AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 21/05339 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NWRM
[I]
C/
S.A.S. ADECCO FRANCE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 20 Mai 2021
RG : 19/01104
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 28 JUIN 2024
APPELANT :
[L] [I]
né le 01 Août 1965 à [Localité 3] ([Localité 3])
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Delphine MONNIER de la SELARL CVS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Anne-Laure SCHEYE, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société ADECCO FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Pierre COMBES de la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON AVOCATS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Mathilde HELLEU, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 03 Mai 2024
Présidée par Béatrice REGNIER, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Béatrice REGNIER, Présidente
- Catherine CHANEZ, Conseillère
- Régis DEVAUX, Conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 28 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Présidente et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
M. [L] [I] a été mis à la disposition de la société Stelia Aerospace puis de la société Assistance Aéronautique et Aérospatiale (AAA) par la société Adecco France, entreprise de travail temporaire, dans le cadre de différents contrats de mission pour exercer les fonctions d'ajusteur sur une période comprise entre le 24 avril et le 21 novembre 2016.
Saisi par M. [I] le 23 avril 2019 de demandes à caractère salarial et indemnitaire présentées à l'encontre de la société Adecco France, le conseil de prud'hommes de Lyon a, par jugement du 20 mai 2021, débouté le salarié de ses prétentions et a rejeté la demande de la société sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 21 juin 2021, M. [I] a interjeté appel du jugement.
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 20 septembre 2021 par M. [I] ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 4 novembre 2022 par la société Adecco France ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 5 avril 2024 ;
Pour l'exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions déposées et transmises par voie électronique conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE :
Attendu qu'il résulte du principe 'à travail égal, salaire égal', dont s'inspirent les articles L.l242-14, L.1242-15 et L.3221-2 du code du travail, que tout employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale ;
Que les articles L.1251-18 et L.1251-43 6° du code du travail imposent, en vertu du principe d'égalité de traitement, une égalité de rémunération entre les intérimaires et les salariés permanents ; qu'en vertu de ce principe, la rémunération de l'intérimaire ne peut être inférieure à celle que percevrait dans l'entreprise utilisatrice, après période d'essai, un salarié de qualification équivalente occupant le même poste de travail ; que, par rémunération, il faut entendre, conformément à l'article L. 3221-3 du Code du travail, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, au titre du statut collectif négocié ou non négocié, par l'employeur au salarié en raison de l'emploi de ce dernier ;
Qu'en application de l'article 1353 du code civil, s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération ou de traitement, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence ;
Qu'il résulte enfin des articles L. 1251-2, L. 1251-18 et L. 3221-3 du code du travail que l'obligation de verser au travailleur temporaire mis à la disposition d'une entreprise des salaires conformes aux dispositions légales ou conventionnelles ou aux stipulations contractuelles qui lui sont applicables, pèse sur l'entreprise de travail temporaire laquelle demeure l'employeur, à charge pour elle, en cas de manquement à cette obligation, de se retourner contre l'entreprise utilisatrice dès lors qu'une faute a été commise par cette dernière ;
Attendu qu'en l'espèce M. [I] demande la condamnation de la société Adecco France au paiement de dommages et intérêts correspondant à l'indemnisation de grands déplacements, de voyages de prise et de fin de fonction, de voyages de détente et de temps de trajet 'pour se rendre de son domicile à son lieu de travail et de son lieu de travail à son domicile' telle que prévue aux articles 1.5 3.1, 3.2 et 3.6 de l'accord du 26 février 1976 signé par l'organisation patronale Union des industries métallurgiques et minières relatif aux conditions de déplacements des salariés relevant de la convention collective nationale de la métallurgie ;
Attendu que la société Adecco France conteste le bénéfice de ce texte au profit de M. [I] aux motifs d'une part qu'en tant qu'intérimaire le salarié relève des dispositions de la convention collective nationale des salariés intérimaires, d'autre part que l'accord n'a pas été étendu et que le salarié ne démontre pas que les sociétés Stelia Aerospace et AAA appliquent volontairement l'accord du 26 février 1976, enfin que certaines dispositions de l'accord ne peuvent en tout état de cause bénéficier aux intérimaires ;
Attendu toutefois que, sur le premier point, compte tenu des règles énoncées ci-dessus, la circonstance que M. [I] relève des dispositions de la convention collective nationale des salariés intérimaires ne lui interdit pas de revendiquer les droits négociés donc bénéficient les salariés de l'entreprise utilisatrice au sein de laquelle il est mis à disposition et occupant le même poste que lui en matière de salaire et d'avantages et accessoires payés en espèces ou en nature ;
Que, sur le deuxième point, il appartient à l'employeur qui prétend qu'une convention de branche et les accords qui y sont annexés ne lui est pas applicable, de prouver qu'il n'est pas adhérent à une organisation patronale signataire de cette convention ou de cet accord ; qu'en l'espèce une telle preuve n'est pas rapportée et les éléments fournis par M. [I] tendent à établir le contraire ; qu'en effet le remboursement de voyages de mise en place, retour et détente était prévu lorsqu'il travaillait pour le compte de la société d'intérim Randstad et était mis à la disposition de la société M. AAA sur la période du 22 octobre au 23 novembre 2008 ; que par ailleurs M. [J], responsable de site et pôle de compétences partagées aéronautique de la société Adecco France , a confirmé dans un courriel du 10 avril 2019 la validation du paiement des voyages de prise et fin de poste pour AAA sur son bulletin de paie du mois de décembre 2016 ; qu'enfin un contrat de mission établi par l'agence intérim Synergie visant comme société utilisatrice la société AAA produit en pièce 15 fait apparaître le paiement de l'indemnité de fin de mission au profit du salarié intérimaire concerné ;
Que, sur le troisième point, l'affirmation de la société Adecco France selon laquelle un intérimaire ne serait pas dans la même situation qu'un salarié permanent lorsqu'il travaille loin de son domicile au motif qu'ilaurait accepté une telle contrainte est dépourvue de pertinence ;
Attendu que M. [I] est donc bien fondé à réclamer l'application des dispositions des articles 1.5 3.1, 3.2 et 3.6 de de l'accord du 26 février susvisé ;
Qu'aux termes de ces textes :
'Article 1.5 Nature des déplacements
1.5.1. Le déplacement étant défini comme il est dit à l'article 1.4, on distingue deux sortes de déplacements.
1.5.2. Le grand déplacement est celui qui, en raison de l'éloignement et du temps du voyage, empêche le salarié de rejoindre chaque soir son point de départ. Est considéré comme tel le déplacement sur un lieu d'activité éloigné de plus de 50 km du point de départ et qui nécessite une temps normal de voyage aller-retour supérieur à 2 h 30 par moyen de transport en commun ou celui mis à sa disposition. (...)
Article 3.1 : Temps et mode de voyage :
3.1.1 - Lorsque le salarié est envoyé sur un nouveau lieu de travail, ou rappelé de celui-ci par l'employeur, le temps de voyage ou la partie de celui-ci qui, pour raisons de service, se situe à l'intérieur de l'horaire normal de travail n'entraîne pas de perte de salaire.
3.1.2 - Si le temps de voyage ou une partie de celui-ci se situe hors de l'horaire normal de travail, ce temps est indemnisé sur la base du salaire réel sans majorations et du temps normal de voyage par le transport public fixé, même si l'intéressé décide d'utiliser un autre mode de transport à son gré.
3.1.3 - Si l'utilisation d'un véhicule personnel ou d'un véhicule de l'entreprise a lieu sur demande ou avec l'accord de l'employeur, l'indemnisation au taux ci-dessus sera
comptée sur le temps normal de voyage compte tenu du mode de transport utilisé.
3.1.4 - L'employeur s'eff orcera de déterminer le mode de transport qui paraîtra le mieux adapté compte tenu des sujétions des intéressés, ainsi que de la nature de la mission et des activités qui l'encadrent (notamment trains rapides avec supplément d'admission ou à classe unique). Le transport par avion sur demande de l'employeur se fera avec l'accord du salarié.
Article 3.2 : Frais de transport
3.2.1 - Les frais de transport du voyage défini ci-dessus sont à la charge de l'entreprise sur la base du tarif de 2 e classe du transport public fixé, sous réserve de l'incidence éventuelle de l'article 3.1.4.
3.2.2 - Tout voyage en train de nuit d'une durée minimale de cinq heures, comprise entre 21 heures et 8 heures, donnera lieu à l'attribution d'une couchette de 2e classe ou, à défaut, à une place de 1re classe.
3.2.3 - Le transport par avion s'effectuera en classe touriste.
3.2.4 - Lorsque l'employeur a pris en charge un titre de réduction sur les transports publics, le remboursement des frais de transport s'effectue sur la base des frais réellement engagés par le salarié. (...)
Article 3.6 Voyage de détente :
3.6.1 - Un voyage de détente permettant le retour au point de départ, durant les jours non
ouvrés, sera accordé dans les conditions suivantes :
- pour les déplacements inférieurs ou égaux à 100 km : 1 voyage toutes les 2 semaines comportant une détente minimale de 1 jour non ouvré ;
- pour les déplacements situés de 101 à 400 km : 1 voyage toutes les 4 semaines comportant une détente minimale de 1,5 jour non ouvré ;
- pour les déplacements de 401 à 1 000 km : 1 voyage toutes les 6 semaines comportant une détente minimale de 2 jours non ouvrés ;
- pour les déplacements situés à plus de 1 000 km : les voyages de détente seront fixés dans le cadre de l'entreprise, à l'occasion de chaque déplacement.'
Attendu que, s'agissant du quantum des demandes, M. [I] sollicite en premier lieu le remboursement de ses frais de voyages dits de prise de fonction (deux au total) et dits de fin de mission (deux au total) sur la base, chacun, de 938 kilomètres effectués en voiture ; que toutefois la société Adecco France, qui ne conteste pas le nombre de voyages réclamé, fait à juste titre valoir que le remboursement doit, conformément aux dispositions de l'article 3.2.1 susvisé, se faire sur la base du tarif SNCF en 2ème classe - soit au total 569,60 euros ;
Que M. [I] réclame ensuite le remboursement de 4 voyages dits de détente, effectués lors de sa mission au sein de la société Stelia Aerospace ; que toutefois la société Adecco France fait là encore à juste titre valoir que le remboursement doit, conformément aux dispositions de l'article 3.2.1 susvisé, se faire sur la base du tarif SNCF en 2ème classe - soit au total 646,31 euros ; qu'en revanche, si la société prétend avoir déjà versé 492,89 euros à ce titre, elle n'en justifie pas ; qu'il est donc dû à M. [I] la somme de 646,31 euros de ce chef ;
Que M. [I] réclame également le paiement d'indemnités de grand déplacement pour 7 trajets accomplis durant sa mission au sein de la société AAA ; que si la société Adecco France fait valoir que l'intéressé a été absent les lundi 14 et mardi 15 novembre 2016 et ne pouvait de ce fait pas prétendre au paiement de ces indemnités sur la période du 12 au 15 novembre, elle ne l'établit pas - les pièces numérotées 2 et 3 invoquées à ce titre ne permettant pas de vérifier la réalité de ces absences ; qu'il est donc dû à M. [I] la somme de 420 euros réclamée à ce titre ;
Que M. [I] réclame enfin l'indemnisation du temps de trajet pour se rendre de son domicile à son lieu de travail et de son lieu de travail à son domicile, soit 4 trajets à 9 heures, demande sur laquelle la société Adecco France ne formule aucune observation et qui sera donc accueillie ;
Attendu que les montants alloués produiront intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2019, date de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation ;
- Sur l'exécution déloyale du contrat de travail :
Attendu M. [I] reproche à ce titre à la société Adecco France de ne pas lui avoir réglé les frais de déplacement dont il sollicite le paiement ; qu'il ne justifie toutefois d'aucun préjudice distinct de celui réparé par l'octroi des montants dus, augmentés des intérêts moratoires ; que sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail est donc rejetée ;
- Sur la remise des documents de fin de contrat rectifiés :
Attendu que, compte tenu de la solution donnée au litige, il y a lieu d'ordonner la remise à M. [I] d'un solde de tout compte et d'une attestation Pôle emploi portant mention des montants à caractère salarial ci-dessus alloués, sans qu'il soit besoin d'assortir cette condamnation d'une astreinte ;
- Sur les frais irrépétibles :
Attendu qu'il convient pour des raisons tenant à l'équité d'allouer à M. [I] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté M. [L] [I] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et rejeté la demande de la société Adecco France sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau sur les chefs réformés et ajoutant,
Condamne la société Adecco France à payer à M. [L] [I] les sommes suivantes :
- Concernant la mission auprès de la société Stelia Aerospace :
- 284,80 euros correspondant à l'indemnisation des voyages de prise de fonction et de fin de mission,
- 243 euros à titre d'indemnisation des voyages aller et retour (9 heures d'aller et 9 heures retour),
- 646,31 euros à titre d'indemnisation des voyages dits de détente,
- Concernant la mission auprès de la société AAA :
- 284,80 euros correspondant à l'indemnisation des voyages de prise de fonction et de fin de mission,
- 243 euros à titre d'indemnisation des voyages aller et retour (9 heures d'aller et 9 heures retour),
- 420 euros au titre des indemnités de grands déplacements,
ces montants produisant intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2019,
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel,
Ordonne à la société Adecco France de remettre à M. [L] [I] un solde de tout compte et une attestation Pôle emploi portant mention des montants à caractère salarial ci-dessus alloués,
Condamne la société Adecco France aux dépens de première instance et d'appel,
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,