N° RG 20/06500 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NH5X
Décision du Tribunal Judiciaire de LYON
Au fond du 12 octobre 2020
( Loyers commerciaux)
RG : 18/00036
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 25 Juillet 2024
APPELANTE :
S.C.I. WW LYON
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 1106
Et ayant pour avocat plaidant la SELEURL Cabinet NEU-JANICKI, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
S.A.S.U. ZAPA
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par la SARL TAGO AVOCATS, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 1578
Et ayant pour avocat plaidant Me Jérôme CULIOLI, avocat au barreau de NICE
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 14 Septembre 2021
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 05 Octobre 2022
Date de mise à disposition : 15 décembre 2022 prorogée au 16 mars 2023, 29 juin 2023, 26 octobre 2023, 29 février 2024, 28 mars 2024, 23 mai 2024, 4 juillet 2024 et 25 juillet 2024 les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Anne WYON, président
- Françoise CLEMENT, conseiller
- Julien SEITZ, conseiller
assistés pendant les débats de Séverine POLANO, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
Par acte sous-seing privé des 18 et 19 janvier 2007, la Société Anonyme de Construction de la Ville de Lyon ( SACVL) a donné à la société Fourrures [U] [S] des locaux à usage commercial situés à [Adresse 2], pour une durée de neuf ans à compter du 1er novembre 2005.
La SCI WW Lyon se trouve aujourd'hui aux droits de la SACVL et la société Zapa à ceux de la société preneuse.
Par acte extrajudiciaire du 26 septembre 2017, la SCI WW Lyon a fait délivrer à la société Zapa un congé à effet du 30 juin 2018 avec offre de renouvellement moyennant un loyer de 70'000 euros hors taxes et hors charges par an.
La société preneuse a répondu favorablement à l'offre de renouvellement du bail et a contesté le montant du loyer proposé.
Par jugement du 25 mars 2019, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Lyon a ordonné une expertise, puis, par jugement du 12 octobre 2020, a fixé à la somme de 39'500 euros hors taxes et charges à compter du 1er juillet 2018 le loyer annuel du bail commercial liant les parties et a condamné la SCI WW Lyon aux dépens comprenant les frais d'expertise.
La SCI WW Lyon a relevé appel de cette décision par déclaration du 20 novembre 2020.
Par conclusions d'appel incident déposées au greffe le 9 juillet 2021, la SCI WW Lyon demande à la cour d'infirmer le jugement et de :
- constater que le bail qui a pris effet le 1er novembre 2005 s'est prolongé par tacite reconduction au-delà de douze années à défaut de congé ou de demande de renouvellement,
- juger que le renouvellement est intervenu pour une durée de 9 années soit à compter du 1er juillet 2018 aux clauses et conditions du bail expiré,
- juger que le loyer du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative
- juger qu'il n'y a lieu d'appliquer aucun abattement au titre de la taxe foncière et des grosses réparations de l'article 606 du code civil,
- juger qu'il y a lieu d'appliquer une majoration de 10 % au titre de la libre cession de droit au bail,
- fixer le loyer de renouvellement à la somme annuelle de 77'000 euros, hors taxes et hors charges à compter du 1er juillet 2018 avec intérêts au taux légal sur chaque échéance d'arriéré conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du code civil et capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du même code, des arriérés de loyers dus depuis une année entière,
À défaut, par arrêt avant-dire droit, ordonner un complément d'expertise afin de déterminer la valeur locative des lieux loués au 1er juillet 2018, et ordonner le sursis à statuer dans l'attente du dépôt du complément d'expertise judiciaire,
En toute hypothèse :
- débouter la société Zapa de son appel incident et de l'intégralité de ses demandes contraires,
- la condamner à lui payer la somme de 8.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Zapa aux entiers dépens de première instance et d'appel y compris les frais d'expertise.
La SCI WW Lyon rappelle que le loyer actuel s'élève à 30.421,44 euros et fait essentiellement valoir que :
- les locaux sont situés dans le quartier historique et commerçant de la ville, dans une rue 'qui a le vent en poupe' et bénéficient d'un emplacement n°1,
- la 3ème surface de vente qui présente un intérêt certain doit conserver le coefficient de pondération de 0,5 appliqué par l'expert, et la superficie utile qu'elle a fait déterminer par un géomètre expert ressort à 125,20 m² et par suite la surface pondérée de 70 m², qui sont ainsi supérieures à celles calculées par l'expert,
- les obligations respectives des parties sont favorables à la société preneuse qui n'a pas à supporter les travaux de mise en conformité et peut librement céder son droit au bail,
- la moyenne des références locatives dont elle se prévaut est égale à 1353,20 euros alors que la valeur locative brute unitaire de 575 euros retenue par l'expert judiciaire est très inférieure à la moyenne des références de la même rue, qui s'élève à 856,86 euros, le droit au bail ou droit d'entrée devant être incorporé au loyer, ce qui justifie sa réclamation de 1000 euros au titre de la valeur locative unitaire déterminée par son expert privé, M. [W].
- la possibilité pour la société preneuse de céder librement son droit au bail justifie une majoration de 10 % de la valeur locative et aucune minoration de cette valeur n'est justifiée dans la mesure où le remboursement de la taxe foncière par le preneur constitue une clause désormais classique, le transfert de cette charge ne devant pas donner lieu à un abattement si les baux de comparaison comportent la même charge, ce qui est le cas en l'espèce, cette stipulation ne pouvant donner lieu qu'à un abattement de 5% au plus,
- aux termes du bail, les travaux relevant de l'article 606 du code civil incombant à la bailleresse, il n'y a pas lieu à abattement à ce titre.
Par conclusions déposées au greffe le 17 mai 2021, la société Zapa forme appel incident et demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a fixé le loyer à la somme de 39'500 euros hors charges et hors taxes à compter du 1er juillet 2018 outre intérêts au taux légal sur chaque échéance d'arriérés avec capitalisation et, infirmant le jugement sur ces points, de:
- déterminer la surface utile du local dont il s'agit à 123,40 m² et sa surface pondérée à 65 m²,
- juger qu'il y a lieu d'appliquer un abattement au titre de la taxe foncière mise à sa charge,
- juger qu'il n'y a pas lieu d'appliquer une majoration de 10 % au titre de la libre cession du droit au bail,
- fixer le montant du loyer du bail renouvelé à compter du 1er juillet 2018 à la somme annuelle de 31'172 euros hors taxes et hors charges,
- dire n'y avoir lieu à un complément d'expertise dans le cadre de la procédure,
- débouter la société WW Lyon de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société WW Lyon aux dépens en ce compris les frais d'expertise,
- condamner la société WW Lyon à lui verser 15'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
Elle fait essentiellement valoir que :
- sur le calcul de la surface utile, l'attestation réalisée lors de l'acquisition des locaux mentionne une surface de 123,40 m² qui doit être retenue,
- la détermination de la surface pondérée par l'expert a été calculée conformément à la nouvelle méthode générale entrée en application le 1er juillet 2015 qui doit être retenue, sauf en ce qui concerne la 3ème zone de vente alors qu'il s'agit des cabines d'essayage, surface annexe justifiant une pondération entre 0,1 et 0,4 en application de la méthode utilisée, la surface totale pondérée des locaux étant en conséquence de 65 m²,
- Il est constant que la valeur du droit au bail ou du droit d'entrée ne peut être transformée en loyer et incorporée au loyer payé alors que la valeur locative de renouvellement doit être analysée comme la contrepartie financière annuelle de l'usage d'un bien immobilier par un locataire en place bénéficiant déjà du statut des baux commerciaux, et qu'elle est strictement encadrée par les dispositions des articles L 145-33 , R145-3 à R 145-8 du code de commerce, l'expert ayant à juste titre écarté la décapitalisation,
- au vu des références de loyers du secteur dont elle se prévaut pour combattre les conclusions de M. [W] sur des locaux voisins, elle justifie que le prix du bail renouvelé ne peut être supérieur à 500 euros par mètre carré et par an,
- la sous-location étant soumise à l'acceptation préalable de la bailleresse et le bail lui imposant la prise en charge de l'impôt foncier et de l'ensemble des prestations afférentes à l'ensemble des lieux loués, ce transfert de charges sur la locataire sans contrepartie justifie la diminution de la valeur locative en application de l'article R 145-8 du code de commerce, de sorte que son loyer actuel de 30'421,44 euros par an hors taxes et hors charges correspond à la valeur locative des locaux.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture est du 14 septembre 2021.
MOTIVATION
- sur la surface des locaux
Elle fait l'objet de trois chiffrages différents, soit 120,52 m² selon le bail initial de 2007, 125,20 m² selon le mesurage d'un géomètre-expert du 7 décembre 2015, qui a été annexé à l'acte de vente de l'immeuble le 22 novembre 2016, et 124,40 m² au terme du mesurage effectué par l'expert judiciaire.
Il convient de retenir le mesurage effectué par l'expert judiciaire, qui constitue un moyen terme entre les deux évaluations extrêmes, lesquelles sont relativement proches, dans la mesure où les différences entre les surfaces énoncées peuvent trouver leur origine dans les aménagements intérieurs effectués, ce qui fait que la surface calculée par l'expert judiciaire correspond à la surface effective dont dispose la preneuse à la date du renouvellement du bail.
- sur la pondération
Seule est critiquée la pondération de la troisième zone de vente, située entre 10 et 20 mètres de profondeur à compter de la vitrine, que l'expert a fixé à 0,5 et que la société Zapa voudrait voir fixer à 0,4. Au regard du plan reproduit au rapport d'expertise (p. 13), de la surface considérée qui est relativement importante, comme le souligne l'expert, de la description de cette partie du magasin par l'expert, qui relève de bonnes prestations, une décoration soignée et les murs des cabines capitonnées, et de la méthode générale de pondération reprise par la charte de l'expertise prévoyant une pondération entre 0,4 et 0,6, il y a lieu de maintenir l'appréciation de l'expert, les caractéristiques des lieux, de qualité, ne pouvant justifier une pondération maximale et la pondération moyenne opérée par l'expert étant tout à fait adaptée.
- sur les loyers décapitalisés
La cour relève qu'aucun des textes du code de commerce, et notamment l'article R. 145-7 de ce code, ne fait référence, dans la notion de prix couramment pratiqués, aux sommes versées à titre de pas de porte, droit d'entrée ou de droit au bail. La valeur locative ne peut intégrer des sommes payées par le locataire à un tiers, comme l'est le droit au bail, versé au précédent locataire. Enfin, une somme versée au bailleur à titre de pas de porte ne constitue pas un supplément de loyer. C'est pourquoi il convient d'écarter les loyers décapitalisés qui ne permettent pas de comparaisons utiles et de prendre en considération le seul loyer facial comme l'a fait l'expert.
- sur le prix au mètre carré
Pour procéder à son évaluation, l'expert a justement écarté les références produites par la SCI WW Lyon et dont les loyers comprenaient les droits aux baux (expertise, p. 30), comme indiqué ci-avant, ainsi qu'une référence située au 74 de la même rue pour un prix de 2400 euros du m² pondéré, compte tenu de son écard extrêmement important par rapport aux autres références, qui l'exclut des loyers couramment pratiqués.
Il a à juste titre exclu les commerces situés dans d'autres rues en raison de la commercialité supérieure de la [Adresse 2], expliquant qu'il avait cité ces valeurs locatives à titre de valeur minimale, étant rappelé que ces loyers s'échelonnent entre 420 et 495 euros du mètre carré par an.
L'expert a notamment pris en considération trois décisions judiciaires concernant des locaux situés aux numéros 52, 61 et 82 de la même rue, en exposant dans sa réponse aux dires qu'il a tenu compte des différences entre les commerces concernés par ces décisions et les locaux objets du présent litige et notamment de la vitrine plus vaste des lieux loués ainsi que de sa superficie puisqu'il a retenu une valeur supérieure pour les locaux en litige.
Enfin, à l'examen des éléments de comparaison situés [Adresse 2], dont un bail à effet du 1er janvier 2016 situé au n° 40 de la rue, au prix de 523 euros pour 40 m² pondérés, un autre à effet au 1er janvier 2018 au n° 33, tout proche, au prix de 510 euros le mètre carré pour 98 m² pondérés et un troisième à effet du 1er janvier 2019 au n° 50 de la même rue, au prix de 721 euros pour 104 m² pondérés, il apparaît que l'expert a pris en considération des baux récents et qu'au regard de leurs caractéristiques, notamment de superficie, l'appréciation qu'il a faite du loyer de renouvellement à 575 euros par an et par mètre carré est parfaitement adaptée, de sorte le jugement sera confirmé de ce chef.
- sur l'abattement et la majoration
Comme l'a relevé le premier juge, les deux stipulations contradictoires du bail sur les travaux prévus à l'article 606 du code civil sont dépourvues d'incidence depuis l'interdiction d'imputer ces dépenses au locataire, qui s'applique au bail renouvelé.
De même, l'abattement pour transfert de charges exorbitantes qui est dû à la société preneuse (cf Civ. 3ème, 08/02/2024, pourvoi n°22-24268) est compensé par l'absence de restriction de la cession du droit au bail par la société preneuse, qui ne peut être évaluée à 10 % dans la mesure où elle est assortie d'une condition. En conséquence, il n'y a lieu ni à minoration ni à majoration du loyer de renouvellement.
Le jugement critiqué sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
La SCI WW Lyon, qui succombe en son appel, sera condamnée aux dépens d'appel et au paiement à la société Zapa d'une indemnité de 10'000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, sa demande à ce titre étant rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, en dernier ressort par mise à disposition au greffe,
Confirme dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le juge des loyers du tribunal de grande instance de Lyon le 12 octobre 2020 et,
Y ajoutant,
Condamne la SCI WW Lyon aux dépens d'appel, et au paiement à la société Zapa d'une indemnité de 10'000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et rejette sa demande sur ce point.
LE GREFFIER LE PRESIDENT