sur l'organisation et la durée du travail à effet au 1er juin 2014, prévoient un quota de 18 JRTT par période de référence, soit une acquisition de 1,5 JRTT par mois de travail effectif, sans expliquer la méthode de calcul retenue.
La société fait valoir, pour les périodes suivantes, que :
- de mai 2016 à mai 2017 : la salariée a acquis 15,5 JRTT, en a pris 15, de sorte qu'il ne restait qu'un solde de 0,5 jours pour la période ;
- de juin 2017 à mai 2018 : la salariée a acquis 17,5 JRTT qu'elle a pris, de sorte qu'elle a été remplie de ses droits ;
- de juin 2018 à août 2018 : la salariée a acquis 5,5 JRTT qu'elle n'a pas pris.
Elle en déduit que la salariée a acquis 53JRTT de janvier 2016 à septembre 2018 et qu'elle en a effectivement posé 50,5, les jours non posés avant le 31 mai de l'année en cours étant perdus.
Le raisonnement de la société n'est cependant pas correct dès lors d'une part que la période de référence pour le calcul des JRTT est du 1er juin de l'année N au 31 mai de l'année N+1.
D'autre part, la règle selon laquelle les jours de RTT non pris avant le 31 mai de l'année en cours sont perdus, ne saurait être opposée à la salariée.
En effet, la note interne de la société fixant les modalités de prise des jours de RTT prévoit que sur les 18 JRTT, 14 jours sont fixés unilatéralement par le salarié et 4 jours sont fixés unilatéralement par l'employeur. Dès lors, pour les JRTT dont les dates sont fixées par l'employeur, le principe du 'jour non pris, jour perdu' ne peut s'appliquer. Enfin, pour les JRTT au-delà des 18 accordées par la société, ce principe ne peut davantage être opposé, la question du nombre de JRTT dues étant l'objet du litige.
Enfin, le décompte de la salariée qui fait état :
- de juin 2016 à mai 2017 : de 15 JRTT pris pour 21 acquis, soit un solde de 6 jours,
- de juin 2017 à mai 2018 : de 14, 5 JRTT pris pour 23, 5 acquis, soit un solde de 9 jours,
- de juin 2018 à novembre 2018 (soit une période incluant la durée du préavis) : d'aucun JRTT pris pour un total de 9 JRTT acquis, soit un solde de 9 jours, est conforme aux bulletins de salaire, de sorte que la salariée est fondée à solliciter un solde de 24 JRTT non pris.
Sur la valorisation des JRTT, la cour diffère l'examen de la demande à l'issue du litige qui déterminera les éléments à prendre en compte dans la valorisation des JRTT.
b) sur la demande au titre des heures supplémentaires réalisées au-delà de 39 heures
La salariée expose que le règlement intérieur a repris les dispositions issues de l'article 1-8 de l'accord de réduction de travail du 21 avril 1999 issue de la CCN des salariés permanents des entreprises de travail temporaire qui institue le principe de l'horaire décalé afin d'assurer l'ouverture des agences intérimaires au-delà de la durée légale de travail, mais que dans la pratique, la société ne s'est pas conformée à ces dispositions ni à son propre règlement intérieur en organisant la réduction du temps de travail par la mise en place de plannings mensuels de travail pour organiser les horaires décalés.
Elle soutient que :
- elle a travaillé bien plus de 40 heures hebdomadaires ;
- la société s'est dispensée de comptabiliser le temps de travail, afin de ne pas régler les heures accomplies ;
- elle était présente de 8 h à midi et de 14h à 18 h, mais également pendant certaines pauses déjeuners ainsi que le soir compte tenu de l'effectif réduit pendant de nombreux mois ;
- elle était également d'astreinte certains jours de la semaine en dehors des horaires d'ouverture de l'agence d'interim LIP Transport, la nuit, les week-end et les jours fériés pour répondre aux besoins des entreprises utilisatrices spécialisées ;
- il avait été mis à sa disposition un téléphone professionnel pour assurer ses permanences comme le révèlent un mail du 12 novembre et un mail du 24 décembre 2017 pour l'organisation du service ;
- chaque début de mois, elle était chargé de saisir informatiquement les heures de travail des dizaines de salariés intérimaires de son agence sur le logiciel 'Tempo Interim' afin d'établir les bulletins de paie, mission qui entraînait systématiquement le dépassement de la durée légale de travail en début de mois ;
- la société lui a régulièrement versé des primes dites 'exceptionnelles ' censées remplacer le paiement de ses heures supplémentaires.
La société LIP objecte que :
- le décompte de la salariée n'est ni précis, ni hebdomadaire ; il ne fait que répertorier la totalité des heures supplémentaires que la salariée estime avoir effectuées durant son contrat, sans mentionner les heures de début et de fin de ses journées de travail, de sorte que ce décompte doit être écarté des débats ;
- il n'est aucunement prouvé que ces prétendues heures supplémentaires auraient été effectuées à la demande de la société LIP 5, de sorte que la salariée ne peut se prévaloir des mails qu'elle aurait envoyé, de son propre chef, en dehors de son temps de travail ;
- le rapport d'audit sur lequel la salariée s'appuie pour soutenir que l'agence a fonctionné pendant de nombreux mois avec deux salariés seulement, ne suffit pas à établir qu'elle effectuait automatiquement 40 heures par semaine dès lors que la présence de deux salariés au sein de l'agence était suffisante pour mettre en place un roulement interne propre à assure le respect des 39 heures hebdomadaires ;
- les attestations fournies aux débats, objet des pièces adverses n° 28, 29 et 32, vagues et non circonstanciées, ne suffisent pas à prouver que la salariée aurait effectué des heures supplémentaires.
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S'il est constant que l'exécution d'heures supplémentaires relève du pouvoir de direction de l'employeur de sorte que le salarié ne peut pas les exécuter de sa propre autorité et que les heures supplémentaires doivent donc être accomplies à la demande de l'employeur ou avec son accord, même tacite, il convient de rappeler que la chambre sociale juge que le droit au paiement d'heures supplémentaires est également ouvert lorsque le salarié justifie que les tâches inhérentes au travail commandé ne pouvaient pas être effectuées dans les limites des horaires de travail fixés, les heures supplémentaires ayant été été rendues nécessaires par la nature ou la quantité du travail imposé.
Les missions d'un directeur d'agence d'interim sont multiples dès lors qu'il cumule des tâches de supervision et d'animation des équipes, mais aussi de médiation entre les entreprises clientes et les salariés en mission en cas de conflits, qu'il garantit l'application et la législation de la réglementation du travail temporaire, notamment.
Il résulte des débats que la salariée effectuait également la vérification et la saisie des heures de travail des salariés intérimaires et les email qu'elle produit pour illustrer cette tâche en particulier, sont invariablement transmis entre 12h et 13h ou encore tard le soir, plusieurs mails ayant été envoyés en début de mois après 21 heures.
Enfin, si la société affirme qu'un effectif de deux salariés au sein de l'agence était suffisant pour mettre en place un roulement interne propre à assurer le respect des 39 heures hebdomadaires, il ressort cependant d'un rapport d'audit qualité de l'agence réalisé au mois de septembre 2017 que la réunion hebdomadaire de l'agence n'a pu se tenir jusqu'en juillet compte tenu de l'effectif présent à l'agence (2) et par manque de temps lié au volume d'activité conséquent, même si des points informels étaient mentionnés chaque semaine. Et la société n'apporte aucun élément permettant de déterminer quel était l'effectif habituel de l'agence, ni la durée d'un effectif réduit à deux personnes.
Ces éléments sont par ailleurs confortés par des témoins, Mme [E], conseiller locatif, M. [K], agent d'exploitation, M. [D], responsable d'exploitation, M. [T], chauffeur routier, M. [C], chargé de projets logistiques, qui attestent de façon concordante de l'exceptionnelle disponibilité de la salariée qui restait joignable, en cas de besoin, y compris aux heures de fermeture de l'agence et la nuit.
Il s'évince de ces éléments que la salariée n'était pas en mesure d'effectuer l'ensemble des tâches qui lui étaient confiées dans l'horaire hebdomadaire contractuel de 39 heures ; que la société avait connaissance de cette situation compte tenu d'envois réguliers de mails à des heures tardives et des termes même de l'audit de contrôle annuel.
S'agissant du volume d'heures supplémentaires invoquées, il résulte des dispositions des articles L. 3171-2, alinéa 1, L. 3171-3,et L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
La société critique le décompte de la salariée comme insuffisamment précis, mais n'apporte aucun élément résultant du contrôle de la durée du travail qui lui incombe, pas plus qu'elle ne s'explique sur l'objet des primes exceptionnelles qu'elle a versées à la salariée.
Enfin, que ce décompte ait été établi pour les besoins de la cause ne laisse nullement présumer qu'il ne serait pas conforme à la réalité et il est constant qu'un décompte unilatéral des heures de travail établi après la rupture de la relation contractuelle de travail est recevable.
Le décompte, objet de la pièce n°34, qui mentionne le nombre d'heures supplémentaires revendiquées par la salariée chaque mois d'avril 2016 à juillet 2018, est suffisamment précis pour permettre à la société d'apporter les éléments résultant de son propre contrôle, ce qu'elle ne fait pas.
La cour fait droit par conséquent, à la demande de la salariée et condamne la société à lui payer la somme de 4 460,50 euros, outre 446,05 euros de congés payés afférents à titre de rappel d'heures supplémentaires pour la période d'avril 2016 à juillet 2018.
Le jugement déféré qui a débouté la salariée de cette demande est infirmé en ce sens.
Sur la rupture du contrat de travail
a) Sur la demande de nullité du licenciement résultant de la discrimination fondée sur l'état de santé
La salariée expose au titre des éléments de fait démontrant une discrimination directe fondée sur son état de santé, que :
- elle a subi de nombreuses menaces de mort et insultes d'intérimaires lorsqu'elle n'était pas en mesure de poursuivre leurs missions ou lorsqu'il fallait attendre le paiement des salaires sans que l'employeur ne l'assiste, ni ne la soutienne lors des procédures pénales engagées contre elle ;
- le 10 juillet 2018, son médecin traitant lui a prescrit un arrêt de travail pour surmenage professionnel et les arrêts ont été régulièrement prolongés jusqu'au 31 août 2018 ;
- la société LIP s'est dispensée d'organiser une visite médicale de reprise conformément à l'article R 4624-31 du code du travail, alors que son arrêt de travail était supérieur à trente jours ;
- le jour même de la reprise, le Président de la société LIP l'a convoquée pour lui reprocher ses absences pour maladie ;
- elle s'est vue refuser la reprise de ses fonctions et a été rémunérée du lundi 3 au jeudi 6 septembre 2018 ;
- l'employeur a cessé de la rémunérer à compter du 1er septembre 2018 jusqu'à la notification d'une mise à pied conservatoire au 6 septembre 2018 ;
- le Président de la société LIP a voulu lui imposer une rupture conventionnelle de son contrat de travail lors de deux entretiens des 3 septembre et 5 septembre 2018 ;
- les moyens d'exercer ses fonctions lui ont été retirés depuis le 3 septembre 2018 et il lui a été donné injonction de rester à son domicile pour réfléchir à la proposition de rupture conventionnelle ;
- la société ne justifie d'aucun élément objectif ayant conduit à la décision d'empêcher la reprise du poste de travail à l'issue de l'arrêt maladie au 3 septembre 2018 ;
- elle s'était, au cours de précédents arrêts maladie, toujours rendue disponible pour son employeur.
La société conclut que les allégations de la salariée ne peuvent être regardées comme constituant des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination et qu'il résulte des débats qu'elle a bénéficié de plusieurs arrêts maladie sans que cette circonstance ne remette en cause sa collaboration ni n'entrave son évolution au sein de l'entreprise. Elle souligne qu'en dépit de 48 jours d'absence pour maladie au cours de l'année 2016, la salariée a néanmoins été promue en qualité de responsable d'agence à compter du 1er janvier 2017 et que le nombre de jours d'arrêt maladie enregistré en 2017 et en 2018 sont sensiblement identiques à celui de 2016.
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La salarié produit une plainte qu'elle a déposée le 23 juin 2015 au commissariat de [Localité 6] pour des faits de dégradations de biens privés, insultes et menaces qu'elle a subies le 22 juin 2015 dans l'exercice de ses fonctions, ainsi qu'une déclaration de main courante datée du 23 mai 2017 pour des faits d'injures et de menaces subies dans des circonstances similaires, dans les locaux de l'agence.
Elle produit en outre un certificat médical du 24 mai 2017 établi par son médecin traitant constatant une anxiété réactionnelle avec trouble du sommeil et prescrivant une ITT de 5 jours, ainsi qu'un certificat médical daté du 23 janvier 2019 indiquant que la salariée a présenté un épisode dépressif avec anxiété secondaire à un surmenage au travail ayant nécessité la prescription de traitements antidépresseurs et anxiolytiques sur la période allant du 10/07/2018 au début du mois de septembre 2018.
Elle produit enfin, deux courriels datés des 3 et 5 septembre 2018 qu'elle a adressés à l'employeur dans lesquels elle se dit bouleversée d'apprendre qu'elle n'a plus sa place dans l'entreprise et que ses arrêts maladie lui sont reprochés. Elle ajoute qu'elle souhaite être maintenue dans ses fonctions et qu'elle se tient à disposition pour reprendre son poste.
Son bulletin de salaire du mois de septembre 2018 mentionne qu'elle est en situation d'absence non payée du 7 septembre 2018 au 28 septembre 2018 et en absence autorisée payée du 1er au 6 septembre 2018.
Les circonstances et les termes de l'entretien avec l'employeur, évoqués dans les deux courriels sus-visés ne résultent d'aucun élément objectif et ne sont connus qu'au travers des déclarations de la salariée.
En outre, si la salariée souligne l'absence d'élément objectif justifiant le licenciement pour faute grave à l'issue de l'arrêt maladie, elle ne discute pas les griefs à ce stade de la discussion mais expose que les précédents arrêts maladie ne l'ont pas empêchée de rester disponible pour l'employeur et que la seule différence avec le dernier arrêt maladie pour la période du 10 juillet au 31 août 2018, est qu'elle a refusé de travailler afin de préserver sa santé mentale, sur les conseils de son médecin traitant.
Ces éléments pris dans leur ensemble ne laissent pas supposer l'existence d'une discrimination en raison de l'état de santé.
b) Subsidiairement, sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement
La société LIP oppose à Mme [Y] les griefs suivants :
un manquement dans l'animation et le management de l'agence (aucune réunion hebdomadaire et absence d'entretien mensuel avec son collaborateur) ;
le non-respect des coefficients de facturations minimales à appliquer et l'absence de vérification de la solvabilité des clients ;
des irrégularités dans les notes de frais ;
des irrégularités dans la prise en charge financière de moyens de locomotion de plusieurs intérimaires ;
un attitude irrespectueuse envers une collègue.
Elle soutient que ces différents manquements ont été découverts au cours de l'été 2018, à l'occasion de la répartition des missions pour pallier l'absence de la salariée, et que le délai de prescription ne court qu'à compter du jour où l'employeur a eu connaissance des faits fautifs.
La salariée oppose la prescription de ces différents manquements au visa des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail.
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L'article L 1332-4 du code du travail énonce qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
La société s'étant placée sur le terrain disciplinaire, il convient d'examiner chacun des griefs au regard de la règle de prescription ainsi posée.
Ainsi, lorsqu'un fait fautif a eu lieu plus de deux mois avant le déclenchement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur de rapporter lui-même la preuve qu'il n'a eu connaissance de ceux-ci que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de la procédure disciplinaire.
Il n'est pas contesté que les manquements qui sont reprochés à la salariée sont antérieurs à la convocation de la salariée à l'entretien préalable qui constitue le point de départ de l'engagement des poursuites disciplinaires.
En outre si l'employeur peut tenir compte de faits fautifs qu'il connaît depuis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, lorsque le comportement du salarié s'est poursuivi ou a été réitéré dans ce délai, cette exception au principe n'est pas soutenue en l'espèce et aucun fait fautif n'est invoqué entre le 6 juillet 2018 et le début de l'arrêt maladie de la salariée le 10 juillet 2018.
La société soutient que les manquements reprochés à Mme [Y] ont été découverts à l'été 2018, à l'occasion de la répartition de ses missions à différents collaborateurs afin de pallier à son absence. Cependant, aucune pièce ne vient établir de façon objective les circonstances dans lesquelles les manquements supposés auraient été découverts.
La cour observe que les griefs tenant au manque de management et d'animation de l'agence, au non respect des coefficients de facturations minimales ou à l'absence de solvabilité des clients, à les supposer établis, ont nécessairement été révélés à l'occasion de l'audit qualité annuel dont le dernier a eu lieu le 18 septembre 2017 et au cours duquel les difficultés de gestion et notamment de tenue des réunions hebdomadaires étaient soulignées, en lien avec un effectif réduit.
S'agissant du non respect des procédures et notamment du non respect des coefficients de facturations minimales, la société qui ne produit au demeurant aucun élément relatif aux règles qu'elle fait appliquer dans ce domaine, verse aux débats des captures d'écran du logiciel 'Tempo Interim' correspondant à la fiche du transporteur Jammet du 19 mars 2016 au 20 octobre 2017 sans expliquer comment des informations faisant l'objet de saisies informatiques régulières auraient pu être ignorées pendant près d'une année.
En ce qui concerne la non-solvabilité du client [W], faute de tout élément, la cour n'est pas en mesure d'apprécier le point de départ du délai de prescription de deux mois.
S'agissant des irrégularités affectant les notes de frais, la société produit une note n° 17000560 du mois de mars 2017 et une note n°18001192 du mois d'avril 2018 et soutient qu'à l'occasion de la campagne commerciale du second trimestre, elle a invité certains clients de l'agence et découvert à cette occasion que ces mêmes clients n'avaient pas été invités par la salariée, contrairement à ce que laissaient supposer ses notes de frais. Force est de constater que le 'deuxième 'déjeuner invoqué comme circonstance de découverte du fait fautif n'est pas daté et que l'employeur ne justifie pas du moment où il a eu connaissance du manquement invoqué.
En ce qui concerne la prise en charge financière de moyens de locomotion pour les intérimaires [J] et [W], alors que ces derniers n'auraient eu aucune mission aux dates de location de véhicules, étant précisé que M. [R] [W] est présenté comme le conjoint de la salariée, la société produit un courriel interne du directeur du secteur transport/logistique du 14 septembre 2018 ainsi libellé: 'Je pense avoir oublié un point : un impayé de 10 000 euros de la part de son conjoint ([R] [W], le même qui a bénéficié du FASTT). Elle a travaillé avec ce dernier avec un coefficient de 1.80 ( le plus bas de la branche) pour des postes de conducteurs alors que c'était un client sans encours ( interdit de travailler avec)'.
La cour observe que ce message qui s'inscrit dans la préparation de l'entretien préalable au licenciement, ne donne aucune indication sur l'ancienneté de l'impayé, ni sur les circonstances, notamment de temps, ayant permis de mettre à jour ce manquement supposé, de sorte que là encore, l'employeur n'établit pas qu'il a découvert ce manquement dans le délai de deux mois précédant la mise en oeuvre des poursuites disciplinaires.
Enfin, il est reproché à la salariée d'avoir eu une attitude irrespectueuse à l'égard d'une collègue, en l'espèce Mme [B], directrice d'agence à [Localité 5], lors de la convention annuelle qui s'est tenue en mars 2018.
Il lui est fait grief d'avoir proféré publiquement des insultes en traitant sa collègue de 'salope' et de 'connasse'. La société indique que ces faits n'ont été portés à sa connaissance qu'en juillet 2018 par Mme [S], directrice de secteur qui atteste en ce sens dans une attestation du 15 septembre 2019.
Il est également reproché à la salariée d'avoir eu un comportement similaire à l'égard d'un intérimaire, M. [F] qui expose dans un courriel du 25 septembre 2018 que la salariée ' lui parle beaucoup trop mal depuis beaucoup trop longtemps, qu'il lui avait demandé de ne plus lui parler ainsi et qu'elle l'a insulté de trouduc environ une dizaine de fois'.
Aucun élément du débat ne permet d'affirmer que l'employeur a eu connaissance de ces insultes avant le 6 juillet 2018 même si l'agression verbale de Mme [B] a eu lieu publiquement. La matérialité de ces faits, contestés par la salarié, ne peut cependant reposer sur un témoignage unique, a fortiori lorsque ce témoignage intervient tardivement par rapport aux faits et qu'il émane d'un témoin dont le lien de subordination à l'employeur ne garantit pas l'impartialité.
En ce qui concerne l'attitude à l'égard de M. [F], elle ne repose que sur les seules déclarations de ce dernier et n'a donné lieu à aucune investigation particulière de l part de l'employeur.
Il s'en évince que les griefs opposés à la salariée sont prescrits à l'exception du dernier qui n'est pas établi par les éléments du débat et qui ne peut dés lors être retenu comme constitutif d'une faute grave.
Le jugement est par conséquent confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du licenciement au motif d'une discrimination en raison de l'état de santé et en ce qu'il a jugé le licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse.
Sur les indemnités de rupture
Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, la salariée peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis avec les congés payés afférents, ainsi qu'à une indemnité légale de licenciement.
Le conseil de prud'hommes a fixé la moyenne des salaires à 4 847,39 euros.
La salariée soutient que la moyenne de ses salaires sur les 3 derniers mois précédent l'arrêt maladie et la revalorisation sur la base de 40 heures hebdomadaires est de 5 603,55 euros se décomposant comme suit :
Moyenne des 3 derniers mois sur la base de 151,67H :
Juillet : 5 667,28 + juin : 4 610,37 + mai : 4910,14 euros = 5 062,60 euros ;
Revalorisation du temps de travail à 40 H hebdomadaire soit à 173,20 heures mensuelles : 21,53 heures x 25,12 euros = 540,95 euros.
La société retient pour sa part la moyenne des mois d'avril, mai et juin 2018, soit 4 658,66 euros.
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Le salaire de référence à prendre en compte pour le calcul de l'indemnité de licenciement est la moyenne des douze ou des trois derniers mois précédant l'arrêt de travail. La salariée ayant été placée en arrêt maladie à compter du 10 juillet 2018, il convient de retenir la moyenne des trois derniers mois complets avant l'arrêt de travail, soit la moyenne des mois d'avril, mai et juin 2018. La société ne critiquant pas, même à titre subsidiaire, le calcul de la revalorisation du temps de travail hebdomadaire proposé par la salariée, la cour valide les modalités de calcul appliqué et dit que le salaire de référence s'élève par conséquent à la somme de 5 199,61 euros.
La société est condamnée à payer à la salariée les sommes suivantes :
15 598,83 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
1 559,88 euros de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis
9 905,25 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement.
Le jugement déféré est infirmé en ce sens.
Sur les dommages-intérêts
En application de l' articles L.1235-3 du code du travail, la salariée ayant eu une ancienneté de sept années complètes dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité comprise entre trois et huit mois de salaire brut.
Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de 11 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée âgée de 34 ans lors de la rupture, de son ancienneté, de ce qu'elle justifie de sa situation au regard de Pôle Emploi jusqu'en octobre 2020, la cour estime que le préjudice résultant pour elle de la rupture a été justement indemnisé par le conseil de prud'hommes qui lui a alloué à ce titre la somme de 30 000 euros et confirme le jugement sur le montant de la réparation du préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement.
Sur les rappels de salaire
1°) au titre de la période de mise à pied conservatoire
Le jugement qui n'est pas critiqué sur le montant du rappel de salaire sollicité au titre de la période de mise à pied conservatoire du 7 au 28 septembre 2018 est confirmé en ce qu'il a condamné la société à payer à la salariée la somme de 2 439,88 euros à ce titre, outre la somme de 243, 98 euros de congés payés afférents.
2°) au titre de la valorisation des JRTT
La société propose de calculer le montant d'une JRTT en retenant le salaire de base sur la période de référence, auquel elle ajoute le montant des commissions, tandis que la salariée ajoute pour sa part, la prime exceptionnelle qu'elle a perçue au titre du salaire de mai 2016.
Dés lors qu'il n'est pas contesté que la prime exceptionnelle versée par l'employeur est étroitement liée à l'activité du salarié et à ses performances, cette part variable de la rémunération doit être intégrée dans l'assiette de calcul de l'indemnité de jours de réduction du temps de travail. En effet, il s'agit de ne faire subir au salarié aucune perte de salaire lorsqu'il prend des JRTT.
Ainsi la valorisation du solde de 6JRTT au 31 mai 2016 s'élève à 913,89 euros se décomposant comme suit :
3 300,25 euros ( salaire du mois de mai 2016 - l'avantage en nature)/ 151,57 heures x 6 jours x 7 heures.
La valorisation du solde de 9 JRTT au 31 mai 2017 s'élève à 1 664,60 euros se décomposant comme suit :
4 007,45 euros ( salaire du mois de mai 2017- l'avantage en nature)/151, 57 x 9 jours x 7 heures.
La valorisation du solde de 9JRTT au 25 novembre 2018 porte également sur la période de préavis de trois mois accordée à la salariée dès lors qu'elle aurait acquis des jours de RTT si elle avait continué à travailler pendant la période du préavis. Elle s'élève à la somme de 1 858,56 euros se décomposant comme suit :
4 474,4 euros (salaire du mois de juin 2018 - l'avantage en nature )/151,57 x 9 jours x7 heures.
La société est donc condamnée à payer à la salariée un rappel de salaire de 4 437,05 euros au titre des JRTT, outre la somme de 443,70 euros au titre des congés payés afférents.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail
La salariée soutient que la société LIP a fait preuve d'une particulière mauvaise foi en l'accusant gratuitement d'attitude irrespectueuse et insultante dans la lettre de licenciement alors qu'elle savait pertinemment qu'elle avait été victime de menaces de morts de salariés intérimaires ayant fait l'objet de poursuites pénales.
La salariée expose que :
- elle n'a jamais obtenu le soutien moral qu'elle attendait ;
- elle n'a jamais été reconnue en accident du travail et a engagé des frais de prise en charge de ses soins ;
- la société LIP a méconnu l'article L441-2 du code de la sécurité sociale en se dispensant délibérément de déclarer les accidents dans les 48 heures à la CPAM, ce qui constitue une infraction ;
- elle a continué à travailler pendant ses arrêts maladie pour la bonne marche de l'agence ;
- les menaces de licenciement mises à exécution par l'employeur ont aggravé sa dépression.
La société fait valoir en réponse que la salariée n'a jamais déclaré un accident du travail et qu'elle n'apporte aucun élément de preuve susceptible de corroborer ses dires.
Elle souligne enfin qu'il ressort des mails produits aux débats que le supérieur hiérarchique de la salariée, M. [M] lui demandait de couper tout contact avec son travail pendant les arrêts maladie, contrairement à ce que soutient la salariée.
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Si la salariée produit un certificat médical consécutif à une agression verbale qu'elle a déclaré avoir subi sur son lieu de travail le 22 mai 2017, il ne ressort pas des éléments du débat qu'elle ait, à un quelconque moment, déclaré un accident du travail.
Quant au travail fourni pendant les arrêts maladie, la pièce n°27 de la salariée est constituée pour l'essentiel, d'une série d'emails qu'elle a adressés à différents interlocuteurs entre le 24 septembre 2016 et le 16 octobre 2016, soit une période d'arrêt maladie, pour collecter le nombre d'heures de chacun en vue d'établir les paies.
Le courriel du 16 octobre, envoyé à 21h28, est un long récapitulatif des tâches de chacun au sein de l'agence et des informations qu'elle a pu réunir. La salariée termine son courriel en indiquant qu'elle reste joignable s'il y a le feu et qu'elle peut être dérangée en cas de besoin.
La société se prévaut de l'échange du 10 octobre 2016 initié par la salariée pour annoncer la date de sa reprise du travail, le 7 novembre suivant, et au terme duquel M. [M] lui donne l'injonction suivante: 'Retour de [N] tu coupes c'est clair!!!'.
Il résulte cependant de ces échanges, que la salariée a continué à réunir des éléments pour l'établissement des paies pendant la majeure partie de son arrêt maladie et que l'employeur n'ignorait pas cette situation de fait compte tenu de la quantité d'échanges en question et de l'injonction sus-visée révélant le maintien d'une activité pour la salariée en arrêt maladie.
En tolérant le maintien d'une activité, même partielle, au bénéfice de l'agence, pendant l'arrêt maladie de la salariée, l'employeur a manqué à son obligation de santé et de sécurité, en sorte que la salariée qui justifie par ailleurs avoir consulté pour une anxiété réactionnelle à une agression sur le lieu de travail ou encore pour un épisode secondaire à un surmenage professionnel au cours du mois de mai 2017 et de l'été 2018, justifie de son préjudice et est fondée à en demander la réparation au titre de l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail.
La cour condamne la société à payer à la salariée la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice. Le jugement déféré qui a débouté la salariée de sa demande est infirmé en ce sens et la demande est rejetée pour le surplus.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre de l'entrave à l'institution des représentants du personnel
La salariée soutient qu'elle a été privée, tout au long de la relation de travail, de la possibilité de représentation et de défense de ses intérêts par les institutions représentatives du personnel, soulignant que le groupe LIP compte plus de 90 agence et plus de 300 salariés permanents sur l'ensemble du territoire et qu'aucun établissement ni aucune société du groupe ne compte de représentant du personnel.
Elle forme sa demande de dommages-intérêts au visa des articles L. 2314-9 et L. 2317-1 du code du travail, ainsi qu'au visa de l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, des articles L. 2323-1 et L. 2324- 5 du code du travail, de l'article 8 § 1 de la Directive n° 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne.
La société fait valoir en réponse que :
- la salariée s'est présentée à l'entretien préalable assistée par un conseiller extérieur, de sorte que ses droits ont parfaitement été préservés ;
- pendant la période d'emploi de la salariée, elle était couverte par un procès-verbal de carence ;
- un comité économique et social a été instauré depuis le mois de novembre 2020 ;
- la salariée ne démontre ni avoir fait une demande relative à l'instauration des institutions représentatives du personnel, ni avoir subi un quelconque préjudice du fait de l'absence de telles institutions.
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Le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, issu de l'alinéa 8 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, a été reconnu comme principe constitutionnel par une décision du 20 juillet 1977 (décision 77-83 DC).
L'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne prévoit que 'les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit de l'Union et les législations et pratiques nationales'.
La directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établit un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne. Elle comporte un article 8 § 1 qui dispose que 'les Etats membres prévoient des mesures appropriées en cas de non-respect de la présente directive par l'employeur ou les représentants des travailleurs. En particulier, ils veillent à ce qu'il existe des procédures administratives ou judiciaires appropriées pour faire respecter les obligations découlant de la présente directive'.
Enfin, l'article L. 2323-1 du code du travail, en vigueur du 1er janvier 2016 au 1er janvier 2018, définit la mission générale d'information et de consultation du comité d'entreprise et l'article L. 2324-5 du code du travail en vigueur du 1er mai 2008 au 1er janvier 2018 énonce :
'Lorsqu'en l'absence de comité d'entreprise, l'employeur est invité à organiser des élections à la demande d'un salarié ou d'une organisation syndicale, il engage la procédure définie à l'article L. 2324-4 dans le mois suivant la réception de cette demande'.
La chambre sociale a jugé, par l'application combinée de ces textes, que l'employeur qui, bien qu'il y soit légalement tenu, n'accomplit pas les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause nécessairement un préjudice aux salariés, privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts.
En l'espèce, la société ne saurait reprocher à la salariée de ne pas justifier d'une demande relative à l'instauration d'institutions représentatives du personnel, dès lors qu'il s'agit d'une obligation qui pèse sur l'employeur. Par ailleurs, l'employeur invoque l'existence d'un procès-verbal de carence dont il ne justifie pas.
Enfin, la société affirme que les droits de la salariée ont été préservés dès lors qu'elle a été assistée par un conseiller extérieur lors de l'entretien préalable. Elle ne justifie cependant ni d'un compte-rendu de l'entretien préalable, ni de l'identité du conseiller extérieur évoqué, en sorte qu'elle ne démontre pas que la salariée a reçu en temps utile les informations et l'assistance de nature à préserver ses droits au cours de la procédure de licenciement pour faute grave dont elle a fait l'objet.
Cette situation a causé un préjudice à la salariée qui sera réparé par l'allocation de la somme de 5 000 euros. Le jugement déféré qui a rejeté cette demande est infirmé.
- Sur les demandes accessoires
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué à la salariée une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société succombant en ses demandes sera condamnée aux dépens d'appel.
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Dans la limite de la dévolution,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a dit que le licenciement de Mme [Y] n'est pas fondé sur son état de santé, ne repose pas sur une faute grave, n'est pas justifié par une cause réelle et sérieuse, en ce qu'il a condamné la société Les intérimaires Professionnels 5 à payer à Mme [Y] la somme de 2 439,88 euros outre 243,98 euros de congés payés afférents au titre de la mise à pied conservatoire et la somme de 30 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte d'emploi, ainsi que sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens ;
INFIRME le jugement déféré pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société Les Intérimaires Professionnels 5 à payer à Mme [Y] les sommes suivantes :
15 598, 83 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre
1 559,88 euros de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis
9 905,25 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
4 460,50 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour la période d'avril 2016 à juillet 2018, outre
446,05 euros de congés payés afférents
4 437,05 euros de rappel de salaire au titre des JRTT, outre
443,70 euros au titre des congés payés afférents
3 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'exécution déloyale du contrat de travail
5 000 euros de dommages-intérêts au titre de l'entrave aux institutions représentatives du personnel ;
RAPPELLE que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
DIT que les intérêts au taux légal sur les créances de nature salariale courent à compter de la demande, soit à compter de la notification à la société Les Intérimaires Professionnels 5 de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes ;
DIT que les intérêts au taux légal sur les créances de nature indemnitaires courent à compter du jugement à hauteur de 30 000 euros et à compter du présent arrêt pour les autres créances indemnitaires ;
CONDAMNE la société Les Intérimaires Professionnels 5 à verser à Mme [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel ;
CONDAMNE la société Les Intérimaires Professionnels 5 aux dépens de l'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE