AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 21/05345 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NWRZ
[J]
C/
S.E.L.A.R.L. MJM [O] & ASSOCIES [K] [O] ET DE ME [G] [W]
S.C.P. NOEL-NODEE ET [C]
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE [Localité 9]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURG EN BRESSE
du 28 Mai 2021
RG : 20/00022
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 28 JUIN 2024
APPELANTE :
[M] [J] épouse [R]
née le 25 Octobre 1984 à [Localité 10]
[Adresse 8]
[Localité 1]
représentée par Me Camille BOUHELIER, avocat au barreau de LYON
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 69123/2/2021020817 du 22/07/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)
INTIMÉES :
S.E.L.A.R.L. MJM [O] & ASSOCIES représentée par Me [K] [O] et Maître [G] [W] agissant ès qualités de co-liquidateurs de la société MAXI TOYS FRANCE
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Bruno BRIATTA de la SAS SPE SOUS FORME DE SAS IMPLID AVOCATS ET EXPERTS COMPTABLES, avocat au barreau de LYON, et ayant pour avocat plaidant Me Barbara FISCHER, avocat au barreau de LILLE
S.C.P. NOEL MODEE ET [C] représentée par Maître [X] [C] ès qualités de co-liquidateurs de la société MAXI TOYS FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Bruno BRIATTA de la SAS SPE SOUS FORME DE SAS IMPLID AVOCATS ET EXPERTS COMPTABLES, avocat au barreau de LYON, et ayant pour avocat plaidant Me Barbara FISCHER, avocat au barreau de LILLE
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE [Localité 9]
[Adresse 6]
[Localité 9]
représentée par Me Pascal FOREST de la SELARL BERNASCONI-ROZET-MONNET SUETY-FOREST, avocat au barreau d'AIN
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 03 Mai 2024
Présidée par Béatrice REGNIER, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Béatrice REGNIER, Présidente
- Catherine CHANEZ, Conseillère
- Régis DEVAUX, Conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 28 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Présidente et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [M] [J] épouse [R] a été engagée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps partiel le 6 décembre 2017 par la société Maxi Toys France, spécialisée dans la vente de jouets, en qualité de vendeuse.
Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective des commerces de détail non alimentaire.
Après avoir été convoquée le 12 septembre 2019 à un entretien préalable fixé au 4 octobre suivant, Mme [J] a été licenciée pour motif personnel le 16 octobre 2019.
Contestant le bien-fondé de cette mesure, elle a saisi le 20 janvier 2020 le conseil de prud'hommes de Bourg-en-Bresse.
La société Maxi Toys France a été placée en liquidation judiciaire le 7 septembre 2020.
Par jugement du 28 mai 2021, le conseil a débouté Mme [J] de ses prétentions et a rejeté la demande de la SCP Noël [C] et de la SELARL MJM [O] et associés agissant en leur qualité de liquidateurs judiaires de la société Maxi Toys France sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 21 juin 2021, Mme [J] a interjeté appel du jugement.
Vu les conclusions transmises par voie électronique par Mme [J] le 6 septembre 2021 ;
Vu les conclusions transmises voie électronique par la SCP Noël [C] et de la SELARL MJM [O] et associés ès qualités le 26 novembre 2021 ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique par l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 9] le 27 septembre 2021 ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 26 mars 2024 ;
Pour l'exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions déposées et transmises par voie électronique conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE :
- Sur le licenciement :
Attendu, d'une part, que, selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; que, si un doute subsiste, il profite au salarié ; qu'ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables ;
Attendu que par ailleurs la lettre de licenciement fixe les limites du litige ;
Attendu, d'autre part, que le règlement eu Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016
relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données dispose en son article 5 que :
' Les données à caractère personnel doivent être : / a) traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée ( licéité, loyauté, transparence) ; / b) collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d'une manière incompatible avec ces finalités ; le traitement ultérieur à des fins archivistiques dans l'intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques n'est pas considéré, conformément à l'article 89, paragraphe 1, comme incompatible avec les finalités initiales (limitation des finalités) ; (...)' ;
Attendu qu'en l'espèce Mme [J] a été licenciée par courrier recommandé du 16 octobre 2019 pour les motifs suivants :
'Le 1er septembre 2019, nous avons été rendus destinataires d'un compte rendu NPS suite à un achat avec un message venant de votre messagerie Internet personnelle [Courriel 7].
Ce message en date du 7 aout 2019 faisant suite à un achat, est de nature diffamatoire puisque vous avez porté des accusations non fondées à l'encontre de l'un de vos collègues et je cite «Qu'il n'y ai pas cette femme blonde qui dit que des obscénités devant les enfants.» Votre adresse mail qui vous a été attribuée, nécessite que vous donniez vos données personnelles à savoir, NOM, PRENOM et autres renseignements d'ordre privé.
Cette adresse mail reste donc strictement personnelle.
Vous êtes donc entièrement responsable de son utilisation et des conséquences de son utilisation.
Nous vous rappelons que ces faits font suite à une situation déjà difficile d'un point de vue relationnel au sein de l'équipe du magasin avec des tensions déjà connues entre collègues. Le CSE avait d'ailleurs été saisi à ce sujet et la situation semblait s'arranger.
Or, ces agissements n'ont eu pour conséquence que de faire ressurgir de nouvelles tensions et votre collègue s'est senti blessé et victime cette fois-ci, de harcèlement.' ;
Attendu toutefois que la société Maxi Toys France ne peut valablement faire reprocher à sa salariée le contenu d'une donnée à caractère personnel, à savoir la réponse à une enquête suite à un achat, traitée d'une manière incompatible avec la finalité pour laquelle elle avait été collectée, à savoir la recherche du taux de satisfaction du client ;
Attendu que la cour observe surabondamment qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme [J] serait l'auteur du message litigieux, alors même que l'époux de Mme [J] atteste que c'est lui qui a effectué l'achat et répondu à l'enquête de satisfaction ;
Attendu que, par suite, et s'agissant du seul motif mentionné à la lettre de rupture - aucun autre reproche n'étant précisément formulé, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu que, compte tenu de son ancienneté et de l'effectif de la société Maxi Toys France (supérieur à 10 salariés), Mme [J] a droit, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 1 et 2 mois d'ancienneté ; qu'elle justifie avoir été au chômage jusqu'à tout le moins février 2021 ; que la somme de 1 871,96 euros correspondant à deux mois de salaire lui est allouée ;
- Sur le harcèlement moral et l'exécution déloyale du contrat de travail :
Attendu qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail : 'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.';
Qu'aux termes de l'article L. 1152-2 du même code dans sa version applicable : 'Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.' ;
Qu'en vertu de l'article L. 1152-3 du même code : 'Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.' ;
Que, selon l'article L. 1154-1 du même code : 'Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. / Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. / Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.' ;
Attendu qu'en l'espèce Mme [J] soutient avoir été victime d' 'agissements répétés' de la part de sa supérieure hirérachique et ajoute que la société Maxi Toys France n'a pris aucune mesure pour la protéger de ces agissements ;
Qu'elle produit :
- un courriel adressé à la société Maxi Toys France le 17 juin 2019 dans lequel elle se plaint de ce que Mme [H] [E], sa supérieure hiérarchique, l'invective en criant et la rabaisse devant les clients ;
- des témoignages et courriers de deux salariés, MM. [N] [A] et [S] [Z], qui attestent avoir été victimes d'agressions verbales de la part Mme [E] (remarques et ordres sur un ton peu appproprié) et précisent que Mme [J] a subi aussi les agissements de l'intéressée ;
- un courriel de son époux en date du 22 octobre 2019 dans lequel celui-ci interpelle la société Maxi Toys France sur l'état de santé de Mme [J] ;
- une attestation de suivi du médecin du travail du 6 novembre 2011 recommandant d'éviter le stress et les situation conflictuelles ;
Attendu que ces seuls éléments ne laissent pas supposer l'existence d'un harcèlement moral, alors même que les déclarations des deux seuls témoins des agissements dont Mme [J] aurait elle-même été victime sont très vagues ; que la cour relève par ailleurs que Mme [J] ne prétend aucunement que la société Maxi Toys France aurait failli à son obligation de prévention en matière de harcèlement moral ; que la réalité d'une exécution déloyale du contrat de travail n'est quant à elle pas davantage établie ;
Attendu que Mme [J] est dès lors déboutée de la demande indemnitaire présentée à ces titres ;
- Sur la violation de l'obligation de sécurité :
Attendu qu'aux termes de l'article R. 4624-10 du code du travail : 'Tout travailleur bénéficie d'une visite d'information et de prévention, réalisée par l'un des professionnels de santé mentionnés au premier alinéa de l'article L. 4624-1 dans un délai qui n'excède pas trois mois à compter de la prise effective du poste de travail.' ;
Que, selon l'article R. 4624-31 du même code dans sa verion applicabe : 'Le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail : / 1° Après un congé de maternité ; / 2° Après une absence pour cause de maladie professionnelle ; / 3° Après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel. / Dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l'examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise.' ;
Attendu qu'en l'espèce Mme [J] n'a pas bénéficié de visite d'information et de prévention et n'a, à l'issue de son congé maladie puis de son congé maternité entre les mois de septembre 2018 et mai 2019, été reçue en visite de reprise par le médecin du travail que le 6 novembre 2019 ; que les dispositions susvisées ont donc été méconnues et que dès lors la société Maxi Toys France a failli à son obligation de sécurité ; que le préjudice subi de ce chef par la salariée, qui n'a pu faire part à un médecin du travail d'éventuelles tensions au travail ressenties et incidences sur sa santé avant le 6 novembre 2019, est indemnisé par l'octroi de la somme de 800 euros ;
- Sur la remise du solde de tout compte :
Attendu qu'il est constant que le reçu pour solde de tout compte n'a toujours pas été remis à Mme [J] ; que sa demande tendant à la communication de ce document obligatoire est donc accueillie, la circonstance qu'il soit quérable étant à ce égard sans incidence, et ce sans qu'il soit besoin d'assortir cette condamnation d'une astreinte ;
- Sur la garantie du CGEA :
Attendu que les observations formulées par l'AGS quant à l'étendue de ses obligations seront retenues ; que c'est notamment à bon droit que le Centre fait valoir que l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens, qui ne constituent pas des créances dues en exécution du contrat de travail au sens de l'article L. 3253-6 du code du travail, doivent être exclus de sa garantie ;
- Sur les frais irrépétibles :
Attendu que Mme [J], qui a bénéficié de l'aide juridictionnelle totale tant en première instance qu'en cause d'appel et ne justifie d'aucun frais particulier resté à sa charge, est déboutée de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté Mme [M] [J] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral ou subsidiairement pour exécution déloyale du contrat de travail et d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et rejeté la demande de la SCP Noël [C] et de la SELARL MJM [O] et associés agissant en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société Maxi Toys France sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau sur les chefs réformés et ajoutant,
Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Fixe la créance de Mme [M] [J] au passif de la liquidation judiciaire de la société Maxi Toys France aux sommes de :
- 1 871,96 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 800 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité,
Ordonne à la SCP Noël [C] et de la SELARL MJM [O] et associés ès qualités de remettre à Mme [M] [J] un reçu pour solde de tout compte, sans que cette condamnation ne soit assortie d'une astreinte,
Déboute Mme [M] [J] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,
Déclare le présent arrêt opposable à l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 9],
Rappelle que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-6 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-17 et L. 3253-19 du code du travail,
Dit que les indemnités allouées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens ne constituent pas une créance visée aux articles L. 3253-6 et suivants du code du travail et doivent être exclus de la garantie de l'AGS,
Dit que la garantie de l'AGS est plafonnée en application des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail,
Dit que l'obligation de l'UNEDIC délégation AGS CGEA de faire l'avance des sommes garanties ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé de créances par le mandataire judiciaire et justification de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,
Condamne la SCP Noël [C] et de la SELARL MJM [O] et associés ès qualités aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,