AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 23/07143 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PGH2
[Y]
C/
SociétéENTREPRISE GUY CHALLANCIN
Saisine sur renvoi de la cour de cassation :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Lyon
du 26 Novembre 2018
RG : 16/03637
Arrêt de la Cour d'appel de Lyon section B
du 02 juillet 2021
RG : 18/08885
Arrêt de la cour de Cassation
du 21 juin 2023
Arrêt n°709 F-D
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 03 JUILLET 2024
DEMANDERESSE À LA SAISINE :
[G] [Y]
née le 10 Janvier 1979 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Rémi RUIZ FERNANDEZ de la SELARL CABINET RITOUET RUIZ, avocat au barreau de LYON
DÉFENDERESSE À LA SAISINE :
Société ENTREPRISE GUY CHALLANCIN
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Elodie CHRISTOPHE de la SELARL ELOCIAL, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 26 Mars 2024
Présidée par Catherine MAILHES, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Catherine MAILHES, présidente
- Nathalie ROCCI, conseillère
- Anne BRUNNER, conseillère
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 03 Juillet 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [Y] (la salariée) a été engagée le 5 juillet 1999 par la société La Mouette Propreté par contrat à durée indéterminée en qualité d'agent de service.
Ensuite de la décision du tribunal de commerce du 11 juillet 2013 et de la liquidation judiciaire de la société La Mouette Propreté, le contrat de travail de la salariée a été transféré à la société Guy Challancin (la société) à compter du 12 juillet 2013.
La société, qui applique les dispositions de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés, employait habituellement au moins 11 salariés au moment du licenciement.
A compter du 3 mai 2016, Mme [Y] a été placée en arrêt de travail, régulièrement renouvelé jusqu'au 30 novembre 2016.
A l'issue de la visite de reprise du 1er décembre 2016, le médecin du travail a émis l'avis suivant : ' inaptitude en une fois faisant suite à une visite de pré-reprise effectuée le 03/11/2016, conformément à l'article R. 4624-31 du code du travail (pas de seconde visite prévue).
Tout maintien de la salariée dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé. '
Par courrier du 23 décembre 2016, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement pour inaptitude pour le 5 janvier 2017.
Par lettre recommandée du 18 janvier 2017, la salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 30 novembre 2016, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon aux fins, selon le dernier état de ses écritures de voir la société condamnée à lui verser, au dernier état de ses écritures, des dommages-intérêts pour violation par l'employeur de son obligation de sécurité (10 000 euros), un rappel d'indemnité complémentaire pendant son placement en arrêt de travail 1.460,86 euros), et congés payés afférents (146,09 euros), un rappel de salaire (1 162,42 euros), et congés payés afférents (116,24 euros), des dommages-intérêts pour harcèlement moral (20 000 euros), ou subsidiairement exécution déloyale du contrat de travail, ainsi que le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur ou à défaut qu'il soit dit que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et, par conséquent, différentes indemnités au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Société Challancin a été convoquée devant le bureau de conciliation et d'orientation par courrier recommandé avec accusé de réception signé le 5 décembre 2016.
La Société Challancin s'est opposée aux demandes du salarié et a sollicité à titre reconventionnel la condamnation de celui-ci au versement de la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 26 novembre 2018, le conseil de prud'hommes de Lyon a :
dit le licenciement de Mme [Y] pour cause réelle et sérieuse ;
condamné la société Challancin à payer à Mme [Y] les sommes suivantes :
1 162,42 euros au titre d'indemnité pour rappel de salaire ;
116,24 euros au titre des congés payés afférents ;
1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire, les jugements ordonnant la délivrance de toutes pièces que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de paie, certificat de travail... ) Ainsi que les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R.1454-14 du code du travail dans la limite de neuf mensualités, étant précisé que la moyenne brute des salaires des trois derniers mois doit être fixée à la somme de 1 678,48 euros ;
rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances de nature salariale et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées ;
débouté les parties de l'ensemble des autres demandes plus amples ou contraires ;
condamné la société Challancin aux entiers dépens de l'instance.
Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 21 décembre 2018, Mme [Y] a interjeté appel de ce jugement.
Elle demandait à cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société à lui verser la somme de 1 162,42 euros à titre de rappel de salaire outre 116,24 euros au titre des congés payés afférents et statuant à nouveau de :
condamner la société Guy Challancin à lui verser :
10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,
1 460,86 euros nets au titre du complément de rémunération outre 146,09 euros au titre des congés payés afférents,
20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ou subsidiairement pour exécution déloyale du contrat de travail,
prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail avec effet au 18 janvier 2017 et dire que la rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
condamner la société Guy Challancin à lui verser :
4 003,90 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 400,39 euros au titre des congés payés afférents,
35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire,
dire que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamner aux mêmes sommes,
condamner la société Guy Challancin à lui verser une indemnité de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt du 2 juillet 2021, la cour d'appel de Lyon a :
confirmé le jugement du 26 novembre 2018 du conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a :
débouté Mme [Y] de ses demandes d'indemnité complémentaire, de dommages-intérêts pour harcèlement moral, d'indemnité compensatrice de préavis de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,
condamné la société Challancin aux dépens de première instance ;
infirmé le jugement en ce qu'il a :
dit que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse ;
débouté Mme [Y] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
statuant des chefs du jugement infirmés et y ajoutant :
ordonné la résiliation du contrat de travail avec effet au 18 janvier 2017 ;
condamné la société Challancin à payer à Mme [Y] la somme de 20 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
débouté Mme [Y] du surplus de sa demande ;
condamné la société Challancin à remettre à Mme [Y] un certificat de travail conforme aux dispositions de l'article L. 1234-19 du code du travail, ainsi qu'une attestation Pôle Emploi rectifiés, dans les 15 jours du présent arrêt ;
condamné la société Challancin à payer à la SELARL Ritouet Ruiz, avocats au barreau de Lyon, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, conformément aux dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
rappelé que si l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'État et que s'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l'État ;
condamné la société Challancin aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.
La société Challancin a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, et Mme [Y] un pourvoi incident.
Par arrêt du 21 juin 2023, la cour de cassation a :
rejeté le pourvoi principal formé par l'entreprise Guy Challacin ;
cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a débouté Mme [Y] de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l'arrêt rendu le 2 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
remis, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.
Par déclaration reçue au greffe le 7 septembre 2023, Mme [Y] a saisi la cour d'appel de renvoi.
Dans le dernier état de ses conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 30 octobre 2023, demande à la cour de :
infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de reconnaissance, à titre principal, d'une situation de harcèlement moral et, à titre subsidiaire, d'une exécution déloyale du contrat de travail ;
statuant à nouveau,
à titre principal,
dire qu'elle a été victime de harcèlement moral ;
en conséquence,
condamner la société Challancin à lui verser la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
à titre subsidiaire,
dire que l'employeur n'a pas exécuté loyalement le contrat de travail ;
en conséquence,
condamner la société Challancin à lui verser la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
y ajoutant,
condamner la société Challancin à verser à Me Ruiz la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions du 2° de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Challancin aux entiers dépens de l'instance.
Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 27 février 2024, la société Challancin demande à la cour de :
confirmer le jugement du conseil de prud'hommes ;
dire que l'employeur n'a commis aucune faute dans l'exécution du contrat de travail ;
dire qu'il n'existe aucun fait constitutif de harcèlement moral ou d'exécution déloyale du contrat de travail pouvant être reproché à l'employeur ;
débouter Mme [Y] de ses demandes ;
à titre infiniment subsidiaire,
réduire le montant demandé à de plus justes proportions ;
condamner Mme [Y] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le harcèlement moral
La salariée estime avoir été victime de faits de harcèlement moral et expose ainsi :
- qu'elle a participé à compter du 27 avril 2016 à un mouvement de grève collectif ; qu'à la suite de ce mouvement, l'employeur a multiplié des agissements ci-dessous listés :
un avertissement disciplinaire le 17 juin 2016 pour avoir tardé à remettre à l'employeur son véhicule de fonction, alors que ce dernier a présenté sa demande de restitution le 27 avril pendant qu'elle était en grève et que le véhicule a été restitué le 4 mai ; que l'employeur ne pouvait exiger le retrait de cet avantage en nature pendant la période de suspension du contrat de travail ;
la délivrance tardive des attestations de salaire à la caisse d'assurance-maladie après son arrêt de travail du 3 mai 2016, la privant de ressources pendant plusieurs semaines ;
l'absence de paiement du complément de rémunération à la charge de l'employeur tel que prévu par la convention collective, l'employeur se retranchant derrière le fait qu'elle était considérée comme gréviste, alors que les dispositions conventionnelles ne précisent pas que les salariés grévistes placés ultérieurement en arrêt de travail ne pourraient pas prétendre au complément de rémunération et qu'elle a informé son employeur de ce qu'elle n'était plus gréviste, mais en arrêt de travail dès le mois de mai 2016 ;
l'absence de transmission par l'employeur à l'organisme de prévoyance des éléments nécessaires au versement du complément de rémunération pendant son arrêt maladie, cette transmission n'ayant été effectuée que près d'un an après, au mois d'avril 2017, la privant des sommes dues au titre de la prévoyance jusqu'au mois d'août 2017 ;
l'absence de reprise du paiement du salaire entre le 1er et le 18 janvier 2017, un mois après son inaptitude, alors qu'elle n'avait pas été reclassée.
- ces différents agissements sont à l'origine de la dégradation de son état de santé après son arrêt maladie du mois de mai 2016 ;
- subsidiairement, elle estime que ces agissements constituent une violation par l'employeur de son obligation de loyauté.
La société soutient qu'elle n'a pas adopté un comportement fautif en vue de pousser la salariée à démissionner, en ce que :
- l'avertissement du 17 juin 2016 est fondé puisque certains des salariés grévistes, dont la requérante, sont restés devant l'agence en refusant de remettre les clés des véhicules de service et les clés des résidences, afin d'empêcher les salariés non-grévistes d'assurer leur prestation ; ces véhicules étaient mis à la disposition des salariés pour qu'ils puissent accomplir leur mission et qu'il ne s'agissait pas de véhicules de fonction constitutifs d'avantage en nature ;
- il a été procédé à la transmission des attestations de salaire à la caisse primaire d'assurance-maladie dès la réception des arrêts de travail de la salariée ;
- s'agissant du versement du complément de rémunération prévu par la convention collective, ce complément n'a pas à être versé aux salariés grévistes ; par ailleurs, la salariée ayant tardé à transmettre le bordereau des indemnités journalières versées par la sécurité sociale, le versement du complément maladie et du complément de salaire au titre de la prévoyance sont également intervenus avec retard, sans que ce retard ne soit imputable à l'employeur ;
- il n'est pas contesté que la reprise du versement du salaire aurait dû intervenir le 1er janvier 2017, l'employeur ayant reconnu que la somme réclamée par la salariée était due et ayant exécuté le jugement rendu par le conseil de prud'hommes ;
- la seule production de certificats médicaux de son médecin traitant par la salariée ne saurait suffire à démontrer que la dégradation de son état de santé serait consécutive à ses conditions de travail ;
- les demandes en dommages et intérêts pour harcèlement moral et à titre subsidiaire pour exécution déloyale du contrat de travail reposent sur les mêmes accusations, mais n'étant à l'origine d'aucun manquement la rendant responsable de harcèlement moral et n'ayant commis aucune faute dans l'exécution du contrat de travail, la salariée devra en être déboutée.
***
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ; il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
1- Sur les faits
Il est établi que :
- le 17 juin 2016, un avertissement a été notifié à la salariée alors qu'elle était en grève depuis le 27 avril 2016, pour avoir conservé le véhicule de service immatriculé [Immatriculation 5] et pour n'avoir accepté de le rendre que le 4 mai, au mépris du règlement intérieur et avoir ainsi commis une entrave à la liberté du travail ;
- le paiement du maintien de rémunération tel que prévu par la convention collective n'a pas été versé par l'employeur pour la période d'arrêt de travail du 3 mai 2016 au 12 septembre 2016, comme il ressort du courrier de l'employeur du 23 novembre 2016 et payé avec retard pour la période d'arrêt de travail postérieure au 13 septembre 2017 ;
- l'employeur a manqué à son obligation de reprendre le paiement du salaire du 1er janvier 2017 pour un montant de 1 162,42 euros, étant précisé qu'aucun appel principal ou incident n'a été formé sur les dispositions du jugement condamnant la société au paiement du rappel de salaire et des congés payés afférents pour la période du 1er janvier 2017 au 18 janvier 2017, date de son licenciement ;
- la salariée n'a bénéficié des prestations de prévoyance versées par la compagnie Ag2r pour la période du 9 juillet 2016 au 17 juin 2017 au titre du complément de rémunération que postérieurement à la rupture du contrat de travail et seulement à compter du 7 août 2017.
S'agissant du retard dans la transmission des attestations de salaire à la caisse primaire d'assurance maladie, la salariée qui a été placée en arrêt de travail à compter du 3 mai 2016, produit une seule pièce 18 au soutien de ce fait. Or il en ressort que contrairement à ce qu'elle avance, elle percevait ses indemnités journalières de la caisse primaire d'assurance maladie, et rien ne permet de considérer que l'employeur aurait transmis avec retard les attestations de salaire à l'organisme de sécurité sociale. Ce fait ne sera pas retenu.
Contrairement à ce que prétend la salariée, l'employeur n'a pas refusé de lui régler les compléments de salaire pour la période à compter du 13 septembre 2016, comme il ressort du courrier de ce dernier du 23 novembre 2016, aux termes duquel il indique que : 'Mme [Y] a en revanche repris son poste le 12 septembre 2016 avant de se mettre de nouveau en arrêt de travail le 13 septembre 2016 2016. Ainsi, le complément de salaire lui sera versé pour les arrêts de travail postérieurs à cette date'.
Seul le retard de paiement précédemment indiqué sera retenu. En effet, l'employeur a versé à la salariée une somme de 929,29 euros au titre d'un rappel de maintien de salaire pour une absence maladie du 22 septembre au 30 novembre 2016, mais seulement en octobre 2017, comme il apparaît sur le bulletin de salaire du mois d'octobre 2017.
2- Au regard de la dégradation de l'état de santé de la salariée souffrant d'un syndrome anxio-dépressif depuis le 3 mai 2016 et de la prolongation à plusieurs reprises de son arrêt de travail, les quatre faits ci-dessus établis qui sont intervenus en cours d'arrêt de travail, laissent supposer de harcèlement moral.
3- Sur les justifications de l'employeur
3-1- L'employeur soutient que l'avertissement est justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement dès lors qu'il s'agissait d'un véhicule à destination strictement professionnelle, soit un véhicule de service et qu'il ne s'agissait pas d'un véhicule de fonction.
Il ressort du règlement intérieur que, concernant l'usage des véhicules de l'entreprise, il s'agit de véhicules de services et qu'il est interdit d'utiliser à titre personnel le véhicule mis à disposition par la société. Par ailleurs, aucune mention ne figure dans les documents contractuels portant sur la mise à disposition d'un véhicule de fonction et les bulletins de salaire ne font apparaître aucun avantage en nature. Aussi, l'avertissement était justifié par des éléments objectifs exempts de tout harcèlement moral.
3-2- L'employeur soutient que le défaut de paiement des maintiens de salaire pour la période d'arrêt du 3 mai au 12 septembre 2016 est justifié puisque selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le salarié qui est en grève demeure gréviste malgré la prescription ultérieure d'un arrêt de travail, le contrat de travail se trouvant suspendu au titre de la grève et qu'il ne peut alors percevoir de complément. Il ajoute que ce versement est conditionné à la transmission par le salarié du bordereau de prise en charge par la sécurité sociale au titre des indemnités journalières et qu'il se trouvait en situation de blocage en l'absence de remise de ces documents par la salariée.
La participation d'un salarié à une grève avant qu'il ne tombe malade emporte présomption qu'il aurait continué à participer à la grève s'il était resté en bonne santé. Cette présomption peut toutefois être combattue par la manifestation de volonté de se désolidariser des grévistes.
En l'occurrence, la salariée a indiqué à son employeur selon courrier du 14 septembre 2016 : '(...) Comme vous le savez suite à cette grève la dépression a pris le dessus sur mon état de santé (...)' puis par courriel du 1er décembre 2016 : 'On m'à parler de la grève mais je ne cesse depuis plus de 6 mois de justifier que je n'étais pas en grève mais en arrêt maladie reconnu par le médecin conseil de la sécurité social (...)'. Ce n'est donc qu'à compter du mois de septembre que la salariée a clairement manifesté la volonté de reprendre le travail, correspondant d'ailleurs à la période au cours de laquelle les autres salariés grévistes indiquaient individuellement à l'employeur leur volonté de reprise d'activité.
Il s'ensuit que le refus de paiement du maintien de salaire est objectivement expliqué par des éléments exempts de tout harcèlement moral.
3-3- En outre il ressort des échanges de mails entre les parties produits aux débats par l'employeur que la salariée n'a transmis ses attestations de versement des indemnités journalières de sécurité sociale que le 22 juin 2017, en sorte que le retard de paiement du maintien de salaire est objectivement expliqué par un élément exempt de tout harcèlement.
3-4- L'employeur convient ne pas avoir d'explication objective exempte de tout harcèlement moral concernant l'absence de reprise de paiement en application des dispositions de l'article L.1226-4 du code du travail.
En définitive, le fait de ne pas avoir repris le paiement des salaires dans le mois de l'avis d'inaptitude sur la période du 1er janvier 2017 au 18 janvier 2017 qui ne pouvait donner lieu qu'à un versement mensuel, ne constituant qu'un seul fait, ne peut pas être constitutif de harcèlement moral. La salariée sera en conséquence déboutée de sa demande de reconnaissance de harcèlement moral et de sa demande de dommages et intérêts subséquente.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ces demandes au titre du harcèlement moral.
Sur la demande subsidiaire de dommages et intérêts pour exécution déloyale
Il résulte des dispositions de l'article L.1222-1 du code du travail que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
La charge de la preuve de l'exécution déloyale incombe à celui qui l'invoque.
En l'occurrence, il a été vu ci-dessus que la transmission tardive des attestations de salaire n'était pas établie.
Par ailleurs, la salariée ne rapporte pas la preuve de l'exécution déloyale du contrat de travail en ce qui concerne l'absence de paiement du maintien de salaire pour la période de mai à septembre 2016, ni dans le retard de paiement du maintien de salaire et les retards de transmission des éléments permettant la prise en charge par la prévoyance.
Le manquement de l'employeur est en revanche établi en ce qui concerne la violation des dispositions de l'article L.1226-4 du code du travail, mais la salariée ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui qui est réparé par l'intérêt moratoire portant sur le paiement des sommes allouées par le conseil de prud'homme à ce titre.
Elle sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ce chef de demande.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La cour rappelle que la société Guy Challancin est condamnée aux dépens de l'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'aide juridictionnelle ainsi qu'à payer à la SELARL Ritouet Ruiz avocats au barreau de Lyon, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700-2° du code de procédure civile, en l'absence de demande complémentaire expressément mentionnée.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Dans la limite de la dévolution et de la saisine après renvoi de cassation,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [Y] de ses demandes tendant à voir reconnaître qu'elle a été victime d'un harcèlement moral, de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de sa demande subsidiaire de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
Y ajoutant,
RAPPELLE que la société Guy Challancin est condamnée à payer à la SELARL Ritouet Ruiz avocats au barreau de Lyon, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700-2° du code de procédure civile ;
RAPPELLE que la société Guy Challancin est condamnée aux dépens de l'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'aide juridictionnelle.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE