La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/07/2024 | FRANCE | N°23/04794

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 03 juillet 2024, 23/04794


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 23/04794 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PA4Y



Société [Adresse 7] INDUSTRIES

C/

[W]



Saisine sur renvoi de la cour de cassation



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLEFRANCHE SUR SAONE

du 03 Juin 2019

RG : 18/00072



Arrêt de la Cour d'appel de LYON section C

du 01 juillet 2021

RG : 19/04279



Arrêt de la Cour de cassation

du 01 juin 2023

Arrêt n°629 F-D



COUR D'A

PPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 03 JUILLET 2024







DEMANDERESSE À LA SAISINE :



Société [Adresse 7] INDUSTRIES

[Adresse 1]

[Localité 4]



représentée par Me Laurent LIGIER de l...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 23/04794 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PA4Y

Société [Adresse 7] INDUSTRIES

C/

[W]

Saisine sur renvoi de la cour de cassation

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLEFRANCHE SUR SAONE

du 03 Juin 2019

RG : 18/00072

Arrêt de la Cour d'appel de LYON section C

du 01 juillet 2021

RG : 19/04279

Arrêt de la Cour de cassation

du 01 juin 2023

Arrêt n°629 F-D

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 03 JUILLET 2024

DEMANDERESSE À LA SAISINE :

Société [Adresse 7] INDUSTRIES

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Bruno DEGUERRY de la SELARL DEGUERRY, PERRIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

DÉFENDEUR À LA SAISINE :

[L] [W]

né le 02 Mai 1962 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

et ayant pour avocat plaidant Me Sylvain FLICOTEAUX de la SELARL DELMAS FLICOTEAUX, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 26 Mars 2024

Présidée par Catherine MAILHES, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Catherine MAILHES, présidente

- Nathalie ROCCI, conseillère

- Anne BRUNNER, conseillère

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 03 Juillet 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [W] (le salarié) a été embauché par le 20 avril 2009 par la société [Adresse 7] industries,

en qualité de pilote multi-sites en expertise moulage, statut cadre, position II, coefficient 135, dans le cadre d'un forfait annuel en jours de 218 jours.

Au dernier état de la relation contractuelle, soumise aux dispositions de la convention collective de la métallurgie, il occupait le poste de directeur d'usine, sur le site [Adresse 5] de la société.

Il bénéficiait depuis le 2 juillet 2014 d'une délégation de pouvoirs et de responsabilité en matière d'hygiène et de sécurité.

Le 21 octobre 2017, la société l'a convoqué à un 'entretien RH' pour le 23 octobre et un compte-rendu de cet entretien lui a été notifié par courriel le 27 octobre 2017.

Par courrier du 24 novembre 2017, le salarié a répondu aux griefs contenus dans le compte rendu de l'entretien de recadrage. Ayant été approché le 22 novembre en vue d'une rupture conventionnelle de son contrat de travail, il indiquait également dans ce courrier ne pas s'opposer à une recherche de solution transactionnelle.

Il a été convoqué à un entretien avec le directeur des ressources humaines à cette fin le 28 novembre.

Par courrier du 30 novembre 2017, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Par lettre du 6 décembre 2017, il a pris acte de cette convocation et réitéré à l'employeur les observations précédemment formulées selon lesquelles il n'était pas en mesure d'accepter une rupture conventionnelle dans des conditions qui seraient inférieures à celles qui résulteraient d'un licenciement.

Par lettre du 15 décembre 2017, la société [Adresse 7] Industries a notifié à M. [W] son licenciement pour faute grave.

Le 1er juin 2018, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Villefranche-sur-Saône aux fins de voir la société condamnée à lui verser une indemnité compensatrice de préavis (62 036,34 euros), et congés payés afférents (6 203,63 euros), une indemnité conventionnelle de licenciement (62 036,34 euros), des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (82 715,12 euros) et une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile (3 000 euros).

Par jugement du 3 juin 2019, le conseil de prud'hommes de Villefranche-sur-Saône a :

requalifié le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de M. [W] par la société [Adresse 7] Industrie, en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

condamné en conséquence la société [Adresse 7] Industrie à lui verser les sommes suivantes :

62 036,34 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

6 203,63 euros au titre des congés payés afférents au préavis ;

62 036,34 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

20 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;

1 500 euros en application de l'article 700 du code de la procédure civile ;

débouté M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

débouté M. [W] de sa demande de production de justificatifs comptables sous astreinte et d'expertise comptable ;

débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

condamné la société [Adresse 7] Industrie aux entiers dépens.

La société [Adresse 7] Industrie a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 1er juillet 2021, la cour d'appel de Lyon a :

confirmé le jugement déféré en ce qu'il a :

condamné la société [Adresse 7] Industrie à verser à M. [W] les sommes suivantes :

- 62 036,34 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 6 203,63 euros au titre des congés payés afférents au préavis,

- 62 036,34 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté M. [L] [W] de ses demandes de production de justificatifs comptables sous astreinte, d'expertise comptable et de sursis à statuer ;

l'a réformé pour le surplus ;

statuant à nouveau,

dit que le licenciement de M. [W] est sans cause réelle et sérieuse ;

condamné en conséquence la société [Adresse 7] Industries SAS à payer à M. [L] [W] la somme de 82 700 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,

par application de l'article 1231-7 du code civil ;

débouté M. [L] [W] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ; ordonné le remboursement par la société [Adresse 7] Industries SAS à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à M. [L] [W] dans la limite de six mois en application de l'article L. 1235-4 du code du travail ;

condamné la société [Adresse 7] Industries SAS à payer à M. [L] [W] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société [Adresse 7] Industries SAS La condamne aux dépens d'appel, avec distraction au profit de Me Aguiraud, avocat, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société [Adresse 7] Industries a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, et M. [W] un pourvoi incident.

Par arrêt du 15 février 2023, la cour de cassation a :

rejeté le pourvoi incident ;

cassé et annulé, sauf en ce qu'il déboute M. [W] de ses demandes de production de justificatifs comptables, d'expertise et de sursis à statuer, l'arrêt rendu le 1er juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

remis, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;

condamné M. [W] aux dépens ;

en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes ;

dit que sur les diligences du procureur général près la cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.

Par arrêt du 1er juin 2023, la cour de cassation a :

rabattu partiellement l'arrêt n°157 rendu le 15 février 2023 par la chambre sociale de la Cour de cassation et statuant à nouveau ;

dit que le dispositif de l'arrêt est rectifié comme suit :

« CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [W] de ses demandes de production de justificatifs comptables, d'expertise, de sursis à statuer ainsi que de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, l'arrêt rendu le 1 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne M. [W] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ; »

laissé les dépens du présent arrêt à la charge du Trésor public ;

dit que le présent arrêt sera transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement rabattu ;

dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

dit que le délai de l'article 1034 du code de procédure civile ne court qu'à compter de la notification du présent arrêt.'.

Par déclaration reçue au greffe le 8 juin 2023, la société [Adresse 7] Industries a saisi la cour d'appel de renvoi.

Dans le dernier état de ses conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 4 août 2023, la société [Adresse 7] Industries demande à la cour de :

réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Villefranche-sur-Saône du 3 juin 2019 en ce qu'il a écarté la faute grave, requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse et alloué à M. [W] ses indemnités de rupture et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

juger que M. [W] a commis une faute grave ;

juger que c'est à juste titre que l'employeur a procédé à son licenciement pour faute grave ;

en conséquence,

le débouter de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

le débouter de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis ;

le débouter de sa demande au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

le condamner à payer à la société [Adresse 7] Industries la somme de 4.000 euros sous le visa des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance ;

le condamner aux entiers dépens.

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 28 septembre 2023, M. [W] demande à la cour de :

confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Villefranche-sur-Saône en ce qu'il a condamné la société SJI à lui verser les sommes suivantes :

62 036,34 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

6 203,63 euros au titre des congés payés afférents,

62 036,34 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement,

1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Villefranche-sur-Saône en ce qu'il a :

requalifié le licenciement pour faute grave notifié à M. [W] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

débouté M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

statuant de nouveau de ces chefs :

dire que le licenciement de M. [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

en conséquence,

condamner la société [Adresse 7] Industries à payer la somme de 82 715,12 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (8 mois) ;

y ajoutant :

condamner la société [Adresse 7] Industries à payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société [Adresse 7] Industries aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de Me Aguiraud, avocat sur son affirmation de droit.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

La société fait valoir que :

- au titre de l'augmentation inquiétante des accidents du travail dès le début de l'année 2017, en valeur absolue et concernant leur taux de fréquence et taux de gravité, elle a fait face à l'inertie fautive du salarié dans la mise en oeuvre des mesures correctives malgré les nombreuses alertes de son employeur et du CHSCT ;

- le salarié a adopté, au cours de la réunion du 20 novembre 2017, un comportement caractérisant non seulement des faits de menaces et de discrimination, mais également un délit d'entrave au fonctionnement du CHSCT ;

- contrairement aux affirmations du salarié, la délégation de pouvoir était valable, et ce dernier pouvait parfaitement prendre les décisions nécessaires dans le cadre de l'administration et de gestion de l'usine dont il était responsable, notamment s'agissant des dépenses nécessaires en matière d'hygiène et de sécurité ; à de nombreuses reprises le salarié a sollicité des demandes d'investissements relatifs à la gestion de l'administration du site de la société dont il avait la charge, démontrant ainsi l'autonomie dont il bénéficiait ;

- le comportement fautif du salarié s'est poursuivi ou a été réitéré au-delà du 23 octobre 2017, et l'existence des nouveaux faits en date des 13, 20 et 23 novembre l'autorisait à tenir compte des griefs antérieurs qu'ils aient été ou non sanctionnés ;

- en tout état de cause, la lettre de recadrage du 23 octobre 2017 ne constitue pas une sanction dès lors qu'elle se contente d'inviter le salarié à respecter ses obligations.

Le salarié soutient que :

- la délégation de pouvoirs, qui ne lui a été consentie qu'en 2014 suite à un accident survenu en 2012, lui est inopposable, en raison de l'absence d'autonomie pour engager les dépenses ou les travaux nécessaires en matière d'hygiène et de sécurité et de mise en conformité des locaux et l'immixtion de ses supérieurs hiérarchiques dans le domaine de l'hygiène et de la sécurité ;

- s'agissant des quatre premiers griefs, à savoir l'augmentation du nombre d'accidents du travail sur le site de [Localité 4] en 2017, l'absence ou la tardiveté de réaction aux demandes et interpellations du CHSCT, l'inertie face aux observations de l'inspection du travail et le défaut de réaction aux interventions de la direction générale, l'employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire, le recadrage du 23 octobre 2017 s'analysant comme une sanction, et qu'en tout état de cause, ces griefs sont prescrits en application de l'article L.1332-4 du code du travail comme antérieurs de plus de deux mois à l'engagement de la procédure de licenciement ;

- concernant les griefs des 13, 20 et 23 novembre 2017, le salarié fait valoir :

- que le procès-verbal de l'inspection du travail du 13 novembre 2017 écarte expressément sa responsabilité dans l'accident du 23 août 2017, qu'en tout état de cause, l'employeur avait connaissance de l'infraction par le rapport d'enquête du 30 août 2017, celui-ci relevant déjà l'absence de procédure d'intervention lors de dysfonctionnements de l'îlot robotisé de sorte que le grief est prescrit et/ou purgé par le courrier de recadrage,

- que des mesures correctives ont bien été prises suite aux observations de l'inspectrice du travail dans son rapport du 30 août,

- que l'accident du 20 novembre 2017 n'est pas lié à une machine de même type que celle

en cause dans l'accident du 23 août et que la mise en place de la procédure d'intervention prévue à l'article R.4323-15 du code du travail n'est pas systématique,

- qu'il ne pouvait lui être reproché d'être absent à une réunion du CHSCT alors qu'il était en congés payés acceptés et validés par l'employeur,

- qu'il traitait l'ensemble des demandes et revendications du CHSCT dont il était destinataire avec diligence, que le CHSCT était systématiquement informé et consulté dans les cas prévus par la loi,

- que le courrier daté du 29 novembre 2017 signé de Mme [G] et de son époux est insuffisant à établir la véracité des propos qu'il rapporte, qu'il n'est corroboré par aucun

élément objectif tel qu'une attestation en bonne et due forme ou le compte-rendu de la réunion du CHSCT du 23 novembre 2017, qu'il n'a donné lieu à aucune enquête,

- qu'il a accompli les diligences nécessaires et oeuvré pour la mise en place des actions correctives suggérées par le CHSCT, après les accidents du travail de M. [U], et ce grief ne permet pas d'établir la matérialité des faits qui lui sont reprochés et est prescrit.

***

Si la lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables, l'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier ce motif.

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des griefs invoqués et de former sa conviction au vu des éléments fournis pas les parties, le doute profitant au salarié.

La charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse n'incombe pas particulièrement à l'une ou l'autre partie.

Toutefois, la charge de la preuve de la gravité de la faute privative des indemnités de préavis et de licenciement incombe à l'employeur et tel est le cas d'espèce.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.

Aux termes de la lettre de licenciement du 15 décembre 2017 qui fixe les limites du litige, il est reproché au salarié les griefs suivants :

' Nous faisons suite à l'entretien préalable qui s'est tenu le 12 décembre dernier et auquel vous vous êtes présenté seul.

Au cours de celui-ci, nous vous avons exposé les raisons pour lesquelles nous envisageons la rupture de votre contrat de travail, et que nous reprenons ci-après.

1°) Vous avez été engagé par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 avril 2009, en qualité de « ' Pilote multi-sites en expertise moulage ' » et vous occupez les fonctions de « ' Directeur d'usine ' » du site de [Adresse 7] Industries [Adresse 5] depuis le 1er septembre 2011.

A ce titre, vous êtes notamment, tenu de «'veiller à l'application des règles d'hygiène et de sécurité pour l'ensemble du site ' ».

Une délégation de pouvoirs régularisée en juillet 2014 précise clairement l'étendue de cette obligation.

Or, des manquements graves et persistants à cette responsabilité fondamentale ont été constatés depuis plusieurs mois et aucune mesure corrective satisfaisante n'a été prise malgré des tentatives tendant à vous alerter sur une dégradation manifeste des conditions de travail des salariés travaillant sur le site dont vous avez la charge.

2°) Ainsi, pour l'année 2017, le nombre d'accidents du travail a plus que doublé par rapport à l'année 2016 (27 en 2017 contre 12 en 2016), pour atteindre un niveau des plus élevés constaté ces dernières années. D'autres indicateurs tels que le taux de fréquence, le taux de gravité et le nombre de jours d'arrêts sont également anormalement élevés.

Bien que vous ayez connaissance de cette situation, vous n'avez entrepris aucune démarche pour inverser cette dangereuse dégradation, vous êtes resté sans réaction :

- Aux nombreuses interpellations des membres du CHSCT qui a menacé d'user de son droit d'alerte le 17 juillet 2017 dont vous vous êtes ému par une remarque des plus déplacée « ' cela nous laisse espérer des mauvaises journées à venir ' »

- Aux observations et conclusions de l'inspection du travail actées dans le cadre d'un courrier daté du 4 avril 2017, (une réponse ayant été envoyée près de 4 mois après ce courrier)

- Aux interventions de la Direction générale pour pallier vos carences et tenter de ne pas être en rupture avec les membres du C.H.S.C.T. en particulier et les salariés en général

- Aux plans d'actions arrêtés en accord avec le C.H.S.C.T. en juin 2017 mais dont il apparaît que vous ne les avez toujours pas mis en 'uvre.

Ces éléments ont fait l'objet d'un recadrage à votre égard lors d'un entretien le 23 octobre 2017 mais force est de constater que vous n'entendez pas prendre la mesure de la situation dont vous êtes seul à ne pas prendre conscience de sa gravité.

3°) La situation est aujourd'hui extrêmement préoccupante puisque l'inspection du travail a, par courrier daté du 13 novembre 2017, relevé à l'encontre de la société un procès-verbal qui sera transmis au Procureur de la République au titre du non-respect de l'article R.4323-15 du code du travail.

Par sa décision, l'inspection du travail sanctionne donc l'absence de procédures d'intervention lors de dysfonctionnements (absence de notice, de fiche) que vous êtes tenu de mettre en place conformément à la législation applicable en cette matière exposant la société au risque pénal avéré.

Ce constat particulièrement alarmant a été de nouveau illustré par la survenance d'un nouvel accident du travail en date du 20 novembre dernier sur l'équipement convoyeur WF2 où un opérateur a débloqué une palette coincée sur le translateur et ce salarié a par cette opération heurté son pied contre le translateur puis a été bloqué par ce dernier contre le bâti. Il y a là de toute évidence des procédures d'intervention en pareille situation qui ne sont toujours pas conformes aux prescriptions pourtant rappelées en août dernier par l'inspection du travail.

Cet accident a été évoqué durant une réunion du CHSCT du 8 décembre dernier, réunion à laquelle vous ne vous êtes même pas rendu pour cause de congés posés quelques jours auparavant.

4°) Lors de la réunion du C.H.S.C.T., qui s'est tenue le 23 novembre dernier, les membres ont dénoncé le mépris dont vous faisiez état à leur égard depuis plusieurs mois alors qu'ils n'ont eu de cesse de vous informer de situations inacceptables pour les salariés.

Il a ainsi été porté à la connaissance de tous les propos que vous avez tenus à l'égard du secrétaire, Mme [G], laissant sous-entendre qu'à la fin de son mandat, elle pourra être licenciée.

Les membres du C.H.S.C.T. dénoncent également votre inertie face à leurs sollicitations au regard d'une situation de plus en plus préoccupante mais également de leur impossibilité de mener à bien leurs missions au regard d'un contexte dont la gravité en termes de conditions de sécurité et de santé au travail n'est plus à démontrer.

A titre d'exemple, la « consultation » du C.H.S.C.T. préalablement à la construction d'un chapiteau entre les deux quais d'expédition n'a été réalisée que la veille du commencement de travaux et parce que les membres du C.H.C.S.T. vous ont fait part du non-respect des procédures en cette hypothèse, exposant une nouvelle fois la société à un délit d'entrave.

5°) Lors de l'entretien préalable, vous avez indiqué que le nombre important d'intérimaires expliquait pour partie le nombre croissant d'accidents du travail ainsi que la mesure visant à maintenir la prime de présentéisme lors d'une absence liée à un accident du travail devait également y contribuer.

De telles explications, outre le fait qu'elles démontrent l'absence de prise de conscience de la situation, ne sont pas acceptables.

La présence de nombreux intérimaires, qui reçoivent une formation sécurité à leur arrivée, ne saurait expliquer l'augmentation anormale des indicateurs précités. De même, comment pouvez-vous considérer qu'au prétexte de pouvoir bénéficier d'une prime, les salariés seraient prêts à s'exposer à des dommages sur leur propre personne '

Enfin, vous nous avez expliqué que la responsabilité de cette situation devait être également partagée avec la direction générale du groupe qui pouvait tarder à valider les investissements en lien avec des équipements permettant d'améliorer les conditions de travail.

Ces explications ne sont pas recevables au regard de vos obligations auxquelles vous êtes tenu. Ainsi, et à titre d'exemples, la mise en place de fiche d'instructions de procédure d'intervention en cas de dysfonctionnements, la consultation des membres du C.H.S.C.T., la nécessité de faire respecter par les managers (que vous refusez de voir sanctionner) les règles élémentaires de sécurité ne nécessitent pas d'investissements en terme d'équipements.

A ce stade, aucune démarche, tant sur le fond que sur la forme, n'a été mise en 'uvre pour tenter de remédier au contexte dégradé du site dont vous avez la responsabilité bien au contraire, vous vous obstinez à ne rien entreprendre ignorant un climat de souffrances de plus en plus pesant.

De tels agissements sont intolérables et ne peuvent perdurer.

6°) Afin de tenir compte de votre ancienneté et de votre implication professionnelle jusqu'à récemment au sein de la société, nous avons entrepris une démarche vous proposant une rupture conventionnelle de votre contrat de travail à laquelle vous n'avez pas adhéré comme cela est votre droit.

Pour notre part, nous ne pouvions pas ne pas réagir à la situation pour laquelle nous avons initié la présente procédure.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, nous ne pouvons plus vous maintenir parmi nos effectifs et vous notifions votre licenciement pour faute grave. /.../ '.

Ainsi la lettre de licenciement invoque :

une absence de démarche pour inverser la dégradation en matière de sécurité au travail en 2017 qui s'est traduite par une augmentation du nombre d'accidents du travail sur le site de [Localité 4],

une absence de mesure visant à faire respecter les règles de sécurité, une inertie face aux observations de l'inspection du travail dont l'absence de mise en place d'une procédure d'intervention lors de dysfonctionnement à l'origine d'un accident du travail,

une absence ou une tardiveté de réaction aux demandes et interpellations du CHSCT et une attitude caractérisant une entrave aux fonctions de l'un de ses membres.

Le salarié bénéficie d'une délégation de pouvoir qui lui a été conférée le 2 juillet 2014, en sus de l'obligation générale de respect des règles d'hygiène et de sécurité prévue à son contrat de travail précisant que ce dernier, doit, compte tenu de ses compétences techniques et professionnelles et de son expérience, assumer notamment en matière d'hygiène, de sécurité et d'environnement, les responsabilités suivantes :

Contrôler la conformité à la réglementation en vigueur de toutes les installations existantes et à venir ainsi que de la maintenance ;

Mettre en place tous les dispositifs de sécurité nécessaires pour assurer la sécurité des salariés et des intervenants. Il convient à cet égard de respecter la réglementation en vigueur mais aussi de prendre toutes initiatives utiles en vue de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles ;

Organiser et mettre en oeuvre l'information et la formation pratique à la sécurité dans mes conditions fixées notamment par les articles L.231-1 et R231-42 à 45 du code du travail ;

Veiller au respect de la réglementation relative à la prévention des incendies ;

Veiller au respect de la réglementation relative à la protection de l'environnement ;

Vérifier qu'une procédure d'alerte efficace et répondant à des délais d'urgence fonctionne ;

Vérifier en outre que tous les équipements et machines sont dans un état de fonctionnement normal et présentent toute sécurité au regard d'éventuels dangers de pollution et de nuisances.

Dès lors que le contrat de travail stipule que le salarié avait l'obligation de veiller à l'application des règles d'hygiène et de sécurité pour l'ensemble du site, la délégation de pouvoir qui précise l'étendue de cette obligation s'insère dans la sphère contractuelle et est valable. Le salarié doit donc répondre des fautes commises dans l'exécution de ses obligations en matière de sécurité au travail dès lors qu'il dispose des moyens et de l'autorité pour mettre en oeuvre les mesures nécessaires à leur bonne exécution. L'effectivité de la délégation de pouvoir doit ainsi s'apprécier pour chaque manquement en fonction de l'organisation et des moyens mis à la disposition du salarié pour assurer ses obligations, sans que l'inopposabilité de la délégation de pouvoir puisse être prononcée a priori et de façon générale.

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

L'employeur est néanmoins fondé à prendre en compte un fait antérieur de plus de deux mois si le comportement fautif du salarié s'est poursuivi ou a été réitéré dans ce délai et s'il s'agit de faits de même nature, peu important que les premiers faits aient été ou non d'ores et déjà sanctionnés.

Il convient ainsi, de vérifier la matérialité des faits des 13, 20 et 23 novembre 2017 à l'effet de déterminer s'ils ont pu faire revivre les griefs antérieurs de plus de deux mois à l'engagement de la procédure de licenciement, qui sont :

- une absence de procédure d'intervention lors du dysfonctionnement ayant conduit l'inspection du travail à relever un procès-verbal à l'encontre de la société par courrier du 13 novembre 2017;

- la survenance d'un accident du travail le 20 novembre 2017 évoqué lors d'une réunion du CHSCT du 8 décembre 2017 à laquelle M. [W] ne s'est 'même pas rendu' ;

- un mépris à l'égard du CHSCT existant depuis plusieurs mois qui aurait été évoqué à l'occasion d'une réunion du 23 novembre 2017 et une inertie face aux sollicitations de ses membres.

1-1- Le procès-verbal d'infraction établi le 13 novembre 2017 par l'inspection du travail à l'encontre de la société [Adresse 7] industries fait suite à l'accident du travail du 23 août 2017 qui s'est produit sur un îlot robotisé dit Gauss 2 et selon lequel, il est reproché à l'employeur d'avoir admis qu'une salariée, Mme [N], soit intervenue sur une opération de maintenance, réglage sans que des mesures soient prises pour empêcher la remise en marche inopinée des transmissions, mécanismes et équipements de travail en cause et sans qu'une disposition particulière n'ait été prise pour empêcher l'accès aux zones dangereuses ou pour mettre en oeuvre des conditions de fonctionnement, une organisation du travail ou des modes opératoires permettant de préserver la sécurité des travailleurs, constituant une infraction à l'article R.4323-15 du code du travail et réprimée par l'article L.4741-1 du même code.

Cet accident du travail avait donné lieu à rapport d'enquête de l'inspectrice du travail le 30 août 2017, reçu par l'employeur le 4 septembre 2017. Or ce rapport relevait déjà l'absence de notice, fiche de procédure d'intervention lors de dysfonctionnements, en sorte que la faute reprochée au salarié était connue de l'employeur depuis plus de deux mois à la date de l'engagement de la procédure de licenciement le 30 novembre 2017 et que le grief est prescrit. En outre, il ressort du courriel du 19 octobre 2017 de Mme [O], responsable HSE, qu'un plan d'action avait été décidé le 31 août 2017, en suite des observations de l'administration. Ainsi des mesures correctives avaient été prises et l'inertie du salarié n'est pas démontrée à ce titre.

1-2- L'accident de M. [Y] est survenu le 20 novembre 2017 sur une machine de type convoyeur : en déplaçant une palette bloquée sur le translateur, celui-ci est revenu à sa position initiale et a percuté le pied droit du salarié en le bloquant contre le bâti.

Il ne ressort pas du rapport d'enquête que cette situation ait relevé d'une des procédures d'intervention visées à l'article R.4323-15 du code du travail ni que cet accident ait été en lien avec l'absence d'une telle procédure, de sorte qu'il n'est pas établi qu'il est consécutif à un manquement de M. [W] à ses obligations en matière de sécurité.

Il ne saurait pas plus être reproché au salarié d'avoir été absent à la réunion du CHSCT du 8 décembre 2017, consécutive au dit accident dès lors que celui-là était en congés à cette date, s'agissant de congés qui avaient été avalisés par l'employeur. Aucune faute ne lui est donc imputable au titre de cette absence.

Sur le grief selon lequel le salarié n'aurait pas réagi pour informer l'instance représentative du personnel des mesures mises en oeuvres au titre du plan d'action prédéfini, il ressort du rapport d'enquête interne sur l'accident du travail qu'un plan d'action avait été défini et remis au secrétaire du CHSCT le 5 décembre 2017 et diffusé aux services HSE et RUPA le même jour. Le CHSCT a envoyé le 7 décembre 2017, un courriel notamment à M. [W], joignant l'analyse de l'accident du travail de M. [Y] et demandant de prendre en compte les actions correctives demandées et de l'informer dès qu'elles seraient soldées.

M. [W] était absent en congés du 6 au 11 décembre 2017 inclus, en sorte qu'il ne lui était pas matériellement possible de mettre en oeuvre un plan d'action en l'espace de trois jours de travail effectif, dont une journée au cours de laquelle il devait se présenter à l'entretien préalable à licenciement. Le défaut de réaction n'est donc pas constitutif d'une faute et ne saura pas retenu par la cour.

1-3- Sur le mépris à l'égard du CHSCT existant depuis plusieurs mois qui aurait été évoqué à l'occasion d'une réunion du 23 novembre 2017 et une inertie face aux sollicitations de ses membres

Au soutien du grief tenant au comportement du salarié envers le CHSCT et sa secrétaire Mme [G], l'employeur verse un courrier dactylographié signé des deux époux [G], membres de cette même institution représentative du personnel, remis en mains propres à M. [D], directeur des ressources humaines, le 30 novembre 2017, faisant état de ce que :

'(...) Dans ce contexte nous avons à de multiples reprises interpellé M. [W], directeur du site, pour faire part de nos alertes et demander des explications et des solutions concrètes. C'est souvent avec un grand mépris que nous avons été reçus en argumentant que nous cherchions toujours à ralentir la production, ce qui n'est pas très respectueux pour notre travail (...)

Enfin, nous avons évoqué lors de la dernière réunion du CHSCT du jeudi 23 novembre 2017, en présence de l'inspection du travail, du médecin du travail, de l'ergonome de santé au travail, et de la psychologue de santé au travail, d'un fait extrêmement grave impliquant la secrétaire du CHSCT. En effet, la secrétaire du CHSCT avait fait part quelques semaines auparavant de son indignation relativement à la répétition d'un accident du travail dans les mêmes circonstances et sur la même personne sans que rien ne soit mis en place pour l'éviter. La secrétaire du CHSCT avait pris soin d'informer de cette situation inacceptable M. [W], et vous mettant en copie M. [E] [C], ainsi que le Directeur des opérations (M [I] [P]). Cette démarche avait largement déplu à M. [W] qui avait dit à la secrétaire du CHSCT : 'Vous savez qu'à [Adresse 7] Industrie vous avez un contrat de travail, par contre vous êtes titulaire d'un mandat du CHSCT'. Ces propos sont des menaces à peine déguisées, qui sous-entendent qu'à la fin du mandat du CHSCT, la secrétaire pourra être licenciée. Les propos de cette altercation ont donc été reporté durant la dernière réunion du CHSCT et M. [W] n'avait eu pour seule défense : 'Je n'ai pas en tête la nature de ces propos'.

Vous comprendrez M. [C], qu'un tel mépris du CHSCT ne peut perdurer et nous demandons que nos missions puissent s'accomplir en toute sérénité et que l'on puisse faire diminuer le nombre d'accidents du travail sur le site de [Adresse 7] Industries (...)'

Ce courrier, qui n'est aucunement corroboré par des attestations relatant la teneur des propos tenus par M. [W] à l'encontre de la secrétaire du CHSCT ni par le compte-rendu de la réunion du dit comité d'hygiène et de sécurité du 23 novembre 2017, est insuffisant à établir la véracité des propos imputés au salarié ni le sens menaçant qui leur est prêté. Il n'est pas plus produit d'élément objectivant le mépris dont M. [W] aurait fait preuve à l'encontre des membres du CHSCT.

Concernant la consultation tardive du CHSCT sur la construction d'un chapiteau entre deux quais d'expédition, la seule pièce dont l'employeur se prévaut au soutien de ce grief est le courrier de Mme [G] et de son époux du 29 novembre 2017 sus-visé, au sein duquel ils ont également exposé avoir été 'informés fortuitement la semaine dernière de la construction d'un chapiteau entre les deux quais d'expédition sans que le CHSCT ne soit consulté!!!Nous avons exprimé notre insatisfaction et avons exigé une réunion de présentation du projet qui a pu se faire la veille du début des travaux'. Or il ressort du courriel de M. [W] du 17 novembre 2017 que ce dernier avait été informé de la nécessité de mettre en place un chapiteau extérieur pour retrouver une surface de préparation des expéditions ce jour à 11h46 et qu'il demandait par retour de mail à [A] [R] de faire une présentation du projet au CHSCT en mettant l'accent sur le fait que c'était une obligation envers les instances. Ce faisant et au regard de l'urgence dans laquelle a été construit ce chapiteau, aucun mépris ni inertie n'est démontrée envers l'instance représentative du personnel à ce titre.

2- Sur la nature du recadrage

Selon l'article L.1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prises par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

La lettre par laquelle l'employeur adresse divers reproches au salarié et le met en demeure d'apporter un maximum de soin à l'exécution de son travail sanctionne un comportement fautif.

Aux termes du compte rendu de l'entretien de recadrage du 23 octobre 2017 notifié au salarié le 26 octobre 2017, lui ont été reprochés divers manquements en matière de gestion des requêtes du CHSCT. Néanmoins, il n'apparaît pas qu'une quelconque mesure susceptible d'être analysée en une sanction ait été prise à son encontre dès lors qu'il lui a seulement été rappelé l'obligation de sécurité en tant qu'employeur et demandé de mettre en oeuvre une gestion de ces situations notamment dans sa relation avec le CHSCT permettant d'éviter toute dérive (droit d'alerte, procès-verbal de l'inspection du travail, mise en demeure)' et de prendre conscience des écarts sur les trois domaines évoqués et de démontrer sa capacité à réagir et de respecter a minima sur le dernier trimestre 2017 les objectifs exposés durant l'entretien et qui sont dans le champ de ses responsabilités.

M. [W] ne saurait dès lors soutenir que les reproches mentionnés dans ce compte rendu ont déjà été sanctionnés et que le pouvoir disciplinaire de l'employeur est épuisé à leur sujet.

3- Sur les faits entre le 30 septembre 2017 et le recadrage

Il ressort du courriel du CHSCT du 12 octobre 2017 que ce dernier s'est plaint que ses plans d'action n'avaient pas été pris en compte à la suite des deux accidents dont M. [U] avait été victime les 30 mai et 1er août 2017. Ce courriel a été envoyé notamment à M. [W] et en copie à MM [P] et [D].

Or à cet égard l'institution représentative du personnel avait effectivement, à la suite de ces accidents préconisé des actions correctives, dans un délai fixé au 1er octobre 2017 pour l'accident du 30 mai et immédiatement en ce qui concernait le déplacement de la baie informatique et à la fin octobre 2017 (en ce qui concernait la modification du goulet d'entrée du broyeur pour absorber l'ensemble des copeaux) pour celui du 3 août.

Ce n'est que par le courriel du 18 octobre 2017, que le salarié a indiqué au comité d'hygiène et de sécurité qu'une intervention serait faite par le service chaudronnerie en semaine 44 et une intervention de la société H2L se ferait en semaine 45 pour la modification de la goulotte. Il a en revanche indiqué que le déplacement d'une baie informatique n'était pas à l'ordre du jour.

La matérialité de l'inertie dans la réponse apportée aux préconisations du CHSCT est donc avérée.

En attendant la relance du CHSCT, pour informer l'institution du rejet du plan d'action dans sa partie urgente alors même qu'elle nécessitait une réponse immédiate, et à tout le moins dès le début du mois de septembre, au retour de la période estivale, le salarié a fait preuve d'inertie fautive, qui ne saurait être imputable à l'employeur, dès lors qu'aucune démarche quelle qu'elle soit n'est justifiée de la part de celui-là sur cette action de remédiation portant sur la baie informatique.

Pour ce qui concerne l'intervention sur la goulotte, il ressort de l'ensemble des éléments du dossier que le salarié devait demander l'autorisation de la direction générale pour engager des dépenses non comprises dans le budget et qu'il ne disposait pas de l'autonomie inhérente à une délégation de pouvoir efficiente. D'ailleurs, l'inspectrice du travail a constaté au sein du procès-verbal du 23 novembre 2017 que ce dernier ne disposait pas de la latitude concernant le financement des mises en conformités demandées (sur l'équipement de travail Gauss 2)et qu'il devait obligatoirement passer par des demandes d'autorisation d'investissement accordées ou refusées par le président du groupe. Ce faisant, le délai de réponse induit par le délai de prise en charge des travaux de remédiation des accidents causés par le système de bennes à copeaux de la machine SW9 ne lui est pas imputable.

4- Sur la prescription et les faits antérieurs au 30 septembre 2017

L'inertie fautive du salarié dans sa réponse apportée au CHSCT portant sur la partie du plan d'action à exécuter immédiatement, a fait revivre les griefs de même nature, antérieurs au 30 septembre 2017, soit le grief tenant à l'absence ou la tardiveté de réaction aux demandes et interpellations du CHSCT ayant menacé d'user de son droit d'alerte le 17 juillet 2017 ainsi qu'aux plans d'action arrêtés en juin 2017, qui ne sont pas atteints par la prescription.

Aux termes du compte-rendu de la visite du 12 juin 2017 effectuée par le CHSCT sur l'UES [Adresse 7] Industrie/[Adresse 7] Tooling, des actions à mener en accord avec la direction avaient été définies et la direction en la personne de M. [W] s'était engagée à effectuer ces actions, rapidement afin de palier tous ces dysfonctionnements. Il s'agissait ainsi de :

1/ A- interdire les opérateurs d'aller chercher les bacs de pièces usinées non assemblées, sur les machines SW ou sous le chapiteau ;

B- interdire les opérateurs d'aller chercher ou d'emmener les caisses vides sous le chapiteau;

C- interdire aux opérateurs de descendre les cartons de composants un par un par les escaliers ;

D- faire descendre les composants par un cariste ou une personne habilitée à la conduite du gerbeur électrique ;

E- faire l'achat d'un voir deux transpalettes électriques (en fonction de la capacité de charge des batteries) avec un encombrement restreint afin de manipuler l'ensemble des bacs aux postes d'assemblage ;

2/ F- empêcher les piétons avec leur transpalette de passer par les portails automatiques e créant une zone tampon proche de l'atelier assemblage pour que les manutention se fassent loin des chariots élévateurs ;

3/ G- présentation du projet d'aménagement final des machines GROB (plate-forme...) ;

4/ E- programmation d'une réunion extraordinaire CHSCT présentant la nouvelle machine d'assemblage mise entre les machines SW5 et SW6 avec mode opératoire et cadence de productions ;

5/ F- programmation d'une réunion extraordinaire CHSCT pour information et consultation concernant la mise en place d'une seconde équipe de week-end qui devrait débuter le 24 juin 2017.

Or par courriel du 19 juin 2017, la secrétaire du CHSCT informait M. [W] et le responsable ressources humaines, M. [X], que le vendredi 16 juin elle avait remarqué devant la salle métrologie du secteur usinage, que les opérateurs montaient sur un escabeau pour récupérer les composants dans la mezzanine, s'exposant à une situation à risque similaire à celle dénoncée lors de la visite du 12 juin et au cours de laquelle il avait été décidé d'utiliser le gerbeur électrique ou le chariot pour descendre les composants en une seule fois. Le responsable RH indiquait alors au directeur sur ce point que face à certaines situations d'urgence et aléas de production, il n'était pas exclu qu'exceptionnellement, il faille descendre des composants manquants et d'utiliser un sac à dos pour y mettre les composants permettant ainsi de descendre en toute sécurité les escaliers avec les mains libres.

Il s'en induit que le plan d'action du 12 juin 2017 n'avait pas été mis en oeuvre ni même respecté par le salarié, sur les points 1/C et D.

Par ailleurs, la consultation du CHSCT était prévue sur les trois derniers points le 22 juin 2017 et une réunion extraordinaire du CHSCT a été organisée le 19 juin 2017 au cours de laquelle le salarié a indiqué qu'il souhaitait que les instances représentatives soient sollicitées plus en amont afin que les échanges soient plus productifs et qu'il a le 26 juin 2017 indiqué au CHSCT avoir informé les différentes personnes du site afin qu'elles respectent ce fonctionnement.

Les actions A, B et F étaient indiquées comme soldées dans le courriel de M. [X], en indiquant que l'opération serait faite par un cariste. Rien ne permet de considérer que cela n'en a pas été le cas, en sorte qu'aucune inertie n'est à déplorer dans la mise en oeuvre du plan d'action au titre des actions 1/A, B, 2/F, 3/G, 4/E, 5/F.

L'achat de transpalettes faisait l'objet d'une consultation par le service des achats avec indication que dès validation, une demande d'achats serait faite et en considération de l'absence de latitude du salarié sur les achats non budgétisés, le délai de mise en oeuvre de l'action 1/ E ne lui est pas imputable.

Le 17 juillet 2017, le CHSCT a informé la direction qu'il émettait un droit d'alerte sur l'installation de la nouvelle machine SW dès lors qu'elle n'était pas raccordée au système d'extraction de brouillard d'huile, alors même que lors de l'enquête du dit comité sur l'usinage, quelques mois auparavant, la direction de l'établissement avait pris l'engagement de mettre en place des solutions d'aspiration temporaires. Or si le 17 juillet 2017, ces solutions n'avaient pas été implantées, il ressort des courriers entre le contrôleur de sécurité de la caisse primaire d'assurance maladie et Mme [O], responsable HSE que le 15 juin 2017, une offre préliminaire de la société Aspirelec avait état reçue mais ne prenait pas en compte la partie adduction d'air, que le salarié M. [V] devait s'en occuper afin de compléter les points de prélèvement et les solutions techniques (le 26 juin).

M. [W] avait, de son côté, à la réception de l'information portant sur l'exercice par le CHSCT de son droit d'alerte, immédiatement organisé une réunion le 17 juillet 2017. A la fin août 2017, il n'y avait toujours rien si bien que M. [W] avait, par courriel du 4 septembre 2017, demandé à M. [P], directeur des opérations industrielles, de faire avancer la DAI sur l'aspiration de l'usinage.

Il s'induit de ces éléments que le directeur de l'établissement a agi dans les limites de son pouvoir au regard de l'absence de latitude portant sur les décisions engageant des fonds non budgétisés et qu'il n'est pas relevé de faute à cet égard.

Les autres faits, dont l'inertie dans la réponse à la demande de M. [D] du 9 juin 2017, qui lui demandait son aide pour rappeler les consignes de sécurité, sur le port des casques de protection pour les opérations sur chariot élévateur, qui ne relèvent pas d'une inertie aux demandes du CHSCT, sont quant à eux prescrits.

En définitive le salarié a fait preuve d'une inertie fautive dans la mise en oeuvre des plans d'action préconisés par le CHSCT les 30 août 2017 et 12 juin 2017, qui même partielle, caractérise au regard du contexte lié à l'augmentation du nombre des accidents du travail au cours de l'année 2017 dont il avait été alerté dès le 5 mai 2017, un manquement à ses obligations découlant du contrat de travail caractérisant une cause sérieuse de licenciement, sans que la présence de nombreux intérimaires sur le site, la croissance de la production en usinage et le sous dimensionnement des locaux avec un manque de places de parking et de vestiaires, soient de nature à expliquer son inertie.

Pour autant ces manquements qui ne sont pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, ne caractérisent pas une faute grave privative des indemnités de rupture.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse non constitutive d'une faute grave.

Sur les conséquences de la rupture

1- Sur les indemnités de rupture

La société ne conteste pas les modalités de calcul de l'indemnité conventionnelle de préavis de l'indemnité de congés payés afférente et de l'indemnité conventionnelle de licenciement, en sorte que le jugement entrepris sera confirmé sur ces chefs.

2- Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Le licenciement étant fondé sur une cause réelle et sérieuse, le salarié sera débouté de sa demande à ce titre et le jugement entrepris confirmé sur ce chef.

3- Sur les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

Les parties ne font valoir aucun moyen pour remettre en cause le jugement en ce qu'il a condamné la société à verser à M. [W] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, en sorte que le jugement entrepris sera confirmé sur ce chef.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société succombant principalement sera condamnée aux entiers dépens de l'appel. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de faire bénéficier M. [W] de ces mêmes dispositions et de condamner la société à lui verser une indemnité complémentaire de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Dans la limite de la dévolution et de la saisine après renvoi de cassation,

CONFIRME le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société [Adresse 7] industries à verser à M. [W] une indemnité complémentaire de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société [Adresse 7] industries aux entiers dépens de l'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 23/04794
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;23.04794 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award