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03/07/2024 | FRANCE | N°21/01120

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 03 juillet 2024, 21/01120


AFFAIRE PRUD'HOMALE



DOUBLE RAPPORTEUR



N° RG 21/01120 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NM4V



[L]

C/

Société PEDRETTI DISTRIBUTION



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 26 Janvier 2021

RG : F 18/01120







COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRET DU 03 Juillet 2024







APPELANT :



[T] [L]

né le 21 Août 1990 à [Localité 6]

[Adresse 3]
>[Localité 2]



représenté par Me Aurélien WULVERYCK de l'AARPI OMNES AVOCATS, avocat au barreau de PARIS







INTIMÉE :



Société PEDRETTI DISTRIBUTION

[Adresse 1]

[Localité 4]



représentée par Me Marine DE BREM de la SELAS AGN A...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

DOUBLE RAPPORTEUR

N° RG 21/01120 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NM4V

[L]

C/

Société PEDRETTI DISTRIBUTION

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 26 Janvier 2021

RG : F 18/01120

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRET DU 03 Juillet 2024

APPELANT :

[T] [L]

né le 21 Août 1990 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Aurélien WULVERYCK de l'AARPI OMNES AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Société PEDRETTI DISTRIBUTION

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Marine DE BREM de la SELAS AGN AVOCATS PARIS, avocat au barreau de PARIS

DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Avril 2024

Présidée par Nathalie ROCCI, conseillère et Anne BRUNNER, conseillère, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistées pendant les débats de Morgane GARCES, greffière

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Catherine MAILHES, présidente

- Nathalie ROCCI, conseillère

- Anne BRUNNER, conseillère

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

rendu publiquement le 03 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Catherine MAILHES, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [T] [L] a été engagé à compter du 29 août 2011 par la société Transports Pedretti Marchandise devenue société Pedretti Distribution (la société), par contrat à durée indéterminée, en qualité d'agent d'exploitation.

Par un avenant du 30 novembre 2012, le salarié a été promu responsable d'exploitation.

La société employait habituellement au moins 11 salariés au moment de la rupture des relations contractuelles.

Par courrier du 16 février 2016, M. [L] a adressé sa démission en se plaignant de manquements de son employeur dans l'exécution du contrat de travail.

« Par cette lettre, je vous informe de ma décision de démissionner du poste de Responsable d'exploitation que j'occupe au sein de votre entreprise depuis le

01 décembre 2012.

Depuis plus de 9 mois et suite à l'absence du Directeur d'agence, j'occupe ses fonctions sur votre site de [Localité 7] (69), et ce en l'absence du statut et de la rémunération égale au poste occupé.

Le statut de Directeur d'agence m'a été proposé verbalement par deux de vos collaborateurs durant le mois d'août 2015 accepté par mes soins mais qui finalement n'a jamais abouti suite à l'absence de remise de documents officiels.

Sans aucune nouvelle durant ces derniers mois, j'ai dû solliciter par écrit ma hiérarchie afin d'obtenir un entretien formel dans le but d'éclaircir cette situation dans les plus brefs délais. Le 29 janvier 2016, j'ai été reçu en entretien par votre Directeur Business Unit Marchandises durant lequel il m'a remis en main propre un avenant au contrat de travail pour le poste de Directeur adjoint.

La nuance est bien trop importante pour ma part, je ne peux que constater le manque de confiance et de reconnaissance à mon égard.

Par ces faits, je ne peux plus me projeter dans notre collaboration et c'est pour cette raison que j'ai décidé après de nombreuses semaines de réflexion de prendre cette décision irrévocable.

La convention collective applicable au sein de la société prévoit un préavis d'un mois. Afin que vous puissiez vous réorganiser, j'effectuerais une période de préavis supérieure à celle prévue par la convention collective.

Ainsi, je quitterai définitivement mon poste le 29 avril 2016.

Je vous remercie de me remettre à compter de cette date un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail ainsi que I 'attestation pôle emploi ».

Le 16 avril 2018, la société Pedretti Distribution, soutenant avoir découvert le comportement déloyal du salarié, antérieur à son départ de l'entreprise, consistant à transférer, sur une adresse mail personnelle, des données confidentielles et stratégiques, a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon, aux fins de voir M. [T] [L] condamné à payer la somme de 42 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail outre une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [T] [L] a été convoqué devant le bureau de conciliation et d'orientation par courrier recommandé avec accusé de réception signé le 20 avril 2018.

Le salarié s'est opposé aux demandes de la société Pedretti Distribution et a sollicité à titre reconventionnel la condamnation de celle-ci au versement de :

la somme de 12 305,96 euros, à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre celle de 1 230,59 euros pour congés payés afférents ;

la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la législation relative aux astreintes ;

la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-information des droits à repos compensateur ;

la somme de 21 000 euros à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;

la somme de 21 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le conseil de prud'hommes s'est déclaré en partage de voix le 16 mars 2020.

Par jugement du 26 janvier 2021, le juge départiteur, statuant seul, après avoir recueilli l'avis des conseillers présents, a :

dit que M. [T] [L] n'a pas exécuté loyalement le contrat de travail le liant à la société Pedretti Distribution,

condamné M. [T] [L] à verser à la société Pedretti Distribution la somme 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

débouté la société Pedretti Distribution de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

dit que la société Pedretti Distribution n'a pas informé M. [T] [L] sur ses droits au titre du repos compensateur,

condamné la société Pedretti Distribution à verser à M. [T] [L] la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non information des droits à repos compensateur ;

débouté M. [T] [L] du surplus de ses demandes reconventionnelles ;

ordonné d'office la compensation entre les condamnations ;

dit que les dépens seront mis à la charge pour moitié à chacune des parties.

Par lettre recommandée avec accusé de réception de son avocat expédiée le 15 février 2021 et parvenue au greffe de la cour le 16 février 2021, M. [T] [L] a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 30 janvier 2021, aux fins d'infirmation en ce qu'il a été condamné à payer à la société Pedretti Distribution des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et ce qu'il a été débouté de ses demandes de rappel de salaire et congés payés afférents et à titre de dommages-intérêts à hauteur de 7 000 euros pour non-respect de la législation relative aux astreintes, à hauteur de 7 000 euros non-information des droits à repos compensateur, de 21 000 euros pour travail dissimulé, de 21 000 euros pour procédure abusive ainsi que de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour

le 9 novembre 2023, M. [T] [L] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné à verser 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et en ce qu'il l'a débouté des sommes suivantes et condamner la société intimée à lui verser :

12 305,96 euros au titre d'un rappel d'heures supplémentaires accomplies entre le

1er juin 2015 et le 29 avril 2016 ;

1 230,59 euros au titre des congés payés afférents ;

7 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la législation relative aux astreintes ;

21 000 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;

confirmer le jugement pour le surplus sauf pour le montant de l'indemnisation pour non-information des droits à repos compensateur que la Cour fixera à 7 000 euros.

En tout état de cause,

- débouter la société de toutes ses demandes,

- condamner la société intimée à verser à 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société intimée aux entiers dépens ;

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 5 août 2021, la société Pedretti Distribution, ayant fait appel incident, demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau de :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que les actes de Monsieur [T] [L] constituent une violation de son obligation de loyauté, débouté Monsieur [T] [L] au titre de sa demande de rappel d'heures supplémentaires et congés payés afférents, de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de la législation relative aux astreintes, de sa demande d'indemnité

de travail dissimulé, de sa demande d'indemnité de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

En statuant à nouveau :

condamner M. [T] [L] à lui verser la somme de 42 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé qu'elle n'a pas informé le salarié sur ses droits au titre du repos compensateur et l'a condamnée à verser à M. [T] [L] 6 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour non information des droits à repos compensateur ;

à titre reconventionnel ;

condamner M. [T] [L] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner M. [T] [L] aux entiers dépens.

La clôture des débats a été ordonnée le 29 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

SUR CE,

Sur la demande de la société Pedretti Distribution

Le salarié fait valoir que :

la responsabilité du salarié envers son employeur ne peut être engagée qu'en cas de faute lourde et ce, même si la rupture du contrat de travail a pris la forme d'une démission ;

il n'existe aucune clause dans le contrat de travail, ni dans le règlement intérieur interdisant la sortie de documents de l'entreprise ;

sa démission n'étant pas non équivoque, il aurait pu en sollicite la requalification en licenciement et avait donc le droit, durant son préavis, de conserver des preuves des fonctions qu'il a exercées ;

il n'est pas démontré qu'il aurait transmis des informations confidentielles à une société concurrente de la société Pedretti Distribution ;

l'envoi, qui lui est reproché, de courriels (3 mails du 17 février 2016 et deux mails du 24 avril 2016) a débuté le lendemain de sa démission, ce qui prouve qu'il souhaitait simplement préparer sa défense en recueillant des documents destinés à établir qu'il faisait fonction de directeur d'agence ;

le mail du 15 avril 2016, que lui a adressé M. [Z] alors qu'il faisait encore partie de l'entreprise et qui porte sur les statistiques de l'entreprise, avait pour objectif de préparer la venue du nouveau directeur d'agence et il n'est pas établi que ce mail aurait été sorti de l'entreprise ;

lorsqu'il a démissionné, il n'avait pas encore trouvé de nouvel emploi et a postulé à de nombreuses offres avant de postule à la société TSE France le 16 juin 2016 ;

la société Pedretti Distribution ne démontre aucun préjudice.

La société répond que :

les documents que M. [T] [L] s'est envoyé sur son adresse mail personnelle sont indispensables à la gestion quotidienne et sont le fruit d'années d'expérience et d'investissement ;

le 15 avril 2016, M. [T] [L] a sollicité de M. [Z] la communication d'un an de statistiques clés de l'entreprise et les a imprimées ;

ce ne pouvait pas être dans le but de les communiquer à son remplaçant, arrivé

5 jours plus tard, la vraie raison étant de les remettre à l'entreprise TSE ;

en détournant de nombreux documents stratégiques internes, alors que l'article 6.3 du règlement intérieur le lui interdisait, le salarié s'est rendu coupable du délit d'abus de confiance ;

la société TSE, qui a embauché M. [T] [L] au mois de juillet 2016, a pour associés M. [I], ancien associé et M. [R], ancien salarié, qui ont quitté l'entreprise en 2014 et avec lesquels elle est en litige, ce que ne pouvait ignorer M. [T] [L], qui a donc soustrait des documents à dessein ;

M. [T] [L] n'est pas le seul salarié à avoir été débauché par la société TSE ;

elle a été confrontée à un détournement massif de clientèle par la société TSE, ce qui établit que les documents détournés par M. [T] [L] ont été utilisés par cette dernière ;

au regard du contenu des documents, M. [T] [L] ne peut prétendre qu'il a subtilisé ces informations en vue d'un contentieux prud'hommal qu'il n'a pas engagé.

***

En vertu de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

La responsabilité pécuniaire d'un salarié à l'égard de son employeur n'est engagée qu'en cas de faute lourde.

Il est constant que :

le 17 février 2016, M. [T] [L] s'est, depuis son adresse mail professionnelle, envoyé vers son adresse mail personnelle ([Courriel 8]) 3 mails à 9h17, 9h18 et 9h19, avec en pièce jointe, des documents intitulés « gestion des palettes », « plan de transport », « Tarifs sous excel », « Modèle vierge cadencier », « affrètement », « suivi disciplinaire salariés, « liste véhicule transport Pedretti », « état des véhicules », « note de services pour l'équipement », « fiches de contrôle mensuel équipement »,, « attestation formation tutorat », « passeport », « M. [L] [T].docx », « feuilles Heures Quai 2016 », et «Tableau des présences 2016 » ;

Le 24 avril 2016, à 20h01, il a envoyé un mail à l'adresse « [Courriel 8] » et à l'adresse « [Courriel 5] » diverses pièces jointes intitulées « cadre légal gestion palettes EUR », « CUI CIE Pôle Emploi », « immersion professionnelle », « fiche de poste Cond-nuit TPM », «fiche de poste quai TPM » , « tachy numérique-actia », « fiche tachy numérique-siemens », « GO badges carburants (2014) », « guide du bon conducteur 3ème édition » , « litiges ' ce qu'il faut retenir », « métrage plancher », « locatier », « manuel.Pda », « manuel d'utilisation Gta » ;

le 24 avril 2016, à 20H03, le salarié a envoyé un mail aux mêmes adresses, avec en pièce jointe, divers documents intitulés « prendre l'initiative du constat », « procédure carte défaillante », « règles de quai », « transmission du constat au services assurances », « présentation euro 6», « remise en main propre des chargeurs PDA », « volume des départs quotidien », « plan de transport départ TMP 69 - 1er avril 2016 », « rapport de nuit avril 2016 - TPM 69 », « procédure carte défaillante ou perdue », « règles de quai remises en mains propres », « remise en main propre des sangles », « sortie vélo » ;

le 15 avril 2016, il a demandé, par mail, « les statistiques CA de nos clients par mois du plus gros au plus petit d'avril 2015 à avril 2016 », à M. [Z], contrôleur de gestion, qui les lui a transmises.

Le salarié ne conteste pas avoir imprimé les statistiques et il verse aux débats une attestation de M. [M], son successeur, lequel témoigne avoir demandé à M. [T] [L] de lui remettre les statistiques de chiffre d'affaires de l'entreprise d'avril 2015 à avril 2016.

Le simple constat de la transmission de ces documents par mails n'établit pas l'intention de M. [T] [L] de nuire à la société Pedretti Distribution. En particulier, la circonstance que le salarié ait, par la suite, été embauché par une société concurrente, ne démontre pas en soi, qu'il a mis à disposition de cette société concurrente les documents qu'il s'était transmis par mail au mois de février et au mois d'avril 2016, ni qu'il a procédé à ces transmissions dans ce but.

M. [T] [L] établit avoir, après sa démission, fait acte de candidatures pour des postes de directeur d'agence, de responsable d'exploitation logistique, de chargé de support opérationnel, dans diverses sociétés de transport, et ce, dès le 21 février 2016, via le site « Job Transport » ou « Indeed » et avoir travaillé en qualité de conducteur routier au mois de mai et de juin 2016, avant de candidater, le 16 juin 2016, pour un poste de directeur d'agence, auprès de la société TSE, via Jobtransport.

En conséquence, en l'absence d'intention de nuire démontrée, la cour infirme le jugement en ce qu'il a condamné M. [T] [L] à payer à la société Pedretti Distribution des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et déboute la société de sa demande.

Sur les demandes de M. [T] [L] :

Sur le rappel de salaire pour heures supplémentaires :

Le salarié soutient avoir effectué des heures supplémentaires, qui n'ont été rémunérées que partiellement. Il ajoute que :

peu de temps après son arrivée à l'agence de [Localité 7], le directeur d'agence est tombé malade et il a été contraint d'exercer les missions dévolues à ce dernier ;

il n'existait pas, pour le personnel sédentaire, de feuilles de temps.

La société réplique que :

le salarié n'a jamais revendiqué d'heures supplémentaire pendant la durée de la relation contractuelle, alors qu'il avait pour mission de déclarer le temps de travail des employés de l'agence ;

il ne démontre ni l'existence d'horaire effectué au-delà des durées habituelles ni que le travail effectué faisait suite à une demande de sa part et ne pouvait être effectué lors de la journée de travail suivante.

***

Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Selon l'avenant au contrat de travail du 9 octobre 2014, applicable à compter du 3 novembre 2014, le salarié, responsable d'exploitation, est muté de [Localité 9] à [Localité 7] et « En contrepartie de ses services, le collaborateur aura droit à une rémunération brute mensuelle de 2 300,00 euros sur 12 mois pour 152 heures de travail, durée légale et collective actuelle du travail. Le collaborateur sera éventuellement amené à effectuer des heures supplémentaires sur demande de la direction, en fonction des besoins du service et compte tenu de la charge de travail variable.

Pour le type de poste confié au collaborateur, on constate que l'horaire pratiqué est d'environ 169 heures mensuelles de travail effectif ce qui, compte tenu des heures supplémentaires incluses dans cette durée mensuelle, ouvre droit à une majoration brute mensuelle de

2 621,55 euros (selon la législation sociale en cours, incluant les majorations légales et/ou conventionnelles sur les heures supplémentaires). Cette information est donnée à titre indicatif et ne constitue en aucun cas un minimum forfaitaire acquis au collaborateur.

Les heures supplémentaires feront l'objet d'un décompte et seront individualisées sur le bulletin de salaire mensuel et payés comme telles avec application des majorations légales et/ou conventionnelles. ».

Le salarié a fait un décompte des heures dont il réclame le paiement, à partir du mois de juin 2015. Pour chaque mois, il mentionne :

le nombre d'heures effectuées par semaine et le nombre supplémentaires ;

le calcul du montant du rappel de salaire dû par semaine, en ventilant en fonction du taux de majoration ;

le nombre d'heures supplémentaires rémunérées sur le bulletin de salaire (entre le mois de juin et le mois de décembre 2015 : 32 heures par mois, entre le mois de janvier 2016 et le mois d'avril 2016 : 17 heures par mois) et le montant restant dû.

1Ces éléments sont suffisamment précis et permettent à l'employeur d'y répondre, or, la société Pedretti Distribution ne produit aucun élément de contrôle de la durée du travail.

Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.

Il n'est pas contesté que M. [G] [B], qui était directeur de l'agence de [Localité 7] était absent pour maladie peu de temps après l'arrivée du salarié sur le site, ni que cela a occasionné un surcroit d'activité pour M. [T] [L].

La cour observe que :

entre le mois de juin et le mois de décembre 2015, ce sont 184 heures dont 32 heures supplémentaires qui figurent sur les fiches de paie, soit 15 heures de plus que ce qui est envisagé à l'avenant au contrat de travail ;

le cumul d'heures sur la fiche de paie du mois de novembre 2015 est de 2 208 heures, pour les 12 mois précédents, soit 184 heures par mois en moyenne ;

à compter du mois de janvier 2016, ce sont 17 heures supplémentaires qui figurent sur les bulletins de paie, pour un poste de « directeur d'agence adjoint » sans qu'aucun avenant n'ait été signé par le salarié et alors que le poste de directeur d'agence n'est pas pourvu ;

La cour dispose d'éléments permettant de fixer le nombre d'heures supplémentaires effectuées et non rémunérées à 50 heures en 2015 et 92 heures en 2016, et la créance salariale à ce titre à 3 406,56 euros, outre celle de 340,65 euros pour congés payés afférents, sommes au paiement desquelles il convient de condamner la société Pedretti Distribution, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur la demande en dommages-intérêts pour non-information des droits à repos compensateur

Le salarié soutient que le contingent annuel de 130 heures, fixé par l'article 12 de la convention collective des transports routiers a été dépassé en 2015 et en 2016 et que son préjudice est incontestable.

La société objecte que le salarié était informé de la législation sur le temps de travail et ne s'est jamais plaint pendant la relation contractuelle ni n'a fait de démarche pour bénéficier de repos compensateur.

***

Aux termes de l'article L.3121-30, alinéas 1 et 2 du code du travail, « des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel. Les heures effectuées au-delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos.

Les heures prises en compte pour le calcul du contingent annuel d'heures supplémentaires sont celles accomplies au-delà de la durée légale. ».

Le salarié, qui n'a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de repos compensateur, a droit à l'indemnisation du préjudice subi ; cette indemnisation comporte à la fois le montant de l'indemnité calculée comme si le salarié avait pris son repos et le montant des congés payés afférents. (Soc. 1er mars 2023, pourvoi n°21-12.068, F-B).

Il est constant que le repos obligatoire donne lieu à compensation selon les dispositions légales de l'article 18, IV de la loi n°2008-568 du 20 août 2008 et celles de l'article

L.3121-38 du code du travail.

Selon l'article L. 3121-38 du code du travail, à défaut d'accord, la contrepartie obligatoire sous forme de repos mentionnée à l'article L. 3121-30 est fixée à 50 % des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel mentionné au même article L. 3121-30 pour les entreprises de vingt salariés au plus, et à 100 % de ces mêmes heures pour les entreprises de plus de vingt salariés.

Tout salarié dont le contrat est rompu avant qu'il ait pu bénéficier d'un repos compensateur reçoit en application des dispositions de l'article D.3121-23 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, une indemnité en espèce correspondant à ses droits acquis comprenant l'indemnité de congés payés. Il ne peut prétendre à indemnité compensatrice de congés payés indépendante en plus de l'indemnité.

Selon l'article 12 de la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport, le contingent annuel est fixé à 130 heures pour le personnel sédentaire.

Au regard du nombre d'heures supplémentaires non rémunérées retenu et du nombre d'heures supplémentaires prévues au contrat de travail, de 8 heures par semaine, le contingent annuel de 130 heures a été dépassé de 304 heures en 2015 et de 30 heures en 2016, or le salarié n'a pas bénéficié de contrepartie obligatoire en repos, avant de quitter la société Pedretti.

En considération des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel de 130 heures, du droit à repos compensateur équivalent à 100 % de ces heures et du salaire horaire de base de 15,13 euros en 2015 et de 18,47 euros en 2016, le salarié est en droit de bénéficier d'une indemnité de 5 668,98 euros ainsi calculée :

(304 heures x 15,13 euros + 10% de ce montant = 5 059,47 euros) +

(30 heures x 18,47 euros + 10% de ce montant = 609,51 euros.) = 5 668,98 euros.

Il est justifié de faire droit à la demande de dommages-intérêts à hauteur de 5 668,98 euros, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur la demande de dommages-intérêts pour non-respect de la législation relative aux astreintes :

Le salarié soutient avoir réalisé des astreintes très régulièrement et que :

il était en première position sur la liste des personnes à contacter en cas de déclenchement de l'alarme et était appelé au cours de la nuit par des conducteurs ;

il a perçu une prime d'astreinte de 100 euros par mois, ne correspondant pas la réalité des astreintes et des interventions ;

il n'a pas conservé trace des nombreuses fois où il a été sollicité et la société Pedretti Distribution, ne verse pas aux débats, malgré la sommation en ce sens, le document récapitulant ses heures d'astreinte ;

il n'avait pas conscience, au cours de l'exécution du contrat de travail, de la déloyauté de son employeur et n'en a pris conscience qu'après la saisine du conseil de prud'hommes, de sorte que son action n'est pas prescrite.

La société, s'appuyant sur les dispositions de l'article L. 1471-1 du code du travail, objecte que M. [T] [L] a formulé cette demande pour la première fois, devant le bureau de conciliation et d'orientation, soit le 28 mai 2018, alors que le contrat de travail a pris fin le

29 avril 2016, soit plus de deux avant sa demande. Elle estime que la demande est prescrite.

***

Aux termes de l'article L.1471-1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

En l'espèce, M. [T] [L] sollicite la condamnation de société Pedretti Distribution au paiement de dommages-intérêts au titre du non-respect de la législation sur les astreintes.

Chacune de ses fiches de mentionne, jusqu'au mois de décembre 2015, le paiement d'une prime d'astreinte. Les fiches de paie du mois de janvier au mois d'avril 2016 ne mentionnent plus d'astreinte.

Le salarié pouvait donc connaître dès la remise de sa fiche de paie les faits lui permettant d'exercer son droit, or, selon la société Pedretti Distribution, il a formulé une demande au titre des astreintes le 28 mai 2018.

L'action est donc prescrite. Le jugement est confirmé.

Sur le travail dissimulé :

Le salarié fait valoir que la société Pedretti Distribution a sciemment omis de mentionner sur son bulletin de salaire les heures supplémentaires et d'astreinte, ce qui caractérise l'intention frauduleuse.

La société objecte que l'élément intentionnel n'est pas caractérisé.

***

La dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L. 8221-5 2°du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué. Le caractère intentionnel ne peut pas se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

Le faible nombre d'heures supplémentaires non payées et la modicité du rappel de salaire dû ne permettent pas de caractériser une intention frauduleuse de la part de l'employeur.

Le jugement, qui a rejeté la demande à ce titre est confirmé.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Les dispositions du jugement déféré relatives aux frais irrépétibles et dépens seront infirmées. La société Pedretti Distribution sera condamnée aux dépens de première instance.

La société Pedretti Distribution, partie qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera déboutée de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles et condamnée à payer à M. [T] [L] la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et ce, en sus des entiers dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Dans la limite de la dévolution,

CONFIRME le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de M. [T] [L] de dommages-intérêts pour non-respect de la législation sur les astreintes et procédure abusive et la demande d'indemnité au titre du travail dissimulé ;

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau,

DÉBOUTE la société Pedretti Distribution de sa demande en dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Condamne la société Pedretti Distribution à payer à M. [T] [L] :

à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires, la somme de 3 406,56 euros, outre celle de 340,65 euros pour congés payés afférents ;

à titre de de dommages-intérêts pour défaut d'information sur le droit à repos compensateur, la somme de 5 668,98 euros ;

RAPPELLE que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;

DIT que les intérêts au taux légal sur les créances de nature salariale courent à compter de la demande, soit à compter de l'audience devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes, le 28 mai 2018 ;

DIT que les intérêts au taux légal sur les créances de nature indemnitaires courent à compter de ce jour ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Pedretti Distribution aux dépens de première instance et d'appel ;

CONDAMNE la société Pedretti Distribution à payer à M. [T] [L] la somme de

3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 21/01120
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;21.01120 ?
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